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22/10/2019 | LUXEMBOURG | N°42734C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 octobre 2019, 42734C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 42734C du rôle Inscrit le 29 avril 2019

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Audience publique du 22 octobre 2019 Appel formé par l’administration communale de Rambrouch contre le jugement du tribunal administratif du 1er avril 2019 (n° 40197 du rôle) rendu sur requête de la société en commandite de droit allemand … , … (Allemagne) en présence de la société à responsabilité limitée …, …, en matière de marchés publics

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 42734C du rôle Inscrit le 29 avril 2019

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Audience publique du 22 octobre 2019 Appel formé par l’administration communale de Rambrouch contre le jugement du tribunal administratif du 1er avril 2019 (n° 40197 du rôle) rendu sur requête de la société en commandite de droit allemand … , … (Allemagne) en présence de la société à responsabilité limitée …, …, en matière de marchés publics

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 42734C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 29 avril 2019 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Rambrouch, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-8805 Rambrouch, 19, rue Principale, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 1er avril 2019 (n° 40197 du rôle) par lequel ledit tribunal a annulé la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Rambrouch du 31 juillet 2017 d’écarter l’offre de la société en commandite de droit allemand …, établie et ayant son siège social à D-… …, … … inscrite au registre de commerce et des sociétés de …ch, sous le numéro …, de même que la décision confirmative portée à la connaissance de la société … à travers un courrier de Maître Henri FRANK du 1er septembre 2017, ainsi que celle du 31 juillet 2017 d’attribuer le marché relatif aux travaux de gros-œuvre et de charpente métallique à réaliser dans le cadre de la construction d’une caserne pour son service d’incendie et de sauvetage et pour le centre de la protection civile de … à … à la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro … ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du 3 mai 2019, portant signification de cet appel à la société en commandite de droit allemand …, préqualifiée, et à la société à responsabilité limitée …., préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 3 juin 2019 par Maître Ariane KORTÜM, avocat à la Cour, assistée de Maître Michelle FRANKUS, avocat liste IV, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de la société en commandite de droit allemand …, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe de la Cour administrative le 2 juillet 2019, pour le compte de la partie appelante ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe de la Cour administrative le 24 septembre 2019 pour le compte de la société … ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Henri FRANK et Maître Ariane KORTÜM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 octobre 2019.

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Par avis de marché du 30 mars 2017, la commune de Rambrouch annonça l’ouverture d’une procédure de soumission publique en vue de l’attribution d’un marché relatif à des travaux de gros-œuvre et de charpente métallique à réaliser dans le cadre de la construction d’une caserne pour son service d’incendie et de sauvetage et pour le centre de la protection civile de … à ….

La société de droit allemand …, ci-après désignée par la « société … », déposa le 17 mai 2017 une offre dans le cadre de cette soumission.

Par un courrier du 31 juillet 2017, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Rambrouch s’adressa à la société … dans les termes suivants :

« Conformément aux articles 71 et 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, je suis au regret de vous informer que votre offre a dû être écartée pour la raison que différentes positions de prix renseignées dans [votre] l’analyse de prix qui vous a été demandée par le bureau d’études …, présente[ent] des prix insuffisants et non pas en relation avec les prestations demandées. A titre d’exemple, on peut renseigner les deux exemples suivants : position …-Caillebotis votre prix indiqué ne représente que 3% de la valeur moyenne arithmétique ; position …- évacuation des déblais en excès : votre prix n’est que 2% de la valeur moyenne arithmétique.

Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au collège des bourgmestre et échevins.

En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, je vous informe que vous avez également la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication d’aujourd’hui par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.

Passé le délai de quinze jours à compter de la présente information, la décision définitive du collège des bourgmestre et échevins sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations. A l’égard de ces soumissionnaires le délai de recours devant le tribunal administratif de trois mois ne commencera à courir qu’à partir de la communication de la décision définitive. ».

