Tribunal administratif N° 42241 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2019 Audience publique extraordinaire du 7 février 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42241 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 janvier 2019 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 décembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection subsidiaire et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er février 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 février 2019.
Le 12 novembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Après avoir été entendu le même jour par la police judiciaire, service criminalité organisée, police des étrangers, sur son identité et l’itinéraire pour venir au Luxembourg, cette dernière nota le résultat de ses recherches dans le fichier Eurodac dans un procès-verbal du même jour, à savoir que Monsieur … avait déposé diverses demandes de protection internationale en Allemagne les 22 octobre 2015 et 12 octobre 2018, en Hongrie le 29 août 2015 et aux Pays-Bas le 24 septembre 2016. Ils relevèrent également que d’après une recherche effectuée par le Centre de coopération policière et douanière (CCPD), Monsieur …, lors de son séjour en Allemagne, a utilisé l’alias de « …, né le … » et qu’il y est répertorié pour deux affaires de vol en 2016 et 2017.
1En date du 13 novembre 2018, Monsieur … fit l’objet d’un entretien auprès du ministre des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 décembre 2018, notifiée par courrier recommandé du 3 janvier 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre » résuma les déclarations de Monsieur … comme suit: « En mains le rapport du Service de Police Judiciaire, la fiche de motifs manuscrite du 12 novembre 2018, le rapport d’entretien Dublin III du 13 novembre 2018 et le rapport d’entretien du 13 décembre 2018 sur les motifs sous-
tendant votre demande de protection internationale.
Monsieur, il ressort de ces rapports que vous avez introduit des demandes de protection internationale en Allemagne le 22 octobre 2015 et 12 octobre 2018, en Hongrie le 29 août 2015 et aux Pays-Bas le 24 septembre 2016. Vous avez par ailleurs utilisé l’alias d’…, né le …, lors de votre séjour en Allemagne où vous êtes répertoire pour deux affaires de vol en 2016 et 2017 Selon vos dires, en 2015, vous auriez une première fois quitté l’Albanie parce que vous y auriez été condamné à une peine de prison de « 2 X 4 » ans. Vous dites aussi qu’en « 2013, 2014 », vous auriez à deux reprises été condamné par contumace et « sans preuves » pour ne pas avoir remboursé des prétendues dettes que vous aurez accumulées auprès de 7 ou 8 personnes dont vous auriez oublié les noms, mais qui seraient selon vous des membres de la famille …. Vous précisez que vous n’auriez purgé que neuf mois de cette peine de prison avant de quitter votre pays suite à une amnistie générale ordonnée.
Vous indiquez selon une première version que lors de votre séjour en Allemagne, vous auriez été condamné à une peine de prison de neuf mois pour escroquerie, et selon une deuxième version, parce que vous auriez été recherché par Interpol et que vous auriez demandé aux autorités allemandes de purger votre peine de prison en Allemagne. Le 15 novembre 2016, vous auriez été arrêté par les autorités allemandes, et après neuf mois d’incarcération, vous auriez été transféré en Albanie le 25 août 2017 où vous auriez « directement » été mis en prison. Vous signalez avoir été frappé par des policiers lors de votre transfert en prison et avoir purgé votre peine jusqu’au 25 juin 2018.
En prison d’autres détenus auraient deux fois tenté de vous « tuer ». Ainsi, un prisonnier qui serait lié à la famille … vous aurait une fois frappé après avoir demandé votre nom. Un autre jour, un « copain » de ce prisonnier vous aurait agressé de la même manière.
Vous auriez par la suite été placé dans une cellule individuelle.
Quant aux origines ou aux raisons de vos prétendus problèmes, vous prétendez que des membres d’un groupe mafieux dirigé par la famille …, vous auraient agressé en 2008 après que vous auriez refusé de leur payer la somme de 10.000,- euros. Vous auriez été blessé et 2hospitalisé et vous vous seriez par la suite installé à Tirana. Un jour, vos agresseurs vous y auraient retrouvé mais il n’y aurait pas eu d’incident. Vous auriez tout de même décidé de partir vivre en Macédoine, parce qu’« Aujourd’hui », ces personnes voudraient vous tuer parce que vous le auriez dénoncés à la police et que « je suis allé plusieurs fois à la police. Je suis allé au tribunal. Ils ne veulent pas qu’ils soient connus, aperçues comme des personnes malfaiteurs ». Vous confirmez toutefois par la suite que vous n’auriez jamais dénoncé ces personnes à la police (p.11 du rapport d’entretien) et ne jamais avoir demandé une protection en Albanie (p. 12 du rapport d’entretien).
