Tribunal administratif Numéro 43147 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2019 4e chambre Audience publique du 12 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43147 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2019 par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … au … (Egypte), de nationalité égyptienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juin 2019 de statuer sur le bien-
fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er juillet 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le premier vice-président du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise Nsan-Nwet et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives.
Le 8 octobre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour. A cette occasion, il fut constaté, sur base d’une recherche effectuée de la banque de données EURODAC, que Monsieur … avait antérieurement déposé une demande de protection internationale à … en Italie, en date du 3 janvier 2018. Par ailleurs, il se dégagea des mêmes recherches qu’en date du 20 avril 2018, il lui fut délivré une « convocation pour l’enregistrement de la demande d’asile » par le « Guichet Unique de Nantes » portant convocation audit guichet installé auprès de la préfecture pour le 23 mai 2018.
Egalement en date du 8 octobre 2018, Monsieur … fut auditionné par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
En date des 6 et 19 mars et 10 avril 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 7 juin 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), sous les points a), d) et e) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, après avoir résumé ses déclarations comme suit :
« (…) Il en ressort que vous seriez originaire du village de … (gouvernorat de …) où vous auriez vécu avec vos parents et votre frère et travaillé en tant que chauffeur de taxi de 2014 jusqu'à votre départ en 2017. Vous auriez été obligé de quitter l'Egypte parce que vous seriez recherché par les autorités.
Ainsi, vous prétendez avoir rejoint l'armée vers 2014, respectivement que vous auriez effectué votre service militaire à partir de 2014. Dans ce cadre, vous auriez été choisi comme chauffeur au sein du « département des industries des véhicules » et vous n'auriez jamais participé à un entrainement de maniement d'armes à feu. Le 25 janvier 2015, il y aurait eu des « manifestations à la place … » par des citoyens « demandant leurs droits » et contre la montée des prix. Votre supérieur aurait alors donné l'ordre à 25 soldats de votre unité des « industries des véhicules », dont vous, de vous déplacer à la place … pour disperser les manifestants en vous équipant d'armes à feu. Vous dites que vous auriez d'abord utilisé du gaz lacrymogène, mais qu'il n'aurait pas suffi à disperser la foule, raison pour laquelle vous auriez reçu l'ordre de tirer dans la foule, ce que vous auriez tous refusé de faire. Vous expliquez par la suite que vous n'auriez rien fait du tout, raison pour laquelle votre supérieur aurait compris que vous auriez de la compassion pour les manifestants et qu'il aurait ordonné que vous rentriez à la caserne.
Vous précisez encore que vous vous seriez trouvé sur la place … pendant à peu près deux heures et que personne n'aurait tiré à ce moment-là ; néanmoins, vous auriez vu des manifestants morts et blessés par terre « quand nous étions debout sur place ».
Après votre refus collectif d'obéir aux ordres, vous auriez d'abord été transportés vers une caserne puis amenés à la « Sureté » par des officiers qui vous auraient mis des cagoules.
Au bureau de la Sureté, on vous aurait reprochés de ne pas avoir obéi aux ordres avant d'être placés dans une « cellule de torture ». Dans cette cellule, vous auriez été torturé chaque deuxième semaine sur une durée d'un an et demi. En plus, vous expliquez que vous auriez uniquement été nourri une semaine sur deux. Ensuite, vous changez de version et expliquez que vous auriez été torturé une fois par semaine en étant frappé avec des tuyaux et électrocuté.
Vous précisez encore que pendant votre emprisonnement, vous auriez toujours été seul, tout comme les autres 24 codétenus.
Le 25 juin 2016, vous auriez été libéré en vous faisant amener jusque dans le centre de votre ville de …. Vous auriez alors pris une voiture « pour voyager, je suis parti à Benha » où vous vous seriez rendu au poste de police pour porter plainte, respectivement parce que vous ne pourriez « rien raconter sans pièce d'identité. Après cela, j'étais à l'hôpital ». Vous prétendez ensuite que vous vous seriez d'abord adressé à un poste de police plutôt que d'aller dans un hôpital parce que « le policier doit envoyer avec moi un autre policier pour récupérer ce rapport médical. Comme je n'avais pas de document d'identité, il ne pouvait pas m'accompagner ». Enfin, selon une autre version, vous expliquez que vous auriez été « torturé » une dernière fois une vingtaine de jours avant votre libération. Lors de votre libération, vous auriez encore tellement saigné que vous n'auriez pas pu aller à la maison. Or, les policiers, en voyant les blessures sur votre corps, vous auraient demandé d'aller à l'hôpital afin de vous faire remettre un rapport médical, respectivement, les policiers vous auraient fait comprendre que vous auriez besoin d'un rapport médical pour faire une déposition. A l'hôpital, on vous aurait toutefois expliqué que vous devriez être en possession d'une carte d'identité pour vous faire remettre un rapport médical, respectivement on vous aurait dit qu'on ne pourrait rien faire pour vous. De retour au poste de police pour récupérer votre carte d'identité, les policiers vous auraient expliqué que cela ne serait pas possible.