A la suite d’un recours gracieux introduit par un courrier recommandé de son mandataire du 14 août 2017, la décision d’écarter l’offre de la société … fut confirmée par un courrier du mandataire de la commune de Rambrouch du 1er septembre 2017.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2017, la société … fit introduire un recours en réformation sinon en annulation 1) de la décision d’adjudication prise à une date inconnue d’elle, par laquelle la commune de Rambrouch a adjugé le marché public des travaux de gros œuvre et de charpente métallique à une autre société, suivant la demanderesse vraisemblablement à la société … Constructions Générales S. à r.l., ci-après dénommée la « société … », et 2) de la décision telle qu’elle s’est matérialisée par un courrier du 31 juillet 2017 du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Rambrouch d’écarter son offre, telle que confirmée par un courrier de Maître Henri FRANK du 1er septembre 2017.

Par jugement du 1er avril 2019, le tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, après s’être déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçut le recours subsidiaire en annulation en la forme et, statuant au fond, annula tant la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Rambrouch du 31 juillet 2017 d’écarter l’offre de la société … que la décision confirmative sur recours gracieux portée à la connaissance de la société … à travers le courrier prévisé du 1er septembre 2017 et de celle du 31 juillet 2017 d’attribuer le marché en question à la société …, le tout avec rejet de la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par la commune de Rambrouch et avec condamnation de cette dernière aux frais.

Le tribunal considéra liminairement que l’administration communale de Rambrouch n’était pas fondée à se prévaloir de son libre choix d’attribuer le marché à un des trois soumissionnaires ayant présenté le prix acceptable le plus bas, étant donné que l’offre de la société … avait été écartée à un stade préalable pour non-conformité aux stipulations du cahier des charges et que le débat ne pouvait de la sorte pas être placé au stade postérieur des possibilités de choix parmi les offres régulières.

Les premiers juges retinrent ensuite que l’administration communale de Rambrouch n’était pas fondée à demander une analyse des prix en s’appuyant sur l’article 80 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 3 août 2009 », dès lors que l’offre de la société … n’était pas de 15% inférieure à la moyenne arithmétique de toutes les offres. Ainsi, elle ne serait pas non plus autorisée à se placer dans le cadre de l’article 82 du même règlement grand-ducal pour écarter cette offre, étant donné que cette disposition légale ne serait que la suite d’une demande d’analyse des prix.

Tout en admettant que l’administration communale de Rambrouch conservait, en dehors des prescriptions des articles 80 et 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, la possibilité de demander une analyse des prix, dans le souci de s’assurer de la viabilité des offres lui soumises, les premiers juges estimèrent cependant que les deux positions isolées épinglées par l’administration communale de Rambrouch comme présentant des prix insuffisants ne permettraient pas de considérer que le prix global de l’offre de la société … était à perte. Ajoutant que la valeur des deux positions litigieuses n’accuserait qu’un caractère marginal par rapport à la valeur globale du marché, ils conclurent que l’offre de la société … n’aurait point pu être écartée sur le fondement de l’article 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009.

Selon les premiers juges, la même conclusion s’imposerait au niveau de l’application de l’article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, qui permet d’écarter les offres dont les prix sont reconnus inacceptables.

En effet, en posant qu’une offre pouvait être qualifiée d’anormalement basse si son prix ne correspond pas à une réalité économique et qu’il incombait au pouvoir adjudicateur de s’assurer que les prix proposés sont économiquement viables et que le candidat a pris en compte l’ensemble des exigences formulées dans le dossier de soumission, tout en relevant que la sous-évaluation financière des prestations peut constituer un indice évident de l’offre anormalement basse, les premiers juges conclurent que si pour les deux positions critiquées, à savoir la position « … », en réalité …, intitulée « caillebotis perforés », et la position « … »., en réalité …, intitulée « évacuation déblais en excès ; classe 1/ terre », au niveau desquelles un prix total de ….- €, respectivement de … € avait été offert par la société …, alors que, les offres des concurrents étaient en moyenne de … € par mètre carré, soit … € pour 32 mètres carrés, respectivement de … € par mètre cube, soit un total de … € pour 20 mètres cubes, l’écart entre les offres, sur ces deux postes, était certes significatif, il n’en restait pas moins que ce seul écart n’était pas suffisant pour arriver à la conclusion que globalement l’offre de la société … était insuffisante. Ainsi, à défaut de preuve par ailleurs de ce que l’offre de la société … était à perte, « le seul constat que les prix de deux positions isolées, qui plus est d’une valeur marginale par rapport à celle du marché sont significativement plus bas que ceux offerts par les concurrents ne permettent pas de retenir que le marché soit à perte », les premiers juges conclurent que l’administration communale de Rambrouch n’était pas fondée à conclure à l’existence d’un prix insuffisant ou à perte et la décision d’écarter l’offre de la société …, telle que confirmée par la suite, de même que celle d’adjuger le marché à la société … encouraient l’annulation.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 29 avril 2019, l’administration communale de Rambrouch a régulièrement relevé appel du susdit jugement du 1er avril 2019.

