Tribunal administratif N° 43151 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 juin 2019 Audience publique du 26 juin 2019 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 43151 du rôle et déposée le 20 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Aurore GIGOT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 juin 2019 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Allemagne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la prédite décision ministérielle du 6 juin 2019, inscrit sous le numéro 43150, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Adrienne HECKMUS, en remplacement de Maître Aurore GIGOT, pour le requérant, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 6 mai 2019, Monsieur …, de nationalité guinéenne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 6 mai 2019, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 13 décembre 2016.
Le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia le même jour encore à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.
Par décision datée du 6 juin 2019, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer vers l’Allemagne sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et à celles de l’article 18, paragraphe 1d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 6 mai 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 6 mai 2019.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 6 mai 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 13 décembre 2016.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 mai 2019.
Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 13 mai 2019 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 15 mai 2019, en vertu de l’article 18(1)d du règlement DIII.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant [es critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).
Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 6 mai 2019 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 13 décembre 2016.
Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d’origine en date du 16 juin 2016 et vous auriez traversé le Mali, le Niger et la Libye, où vous auriez été emprisonné par les passeurs pendant 3 mois. Finalement, vous auriez traversé la Méditerranée avec un bateau et vous seriez arrivé en Sicile, Italie. Vous y seriez resté illégalement pendant 2 semaines, avant de voyager en Allemagne, en passant par la Suisse, En Allemagne, vous auriez introduit une demande de protection internationale, qui resterait jusqu’à ce jour sans suite. Après trois années vous seriez finalement venu au Luxembourg afin d’y introduire une nouvelle demande.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 mai 2019, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir retourner en Allemagne parce que « En Allemagne, je ne sens pas bien (sic !) psychologiquement, Je me sens rejeté par tout le monde à cause de ma orientation sexuelle.» (page 5 du rapport d’entretien Dublin III du 6 mai 2019).
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Allemagne de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-
refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités allemandes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de, votre-demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif en application de l’article 35(3) de la loi du 18 décembre 2015. Ce recours doit être Introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de 15 fours à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d’aucun appel.
Une procédure de référé en vue de l’obtention d’un sursis à l’exécution ou d’une mesure de sauvegarde peut être introduite auprès du Président du Tribunal administratif par requête signée d’un avocat à la Cour. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2019, inscrite sous le numéro 43150 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 6 juin 2019.
Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 43151 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Allemagne jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
A l’appui de son recours en obtention d’une mesure provisoire, Monsieur … expose que son transfert vers l’Allemagne entraînerait un préjudice grave dans la mesure où son maintien sur le territoire luxembourgeois serait fort compromis et qu’il se verrait contraint en vertu de la décision attaquée de le quitter sans que sa demande de protection internationale ne puisse être examinée, ce qui établirait le caractère grave de son préjudice. De plus, au vu des conditions d’accueil du requérant en Allemagne et, son préjudice en cas de transfert serait incontestable. Quant au caractère définitif du préjudice, « il est parfaitement établi en l’espèce au regard de la nature de la décision ».
Il insiste encore sur le fait et que les moyens exposés dans son recours en annulation seraient suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
Dans ce contexte, il entend s’emparer de l’article 3 du règlement Dublin III pour soutenir qu’il aurait appartenu au ministre de procéder à une analyse permettant de déterminer s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe en Allemagne des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, et de déterminer si ces défaillances systémiques entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 7 décembre 2000, désignée ci-après par « la Charte », le requérant soulevant dans le même contexte l’article 17 du règlement Dublin III.
Il expose ensuite factuellement avoir dû quitter son pays d’origine, la Guinée, à cause de son homosexualité, qui y aurait été réprouvée tant par son père, imam, que par une majeure partie de la population en Guinée, de confession musulmane.
Après avoir traversé divers pays, il serait arrivé en Allemagne où il a déposé une demande de protection internationale en date du 13 décembre 2016. Monsieur … prétend n’avoir jamais reçu de décision ni positive ni négative en Allemagne, de même qu’il n’aurait pas été entendu par les autorités allemandes.
Il relate encore avoir été placé dans un centre accueillant des demandeurs de protection internationale en provenance de la Guinée situé à Linnich, centre où il aurait fait l’objet d’agressions tant verbales que physiques de la part des autres occupants à cause de son homosexualité. Il affirme que malgré plusieurs demandes pour faire cesser ces agressions verbales et physiques, notamment pour changer de centre ou pour obtenir une chambre seul, les autorités allemandes n’auraient pas pris sa situation particulière en considération, de sorte qu’il aurait dû continuer à fréquenter le centre en question.
La situation se dégradant fortement, alors qu’il aurait à nouveau fait l’objet d’une agression physique et aurait craint pour sa vie, il aurait quitté le centre allemand pour rejoindre le Grand-Duché de Luxembourg et y déposer une nouvelle demande de protection internationale.
Partant, il en conclut qu’il serait incontestable que du fait des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne il existerait en Allemagne des défaillances systémiques qui auraient engendré en son chef un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce qui constituerait une raison exceptionnelle qui devrait amener le Grand-Duché de Luxembourg à faire application de l’article 17 (1) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et à considérer que le Grand-Duché de Luxembourg doit examiner sa demande de protection internationale et renoncer à son transfert vers l’Allemagne.
Afin de démontrer ces faits, il s’empare d’une attestation testimoniale établie par son compagnon en date du 12 juin 2019.
Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours.
Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Or, en l’espèce, la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire prévoit en la matière à travers son article 35 (3) une procédure relativement rapide, l’affaire devant être plaidée et le jugement rendu, par la formation collégiale du tribunal administratif, dans les deux mois de l’introduction de la requête, les plaidoiries étant d’ailleurs fixées au 7 août 2019, de sorte qu’elle doit a priori être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.
