Tribunal administratif No 40374 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2017 3e chambre Audience publique du 2 avril 2019 Recours formé par Madame …, contre une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière de prime
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40374 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 novembre 2017 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-
…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 28 août 2017 rejetant sa demande en réévaluation de sa carrière, voire en attribution d’un supplément personnel d’indemnité ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2018 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2018 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 mars 2018 par Maître Nicolas DECKER pour compte de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2018 par Maître Albert RODESCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nicolas DECKER et Maître Betty RODESCH, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 novembre 2018.
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Par contrat de louage de service à durée indéterminée du 18 août 2010, Madame … fut engagée, en qualité d’éducatrice graduée, avec effet au 1er août 2010 par l’administration communale de la Ville de Luxembourg.
Dans le cadre de la reprise de son contrat de travail par l’Etat, Madame … signa le 8 août 2016 un contrat de louage de services d’employé A2 (sous-groupe éducatif et psycho-social) à durée indéterminée de l’enseignement fondamental avec le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, en qualité d’éducatrice graduée avec effet au 1er septembre 2016.
Par courrier de son litismandataire du 17 août 2017, Madame … sollicita du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, ci-après désigné par « le ministre », sur base des circonstances qu’elle n’aurait accepté la reprise de son contrat de travail par l’Etat que sous condition du maintien de ses droits acquis auprès de la Ville de Luxembourg et qu’elle aurait des pertes au niveau de sa rémunération mensuelle et de l’allocation de famille, d’une part, une dérogation au déroulement de sa carrière, respectivement une dérogation quant à la détermination de son indemnité d’employé conformément à l’article 19 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », sinon, d’autre part, un supplément personnel d’indemnité sur base de l’article 28, paragraphe (3), de la même loi.
Par décision du 28 août 2017, le ministre refusa de faire droit à la prédite demande de Madame … dans les termes suivants :
« […] D'après vos explications, votre mandante a travaillé comme éducatrice auprès de la Commune de …. En 2016, en application de la loi du 6 février 2009 concernant le personnel de l'enseignement fondamental, elle a fait l'objet d'une reprise de son contrat de travail par l'Etat. Cette reprise de contrat lui aurait causé une perte de …€ par mois.
Pour compenser cette perte de revenu, votre mandante sollicite l'octroi d’un supplément personnel conformément à l'article 28, paragraphe 3 de la loi du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'Etat.
Ces revendications ne me paraissent toutefois pas justifiées.
Les employés et salariés communaux visés par la reprise par l'Etat ont marqué leur accord d'être repris en qualité d'employés de l'Etat.
Cette reprise s'est faite conformément à l'article 44 de la loi modifiée du 6 février 2009 concernant le personnel de l'enseignement fondamental. L'article en question prévoit expressément en son paragraphe 3 que la carrière des agents repris est reconstituée d'après les modalités définies par la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l'Etat et qu'il leur est tenu compte du temps passé au service de l'enseignement public dans les conditions de l'article 7 de cette loi, à l'exception des dispositions du paragraphe 6, alinéa 1er et alinéa 2, première phrase.
En application des dispositions qui précèdent et pour des raisons de continuité, des simulations de carrière ont été établies d'après les mêmes principes pour toutes les catégories de personnel concernées se trouvant dans une situation identique.
Sur la base de ces simulations qui leur ont été remises auparavant, les agents en question ont marqué leur accord pour leur reprise par l'Etat, ceci conformément à l'article 44 précité.
Partant, aucune modification ne saurait y être apportée par la suite au simple motif que le développement de la carrière auprès de la commune aurait été plus favorable. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 novembre 2017, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 août 2017 ayant rejeté sa demande en réévaluation de son classement de carrière, sinon en allocation d’un supplément personnel d’indemnité.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique soulève, en tant que moyen d’irrecevabilité du recours, l’incompétence du tribunal administratif au motif que le recours sous examen aurait pour objet une demande nécessitant l’évaluation d’un préjudice matériel pour porter sur l’allocation d’un supplément personnel d’indemnité, demande pour laquelle le tribunal de céans ne serait pas compétent.