L’appelante critique les premiers juges d’avoir conclu qu’elle n’aurait pas pu se fonder sur l'article 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 pour écarter l'offre de la société …. Cette disposition réglementaire ne serait à considérer comme n’ayant vocation à s’appliquer qu’en cas d’application de l’article 80 dudit règlement grand-ducal.

En effet, comme les réponses apportées par la société … à la demande d'analyse des prix ne justifieraient pas ses prix et que, déduction faite des frais, il ne restait plus de bénéfice au soumissionnaire concernant les différents postes concernés, la partie appelante s’estime en droit d’avoir écarté l’offre en question.

Quant auxdites réponses, la partie … aurait donné des indications erronées, respectivement trompeuses et contraires au cahier des charges.

En effet, au titre de la position « … — Caillebotis perforés », où son prix unitaire offert serait de 3 % de la valeur moyenne arithmétique des autres concurrents, l’explication fournie par la société … (« Die « Caillebotis » waren bei unserer Mandantschaft noch vorhanden. Es war nicht erforderlich diese zu bestellen, sondern sie sind aus einer anderen Baumaßnahme bei der Mandantschaft verblieben und können für den hier auszuführenden Auftrag verwendet werden. Es fallen daher weder Kosten für den Kauf noch Transportkosten an. Entsprechend erklärt Sich der angegebene Preis von je … € je 32 m2. » serait l'aveu même d’une distorsion de concurrence.

Ensuite, au sujet de la position « …. — Evacuation des déblais en excès », en avançant pouvoir facturer un prix de ….-€/m3 alors que la terre végétale aurait, pour elle, une valeur économique et qu'elle serait en mesure de la revendre, la société … ne justifierait pas la réalité des prix indiqués. En effet, il conviendrait de noter que la terre végétale que la société … entendait revendre serait la propriété de la commune et ne pourrait en aucun cas être revendue sans son accord, qu'elle n'aurait, d'ailleurs, jamais donné et le cahier des charges prévoirait expressément l'évacuation des déblais en excès à la décharge à ….

Face à ces explications lacunaires, respectivement erronées, l’appelante s’estime avoir été en droit d'écarter l’offre de la société … pour cause de violation de l'article 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009.

En ordre subsidiaire, la partie appelante soutient avoir été habilitée d'effectuer le même contrôle des prix sur base de l'article 79 du règlement grand-ducal du 3 août 2009.

Par ailleurs, l'article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 l’aurait obligée de procéder à une vérification réelle et approfondie des dossiers de soumission et, plus particulièrement, d'examiner le bien-fondé des prix proposés sur les différents postes, de contrôler la véracité des calculs avancés et de vérifier si l'offre est conforme au cahier de charge.

Or, en l’espèce, la société … aurait « carrément triché et essayé de tromper la commune sur quelques points de son offre en omettant de suivre les directives du cahier de charge, p.ex. lorsqu'elle explique que les terres végétales ont une valeur réelle pour elle et qu'elle ne les transporterait pas à la décharge à …, respectivement en manipulant les prix indiqués avec l'explication que les caillebotis ne devaient pas être acquis alors qu'elle les avait en stock d'un autre chantier » Elle aurait ainsi opéré une réduction des prix de certains points de son offre et ainsi incontestablement enfreint le principe de l'égalité des soumissionnaires et les premiers juges se seraient quant à eux focalisés à tort sur le prix global de l’offre de la société ….