Force est ensuite au soussigné de constater que la décision déférée du 6 juin 2019, prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, a a priori pour seul objet de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent - en l’espèce l’Allemagne -
pour connaître des suites à réserver à sa demande de protection internationale, Etat membre qui a accepté sa reprise en vertu de l’article 18, paragraphe 1d), du règlement Dublin III.
Il est apparu lors de l’audience publique de ce jour que Monsieur … a disparu du SHUK depuis le 20 juin 2019, jour de l’introduction du recours, sans y être réapparu depuis lors et sans que son avocat n’ait pu informer le soussigné de sa localisation actuelle.
Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier, Monsieur …, en dépit de la décision d’assignation à résidence lui imposée par le ministre, l’obligeant à se présenter quotidiennement au plus tard à 23 heures du soir ainsi qu’à 8 heures du matin au personnel du SHUK, n’est plus à disposition du gouvernement en vue de l’exécution de son transfert vers l’Allemagne.
Il convient à cet égard de rappeler qu’en tant que dérogation à l’action d’office de l’administration, toute mesure provisoire doit rester exceptionnelle et ses conditions doivent être appliquées de manière stricte.
A cet égard, pour constituer un risque de préjudice grave et définitif, le risque de préjudice invoqué par le demandeur ne doit pas être aléatoire, mais réel et se dégager des circonstances concrètes de fait exposées par lui ; s’il n’est pas exigé que le préjudice invoqué soit certain, il faut toutefois qu’il soit plausible. Or, les décisions qui ne sont pas, concrètement, susceptibles d’être exécutées dans un avenir prévisible ne sont pas de nature à causer un préjudice grave et définitif au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 19991 .
Aussi, s’étant soustrait au gouvernement en disparaissant, le requérant ne saurait actuellement être transféré : le risque allégué ne saurait dès lors plus actuellement et en l’état du dossier être considéré comme justifiant la mesure provisoire sollicitée2.
Il convient par ailleurs, et à titre tout à fait superfétatoire, de constater que le recours au fond ne présente, globalement, pas le sérieux nécessaire pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
En effet, comme constaté ci-avant, Monsieur … a disparu du SHUK depuis le 20 juin 2019.
Or, conformément à l’article 23 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015, il peut être présumé que le demandeur de protection internationale a implicitement retiré sa demande de protection internationale ou y a implicitement renoncé, notamment lorsqu’il est établi « qu’il a fui ou quitté sans autorisation le lieu où il était assigné à résider ou était placé en rétention, sans contacter le ministre endéans les vingt-quatre heures ou qu’il n’a pas, endéans le délai d’un mois, respecté l’obligation de se présenter auprès du ministre, à moins qu’il ne démontre que cela était dû à des circonstances qui ne lui sont pas imputables ».
Le recours au fond tendant à voir le Grand-Duché de Luxembourg déclaré être l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, il n’est pas improbable que les juges du fond décident, au vu du retrait implicite par le requérant de sa demande de protection internationale formulée au Grand-Duché de Luxembourg, sinon au vu du comportement manifestement incohérent du requérant, et ce conformément au principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant, de rejeter le recours au fond du requérant, l’opportunité du recours, tendant à travers l’annulation poursuivie de la décision de transfert déférée à voir déclarer indirectement le Grand-Duché de Luxembourg compétent pour connaître de la demande de protection internationale du requérant, étant plus que sujette à caution, puisque le requérant, nonobstant ses velléités déclarées de rechercher la protection du Grand-Duché de Luxembourg s’est manifestement soustrait aux autorités du même pays pour disparaître.
Enfin, il échet de relever que selon la jurisprudence3 de la Cour européenne des droits de l’Homme, il importe que les contacts entre le requérant et son représentant soient maintenus tout au long de la procédure, alors que de tels contacts sont essentiels à la fois pour approfondir la connaissance d’éléments factuels concernant la situation particulière du requérant et pour 1 Trib. adm. (prés.) 6 janvier 2005, n° 19005, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 599.
2 Trib. adm. (prés.) 23 octobre 2018, n° 41833.
3 CEDH, gr. ch., 17 novembre 2016, V.M. et autres c. Belgique, req. n° 60125/11.
confirmer la persistance de l’intérêt du requérant à la continuation de l’examen de sa requête.
Aussi, la Cour considère que lorsqu’un requérant n’a pas maintenu le contact avec son avocat et qu’il a omis de le tenir informé de son lieu de résidence ou de lui fournir un autre moyen de le joindre, de telles circonstances permettent de conclure que le requérant a perdu son intérêt pour la procédure et n’entend plus maintenir la requête, et ce indépendamment du fait que le représentant du requérant dispose le cas échéant d’un pouvoir l’autorisant à le représenter pour l’ensemble de la procédure devant la Cour, cette circonstance ne justifiant pas à elle seule la poursuite de la procédure.
La même Cour européenne des droits de l’Homme4 a par ailleurs relevé que les conditions de recevabilité, dont l’exigence d’un intérêt comme élément de recevabilité du recours en annulation, dans la mesure où elles poursuivent notamment pour objectif de prévenir l’engorgement de la juridiction administrative, poursuivent un objectif que la Cour considère comme légitime pour viser la bonne administration de la justice.
De ce point de vue, la recevabilité de la requête au fond est encore sujette à caution, de sorte que le recours tendant à l’obtention d’une mesure provisoire doit, globalement, être considéré comme présentant un caractère insuffisamment sérieux.
Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire, aucune des conditions n’étant en l’espèce remplie.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 juin 2019 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 juin 2019 Le greffier du tribunal administratif 4 CEDH, gr. ch., 17 juillet 2018, Ronald Vermeulen c. Belgique, req. n° 5475/06.