A noter qu’il ressort aussi de votre dossier administratif que le 25 juin 2017, vous avez été extradé par les autorités allemandes vers l’Albanie où vous auriez purgé une peine de prison entre juin 2017 et août 2018 pour escroquerie. Vous auriez par la suite vécu à Elbasan pendant un mois avant de quitter l’Albanie.
Le 8 août 2018, vos auriez quitté l’Albanie à bord d’un bus en direction de l’Italie où vous auriez séjourné pendant deux mois chez vos frère et sœur avant d’aller en Allemagne où vous n’auriez toutefois pas pu rester. Ainsi, vous y auriez renoncé à votre demande de protection internationale et seriez parti aux Pays-Bas, puis en Belgique avant de venir au Luxembourg.
Il ressort aussi de votre dossier administratif que le 23 octobre 2018, vous êtes volontairement retourné en Albanie.
Vous signalez avoir de nouveau quitté l’Albanie parce que vous auriez dû purger une peine de prison.
Vous présentez une carte d’identité albanaise établie le 20 juillet 2018 et signalez avoir perdu votre passeport en Belgique ».
Le ministre, tout en mettant en doute la crédibilité de son récit, informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2019, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 18 décembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection subsidiaire - le demandeur déclarant renoncer à sa demande en obtention du statut de réfugié, ce dont il échet de lui donner acte -
et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre, et donc d’un refus d’une demande de protection subsidiaire, et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le 3remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 13 décembre 2018 telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison des problèmes qu’il aurait connus avec certains membres de la famille …, lesquels appartiendraient à une association de malfaiteurs et qui auraient essayé, en 2009, de lui soutirer de l’argent alors qu’il exploitait son commerce. Il explique plus particulièrement qu’il aurait, dans un premier temps, accepté de leur verser la somme de 2.000,- euros, mais aurait refusé de leur faire parvenir le solde réclamé, à savoir 8.000,- euros. Face à ce refus, les personnes en question l’auraient agressé en le frappant à la tête avec une barre de fer, suite à quoi il aurait perdu conscience et se serait retrouvé à l’hôpital entre la vie et la mort. Ses agresseurs seraient des individus particulièrement dangereux lesquels auraient assassiné plusieurs personnes et demandé de l’argent à toute personne exploitant un commerce. Le demandeur ajoute que ces mêmes individus auraient tué son copain ainsi que son cousin. En 2014, il aurait essayé de régler définitivement le différend qui l’aurait opposé à ces individus en leur proposant de leur faire parvenir les 8.000,- euros réclamés. Ses agresseurs auraient toutefois refusé cette offre, le demandeur en déduisant qu’ils ne seraient plus intéressés par l’argent mais qu’ils auraient comme seul but de lui ôter la vie, alors qu’ils seraient convaincus qu’il les aurait dénoncés à la police, respectivement aux autorités allemandes dans le cadre de sa première demande de protection internationale. Il ajoute qu’il aurait été agressé lors de son incarcération en Allemagne par un individu qui aurait des liens avec la famille ….
En droit, le demandeur explique d’abord la situation générale dans son pays d’origine et la problématique de la corruption qui sévirait au sein des institutions albanaises, en invoquant, à l’appui de ses affirmations, une résolution du Parlement européen du 14 avril 2016 sur le rapport 2015 relatif à l’Albanie, une proposition de résolution du Parlement européen du 3 février 2017 sur le rapport 2016, un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada du 15 septembre 2015 intitulé « Albanie : information sur la police d’Etat de l’Albanie (Albanian State Police- ASP), y compris sur sa structure et son emplacement ; la corruption policière ; l’inconduite policière ; la marche à suivre pour déposer une plainte contre la police et les actions entreprises à la suite du dépôt d’une plainte (2011-2015) », un rapport de l’organisation « Forumréfugiés » intitulé « Mission exploratoire en Albanie du 1er au 6 avril 2013 », un article de presse publié le 31 mars 2017 intitulé « La Suisse accorde l’asile politique à l’ex-chef de la police antidrogue albanaise », ainsi qu’un autre article du « Service européen pour l’action extérieure » du 18 avril 2018 intitulé « Albanie : l’UE soutient un système judiciaire efficace, transparent et équitable ».