La société …, partie intimée, conclut en substance à la confirmation du jugement a quo.

Elle rappelle avoir présenté l'offre au prix le plus bas, de sorte que le marché aurait dû lui être attribué, son offre n’étant pas à écarter pour prétendue irrégularité.

Selon la partie intimée, avec une moyenne arithmétique des prix de toutes les offres conformes de … €, son offre à un montant total de … € ne serait inférieure que de … € à la moyenne de toutes les offres, soit moins de 10% de la moyenne arithmétique de toutes les offres, de sorte que les conditions posées par l’article 80 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 n’auraient pas été remplies en cause et une analyse des prix n’aurait pas pu être sollicitée, d’une part, et les informations supplémentaires exigées de sa part auraient été demandées illégalement, d’autre part. Par conséquent, les résultats de l'analyse de prix ne devraient pas être pris en compte, pour résulter d'une violation des dispositions de l'article 80 du règlement grand-ducal du 3 août 2009. Le rejet de l'offre de la requérante en résultant, serait partant sans fondement légal.

Par ailleurs, aucun des trois cas de figure visés par l'article 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 ne serait vérifié en l’espèce, une analyse des prix ayant été fournie dans le délai imparti et les prix auraient été justifiés à suffisance. Il est ajouté qu’elle aurait informé le pouvoir adjudicateur qu’elle disposerait de caillebotis provenant d'un autre projet de construction et qui pourraient être utilisés pour le présent projet, de sorte que la position …n'engendrait ni des frais d'achat du matériel, ni des frais de transport, de sorte à expliquer le prix de …- € pour 32 m2. Elle précise encore que « ces caillebotis résultaient d'une erreur de commande pour un autre chantier, de sorte que les caillebotis n'ont pas été frauduleusement facturés, la partie intimée en ayant supporté seule le coût ». Concernant la position …, la partie intimée relève avoir expliqué que la terre végétale à évacuer (terrain de classe l) avait une valeur économique réelle car celle-

ci peut être revendue ou réutilisée ailleurs. Cette valeur économique aurait été prise en compte lors du calcul du prix de cette position, en calculant le revenu escompté comme un avoir. Ceci explique le prix unitaire de … €/m2, sans que l’on puisse lui faire de reproche d'avoir tenu compte de cette valeur économique de la terre dans son offre.

Au-delà, si les réponses devaient être insuffisantes pour prouver le bien-fondé du prix offert, il y aurait lieu de vérifier si l'adjudicataire fera un bénéfice, ce qui serait bien le cas en l’espèce.

Enfin, « dans la mesure où on ne se trouve pas en présence d'un des cas de l'article 82 RGD, mais que le pouvoir adjudicateur a invoqué d'autres raisons pour justifier sa décision, il y a subsidiairement lieu de considérer qu'il s'agit d'un détournement de pouvoir, alors que la Commune a substitué à l'analyse des prix prévue par les dispositions légales et permettant de vérifier que l'adjudicataire fera un bénéfice, d'autres considérations étrangères aux dispositions de l'article 82 RGD ». Il conviendrait alors d’annuler les décisions critiquées pour illégalité, sinon détournement de pouvoir.

En ce qui concerne l’application de l'article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, qui permet d'écarter les offres dont les prix sont reconnus inacceptables, il conviendrait de se poser la question de savoir ce qu'est un prix inacceptable et de constater qu’en l’espèce, le prix global de son offre ne s'écartait pas notablement de la moyenne des autres offres, de sorte que ses prix étaient globalement à qualifier d'acceptables. Ainsi, en s’emparant d’un écart sur deux positions isolées, le pouvoir adjudicateur commettrait une erreur manifeste d'appréciation.

