Tribunal administratif N° 42246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2019 Audience publique du 28 janvier 2019 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.28 (1), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 42246 du rôle et déposée le 18 janvier 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner par le tribunal administratif une mesure provisoire, consistant en l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 janvier 2019 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Suisse, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 3 janvier 2019, inscrit sous le numéro 42245, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Sylvie FREITAS, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL ainsi que Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH entendues en leurs plaidoiries à l’audience publique de ce jour.
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Le 14 décembre 2018, Monsieur …, de nationalité érythréenne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-
après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale de la circonscription régionale SPJ, unité de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 21 juin 2016 et une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 22 mars 2018.
Le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.
Par décision du 3 janvier 2019, le ministre informa Monsieur … de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne, sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et à celles de l’article 18, paragraphe 1d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 14 décembre 2018.
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Suisse qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations vous auriez quitté l’Erythrée en date du 15 novembre 2015 vers l’Ethiopie et le Soudan. Après un séjour de trois mois au Soudan, vous seriez parti vers la Libye. Deux mois et demi plus tard vous seriez parti vers l’Italie, où vous seriez resté trois semaines. Ensuite vous auriez voyagé vers la Suisse. Vous seriez resté deux ans et un mois en Suisse. Puis vous seriez parti vers les Pays-Bas. Cinq mois plus tard vous seriez retourné en Suisse avant d’arriver au Luxembourg en date du 13 décembre 2018.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez déjà précédemment introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 21 juin 2016 et une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 22 mars 2018.
Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de reprise en charge aux autorités suisses qui ont accepté en date du 21 décembre 2018 de vous reprendre en charge en vertu de l’article 18§1d du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
Lors de votre audition en date du 14 décembre 2018, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Suisse qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013.
Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois à faire application de l’article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités suisses n’ont pas été constatées.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif en application de l’article 35(3) de la loi du 18 décembre 2015. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de 15 jours à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d’aucun appel.
Une procédure de référé en vue de l’obtention d’un sursis à l’exécution ou d’une mesure de sauvegarde peut être introduite auprès du Président du Tribunal administratif par requête signée d’un avocat à la Cour. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2018, inscrite sous le numéro 42245 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 3 janvier 2019, présentée erronément comme comportant transfert de l’intéressé vers l’Allemagne. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 42246 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire demandant « à Mesdames/Messieurs les Juges du Tribunal Administratif » en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la Suisse et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Monsieur … soutient dans ce contexte souhaiter demeurer au Luxembourg pour y construire une vie stable et ne veut plus retourner en Erythrée, alors qu’il craindrait qu’en cas de retour forcé en Suisse, les autorités suisses ne le transfèrent en Erythrée. Or, outre les problèmes qu’il aurait rencontré en Erythrée, il risquerait d’y être exposé aux atteintes à sa vie eu égard à la situation politique et économique de l’Erythrée qui restent très fragiles, le requérant citant à cet égard des extraits d’un rapport d’Amnesty international de 2017/2018 relatif à l’Erythrée pour affirmer que la situation sécuritaire en Erythrée resterait instable, de sorte qu’il ne pourrait y retourner par peur de subir des actes de persécution à son encontre au sens de la Convention de Genève.
Il affirme encore qu’il résulterait à l’examen de son dossier que les autorités suisses auraient accepté sa reprise en charge et « de ce fait le traitement de sa demande alors qu’elles avaient initialement rejeté sa demande de protection internationale », de sorte qu’il serait « tout à fait logique » qu’il soit venu sur le territoire du Grand-Duché du Luxembourg alors qu’il n’aurait nulle part où se loger en Suisse et qu’il craindrait d’être renvoyé dans son Etat d’origine.
Il estime que ces circonstances devraient partant justifier l’annulation de la décision déférée.
Il soutient encore que l’exécution de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif : à ce titre, il fait valoir que l’exécution de la décision d’incompétence et son transfert vers le territoire suisse l’exposerait à une période d’incertitude dans des conditions inhumaines, peut-être même de détention ou d’expulsion, vu le rejet de sa première demande, sans réelle chance d’obtenir le statut de réfugié et d’échapper pour de bon aux poursuites dans son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement pour sa part, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Une première conclusion s’impose toutefois au vu de l’article 11, (3) de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée : une demande de sursis à exécution est à présenter par requête distincte au président du tribunal qui a une compétence exclusive pour statuer sur lesdites demandes. Il s’ensuit qu’une demande de sursis adressée à la formation collégiale du tribunal administratif doit entraîner une décision d’incompétence de ce dernier1, sans qu’il n’existe de possibilité de renvoi devant le président du tribunal2.