Monsieur … prend ensuite position sur la remise en cause par le ministre de la crédibilité de son récit, tout en soulignant, en se basant sur l’article 37, paragraphe (5), point e) de la loi du 18 décembre 2015, que son récit serait globalement cohérent et crédible et que le doute devrait lui profiter. Il explique plus particulièrement qu’aucune plainte n’aurait été enregistrée par la police albanaise, raison pour laquelle il aurait déclaré ne jamais avoir déposé de plainte contre ses agresseurs. Il n’en resterait pas moins que suite à son agression en 2009, lui-même, ainsi que son ex-épouse se seraient rendus à la police pour dénoncer ses agresseurs et que les policiers en question n’auraient « rien noté dans leur système » et n’auraient pas pris en compte leurs déclarations. Le demandeur donne encore à considérer que 4même s’il aurait été signalé à deux reprises en Allemagne pour des affaires de vol, aucune condamnation ne s’en serait suivie. En tout état de cause, une condamnation pénale pour des faits de droit commun ne saurait avoir une quelconque influence sur le sort d’une demande de protection internationale.
Il critique ensuite la décision du ministre de faire application de la procédure accélérée en faisant valoir, tout d’abord, en ce qui concerne le constat ministériel qu’il proviendrait d’un pays d’origine sûr, qu’au regard de l’absence de protection de la part des autorités étatiques albanaises et de sa situation personnelle, marquée par le conflit avec une bande de criminels particulièrement dangereux, il serait exposé, en cas de retour en Albanie, à des atteintes graves. Il soutient encore que les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale seraient pertinents dans la mesure où ils entreraient dans le champ d’application de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, les menaces et agressions subies auraient provoqué dans son chef un niveau de crainte qui ne lui permettrait pas de poursuivre sa vie dans son pays d’origine, le niveau d’angoisse rattaché à cette crainte serait insupportable. Il conclut en conséquence à la réformation de la décision ministérielle déférée ayant statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale conformément à l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015.
Quant à sa demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.
A cet égard, le demandeur invoque l’« Affaire grecque » par laquelle la « Commission européenne » aurait retenu que les traitements considérés dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience. Dans une affaire Irlande contre Royaume Uni, la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH ». Dans une affaire Selmouni c/ France, la CJUE se serait réservé une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Le demandeur estime que les menaces et agressions subies par lui seraient d’une gravité suffisante pour retenir qu’il serait exposé à un risque de traitement inhumain. En effet, en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de devoir vivre dans une situation d’angoisse aigüe au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur affirme encore qu’il aurait démontré à suffisance par son récit et par les pièces versées en cause que les autorités albanaises n’auraient pas la capacité de le protéger de manière suffisante, et que dans une pareille situation et en considération de la situation d’urgence dans laquelle il se serait trouvé, il ne saurait en tout état de cause lui être reproché de ne pas avoir déposé une plainte auprès des autorités en place. Les auteurs des actes dont il aurait été victime pourraient dès lors être qualifiés d’auteurs au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015.
Le demandeur conteste encore toute possibilité de fuite interne et donne à considérer qu’il aurait en tout état de cause appartenu au ministre de prouver une telle possibilité de fuite interne, preuve qui n’aurait toutefois pas été rapportée en l’espèce.
5 Finalement, le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en invoquant l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés consacrant le principe de non-refoulement repris en droit interne luxembourgeois par l’article 54, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, au motif que l’accord du statut de protection subsidiaire dans son chef entraînerait la réformation de la décision lui ordonnant de quitter le territoire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Aux termes de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer. ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, et, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
6Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:
7a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre. ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tel que modifié par la suite, a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité albanaise.