Vous seriez alors rentré à la maison à la recherche d'une quelconque pièce permettant de vous identifier et vous auriez alors constaté que les agents de la Sureté seraient passés chez vous puisque tout aurait été cassé, tout comme dans les maisons de vos soeurs. Vous prétendez par ailleurs, qu'à ce moment, vous auriez déjà été recherché par la Sureté et que vous auriez été tué si jamais vous aviez été attrapé. Pour ne pas causer d'ennuis à votre famille, vous auriez alors pris la décision de quitter l'Egypte.
Vous précisez dans une autre version qu'après votre libération, le 5 juillet 2016, vous seriez rentré à la maison où vous vous seriez tout de suite évanoui. Vous vous seriez par la suite réveillé à l'hôpital accompagné de votre famille. Vous dites que le médecin aurait refusé de vous remettre un rapport médical faute de pièce d'identité. Votre père serait alors retourné à la maison pour trouver une pièce qui prouverait votre identité; mais, arrivé à domicile il aurait remarqué que tout aurait été détruit et que « tous » les papiers auraient été déchirés. Il se serait alors rendu à un commissariat pour faire sa déposition, mais le policier en charge aurait refusé de se déplacer chez vous après que votre père lui aurait signalé qu'il ne saurait pas qui serait responsable de ces actes de vandalisme.
Selon une troisième version, vous seriez rentré à la maison après votre visite à l'hôpital et après que votre père aurait vu vos blessures « nous sommes allés à l'hôpital ».
Deux semaines après votre libération, vous vous seriez adressé au bureau de l'état civil où vous auriez rempli le formulaire pour vous faire remettre une nouvelle carte d'identité. Or, l'agent responsable de votre dossier vous aurait expliqué que la police aurait retenu tous vos papiers d'identité. Selon une deuxième version, vous vous seriez rendu avec votre père à ce bureau où on vous aurait fait comprendre qu'on refuserait de vous remettre une carte d'identité pour une question qui ne « nous concerne pas, mais elle concerne la sureté de l'état ». On vous aurait à la même occasion signalé que vous devriez vous rendre auprès de la Sureté, ce que vous n'auriez pas fait par peur des conséquences. Selon une autre version, vous vous seriez immédiatement adressé au bureau de l'état civil en compagnie de votre père, le jour où vous auriez été à l'hôpital (p. 18). Après avoir mis votre nom dans l'ordinateur, l'agent en charge vous aurait expliqué qu'il ne pourrait rien faire pour vous.
Vous dites ensuite qu'entre juillet 2016 et juillet 2017, vous auriez habité à … où vous auriez travaillé dans le « barbecue de poissons » et « en même temps je me cachais » alors que vous auriez été recherché par la Sureté de l'état. Vous n'auriez par ailleurs pas tenté de quitter l'Egypte à ce moment parce que vous auriez par « n'importe quel » moyen tenté de vous faire remettre une pièce d'identité. Interrogé sur les démarches entreprises, vous expliquez que « j'ai appelé des avocats mais ils ne m'ont pas pu les faire », respectivement vous expliquez que l'avocat aurait été engagé par votre père. Interrogé comment un avocat pourrait vous remettre une nouvelle pièce d'identité vous répondez qu'il pourrait faire une déposition au service de sureté de l'état et prouver que j'étais torturé et « leur demander pourquoi j'étais demandé par les suretés de l'état ». Vous changez ensuite de version en expliquant que vous auriez engagé un avocat parce que vous auriez surtout voulu qu'il reçoive un rapport de la Sureté ou des autorités indiquant que vous auriez été blessé; rapport grâce auquel vous pourriez déposer plainte auprès d'un poste de police contre des agents de la sureté.
Le 7 mars 2017, vous auriez quitté … après que votre employeur vous aurait appelé pour vous prévenir que la Sureté de l'Etat aurait fermé sa boutique lui reprochant d'avoir embauché quelqu'un sans papiers, « quelqu'un qui fait de la politique. Quelqu'un qui s'est enfui du gouvernement ». Il vous aurait par ailleurs précisé que vous seriez recherché pour une « affaire politique », alors que vous auriez été « avec les manifestants ».