En conséquence, devant les explications fournies, le pouvoir adjudicateur n’aurait pu baser sa décision, ni sur l’article 79, ni sur les articles 80 à 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, de sorte que la décision d'écarter son offre comme irrégulière serait illégale pour défaut de base légale, sinon pour erreur manifeste d'appréciation, sinon pour détournement de pouvoir A l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à constater que l’administration communale de Rambrouch a décidé d’écarter l’offre de la société … au motif que des prix insuffisants et sans relation avec les prestations demandées auraient été offerts, tout en se fondant sur les articles 71 et 82 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, étant précisé que la réglementation applicable à l’époque de la prise de décision détermine nécessairement le cadre légal auquel le juge de l’annulation doit avoir égard, même si entretemps le règlement en question a été abrogé et remplacé par un nouveau dispositif règlementaire.

La Cour rejoint encore en substance l’analyse des premiers juges en rapport avec l’inapplicabilité en l’espèce des articles 80 à 83 composant la section 3 du chapitre 18 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 relatif à l’examen des offres. En effet, ces articles, qui prévoient le passage -obligatoire- par une procédure de justification des prix en présence d’une offre présentant a priori un prix suspect, c’est-à-dire une offre qui est de plus de quinze pour cent inférieure à la moyenne arithmétique des prix de toutes les offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation reçues, organisent la justification des prix et les éventuelles sanctions en cas d’absence ou d’insuffisance de la justification sollicitée, n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

Cette conclusion s’impose dès lors que, comme les premiers juges l’ont retenu à bon escient, l’offre litigieuse de la société … n’est pas de plus de quinze pour cent inférieure à la moyenne arithmétique des prix de toutes les offres.

Ceci dit, il n’en reste pas moins que dans le cadre de sa mission légale de vérification des offres, organisée par la section 1 du chapitre 18 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, le pouvoir adjudicateur peut toujours passer par une analyse des prix.

En effet, l’article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 appelle le pouvoir adjudicateur à examiner et à vérifier les dossiers de soumission quant à leur conformité technique et à leur valeur économique, notamment quant au bien-fondé des prix et quant à l'exactitude des calculs. Cette disposition règlementaire est une mise en œuvre de l’article 11 de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics, qui fixe la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse respectivement de l’offre au prix le plus bas parmi les seules offres régulières, c’est-à-dire celles qui, après évaluation, sont formellement et techniquement conformes et qui remplissent les critères de sélection qualitatifs prévus par les cahiers spéciaux des charges.

Dans le même ordre d’idées, le pouvoir adjudicateur peut et doit par ailleurs aussi examiner si les prix proposés sont en rapport avec les travaux, fournitures ou services demandés et dans ce contexte, tel que le précise expressément l’article 79 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, il peut toujours inviter un soumissionnaire à justifier ses prix au moyen d'une analyse des prix ou par la production de tous documents se rapportant à l'établissement des prix, notamment si l'offre contient un ou plusieurs prix unitaires qui laissent présumer qu'ils ne correspondent pas aux prestations demandées.

Tel a précisément été le cas en l’espèce, l’administration communale de Rambrouch ayant sollicité une analyse des prix auprès de la société …, après que l’examen de la conformité de son offre a fait dégager certaines positions à première vue suspectes.

Ainsi, la demande de justification de certains prix adressée par le pouvoir adjudicateur à la société … si elle ne s’insère pas valablement dans le cadre des articles 80 et suivants du règlement grand-ducal du 3 août 2009, trouve néanmoins une assise légale dans les susdits articles 71 et 79 du règlement grand-ducal du 3 août 2009.

Or, l’indication d’une base légale erronée n’empreint pas la décision d’illégalité, dès lors que l’action administrative est légalement soutenue par une autre base légale, les reproches afférents sont partant à écarter.

Ceci étant dit, en l’espèce, l’administration communale de Rambrouch, après avoir reçu de la part de la société … la justification de ses prix, estime son offre inacceptable au niveau de deux positions, à savoir la position …, qui a trait à des « caillebotis perforés » et la position …, concernant l’« évacuation déblais en excès ; classe 1/terre », la société ayant indiqué un prix total de …- € pour la première et …- € pour la deuxième, au motif que les offres des concurrents étaient en moyenne, pour la première position, de … € par mètre carré, soit … € pour 32 mètres carrés, et, pour la deuxième position, de … € par mètre cube, soit un total de … € pour 20 mètres cubes, de sorte à présenter des écarts significatifs par rapport aux autres offres, lequel écart n’aurait point été justifié par les éléments d’explication fournis dans le cadre de l’analyse des prix fournie par la société ….