En ce qui concerne le reproche du demandeur de s’être vu appliquer le prédit règlement du 21 décembre 2007, la soussignée précise qu’au vu du libellé de l’article 30, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En l’espèce, le ministre a conclu que Monsieur … provient d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il revient ainsi à la soussignée d’analyser si, conformément à l’article 30, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur a soumis des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie n’est pas un pays d’origine sûr dans son chef compte tenu de sa situation individuelle et de vérifier si ces raisons ont été appréciées par le ministre à leur juste mesure.
Pour procéder à cet examen, la soussignée vérifie si le demandeur qui fait état d’incidents commis par des personnes non étatiques, comme cela est le cas en l’espèce, fournit la preuve d’un défaut de protection par les autorités du pays d’origine au sens des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, soit que les personnes concernées refusent 1 Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves.
2 (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant 8valablement de demander la protection de ces autorités, soit que celles-ci ne peuvent ou ne veulent lui fournir une protection suffisante.
En l’espèce et indépendamment de la crédibilité de son récit, le demandeur omet d’établir l’existence, dans son chef, de pareilles raisons. En effet, l’analyse de la situation personnelle décrite par lui ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants impliquant que le constat du ministre s’en trouve ébranlé, dans la mesure où il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises ne voudraient ou ne pourraient pas lui fournir une protection appropriée par rapport aux agissements dont il craint d’être victime de la part de certains membres de la famille ….
En effet, il ressort clairement des déclarations de Monsieur … que suite à son agression en 2009, il n’a pas porté plainte contre les individus en question, le demandeur ayant en effet déclaré lors de son entretien auprès de la Direction de l’immigration que la police serait venue à l’hôpital pour lui poser « plusieurs questions » et qu’il n’a « pas donné les identités de ces personnes car j’avais peur », le demandeur ayant encore précisé qu’un de ses cousins travaillant à la police lui aurait déconseillé de porter plainte contre ses agresseurs. S’il a certes affirmé par après qu’il serait visé par ledit groupe mafieux alors que les individus en question seraient au courant qu’il les aurait dénoncés à la police, qu’il aurait essayé de porter plainte contre ses agresseurs à Tirana, plainte qui n’aurait toutefois pas été enregistrée pour avoir été tardive et pour ne pas avoir été introduite à Elbasan et qu’il aurait finalement porté plainte à Elbasan, il n’en reste pas moins qu’il concède ensuite ne jamais avoir porté plainte en bonne et due forme. En effet, lorsque l’agent en charge du dossier l’a confronté avec les incohérences de son récit en soulignant que « Mais vous avez dit que vous auriez porté [ plainte ] à Tirana et puis les policiers vous aurait dit de porter plainte à Elbasan donc comment cela peut se faire », le demandeur a déclaré « Mais je ne suis pas allé dénoncer à la police de Tirana car j’avais peur » et qu’il n’est « pas du tout allé à Elbasan, je suis parti vers la Macédoine »3. Il a encore ajouté ne jamais avoir porté plainte à Elbasan et ne pas avoir sollicité la protection d’une autre autorité en Albanie4.
Or, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut5. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et de violences physiques, communément la forme d’une plainte.
Il échet encore de relever à cet égard que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose, au minimum, qu’un demandeur de protection de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.