Vous expliquez toutefois par la suite qu'en 2016 ou 2017, vous auriez habité pendant cinq mois chez votre père à … où vous vous seriez caché parce que la Sureté ne pourrait pas « arriver jusque chez lui ». Néanmoins, vous auriez « pressenti quelque chose » et auriez décidé de partir. Vous prétendez qu'en juin 2017, des agents de la Sureté auraient rendu visite à votre père sur son lieu de travail, l'auraient menacé et demandé où se trouverait son fils.
Vous expliquez encore par la suite que tout au long de l'année 2016, vous seriez resté à Benha où vous auriez habité chez des amis et rencontré aucun problème.
Le 7 juillet 2017, vous auriez quitté l'Egypte en direction de la Libye où vous seriez resté pendant cinq mois avant gagner l'Italie en bateau. Etant donné que vous n'auriez pas voulu rester en Italie, vous seriez parti en France à la recherche d'un travail. Vous y avez aussi introduit une demande de protection internationale, mais comme on vous aurait expliqué qu'en France, les demandeurs de protection internationale égyptiens seraient refusés, vous seriez venu au Luxembourg le 6 octobre 2018.
Il ressort par ailleurs du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté l'Egypte parce vous auriez été victime d'un « carjacking ».
Vous ne présentez pas de pièce d'identité alors que vous auriez laissé votre passeport en Egypte en raison d'une fuite hâtive, respectivement parce que vous auriez voulu quitter le pays de façon clandestine. Vous avancez une troisième version selon laquelle « l'armée » vous aurait confisqué tous vos documents d'identité (carte d'identité, acte de naissance) et vous prétendez ne jamais avoir possédé de passeport. Enfin, vous expliquez que la sureté de l'Etat aurait détruit, respectivement « déchiré » tous vos documents.
Vous versez toutefois une copie d'une « convocation pour l'enregistrement de la demande d'asile » en France le 23 mai 2018, vous identifiant comme …, né le … au …, de nationalité égyptienne, ainsi que des photos montrant le corps d'un homme adulte non reconnaissable. (…) ».
4Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 7 juin 2019 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 et finalement de la même décision en ce qu’elle lui ordonne de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 7 juin 2019, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées. Il insiste plus particulièrement sur le fait d’être originaire d’Egypte et d’avoir été affecté, en tant que soldat dans l’armée égyptienne, à l’unité des « industries des véhicules » qui, normalement, ne se serait pas trouvée « en première ligne lors des opérations militaires ». Or, sa vie aurait « basculé », à l’occasion « du quatrième anniversaire de la révolution égyptienne : le 25 janvier 2015 », du fait qu’il aurait été obligé de participer à une opération de maintien de l’ordre « autour de la symbolique place … », lors de laquelle il lui aurait été ordonné « de tirer sur les manifestants qui tentaient de rejoindre la place ». Toutefois, comme il aurait refusé d’exécuter les ordres lui donnés, en s’opposant au fait de commettre des violences contre « des civils innocents », il aurait été emprisonné par les autorités égyptiennes et torturé régulièrement sur une période d’un an et demi. Le demandeur soutient encore qu’à la suite de sa libération, il aurait continué à être recherché « par les autorités », du fait qu’en tant que soldat, il aurait désobéi aux ordres reçus de la part de « sa hiérarchie », de sorte qu’il serait perçu comme étant un opposant au régime. Ainsi, il aurait su qu’il serait « tôt ou tard à nouveau persécuté », au cas où il demeurerait en Egypte, de sorte qu’il n’aurait eu d’autre choix que de quitter son pays d’origine.
En droit, et s’agissant plus particulièrement du recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur conteste, en ce qui concerne plus particulièrement l’application, par le ministre, de l’article 27, paragraphe (1), point d) de la loi du 18 décembre 2015, avoir présenté quatre versions contradictoires tant en ce qui concerne sa fuite de son pays d’origine que le fait de ne pas être en possession d’un document d’identité.
Le demandeur estime ainsi que sa fuite pourrait être considérée comme étant « hâtive » et « clandestine » et ce, d’autant plus qu’il ne se serait pas trouvé en possession d’un document d’identité. En ce qui concerne justement le défaut de document d’identité, il fait état de ce qu’en l’absence d’un tel document, il aurait espéré pouvoir utiliser d’autres documents afin de prouver son identité, tel qu’un acte de naissance. Dans ce contexte, il fait encore état du « contexte chaotique et terrifiant » dans lequel les documents d’identité lui auraient été « pris », de sorte qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas être en mesure d’identifier précisément l’organe étatique ayant procédé à la confiscation voire à la destruction des documents d’identité « en son absence ». Au vu de l’ensemble de ces éléments, il ne saurait partant lui être reproché une mauvaise foi quant à l’impossibilité invoquée par lui de présenter une pièce d’identité, de sorte que l’article 27, paragraphe (1), point d) de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait trouver application en l’espèce.