Dans son mémoire en réplique, Madame … conclut au rejet du moyen d’incompétence soulevé par la partie étatique en argumentant que sa demande ne porterait pas sur la condamnation du ministre à lui payer un quelconque montant à titre de dommages et intérêts, mais sur une contestation résultant de son contrat d’emploi, en tant qu’employée de l’Etat, et ayant plus particulièrement trait à sa rémunération sur base des articles 19, respectivement 28, paragraphe (3), de la loi du 25 mars 2015, de sorte que la compétence du tribunal administratif découlerait de l’article 10 de la prédite loi.
En vertu de l'article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires, tandis que l'article 95bis, paragraphe (1), de la Constitution attribue le contentieux administratif aux juridictions administratives.
Il y a par ailleurs lieu d’employer la dénomination de « droits civils » telle que figurant à l’article 84 de la Constitution au sens le plus large, de sorte à englober tous les droits, tous les intérêts, à l’exception de ceux qui, par une loi, ont été spécialement soustraits à la connaissance de la juridiction ordinaire.
Il convient tout d’abord de cerner la portée de l’acte déféré, dans la mesure où la partie étatique, dans son mémoire en réponse, fait valoir que l’objet de la demande de Madame … aurait été de solliciter « l’allocation d’un supplément personnel ».
Force est au tribunal de constater que la décision déférée du 28 août 2017 refusant de faire droit à la demande de Madame … a pour objet exclusif, d’une part, une réévaluation de son classement de carrière, sur base de l’article 19 de la loi du 25 mars 2015, et, d’autre part, l’allocation d’un supplément personnel d’indemnité, conformément à l’article 28, paragraphe (3), de la loi du 25 mars 2015, de sorte à porter sur la question de la rémunération d’un employé de l’Etat et non pas sur une revendication indemnitaire pour un prétendu préjudice subi du fait d’agissements fautifs de la part de la puissance publique.
Au regard de l’article 10 de la loi du 25 mars 2015 qui dispose que « les contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond », le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation contre la décision ministérielle déférée du 28 août 2017 et le moyen d’incompétence du tribunal est en conséquence à rejeter pour ne pas être fondé.
A défaut d’un autre moyen d’irrecevabilité, il y a lieu de déclarer le recours principal en réformation recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, étant encore précisé qu’un demandeur peut formuler, dans le cadre d’un recours en réformation, des moyens d’annulation1.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, et en fait, Madame … expose avoir travaillé en qualité d’éducatrice graduée, sous le statut d’employée communale auprès de la Ville de Luxembourg, avant d’avoir opté, avec effet au 1er septembre 2016, d’être reprise par l’Etat, en application de la loi modifiée du 6 février 2009 concernant le personnel de l’enseignement fondamental, ci-après désignée par « la loi du 6 février 2009 ». Elle aurait ainsi été engagée en qualité d’employée de l’Etat A2 (sous-groupe éducatif et psycho-social) dans la classification N11/02 au niveau des indemnités, Madame … précisant qu’elle n’aurait accepté la reprise de son contrat de travail par l’Etat sous la réserve expresse du maintien de ses droits acquis, ce qui n’aurait cependant pas été le cas, dans la mesure où elle subirait, depuis septembre 2016, une perte mensuelle de … euros au titre de sa rémunération brute et de … euros au titre de l’allocation de famille.
En droit, la demanderesse invoque tout d’abord une violation de l’article 19 de la loi du 25 mars 2015 lequel permettrait au ministre de déroger au déroulement des carrières prévues par la loi, ainsi qu’aux règles relatives à la détermination de l’indemnité revenant à l’employé de l’Etat concerné lorsqu’il s’agirait d’agents repris notamment d’une commune, dérogation qui aurait dû lui être accordée en vertu des principes de sécurité juridique et du respect des droits acquis. Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait encore état de la situation de certains éducateurs lesquels auraient obtenu une décision individuelle de classement afin de pouvoir bénéficier d’une rémunération similaire à celle touchée en tant qu’employé communal, Madame … rappelant encore, dans ce contexte, sur base d’une décision de la Cour administrative du 5 juin 1997, inscrite sous le numéro 9786C du rôle, décision prise dans le cadre de l’article 9 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ci-
après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », qu’un droit au traitement acquis pour les employés du secteur public serait de principe.
Elle se prévaut ensuite d’une violation de l’article 28, paragraphe (3), de la loi du 25 mars 2015 en ce que le ministre aurait dû, suite à la reprise de son contrat de travail par l’Etat, la faire bénéficier d’un supplément d’indemnité personnel au regard de la différence, en sa défaveur, de son indemnité en tant qu’employé de l’Etat par rapport à son traitement d’employé communal.
