Tribunal administratif N° 42557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2019 Audience publique du 5 avril 2019 Requête en sursis à exécution introduite par Madame …, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de permis de conduire
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 42557 du rôle et déposée le 27 mars 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges KEIPES, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, chauffeur de taxi, demeurant à …, tendant à voir prononcer le sursis à exécution, sinon à obtenir une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, datée du 17 janvier 2019, portant retrait du permis de conduire, un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre la même décision, inscrit sous le numéro 42556 du rôle, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;
Maître Georges KEIPES et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING entendus en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 1er et 4 avril 2019.
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Suite à plusieurs contraventions à la législation routière ayant donné lieu à une réduction de points, le droit de conduire un véhicule automoteur fut suspendu dans le chef de Madame … pour une durée de 12 mois par arrêté du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 29 août 2016 et le permis de conduire de l’intéressée lui fut retiré en conséquence le 20 décembre 2016, après plusieurs interventions en ce sens vaines de la police grand-ducale.
Madame … se fit aussitôt, à savoir en date du 20 février 2017, délivrer un permis de conduire français.
Madame … ayant ensuite effectué la formation obligatoire prévue au paragraphe 4ter de l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, elle se vit restituer 12 points à son permis de conduire par arrêté ministériel du 20 décembre 2017.
1 Le même jour, elle se présenta auprès de la Société Nationale de Circulation Automobile afin d’échanger un autre permis de conduire français, émis le 27 juillet 2012, en permis de conduire luxembourgeois.
Il apparut toutefois des informations communiquées par les autorités françaises que ce permis français remis à l’occasion de cet échange ne serait pas le dernier permis de conduire français ayant été délivré à l’intéressée, celle-ci s’étant en effet vue délivrer en date du 27 janvier 2017 un autre permis de conduire français, et ce alors qu’à ce moment Madame … faisait l’objet d’une suspension du droit de conduire au Grand-Duché de Luxembourg.
Invitée par courriers recommandés du 9 mai 2018 et 4 juin 2018 à renvoyer le permis de conduire français en question aux autorités compétentes luxembourgeoises, Madame … refusa d’y donner immédiatement suite.
En date du 21 juin 2018, le ministre du Développement durable et des Infrastructures s’adressa au directeur de la Police grand-ducale en vue d’effectuer une enquête administrative en vue d’un retrait administratif éventuel du permis de conduire de l’intéressée.
Par convocations sous pli recommandé des 11 septembre 2018 et 13 novembre 2018, Madame … fut invitée à se présenter le 10 octobre, respectivement le 19 décembre 2018 devant la Commission spéciale des permis de conduire, dénommée ci-après « la commission spéciale ».
Suite à l’audition de Madame …, le 19 décembre 2018, la commission spéciale dressa le procès-verbal qui suit :
« Sur convocations écrites du 11 septembre et 13 novembre 2018, Madame …, née le … à … et demeurant à …, s’est présentée aujourd’hui devant la Commission spéciale des permis de conduire pour être entendue dans ses explications et moyens de défense quant à l’échange de son permis de conduire français en permis de conduire luxembourgeois.
L’intéressée est titulaire d’un permis de conduire français de la catégorie B depuis le 9 août 2010, de la catégorie C depuis le 24 février 2012 et de la catégorie BE et CE depuis le 27 juillet 2012. En date du 20 février 2018, l’intéressée a échangé ce permis des conduire en permis de conduire luxembourgeois.
Or un courrier des autorités françaises, renseigne que le permis français remis lors de l’échange n’est pas le dernier permis de conduire français qui a été délivré à l’intéressée. En date du 27 janvier 2017, un autre permis de conduire français a été délivré à l’intéressée. De ce fait, l’intéressée semble détenir deux permis de conduire.
Par arrêté ministériel du 29 août 2016, notifié le 20 décembre 2016, le droit de conduire de l’intéressée a été suspendu suite à la perte de la totalité des 12 points figurant sur le permis de conduire suite à quatre avertissements taxés et deux condamnations. En date du 20 décembre 2017 la suspension a été levée.