En ce qui concerne l’application par le ministre de l’article 27, paragraphe (1), point e) de la loi du 18 décembre 2015 et plus particulièrement l’affirmation du ministre suivant laquelle il n’y aurait eu aucune manifestation sur la place … en date du 25 janvier 2015, le demandeur reproche au ministre de n’avoir pris en considération qu’une partie des rapports des médias sur les événements qui se seraient déroulés au … le 25 janvier 2015, en insistant plus particulièrement sur le fait que l’un des articles sur lesquels le ministre se serait appuyé pour aboutir à la conclusion ci-avant évoquée, n’aurait été rédigé qu’ « en début de journée », à savoir à un moment où il aurait encore été impossible de constater si la place … ainsi que ses environs resteraient effectivement calmes tout au long de la journée litigieuse. Pour le surplus, le demandeur se réfère à un article du journal « … » suivant lequel il aurait existé, aux abords de la place …, un climat général de violences, de sorte qu’il y aurait lieu d’en conclure que ses déclarations suivant lesquelles il aurait été stationné « sur cette place » et y aurait reçu l’ordre d’utiliser des gaz lacrymogènes ainsi que de tirer sur les manifestants seraient tout à fait crédibles. Par ailleurs, il se dégagerait de l’article de presse en question que des véhicules blindés auraient été stationnés autour de la place … en date du 25 janvier 2015, de sorte qu’il ne serait pas « du tout absurde », comme l’aurait souligné à tort le ministre, qu’en tant que soldat affecté au département des industries des véhicules il ait pu être présent pour participer au maintien de l’ordre autour de la place …. C’est ainsi que dans ce contexte, il aurait très bien pu voir des manifestants morts, voire des manifestants qu’il aurait cru morts, ainsi que des manifestants blessés pendant qu’il aurait été « à son poste ». Il devrait partant se dégager de ces explications que l’article 27, paragraphe (1), point e) de la loi du 18 décembre 2015 ne devrait pas non plus trouver application en l’espèce.
En ce qui concerne finalement l’application, par le ministre, de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime qu’il serait tout simplement faux d’affirmer que ses déclarations ne seraient pas pertinentes dans le cadre de l’évaluation du bien-fondé de sa demande de protection internationale. Ainsi, il insiste sur le fait qu’il aurait clairement déclaré avoir quitté son pays d’origine parce qu’il y aurait été persécuté après avoir désobéi aux ordres de sa hiérarchie militaire qui auraient eu pour but de lui faire commettre des violences envers des civils et plus précisément des manifestants participant aux démonstrations ayant eu lieu en date du 25 janvier 2015. Or, la situation dans laquelle il se serait trouvé avant son départ de son pays d’origine tomberait clairement sous le champ d’application de l’article 1er de la Convention de Genève, du fait qu’il aurait eu raison de craindre d’être persécuté notamment du fait de ses opinions politiques. Il estime en effet dans ce contexte que le fait par lui d’avoir fui le service militaire et d’avoir refusé d’accomplir des actes violents contraires aux règles élémentaires « de conduite humaine » devrait être considéré comme l’expression d’une opinion politique dissidente de celle du régime en place dans son pays d’origine. Il devrait partant s’ensuivre que les éléments communiqués par lui dans le cadre de l’introduction de sa demande de protection internationale devraient être considérés comme étant pertinents, de sorte que l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 ne devrait pas trouver application.
Pour le surplus, le demandeur relève encore que l’instruction de sa demande de protection internationale par le ministre aurait pris huit mois, à savoir du 8 octobre 2018 au 7 juin 2019, ce qui serait une durée plus longue que celle appliquée « pour une procédure classique » et ce, alors même que l’article 27, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que le ministre aurait été censé prendre sa décision au plus tard dans un délai de deux mois à partir du jour où il apparaît que le demandeur tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1) de l’article 27 en question, ce délai pouvant toutefois être étendu au cas où l’affaire présente une complexité particulière. Au vu de ces éléments, le demandeur estime que le recours, par le ministre, à la procédure accélérée serait dénué « de toute pertinence », le demandeur estimant dans ce contexte que le recours à une telle procédure accélérée n’aurait comme seul avantage un raccourcissement des délais ainsi que la limitation de la possibilité de faire appel. Il estime partant que le ministre aurait commis un détournement de procédure en portant atteinte à ses droits de la défense.