1 Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en réformation, n° 2 et les autres références y citées.
De manière générale, la demanderesse réfute l’argumentation ministérielle basée sur l’application exclusive de l’article 44 de la loi du 6 février 2009 pour rejeter sa demande en réévaluation de son classement de carrière, respectivement en allocation d’un supplément personnel d’indemnité, au motif que la prédite disposition se réfèrerait également à la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 27 janvier 1972 », contrairement à l’affirmation de la partie étatique selon laquelle le même article ne renverrait qu’à la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat, la prédite loi du 27 janvier 1972 ayant, par ailleurs, été abrogée par la loi du 25 mars 2015 laquelle aurait déjà été en vigueur au moment de la reprise de son contrat d’emploi par l’Etat. Par ailleurs, elle n’aurait jamais marqué son accord en ce qui concerne les conditions de la reprise de son contrat de travail par l’Etat, dans la mesure où elle aurait, d’une part, formellement exprimé des réserves par rapport auxdites conditions, et, d’autre part, été contrainte d’opter pour la reprise de son contrat de travail en ce que la Ville de Luxembourg aurait refusé de renouveler son contrat de travail à la fin de l’année 2016.
Finalement, la demanderesse conclut à l’annulation de la décision ministérielle déférée du 28 août 2017 pour avoir été prise en violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, et plus particulièrement en violation de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en ce que le ministre aurait omis d’indiquer les voies et délai de recours ouvertes contre la décision litigieuse.
A titre liminaire, il y a lieu de préciser qu’il appartient au tribunal, au vu de l’ensemble des actes de procédure et pièces versés au dossier, de déterminer la suite de traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, de sorte qu’il y a tout d’abord lieu de trancher le moyen d’annulation tiré d’une prétendue violation de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 lequel constitue un moyen de légalité externe avant d’analyser, le cas échéant, le fond du litige.
C’est à juste titre que la partie étatique conclut au rejet du moyen tiré d’une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés en ce que le ministre aurait omis d’indiquer, dans la décision déférée, les voies de recours, en violation de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
En effet, en ce qui concerne la légalité externe de la décision litigieuse, l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que : « Les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d’office une décision ayant créé ou reconnu des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elle, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé, ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté. ». Il s’ensuit que les décisions administratives énumérées à l’article précité doivent indiquer le genre du recours, le délai du recours et l’autorité compétente pour connaître du recours.
En l’espèce, s’il est exact que la décision déférée est à qualifier de décision de refus de faire droit à une requête, et plus particulièrement de la demande en réévaluation de la carrière de Madame …, voire en attribution d’un supplément personnel d’indemnité, de sorte que l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable, il n’en reste pas moins que l’omission d’informer l’administré des voies de recours contre une décision administrative et de la manière dans laquelle ledit recours doit être présenté entraîne que les délais impartis pour les recours ne commencent pas à courir2. Par voie de conséquence, le moyen afférent tendant à l’annulation de la décision déférée est à rejeter pour ne pas être fondé, étant, par ailleurs, relevé, que le recours sous analyse a été déposé dans les formes et délai de la loi, de sorte que la demanderesse ne saurait tirer un quelconque droit de l’omission d’indiquer les voies de recours et la manière dans laquelle ledit recours doit être présenté3.
Il s’ensuit que le moyen d’annulation tiré d’une violation de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au fond et à titre liminaire, la partie étatique réfute, tout d’abord, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle cette dernière aurait été contrainte d’opter d’être engagée par l’Etat sous le régime de l’employé de l’Etat au risque sinon de voir son engagement auprès de la commune terminé, en faisant valoir que celle-ci aurait usé de la faculté lui offerte par l’article 44 de la loi du 6 février 2009, respectivement par l’article 2 du règlement grand-ducal modifiée du 2 septembre 2011 fixant les modalités et le calendrier de la reprise par l'État des employés communaux et des salariés au service des communes exerçant une activité éducative, sociale, de santé ou administrative dans l'enseignement fondamental public, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 2 septembre 2011 », de se faire embaucher par l’Etat, et ce de plein gré, alors que son engagement auprès de la commune aurait été à durée indéterminée. Par ailleurs, la partie étatique soutient que la demanderesse aurait donné son consentement libre et éclairé en signant son nouveau contrat de travail en tant qu’employée de l’Etat, dans la mesure où cette dernière aurait préalablement obtenu une simulation de carrière sur base d’une tâche d’occupation à plein temps comprenant tant le calcul prévisionnel de sa rémunération mensuelle que le développement de sa carrière.