Aussi, tel que soulevé d’office conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la requête sous analyse ayant été adressée erronément au tribunal siégeant dans sa formation collégiale, - le dispositif s’adressant « à Mesdames/Messieurs les Juges du Tribunal Administratif » - le tribunal devrait se déclarer incompétent, tandis que le soussigné doit se considérer comme n’ayant pas été valablement saisi.
Au-delà de cette première conclusion, force est ensuite au soussigné de relever que le requérant ne formule aucun moyen cohérent et précis, mais qu’il se contente d’égrener différentes affirmations, sans indication aucune de base légale ou règlementaire et sans aucune discussion, si ce n’est qu’il conviendrait d’annuler la décision ministérielle attaquée du 3 janvier 2019 alors que le Luxembourg devrait être considéré comme le pays responsable de la demande de protection internationale du requérant.
1 Trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11595, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 503.
2 Trib. adm. 14 octobre 1999, n° 11574, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 502.
Or, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère, de sorte que le juge statuant au provisoire est en droit d’attendre du rédacteur de la requête, avocat et partant professionnel de la postulation, un acte de procédure intelligible et cohérent, ne requérant pas une analyse poussée aux seuls fins de comprendre la finalité et l’argumentation de la requête.
A cet égard, il convient de constater que le requérant ne prend pas position par rapport à la base légale pourtant clairement indiquée dans la décision ministérielle, à savoir l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et l’article 18, paragraphe 1d), du règlement Dublin III, qui vise le cas d’un demandeur de protection internationale « le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre», de même qu’il n’indique pas quelles règles de détermination précises de l’Etat membre responsable n’auraient pas été respectées, respectivement quelles règles permettraient sinon imposeraient au ministre de passer outre à ces règles de détermination, règles se trouvant, pour l’édification du litismandataire du requérant, aux articles 3, paragraphe 2, 2e alinéa, et 17, paragraphe 1er, du règlement Dublin III, le requérant omettant toute discussion relative au cadre juridique de son transfert, à savoir le règlement Dublin III.
Or, il résulte d’une jurisprudence constante que l’exposé d’un moyen de droit requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué : aussi, comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère, de sorte que de tels moyens ébauchés, non autrement précisés, ne sauraient en tout état de cause être considérés comme sérieux.
Aussi, la seule affirmation non autrement précisée et circonstanciée selon laquelle la décision ministérielle devrait être annulée alors que le Luxembourg devrait être considéré comme le pays responsable de la demande de protection internationale du requérant laisse manifestement de rencontrer les exigences pourtant peu élevées relativement à la précision de l’exposé des moyens. S’il suffit en effet que cet exposé soit simplement sommaire pour satisfaire aux exigences légales afférentes, il ne saurait pour autant se réduire à une motivation stéréotypée indéfiniment transposable à tout autre recours en la même matière, sans la moindre indication d’éléments concrets, spécifiques à la situation particulière du requérant et sans la moindre discussion concrète de la base légale des prétentions du requérant.
Il convient ensuite de relever que la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice, étant relevé que le juge du provisoire ne peut avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil du requérant, pour la première fois, à l’audience.
Force est toutefois de constater que le requérant fait en l’espèce l’impasse sur cette condition, en ne prenant pas concrètement position par rapport à la condition du préjudice grave et définitif, la seule affirmation sibylline que l’exécution de la décision d’incompétence et son transfert vers le territoire suisse l’exposerait à une « période d’incertitude » - circonstance existant également en cas de prise en charge de sa demande par les autorités luxembourgeoises - dans des conditions inhumaines - ni autrement précisées et étayées -, peut-être même dans des conditions de détention ou d’expulsion - ni autrement précisées et étayées - laisse manifestement de répondre aux exigences telles que cadrées ci-avant, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
Or, la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales.
Faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est par conséquent pas justifié à suffisance de droit.
Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 janvier 2019 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 janvier 2019 Le greffier du tribunal administratif 6