En ce qui concerne son recours dirigé contre la décision lui refusant tout statut de protection internationale, le demandeur relève tout d’abord que son récit n’aurait « jamais varié sur les points fondamentaux », en faisant état de ce qu’il aurait été emprisonné en Egypte et qu’il y aurait fait l’objet de tortures à la suite de son refus d’exécuter les ordres reçus de la part de ses supérieurs militaires, qui auraient eu pour objet de lui faire commettre des violences envers des manifestants. Il invoque encore dans ce contexte les traumatismes profonds que les événements vécus par lui en Egypte et puis, par la suite, en Libye, lui auraient causé, qui auraient eu un impact significatif sur sa capacité à fournir un récit cohérent. Ainsi, lesdits traumatismes vécus par lui auraient pu avoir pour conséquence qu’il ne soit actuellement plus en mesure de se souvenir exactement des détails des événements vécus par lui. Il insiste encore à cet égard sur son état « de grande vulnérabilité et de grande confusion », qui aurait eu pour conséquence qu’il aurait erré en Italie, en France et enfin en Belgique, avant de se rendre au Luxembourg pour y déposer finalement une demande de protection internationale, un tel comportement étant de nature à établir, d’après lui, qu’il constituerait « un homme profondément désemparé », qui aurait justement besoin d’une protection. Le ministre serait partant malvenu de lui reprocher cette errance.
En ce qui concerne la crédibilité de son récit, le demandeur reproche au ministre d’avoir recherché « la moindre incohérence pour miner la crédibilité de l’ensemble [de son] récit », alors même que son récit serait crédible quant aux « événements essentiels ». En effet, il ne saurait être exigé, d’après le demandeur, qu’une personne ayant été incarcérée et torturée pendant un an et demi soit en mesure de préciser exactement la fréquence exacte à laquelle elle a subi des sévices ou a été privée de nourriture. Dans le même contexte, il importerait peu de savoir si, à sa sortie de prison, ses documents ont été confisqués ou détruits ou si son père a d’abord fait ce constat. Au vu de l’ensemble des éléments présentés par lui, le demandeur estime que son récit présenterait la crédibilité nécessaire afin d’aboutir au constat qu’il remplirait l’un des critères de fond prévus à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la crainte fondée de persécutions en raison de ses convictions politiques, pour lui voir attribuer le statut de réfugié politique. Par ailleurs, au vu des persécutions dont il aurait ainsi fait l’objet de la part des autorités égyptiennes, il aurait été exclu pour lui de se mettre à l’abri dans une quelconque autre région d’Egypte, du fait que lesdites autorités auraient « toujours pu le retrouver », de sorte qu’il n’aurait eu d’autre choix que de fuir son pays d’origine pour se rendre à l’étranger.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime que les faits de l’espèce permettraient de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’y subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, sous b) de la loi du 18 décembre 2015, sans qu’il ne puisse bénéficier d’une protection adéquate à cet égard.
Le délégué du gouvernement conclut au caractère manifestement infondé du recours en ses trois volets, tout en rappelant les motifs invoqués par le ministre à la base des décisions déférées.
A titre liminaire, et avant tout autre progrès en cause, le délégué du gouvernement conteste le reproche adressé au ministre d’avoir dépassé le délai de deux mois prévu à l’article 27, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, en faisant état de ce que l’entretien du demandeur n’aurait été finalisé qu’en date du 10 avril 2019 et que la décision ministérielle sous examen aurait été prise le 7 juin 2019, de sorte que le ministre aurait parfaitement respecté les dispositions de l’article 27, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.