Force est au tribunal de constater que l’argumentation tant de la demanderesse que de la partie étatique quant à l’engagement prétendument contraint de Madame …, respectivement quant à son consentement prétendument libre et éclairé est sans incidence sur la légalité de la décision ministérielle déférée du 28 août 2017 pour constituer exclusivement des considérations de nature civile, fondées sur le droit des contrats, de sorte à devoir être rejetée pour défaut de pertinence.
Quant aux moyens de la demanderesse fondés sur les articles 19, respectivement 28, paragraphe (3), de la loi du 25 mars 2015, la partie étatique fait valoir, de manière générale, que la prédite loi ne serait pas applicable à la reprise du personnel enseignant des communes par l’Etat, dans la mesure où une telle reprise serait exclusivement régie par la loi du 6 février 2009, en tant que loi spéciale, et plus particulièrement par son article 44 aux termes duquel : « (1) Les employés communaux et les salariés au service des communes faisant partie des carrières définies à l’article 2 ci-dessus, paragraphe 3, points I et II à l’exception des agents des carrières du rédacteur et de l’expéditionnaire, en service, en congé parental ou en congé sans traitement auprès des écoles d’une commune ou d’un syndicat de communes à l’entrée en vigueur de la 2 Voir en ce sens trib. adm., 26 janvier 1997, n° 10244 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 251 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 23 janvier 2006, n° 19812 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 249 et les autres références y citées.
présente loi, peuvent opter jusqu’au début de l’année scolaire 2016/2017 au plus tard d’être engagés par l’État sous le régime de l’employé de l’État, sous réserve de leur admissibilité à ce régime.
(2) Les fonctionnaires communaux, faisant partie de l’une des carrières définies à l’article 2 ci-dessus, paragraphe 3, points I et II à l’exception des agents des carrières du rédacteur et de l’expéditionnaire, en service, en congé parental ou en congé sans traitement auprès des écoles d’une commune ou d’un syndicat de communes à l’entrée en vigueur de la présente loi, peuvent opter jusqu’au début de l’année scolaire 2016/2017 d’être engagés par l’État sous le statut du fonctionnaire de l’État, sous réserve de remplir les conditions d’admission à ce statut ainsi que les conditions d’admission et de formation exigées pour la carrière correspondante au niveau des fonctionnaires de l’État.
(3) Les carrières de tous les agents, mentionnés ci-dessus aux paragraphes (1) et (2), ainsi repris sont reconstituées d’après les modalités définies par la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’État, respectivement par la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’État. Il leur est tenu compte du temps passé au service de l’enseignement public dans les conditions de l’article 7 de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’État, à l’exception des dispositions du paragraphe 6, alinéa 1er et alinéa 2, première phrase.
(4) Les fonctionnaires communaux, les employés communaux ainsi que les salariés au service des communes, faisant partie soit des carrières définies à l’article 2 ci-dessus, paragraphe 3, point I, soit des carrières de l’éducateur gradué et de l’éducateur énumérées ci-dessus à l’article 2, paragraphe 3, point II, en service, en congé parental ou en congé sans traitement auprès des écoles d’une commune ou d’un syndicat de communes à l’entrée en vigueur de la présente loi, ayant opté d’être engagés par l’État, sont affectés à la commune auprès de laquelle ils étaient engagés au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi, à moins qu’ils ne présentent une demande de réaffectation au ministre.
(5) Les modalités de la procédure de reprise ainsi que les modalités d’affectation et de réaffectation des agents mentionnés aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus sont déterminées par règlement grand-ducal. ».
La partie étatique donne encore à considérer que la carrière des agents communaux repris par l’Etat, en vertu de l’article 44 de la loi du 6 février 2009, précité, ne serait reconstituée que d’après les modalités définies par la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat et en tenant compte du passé au service de l’enseignement public, la loi du 25 mars 2015, bien qu’étant entrée en vigueur après la loi du 18 juillet 2013 concernant des agents intervenant dans l'enseignement fondamental ayant notamment modifié l’article 44 de la loi du 6 février 2009, ne contenant, d’après la partie étatique, « […] aucune disposition spécifique permettant de conclure que la loi du 6 février 2009 ne puisse pas être appliquée dans son intégralité aux agents repris après l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015. ».