3 Page 11 du rapport d’entretien de Monsieur … du 13 décembre 2018.
4 Page 12 du rapport d’entretien de Monsieur … du 13 décembre 2018.
5 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
9internationale ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte et que dès lors qu’il est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a la nationalité et qu’il n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, il n’est pas en droit d’invoquer à son profit le bénéfice d’une protection internationale. D’autre part, la notion de protection de la part du pays d’origine suppose également des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Or, tel que relevé ci-avant, il ressort des déclarations de Monsieur … qu’il n’a pas porté plainte et qu’il n’a pas non plus sollicité l’aide d’une autre institution ou autorité présente sur le territoire albanais. A cet égard, la soussignée relève que s’il ressort certes des rapports internationaux et articles de presse invoqués par le demandeur, tels que listés ci-avant, et, notamment, de la « Résolution du Parlement européen du 14 avril 2016 sur le rapport 2015 relatif à l’Albanie […] » et de la « Proposition de résolution du Parlement européen sur le rapport 2016 de la Commission concernant l’Albanie » que malgré de récentes réformes entreprises par les autorités albanaises, notamment, sur le plan institutionnel, de considérables efforts restent à être déployés en ce qui concerne, entre autres, la lutte contre la corruption, contre la criminalité organisée et contre le trafic de stupéfiants, ainsi que l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire, il ne se dégage néanmoins pas desdites pièces, ni des autres éléments soumis à l’appréciation de la soussignée que le système policier et judiciaire albanais serait à tel point défaillant qu’en tout état de cause, les victimes d’infractions pénales ne pourraient raisonnablement espérer obtenir une protection étatique suffisamment efficace.
Par ailleurs et s’il devait estimer que la police n’aurait rien entrepris afin de le protéger, respectivement aurait refusé d’accueillir sa plainte, il lui aurait appartenu de rechercher la protection des autorités de son pays d’origine auprès d’un autre commissariat, voire d’instances supérieures susceptibles d’intervenir en sa faveur. Ainsi, il ressort des explications de la partie étatique, sources internationales à l’appui, que si Monsieur … devait avoir eu le sentiment que ses doléances n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire, il aurait pu dénoncer ce comportement auprès des directions générales et commissariats en Albanie, sinon à des autorités supérieures, tel que par exemple la direction régionale ou générale de la police, le ministère de l’intérieur, respectivement l’Ombudsman6, ainsi que cela se dégage du rapport, précité, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada du 15 septembre 2015, ce qu’il n’a toutefois pas fait en l’espèce.
Cette même conclusion s’impose en ce qui concerne les déclarations du demandeur lors de son entretien auprès de la direction de l’immigration qu’il aurait été frappé par des policiers lors de son incarcération en Albanie. Il aurait en effet appartenu au demandeur de dénoncer ce comportement hautement répréhensible des policiers en question à une autorité supérieure, ce qu’il a toutefois omis de faire.
6 Canada: Immigration and Refugee Board of Canada Albania: The Albanian State Police (ASP), including its structure and locations ; police corruption ; police misconduct ; procedures to submit a complaint against police and responsiveness to complaints (2011-2015), du 15 septembre 2015.
10Pour être tout à fait complet, il y a encore lieu de rappeler qu’une protection n’exige pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
Dès lors, et à défaut par Monsieur … d’avoir épuisé toutes les possibilités qui lui étaient accessibles pour solliciter une protection de la part des autorités de son pays d’origine et à défaut d’explications justifiant ce défaut, la soussignée est amenée à conclure qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations de celui-ci, que les autorités albanaises compétentes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements dont il craint d’être victime de la part de certains membres de la famille ….
Dans ces conditions, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’Albanie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection subsidiaire S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder à Monsieur … la protection subsidiaire la soussignée relève qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
« a) l’Etat;
11b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les atteintes graves et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier dudit statut.
A cet égard, la soussignée relève que l’une de ces conditions cumulatives est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.
Or, la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir au demandeur une protection appropriée par rapport aux agissements dont il craint d’être victime de la part de certains membres de la famille …. Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, les agissements en question ne sauraient manifestement justifier 12l’octroi dudit statut.
Dans ces circonstances, la soussignée retient que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection subsidiaire.
3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, la soussignée relève qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné, d’une part, qu’il vient d’être retenu que le recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection subsidiaire du demandeur est manifestement infondé et, d’autre part, que le refus ministériel d’octroi du statut de réfugié ne fait pas l’objet du présent recours, de sorte à être passé en force de chose décidée, un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, de sorte que le ministre a valablement pu assortir sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement, tel qu’invoqué par le demandeur.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, président la troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 décembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi de la protection subsidiaire et contre l’ordre de quitter le territoire ;
donne acte au demandeur de ce qu’il renonce à sa demande tendant à l’octroi du statut de réfugié ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondées et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection subsidiaire ;
13condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 7 février 2019, par la soussignée, Thessy Kuborn, vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 février 2019 Le greffier du tribunal administratif 14