Le dossier de l’intéressée renseigne sur deux condamnations judicaires notamment pour inobservation d’un signal lumineux rouge en date du 19 septembre 2014 et défaut de suivre les injonctions des membres de la police grand-ducale chargés de contrôler la circulation en date du 23 septembre 2014.
2 Le dossier de l’intéressée renseigne sur quatre avertissements taxés notamment pour inobservation d’un signal de priorité ; inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération à deux reprises et téléphone au volant payés entre le 26 mai 2014 et le 6 novembre 2015.
L’intéressée n’a pas donné suite aux courriers recommandés du 9 mai 2018 et 4 juin 2018 lui demandant de renvoyer le permis de conduire français en question.
Le rapport d’enquête de la Police grand-ducale de Esch-sur-Alzette, CP Dudelange du 6 août 2018 indique que l’intéressée a eu 10 avertissements taxés entre le 23 septembre 2014 et le 11 juillet 2018.
Enfin, les prescriptions de l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques et de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques (Code de la Route) lui ont été expliquées.
Madame …, entendue dans ses explications et moyens de défense, a notamment déclarée:
A Colmar-Berg j’ai appris que je n’avais plus de points sur mon permis de conduire.
Je suis allé au Commissariat de Police à Luxembourg pour me présenter afin de me faire notifier la suspension de permis.
Par la suite j’ai demandé un duplicata de mon permis français J’ai cru que la suspension de points est seulement valable sur le territoire luxembourgeois.
J’ai remis un permis de conduire français à Sandweiler et l’autre permis de conduire français à la Police grand-ducale.
Je suis chauffeur de taxi et j’ai besoin du permis de conduire ».
Le même jour, la commission spéciale émit un avis dans lequel elle proposa, à l’unanimité, au ministre de procéder au retrait administratif du permis de conduire luxembourgeois de Madame …. Ledit avis est motivé comme suit :
« Considérant que Madame … est titulaire d’un permis de conduire français de la catégorie B depuis le 9 août 2010, de la catégorie C depuis le 24 février 2012 et de la catégorie BE et CE depuis le 27 juillet 2012 ;
Considérant que l’intéressée réside au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 12 novembre 2013.
Considérant qu’en date du 20 février 2018, l’intéressée a échangé ce permis de conduire en permis de conduire luxembourgeois ;
3 Considérant qu’un courrier des autorités françaises, renseigne que le permis français remis lors de l’échange n’est pas le dernier permis de conduire français ayant été délivré à l’intéressée ;
Considérant qu’en date du 27 janvier 2017, un autre permis de conduire français a été délivré à l’intéressée ;
Considérant que selon les éléments du dossier l’intéressée semble détenir deux permis de conduire ;
Considérant que par arrêté ministériel du 29 août 2016, notifié le 20 décembre 2016, le droit de conduire de l’intéressée a été suspendu suite à la perte de la totalité des 12 points figurant sur le permis de conduire ;
Considérant qu’il ressort du dossier que l’intéressée s’est vue délivrer un permis de conduire en France en date du 27 janvier 2017 ;
Considérant qu’à ce moment l’intéressée faisait l’objet d’une suspension du droit de conduire au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant qu’en date du 20 décembre 2017 la suspension a été levée ;
Considérant que le dossier de l’intéressée renseigne sur deux condamnations judicaires notamment pour inobservation d’un signal lumineux rouge en date du 19 septembre 2014 et pour défaut de suivre les injonctions des membres de la police grand-ducale chargés de contrôler la circulation en date du 23 septembre 2014 ;
Considérant que le dossier de l’intéressée renseigne sur quatre avertissements taxés notamment pour inobservation d’un signal de priorité ; inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération à deux reprises et téléphone au volant payés entre le 26 mai 2014 et le 6 novembre 2015 ;
Considérant que l’intéressée n’a pas donné suite aux courriers recommandés du 9 mai 2018 et 4 juin 2018 lui demandant de restituer le permis de conduire français en question ;
Considérant que le rapport d’enquête de la Police grand-ducale de Esch-sur-Alzette, CP Dudelange du 6 août 2018 indique que l’intéressée a eu 10 avertissements taxés entre le 23 septembre 2014 et le 11 juillet 2018 ;