Ensuite, et en ce qui concerne plus particulièrement le recours à la procédure accélérée afin de traiter la demande de protection internationale du demandeur, le représentant gouvernemental fait tout d’abord état de ce que le demandeur tomberait sous le champ d’application de l’article 27, paragraphe (1), point d) de la loi du 18 décembre 2015, et ce, au vu de ses déclarations contradictoires quant à l’impossibilité pour lui de présenter une quelconque pièce d’identité, ce qui serait de nature à engendrer de sérieux doutes quant à sa sincérité. Ainsi, le demandeur aurait tout d’abord fait état de ce qu’il ne serait pas en possession d’une pièce d’identité « à cause de sa fuite hâtive d’Egypte ». Par la suite, le demandeur aurait prétendu ne pas avoir de pièce d’identité, en se référant au fait qu’il aurait quitté l’Egypte « de façon clandestine ». Plus tard, le demandeur aurait soutenu ne pas être en possession de documents d’identité du fait que ceux-ci auraient été « confisqués par les autorités égyptiennes », respectivement que l’armée égyptienne « lui aurait pris tous ses documents d’identité ». Enfin, le demandeur aurait fait état de ce que la « sûreté » serait passée chez lui et aurait « déchiré » tous ses papiers, parmi lesquels se seraient trouvés les papiers sur base desquels il aurait pu s’identifier. Le délégué du gouvernement estime partant que ce serait à bon droit que le ministre aurait déduit de ces nombreuses contradictions que le demandeur n’aurait pas eu l’intention de coopérer avec les autorités luxembourgeoises, en inventant différentes explications afin de justifier le fait de ne pas être en possession d’une pièce d’identité. Dans ce contexte, le délégué du gouvernement rejette les « vaines explications du mandataire du requérant » pour justifier les contradictions relevées ci-avant, qui ne seraient pas de nature à emporter la conviction de la partie gouvernementale. Enfin, le représentant gouvernemental fait état de ce que le demandeur aurait utilisé un alias lors de son séjour en France, un fait qui serait prouvé par la « convocation pour l’enregistrement de la demande d’asile » dont il y aurait partant lieu de conclure que le demandeur tenterait « ostensiblement de cacher sa réelle identité ».
En ce qui concerne l’application par le ministre de l’article 27, paragraphe (1), point e) de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement rappelle qu’aucune manifestation n’aurait eu lieu sur la place … en date du 25 janvier 2015, du fait que les autorités égyptiennes auraient bloqué l’accès à cette place dans le but d’éviter tout rassemblement ainsi que toute manifestation. Le représentant gouvernemental admet toutefois dans ce contexte que des manifestations anti-gouvernementales auraient eu lieu en Egypte en date du même 25 janvier 2015 et qu’il y aurait eu des affrontements entre des civils et les forces de l’ordre, ceux-ci ayant eu lieu tant dans d’autres quartiers du … que dans d’autres villes d’Egypte. Il en conclut partant qu’il aurait été impossible pour le demandeur d’avoir vu, en date du 25 janvier 2015, des « manifestations à la place … », du fait que le jour en question, aucune manifestation n’aurait eu lieu à la place en question, de sorte qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée au récit du demandeur quant à son prétendu refus de tirer, en tant que soldat, sur la foule de manifestants afin de les disperser. En outre, le délégué du gouvernement fait état que le jour en question, ce seraient des policiers, et non pas des soldats, qui auraient été chargés de la dispersion des manifestations, en ayant notamment recours au gaz lacrymogène. Or, le demandeur baserait son récit sur son prétendu refus de tirer sur la foule des manifestants, à la suite duquel il aurait eu les problèmes évoqués par lui avec les autorités égyptiennes. Comme l’élément de base de son récit ne serait pas crédible, la même conclusion devrait en être tirée au sujet de ses prétendues craintes de persécution. Le représentant gouvernemental relève dans ce contexte que le demandeur ne serait pas en mesure d’étayer ses dires par la moindre preuve, sous la forme d’un document ou d’une photo qui serait de nature à établir au moins une partie de son récit. En outre, à défaut de disposer d’une quelconque pièce d’identité, le délégué du gouvernement reproche encore au demandeur de ne verser aucune preuve quant à son appartenance à l’armée égyptienne, quant à son accomplissement du service militaire, voire quant à ses problèmes avec les autorités égyptiennes, sa recherche d’aide à travers des avocats, sa visite dans un commissariat de police ou dans l’hôpital, voire quant à la destruction de sa maison ainsi que celles de ses sœurs.
La partie défenderesse estime encore qu’il ne ferait « aucun sens », et ce, « au vu de la taille de l’armée égyptienne », que celle-ci se soit vu obligée d’avoir recours à 25 chauffeurs « sans le moindre entraînement au maniement d’armes », afin de les réquisitionner pour tirer sur des manifestants de la place …. Le délégué du gouvernement rejette encore comme étant « vaines » les explications fournies par le litismandataire du demandeur à cet égard afin de justifier le récit présenté par son mandant, qui n’emporterait pas la conviction de la partie gouvernementale. Le délégué du gouvernement rappelle dans ce contexte son interprétation de la situation en estimant que la place … avait été fermée au cours de la journée du 25 janvier 2015 afin d’éviter qu’il y ait lieu des manifestations anti-gouvernementales.
En conclusion, le délégué du gouvernement estime que le demandeur aurait présenté des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles du fait qu’elles contrediraient des informations suffisamment vérifiées quant à la situation de son pays d’origine, de sorte que le ministre aurait, à bon droit, pu écarter les faits présentés par le demandeur quant aux prétendus problèmes rencontrés par lui au sein de l’armée égyptienne.