La Cour constate de prime abord que les écarts, ainsi pointés aux deux positions concernées, par rapport aux prix offerts par les concurrents, sont effectivement significatifs, d’une part, et que les explications fournies par la société … ne sont pas de nature à les justifier, d’autre part.

En effet, l’explication fournie, d’après le dernier état des conclusions de la partie intimée, consistant à soutenir qu’elle gardait des caillebotis en stock, qui auraient été commandés en surnombre pour un autre chantier, de sorte qu’il n’y aurait ni coût d’achat, ni coût de livraison y afférent, ne saurait être admise. Il est patent que les caillebotis ont un coût de revient que tout entrepreneur essayerait pour le moins de récupérer. Il n’est point normal, ni admissible que des produits ou services soient offerts en cadeau ou à un prix dérisoire dans le cadre d’une procédure de soumission publique. Admettre le contraire serait admettre des distorsions de concurrence patentes.

Laisse encore de convaincre la tentative de justification du prix dérisoire offert pour l’évacuation des terres en excès. En effet, la mise en balance du prix de vente de la prétendue terre arable ne saurait être acceptée telle quelle, la commune n’ayant pas autorisé les soumissionnaires à ce faire et la société … a omis d’informer le pouvoir adjudicateur de cette possibilité et de solliciter son accord préalable, de manière à garantir que tous les participants puissent en être informés, le tout dans l’esprit bien compris d’un jeu normal de la concurrence.

Il s’ensuit que l’offre de la société … présente deux positions qui affichent des prix qui ne sont pas en concordance avec les fournitures et services demandés, fait que le pouvoir adjudicateur ne pouvait point tolérer, mais qu’il se devait de sanctionner.

En effet, en disposant que « les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables sont éliminées », l’article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 ne laisse pas de marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur pour éliminer ou non une offre en cas de constat de sa non-conformité ou de son caractère inacceptable, mais il prévoit impérativement son élimination, le tout afin de prévenir tout risque de distorsion de concurrence et de traitement inégal des participants à une soumission.

Par conséquent, le fait qu’il ne s’agisse que de deux positions isolées et que leur valeur n’est pas très élevée, compte tenu de la valeur totale du marché, ne saurait pour autant autoriser le pouvoir adjudicateur à y passer outre, tout comme il importe peu si l’offre globalement considérée est ou non à perte.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’administration communale de Rambrouch était fondée à conclure à une offre non conforme du fait de prix reconnus inacceptables et d’écarter l’offre de la société … ainsi viciée en application de l'article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 et, en conséquence, il y a lieu, par réformation du jugement entrepris, de rejeter le recours en annulation dirigé par la société … contre la décision du collège échevinal de Rambrouch du 31 juillet 2017 d’écarter son offre, ensemble la décision confirmative du 1er septembre 2017 sur recours gracieux, ainsi que celle du 31 juillet 2017 portant attribution du marché en question à la société ….

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, déclare l’appel justifié ;

partant, par réformation du jugement du 1er avril 2019, rejette le recours en annulation de la société en commandite de droit allemand … dirigé contre la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Rambrouch du 31 juillet 2017 d’écarter son offre dans le cadre de la procédure de soumission publique dans l’intérêt de la réalisation des travaux de gros-œuvre et de charpente métallique dans le cadre de la construction d’une caserne pour son service d’incendie et de sauvetage et pour le centre de la protection civile de … à …, ensemble celle confirmative sur recours gracieux, ainsi que celle du 31 juillet 2017 portant attribution du marché en question à la société à responsabilité limitée … ;

condamne la société … aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2019 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 42734C
Date de la décision : 22/10/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-10-22;42734c ?

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