Considérant que lors de son audition devant la Commission spéciale des permis de conduire, l’intéressée a affirmé avoir restitué les deux permis de conduire français ;
Considérant qu’en date du 19 décembre 2018, le service des permis de conduire de la SNCA nous a confirmé que les deux permis de conduire français avaient été restitués par l’intéressée et renvoyés aux autorités françaises ;
Considérant que les éléments du dossier sont de nature à admettre que l’intéressée a usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire français alors qu’à cette date elle était sous le coup d’une suspension du permis de conduire et avait sa résidence au Grand-
Duché de Luxembourg ;
4 Considérant que l’intéressée a été entendue le 19 décembre 2018 dans ses explications et moyens de défense ; (…) » Par arrêté ministériel du 17 janvier 2019, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, entretemps en charge du dossier, se rallia à l’avis précité et le permis de conduire fut retiré à Madame … sur base des considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 2 et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Considérant que Madame …, née le … à … et demeurant à …, est titulaire d’un permis de conduire luxembourgeois, délivré sur base d’un échange d’un permis de conduire français ;
Considérant que l’intéressée a été entendue le 19 décembre 2018 dans ses explications et moyens de défense par la Commission spéciale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 précité ;
Vu l’avis du 19 décembre 2018 de la Commission spéciale précitée ;
Considérant que les éléments du dossier sont de nature à admettre que Madame … a usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire français alors qu’à cette date elle était sous le coup d’une suspension du permis de conduire et avait sa résidence au Grand-
Duché de Luxembourg ;
Arrête :
Art. 1er. - Le permis de conduire un véhicule automoteur, délivré à Madame … préqualifiée, est retiré. Sont en outre retirés les permis de conduire internationaux délivrés à l’intéressée sur le vu du susdit permis national.
Art. 2. - Le présent arrêté sera expédié à Monsieur le Ministre de la Justice avec prière de bien vouloir le porter à la connaissance de Madame le Procureur Général d’État qui voudra bien le faire notifier à la personne intéressée en lui remettant copie de la présente, lui faire retirer les permis de conduire en la rendant attentive aux sanctions pénales attachées par l’article 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 à la violation du retrait et provoquer son signalement.
Art. 3. - Le présent arrêté est susceptible d’un recours gracieux à présenter par écrit au Ministre de la Mobilité et des Travaux publics. Il est en outre susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif, à exercer par ministère d’avocat à la Cour endéans les trois mois à partir du jour de la notification du présent arrêté. » Le 27 mars 2019, Madame … a fait introduire un recours, inscrit sous le numéro 42556 du rôle, tendant à l’annulation de ladite décision du 17 janvier 2019, et le même jour, elle a fait déposer une requête, inscrite sous le numéro 42557 du rôle, tendant à voir ordonner un sursis à l’exécution de la décision ministérielle de retrait en attendant la solution du litige au fond.
5 A l’appui de sa requête, la requérante estime que les moyens exposés à l’appui du recours au fond seraient assez sérieux pour justifier la mesure sollicitée et que par ailleurs la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.
Madame … fait à cet égard plaider que l’exécution de la décision de retrait de son permis de conduire lui causerait un préjudice grave et définitif, en ce que cette décision la priverait de son permis de conduire dont elle aurait toutefois impérieusement besoin dans le cadre de son emploi de chauffeur de taxi.
En ce qui concerne les moyens articulés à l’appui du recours au fond, la requérante se prévaut d’abord d’une cause d’illégalité externe, à savoir le fait que la décision ministérielle ne serait motivée ni en droit, ni en fait, la requérante soutenant que l’existence de motifs serait une des conditions essentielles de la validité d’un acte administratif et constituerait un principe fondamental en droit administratif reconnu par une jurisprudence abondante.