En ce qui concerne enfin l’application par le ministre de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le représentant gouvernemental estime que ce serait à bon droit que le ministre aurait fait application de ladite disposition législative du fait que le demandeur n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Quant au refus par le ministre de reconnaître au demandeur un statut de protection internationale, le délégué du gouvernement estime que ce serait à bon droit que le ministre aurait remis en cause la crédibilité générale des déclarations présentées par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale, en relevant non seulement des prétendues contradictions dans la présentation du récit du demandeur quant à sa participation à une « mission de dispersion » de manifestations qui auraient eu lieu en date du 25 janvier 2015 à la place …, du fait que celui-ci présenterait une grande quantité d’incohérences, de contradictions et d’illogismes, mais également le fait que le demandeur aurait présenté différentes versions concernant les actes de torture qui lui auraient été infligés, voire concernant son hospitalisation.
En outre, le délégué du gouvernement estime qu’il serait absurde d’imaginer, suivant les explications du demandeur, que l’avocat de ce dernier aurait contacté la « sûreté de l’Etat », afin de recevoir un rapport sur ses blessures afin de lui permettre de déposer une plainte contre ces mêmes services étatiques en raison des tortures subies. En outre, le représentant gouvernemental s’étonne de ce que le demandeur aurait déclaré à la police judiciaire qu’il aurait été victime d’un « carjacking » qui serait d’ailleurs le seul élément qu’il aurait évoqué lors dudit entretien afin d’expliquer les raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine. Or, le demandeur n’aurait par la suite plus évoqué ce motif de sa fuite de son pays d’origine, notamment au cours de son entretien avec un agent du ministère afin d’établir les motifs de sa fuite.
Le délégué du gouvernement estime également qu’il paraîtrait « insensé » que le demandeur soit recherché par la « sûreté de l’Etat » tout de suite après avoir été libéré de prison et à la suite des tortures prétendument subies par lui par ledit service étatique et, d’une manière générale, le représentant gouvernemental rejette comme n’étant pas crédibles les explications fournies par le demandeur dans ce contexte.
En outre, le délégué du gouvernement estime que le fait que le demandeur n’ait introduit sa demande de protection internationale que tardivement après son arrivée sur le territoire européen serait de nature à mettre en doute la crédibilité de son récit, particulièrement les problèmes qu’il déclare avoir rencontrés dans son pays d’origine. Le délégué du gouvernement s’étonne encore dans ce contexte que le demandeur ne soit pas resté en France, après y avoir introduit une demande de protection internationale au cours du mois d’avril 2018, en estimant qu’un tel comportement serait de nature à établir un désintérêt évident par rapport à la procédure d’asile, qui serait incompatible avec le comportement d’une personne qui serait « vraiment persécutée et réellement à la recherche d’une protection dans un pays sûr ». Les explications fournies à cet égard par le litismandataire du demandeur quant à l’état de « grande vulnérabilité et de grande confusion » de son mandant sont rejetées par la partie défenderesse comme n’étant pas de nature à emporter la conviction de celle-ci.
En conclusion, et quant au volet de la décision incriminée ayant trait au refus de reconnaître dans le chef du demandeur, le statut d’asile, le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait, à bon droit, pu mettre en doute la crédibilité générale du récit du demandeur afin de lui refuser le statut de réfugié.
Quant au refus de reconnaissance, dans le chef du demandeur, du statut de la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement se réfère à ses explications antérieures quant au manque de crédibilité des déclarations du demandeur, de sorte que ce constat aurait également à bon droit pu amener le ministre à refuser au demandeur le statut de la protection subsidiaire.
Enfin, en ce qui concerne le volet de la décision sous examen ayant trait à l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’égard du demandeur, le délégué du gouvernement estime que ce dernier n’aurait adressé aucun reproche au ministre quant à ce volet de la décision ministérielle sous examen, de sorte qu’il y aurait lieu d’en conclure que ce serait à bon droit que le ministre lui aurait ordonné de quitter le territoire. Ce volet du recours du demandeur serait partant également à déclarer manifestement infondé, sans qu’il n’y ait lieu de renvoyer l’affaire devant une composition collégiale du tribunal administratif.
L’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », de sorte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, et dans la négative, de renvoyer ledit recours devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que le recours qui ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours1.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), d) et e), de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) d) il est probable que, de mauvaise foi, le demandeur a procédé à la destruction ou s’est défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité ;
e) le demandeur a fait des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles qui contredisent les informations suffisamment vérifiées du pays d’origine, ce qui rend sa demande visiblement peu convaincante quant à sa qualité de bénéficiaire d’une protection internationale ;
(…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), points a), d) et e) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, s’il est probable que, de mauvaise foi, le demandeur a procédé à la destruction ou s’est défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité, ou encore s’il fait des déclarations rendant sa demande visiblement peu convaincante.