C’est à juste titre que la demanderesse conclut à l’applicabilité de la loi du 25 mars 2015 au présent litige. La loi du 6 février 2009 ne contient en effet pas de dispositions spécifiques concernant le classement, le grade et la rémunération des agents communaux ayant opté pour la reprise de leur contrat de travail par l’Etat, ladite loi opérant, au contraire, à travers son article 44, paragraphe (3), un renvoi vers la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat, en ce qui concerne les fonctionnaires communaux, respectivement vers la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 27 janvier 1972 », en ce qui concerne les employés communaux. Dans la mesure où le cas sous examen a trait à la reprise d’un contrat de travail d’une employée communale, il y a encore lieu de relever que la loi du 27 janvier 1972 a été abrogée par la loi du 25 mars 2015, publiée au mémorial A le 31 mars 2015 et entrée en vigueur le 1er octobre 2015, conformément à son article 74 aux termes duquel « La présente loi entre en vigueur le premier jour du septième mois qui suit celui de sa publication au Mémorial. ». La loi du 25 mars 2015 a donc été en vigueur au moment de la prise de la décision ministérielle déférée du 28 août 2017 et s’applique, en tant que loi générale en la matière, pour déterminer le classement et le grade des employés communaux repris par l’Etat. Cette conclusion se trouve, par ailleurs, confirmée, d’une part, par les documents remis à la demanderesse concernant la simulation de sa carrière et établis par l’administration du personnel de l’Etat le 23 février 2016, lesquels précisent sa fonction d’« Employé A2 éducatif et psycho-social niveau généra[l] », au grade 11 à partir d’octobre 2015, la mention « Réforme 2015 » figurant en tant qu’observation dans ledit tableau faisant nécessairement référence à la loi du 25 mars 2015, et, d’autre part, par le contrat de louage de services d’employé A2 signé entre le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse et la demanderesse le 8 août 2016 lequel, dans son article 6, se réfère expressément à la loi du 25 mars 2015 en ce qui concerne la détermination de la rémunération.
Il suit des considérations qui précèdent que l’argumentation principale de la partie étatique consistant à faire valoir que les dispositions de la loi du 25 mars 2015, et plus particulièrement les articles 19 et 28, paragraphe (3), ne seraient pas applicables au cas de la demanderesse doit être rejetée pour ne pas être fondée.
Quant au moyen de réformation de la demanderesse en ce que le ministre, au détriment des principes de sécurité juridique et de respect des droits au traitement acquis des employés du secteur public, lui aurait refusé une réévaluation du classement de sa carrière, l’article 19 de la loi du 25 mars 2015 dispose que : « Les décisions individuelles de classement sont prises par le ministre. Pour les employés classés dans les sous-groupes d’indemnité de l’enseignement, ces décisions sont prises sur proposition du ministre du ressort.
Ces décisions de classement peuvent déroger au déroulement des carrières prévues par la présente loi ainsi qu’aux autres règles relatives à la détermination de l’indemnité de l’employé lorsque l’agent à engager peut se prévaloir d’une expérience étendue dans le secteur privé, lorsque l’agent dispose de qualifications particulières requises pour l’emploi déclaré vacant ou lorsqu’il s’agit d’agents occupés auparavant au service de la couronne ou repris d’un établissement public, des communes, des syndicats de communes, de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois, du secteur conventionné ou du secteur privé lorsque l’activité exercée antérieurement dans le secteur privé a été reprise par l’Etat. ».
Il échet, tout d’abord, de relever que la prédite disposition légale confère, en matière de dérogation au déroulement des carrières, un pouvoir discrétionnaire au ministre. En effet le texte en question n’instaure aucune obligation dans le chef du ministre d’accorder une telle dérogation dans le cas où l’agent public concerné rentre dans un des cas de figure y énumérés, étant encore précisé qu’il n’appartient pas au tribunal administratif de dépasser son rôle de juge et d’étendre son contrôle de l'opportunité de manière à empiéter sur le terrain des choix de politique générale ou des choix économiques des autorités administratives4.