Elle affirme ensuite que l’arrêté ministériel litigieux serait illégal, en maintenant que si le ministre peut certes retirer un permis de conduire si l’intéressé a fait une fausse déclaration ou usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire, son renouvellement ou sa transcription, il serait formellement contesté qu’elle ait fait une fausse déclaration aux services étatiques du Grand-Duché de Luxembourg, respectivement ait utilisé des moyens frauduleux pour obtenir son permis de conduire luxembourgeois, réaffecté de 12 points, suite à la suspension de ce dernier pendant la durée d’un an.
Elle estime en effet que la transcription/échange du permis de conduire serait un faux problème, alors qu’en date du 20 décembre 2017 elle se serait présentée, munie de l’arrêté ministériel relatif à la réaffectation des 12 points, auprès de la Société Nationale de Contrôle Automobile en vue de la « restitution » de son permis de conduire et qu’à ce moment, elle aurait également remis son permis de conduire français non suspendu, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher d’avoir fait des fausses déclarations ou d’avoir usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire au Grand-Duché de Luxembourg.
Enfin, elle fait plaider que le ministre aurait violé le principe de la confiance légitime, puisqu’il aurait levé en date du 20 décembre 2017 la suspension de son droit de conduire en réaffectant son permis de conduire de 12 points, de sorte qu’il aurait créé une situation administrative et aurait reconnu un droit dans son chef auquel elle pourrait prétendre à titre de droit acquis, le tout en application du principe de la légitime confiance.
Le délégué du gouvernement s’oppose à la demande en contestant, outre la recevabilité de la requête, tant le sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond que l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif.
En vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
6 L’affaire au fond ayant été introduite le 27 mars 2019 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Quant aux moyens avancés au fond, il échet à cet égard de rappeler que le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.
Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire :
en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte1.
Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie. Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie.
C’est pourquoi le juge du provisoire doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou 1 Jean-Paul Lagasse, Le référé administratif, 1992, p.48.
7 minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.
Le soussigné tient enfin à rappeler qu’il convient aussi tenir compte du fait que la procédure de référé, fondée sur un examen prima facie, n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés : en effet, le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile.
Sur cette toile de fond, force est au soussigné de constater qu’aucun des moyens développés au fond ne présente en l’état et au terme d’une analyse nécessairement sommaire le sérieux nécessaire.
Ainsi, en ce qui concerne le défaut de motivation, outre que la requérante semble confondre ou mélanger la question de la motivation formelle avec celle de l’existence d’une motivation justifiée, c’est-à-dire la question de l’indication des motifs conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes avec celle de l’existence des motifs au sens du même article, question à analyser au niveau de l’examen du fond, examen effectué au provisoire ci-après, force est au soussigné de constater que d’un point de vue formel, l’arrêté ministériel litigieux mentionne l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 », ainsi que l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par « la loi du 14 février 1955 », et que, par ailleurs, le ministre a indiqué à titre de motivation que la requérante aurait usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire français, motivation s’inscrivant a priori directement dans l’hypothèse de retrait du permis de conduire inscrite à l’article 2, paragraphe 1er, point 6) de la loi du 14 février 1955.
Cette motivation, ensemble avec le contenu de l’avis de la commission spéciale du 19 décembre 2018, à savoir que la requérante aurait usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire français alors qu’à cette date elle était sous le coup d’une suspension du permis de conduire et avait sa résidence au Grand-Duché de Luxembourg, semble, au vu de la jurisprudence des juges du fond2, suffisante au regard des prescriptions de motivation au sens de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
En ce qui concerne ensuite la question de l’illégalité de l’arrêté ministériel de retrait et partant la question de l’existence de motifs valables, la conclusion ci-avant, concernant l’existence formelle d’une motivation suffisante, impose au soussigné au provisoire de retenir également au fond l’existence de motifs a priori justifiés et valables, la requérante ayant en effet, à première vue, obtenu un permis de conduire luxembourgeois sur base d’un permis de conduire français obtenu de manière doublement frauduleuse, à savoir alors qu’elle était sous le coup d’une suspension de son droit de conduire, suspension, tel que lui notifié formellement le 20 décembre 2016 également valable à l’étranger, et alors qu’elle était résidente luxembourgeoise.