1 trib. adm. 27 juin 2016, n° 37963 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Etrangers, n° 263 et les autres références y citées.
Le soussigné est dès lors amené à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par ce dernier ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), points a), d) et e) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande de protection internationale lui soumise dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non cumulative, de sorte que le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne tout d’abord le point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, en application duquel le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, l’analyse du caractère manifestement infondé ou non du recours y relatif doit être faite au regard des moyens avancés par le demandeur relatifs aux conditions d’octroi de la protection internationale.
Il y a d’abord lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), comme étant la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves, » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond de la Convention de Genève ou sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier dudit statut de protection internationale.
Force est au soussigné de relever que le recours en ce qu’il concerne le point a) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 n’est pas à déclarer manifestement infondé.
En effet, les moyens du demandeur quant aux motifs de persécution au sens des articles 2 f) et 43, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, en l’occurrence les persécutions, tortures, menaces et violences dont il déclare avoir fait l’objet de la part des autorités égyptiennes à la suite de son refus d’exécuter l’ordre de tirer sur des civils lors de manifestations ayant eu lieu en date du 25 janvier 2015, ne sont pas dénués de tout fondement et ce, plus particulièrement au regard de la situation politique ayant régné à l’époque en Egypte, de sorte que l’analyse de la pertinence de ces moyens au regard des conditions d’octroi du statut de réfugié nécessite un examen plus poussé des éléments concrets de l’affaire dépassant le cadre de l’analyse impartie au soussigné.
Concernant ensuite le point d) de l’article 27, paragraphe (1), visant l’hypothèse où le demandeur a, de mauvaise foi, procédé à la destruction ou s’est défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité, il échet de constater qu’au-
delà des contradictions relevées par le ministre dans le récit du demandeur quant à la possession de documents d’identité par ce dernier, que celui-ci a entendu clarifier en soumettant au tribunal des explications y afférentes, il ne se dégage d’aucun élément du dossier soumis au tribunal que le demandeur aurait procédé à la destruction de ses documents d’identité ou de voyage ou qu’il s’en serait défait. Ainsi, et alors même que la partie gouvernementale estime que le demandeur aurait présenté un récit incrédible, voire incohérent notamment quant aux documents d’identité qui ont, le cas échéant, pu être en sa possession, le soussigné ne dispose pas du moindre élément permettant de conclure à l’applicabilité du point d) du paragraphe (1) de l’article 27 précité, étant encore relevé que le simple fait par le demandeur d’avoir utilisé le cas échéant une autre identité en France n’est pas non plus de nature à aboutir à cette conclusion. Il s’ensuit que le ministre n’a pas pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point d) de la loi du 18 décembre 2015 pour faire application de la procédure accélérée dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale introduite par le demandeur.
En ce qui concerne enfin le point e) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur aurait présenté des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles par rapport aux informations disponibles quant à la situation régnant dans son pays d’origine, il échet de retenir que le recours n’est également pas à déclarer manifestement infondé à cet égard, étant donné que le demandeur a présenté un récit qui pourrait, le cas échéant, être retenu comme étant plausible par rapport à la situation générale ayant existé en Egypte à l’époque de sa fuite, étant relevé à cet égard que l’analyse de la crédibilité du récit du demandeur constitue une question de fond qui devra nécessairement faire l’objet d’un examen plus poussé par une composition collégiale du tribunal administratif, étant donné qu’un tel examen dépasse manifestement le cadre de l’analyse impartie au soussigné.
Au regard des conclusions prises ci-avant relatives aux points a), d) et e) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 invoqués à la base de la décision déférée, il échet de renvoyer l’affaire à la formation collégiale de la quatrième chambre du tribunal administratif pour statuer de manière plus approfondie sur le bien-fondé du recours, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner à ce stade le recours quant aux deux autres volets de la décision.
Par ces motifs, le premier vice-président, président de la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme les recours en réformation introduits contre la décision ministérielle du 7 juin 2019 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
dit que lesdits recours ne sont pas manifestement infondés et renvoie l’affaire à la quatrième chambre du tribunal administratif pour y statuer en formation collégiale ;
fixe l’affaire à l’audience publique de la quatrième chambre du mardi 24 mars 2020 à 15.00 heures pour plaidoiries ;
réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juillet 2019 par le soussigné, Carlo Schockweiler, premier vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 15