Par ailleurs, l’argumentation de la demanderesse fondée sur l’article 19 de la loi du 25 mars 2015, ainsi que sur les principes de sécurité juridique et de violation des droits acquis, doit être qualifiée d’inopérante. Il échet en effet, d’une part, de constater que la demanderesse a signé un nouveau contrat de travail avec l’Etat après avoir obtenu les documents relatifs à une simulation de carrière, de sorte à ne pas pouvoir se prévaloir des principes susmentionnés. Il y a encore lieu, à titre superfétatoire, de préciser, dans ce cadre, que bien que la demanderesse cite une décision de la Cour administrative du 5 juin 1997, prise dans le cadre de l’article 9 de la loi 7 novembre 1996, elle reste en défaut de fournir une quelconque explication quant à la transposabilité au présent litige de la solution y retenue, laquelle a trait à un cadre juridique bien déterminé et étranger au cas sous examen, en l’occurrence une des questions à trancher par la Cour était de savoir si le traitement originaire d’un fonctionnaire devait être pris en considération lors de la fixation de son nouveau traitement après sa nomination en tant que conseiller de Gouvernement.
D’autre part, le maintien du même niveau de rémunération, notamment en cas de reprise d’un agent communal par l’Etat, n’est pas garanti par ces principes généraux du droit, mais directement par la loi du 25 mars 2015, laquelle instaure expressément, dans son article 28, paragraphe (3), dont la violation est également mise en avant par la demanderesse, l’octroi d’un supplément d’indemnité personnel dans les termes suivants : « (3) Pour le fonctionnaire ou le fonctionnaire stagiaire de l’Etat ou d’une commune ou l’employé communal qui est engagé en qualité d’employé de l’Etat, les temps de service occupés en qualité de fonctionnaire, fonctionnaire stagiaire ou employé communal ainsi que l’examen de promotion réussi dans l’une de ces qualités sont mis en compte pour le calcul de la nouvelle indemnité ainsi que pour le calcul des avancements en échelon et en grade. Si l’indemnité prévue à l’article 16 est inférieure à son ancien traitement, à son indemnité de stage ou à son indemnité d’employé, l’employé bénéficie d’un supplément personnel d’indemnité égal à la différence entre l’indemnité prévue à l’article 16 et respectivement son traitement, son indemnité de stage ou son indemnité d’employé antérieurement perçu. Le supplément d’indemnité personnel diminue en fonction de la réduction de cette différence sous l’effet de l’augmentation de l’indemnité prévue à l’article 16 par accomplissement des conditions d’années de service, d’âge et d’examen. ».
Il ressort ainsi de la disposition légale précitée qu’un employé communal repris par l’Etat, tel que cela est le cas de la demanderesse, a droit à un supplément d’indemnité personnel devant couvrir la différence, en sa défaveur, pouvant exister entre son ancien traitement d’employé communal et celui d’employé de l’Etat.
Dans la mesure où il est constant en cause que la demanderesse subit mensuellement une perte de rémunération suite à sa reprise par l’Etat par rapport à sa rémunération d’employé communal, c’est à juste titre qu’elle conclut à la réformation de la décision ministérielle litigieuse du 28 août 2017 pour lui avoir refusé l’octroi d’un supplément personnel d’indemnité, en violation de l’article 28, paragraphe (3), de la loi du 25 mars 2015.
4 Trib. adm. 14 juillet 2003, n° 15914 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en réformation n° 30.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation de la partie étatique tirée de raisons d’équité, respectivement fondée sur le principe d’égalité de traitement entre les agents publics ayant opté pour la reprise de leur contrat de travail par l’Etat avant l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015 par rapport à ceux ayant sollicité la reprise de leur contrat antérieurement à l’application de la prédite loi, dans la mesure où de telles considérations, surtout de la part de la partie étatique, ne sauraient faire échec à l’application d’une norme juridique contraignante, étant relevé, à titre superfétatoire, que selon les explications de cette dernière même, le pouvoir législatif aurait été conscient du problème, ce qui aurait donné lieu à un projet de loi susceptible de remédier à cette situation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 28 août 2017, alloue à Madame …, à partir du 1er septembre 2016, un supplément personnel d’indemnité, conformément à l’article 28, paragraphe (3), de la loi du 25 mars 2015, couvrant la différence entre, d’une part, son ancienne rémunération, ensemble avec l’allocation de famille, touchée sous le statut d’employé communal et, d’autre part, sa nouvelle rémunération, ensemble avec l’allocation de famille, en tant qu’employé de l’Etat ;
renvoie le dossier au ministre actuellement compétent en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 avril 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 10