2 Trib. adm. 16 mai 2013, n° 30683 ; trib. adm. 5 mars 2019, n° 40457.
8 En effet, il appert à l’étude du dossier administratif que Madame … s’est effectivement fait délivrer en date du 27 janvier 2017 un (second) permis de conduire français, alors pourtant qu’elle était à cette date résidente luxembourgeoise et sous le coup d’une suspension de son permis de conduire et, manifestement, en violation de l’article 75 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, aux termes duquel « nul ne peut détenir plus d’un permis de conduire », disposition reprise de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/126 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire, aux termes duquel « Aucune personne ne peut être titulaire de plus d’un permis de conduire ».
Il résulte encore d’un échange de mail avec les autorités françaises que celles-ci considèrent également, de leur côté, que Madame … s’est irrégulièrement fait délivrer un duplicata de son permis de conduire français.
La motivation de l’arrêté ministériel litigieux, à savoir que Madame … a usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire français alors qu’à cette date elle était sous le coup d’une suspension du permis de conduire et avait sa résidence au Grand-Duché de Luxembourg, s’avère dès lors guère critiquable.
Le moyen tiré d’une illégalité de la décision déférée, dans la mesure où les conditions de l’article 2, paragraphe 1er, point 6) de la loi du 14 février 1955 ne seraient pas remplies, ne présente partant pas non plus le sérieux nécessaire.
Cette conclusion amène encore le juge du provisoire à retenir que le moyen basé sur une violation du principe de légitime confiance par le ministre ne présente pas non plus le sérieux nécessaire, le ministre ayant été, à première vue, en droit de retirer le permis de conduire obtenu par échange d’un permis de conduire français obtenu par des moyens frauduleux.
S’il est un fait que par arrêté du 20 décembre 2017, la suspension du droit de conduire de Madame … a été levée avec effet au 20 décembre 2017, alors que son permis de conduire était de nouveau affecté de 12 points, il n’appert toutefois pas que la décision de retrait administratif actuellement déférée, telle que motivée en droit et en fait de sur base du seul article 2, paragraphe 1er, point 6) de la loi du 14 février 1955, fasse nécessairement obstacle à une restitution du permis de conduire luxembourgeois de la requérante sur base de sa réaffectation de 12 points, ou à tout le moins ait une incidence sur l’existence de 12 points en faveur de Madame ….
Le soussigné donne à cet égard à considérer qu’il résulte d’un arrêt de principe français3, outre la confirmation du principe de l’unicité du permis de conduire, à savoir que l’on ne peut avoir qu’un seul permis de conduire en même temps, que l’on peut cependant avoir plusieurs permis de conduire successivement et que l’invalidation d’un premier permis de conduire reste sans effet sur les points obtenus entretemps, lesquels doivent être crédités à leur bénéficiaire :
« il ne résulte ni du principe d’unicité du permis de conduire, ni de l’autorité […] qui s’attache à la décision […] relative au permis de conduire initial, ni d’aucune disposition législative ou réglementaire dont se prévaudrait le ministre […], qu’une telle annulation aurait pour effet de priver l’intéressé du bénéfice des points qui avaient été affectés au nouveau permis rétroactivement disparu, sous réserve, toutefois, que soient respectées à tout moment, 3 CAA Versailles, 18 février 2010 - 5ème chambre - N° 08VE02458 9 rétroactivement, les règles […] relatives au nombre maximal de points du permis de conduire » Les 12 points restitués à Madame … ne semblent partant pas affectés par la décision de retrait administratif litigieuse ; il en résulte encore - constat ayant par ailleurs une incidence directe sur la question de l’existence d’un préjudice définitif - que la requérante demeure a priori et théoriquement en droit de solliciter la mainlevée de la mesure de retrait, respectivement son aménagement conformément à l’article 2, paragraphe 1er, alinéas 2 et 3) de la loi du 14 février 1955.
Les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissent dès lors pas, au stade actuel de la procédure, comme suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire.
La requérante est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle d’un risque de préjudice grave et définitif, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, condamne la requérante aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 avril 2019 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 10