Tribunal administratif N° 41973 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2018 1re chambre Audience publique du 19 décembre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41973 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 novembre 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le… à … (Serbie), de nationalité serbe, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 novembre 2018 de recourir à la procédure accélérée, de refuser de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 décembre 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le président de la première chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 décembre 2018.
Le 24 octobre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 à relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le 29 octobre 2018, l’intéressé fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 5 novembre 2018, notifiée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de l’intéressée comme suit :
« Il en ressort que vous seriez d’ethnie bosniaque et que vous auriez vécu à … avec votre père, votre tante et votre cousin. Jusqu’en 1998, vous auriez travaillé comme policier et depuis, vous vivriez de votre retraite. Vous auriez quitté la Serbie par peur d’être appelé en tant que policier réserviste. Ces policiers seraient envoyés dans les villes de …, … et …. Vous dites qu’« ils n’ont pas assez de jeunes policiers. Ils sont donc obligés de faire appel à des policiers réservistes. Ces trois villes se trouvent à la frontière avec le Kosovo. Tous les trois mois, dans ces trois villes, ils font un refoulement pour y stationner de nouveaux policiers ».
Vous auriez peur d’être appelé en tant que réserviste parce que vous devriez y rester trois mois et que vous ne pourriez jamais tuer ou tirer sur des personnes de confession musulmane qui se trouveraient de l’autre côté de la frontière. En plus, vous risqueriez de vous faire tirer dessus. Vous n’auriez jamais signalé à vos supérieures que vous ne voudriez pas y être envoyé alors que vous auriez alors eu « cinq entretiens avec les responsables pour leur expliquer pourquoi je ne veux pas partir à la frontière. C’était donc plus facile de quitter le pays ».
Vous précisez que les anciens policiers seraient réservistes jusqu’à l’âge de 65 ans.
Ainsi, en 2013, vous auriez déjà une fois été prévu pour être envoyé à … mais, à cause d’une blessure à la jambe, vous auriez été dispensé.
Concernant le fonctionnement de ce corps de police réserviste, vous expliquez que la police de …vous appellerait deux à trois fois par an à des « réunions pour discuter ». Tous les policiers feraient automatiquement partie des réservistes après leur retraite. En août 2018, lors d’une de ces cinq réunions, « ils nous ont annoncé qu’on va y être envoyé », bien que vous n’ayez pas fait partie du groupe qui aurait été mobilisée de septembre à décembre 2018.
En plus, il y aurait « beaucoup de nationalisme » en Serbie et vous pointez du doigt le président …« et son équipe ». Ainsi, le président vous « discriminerait » dans ses discours en affirmant qu’il n’y aurait pas de différence entre Serbes et Bosniaques. Vous dites ensuite que « Je n’ai pas été discriminé directement mais j’ai été vexé par le choix de ses motifs. Il nous considère comme des Serbes alors qu’on est des d’ethnie bosniaque ». (…) » Le ministre informa ensuite l’intéressé qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.
Le ministre releva que Monsieur … serait de nationalité serbe et proviendrait partant d’un pays d’origine sûr.
Ensuite, s’agissant du statut de réfugié, le ministre releva que bien même que Monsieur … déclare avoir peur d’être envoyé pendant trois mois comme policier réserviste dans une ville frontière avec le Kosovo où il craindrait d’être obligé de tirer sur des personnes de confession musulmane respectivement risquerait de se faire tirer dessus, les recherches ministérielles n’auraient pas pu trouver trace d’un incident violent qui se serait produit les derniers temps dans les villes en question entre la police serbe et des kosovars albanais, ou encore d’un renforcement des forces policières dans ces villes.
Par ailleurs, les policiers serbes affectés à ces villes ne seraient pas obligés de tirer sur des citoyens kosovars et les recherches ministérielles n’auraient pas non plus permis de conclure que les policiers serbes affectés à ces villes seraient victimes d’agression.
Le ministre en a conclu au caractère subjectif et hypothétique des craintes avancées par Monsieur ….
S’y ajouterait qu’il ne serait pas établi que celui-ci serait effectivement affecté vers ses villes dans un proche avenir. De même, déjà dans le passé, Monsieur … aurait pu éviter une telle mission en raison de problèmes de santé.
Le ministre releva encore que Monsieur … avait rejoint de son propre gré les forces de l’ordre, de sorte que le risque d’être appelé en aide en tant que policier réserviste jusqu’à l’âge de 65 devrait être considéré comme un simple « risque du métier » dont il aurait été conscient au moment de rejoindre la police.
Dans la mesure où tous les policiers retraités feraient partie des réservistes, Monsieur … ne serait pas non plus spécialement visé, de sorte à ne pas pouvoir faire valoir une quelconque discrimination basée sur un des critères de la Convention de Genève.
S’y ajouterait que Monsieur … aurait lui-même déclaré avoir pu signaler à ses supérieurs ses objections, mais avoir considéré cette procédure comme impliquant cinq entretiens, de sorte à avoir préféré quitter son pays d’origine.
S’agissant des craintes mises en avant par Monsieur … en raison des discours du président serbe, le ministre releva un manque de gravité flagrant de ces faits, d’autant plus que Monsieur … ne ferait état d’aucun incident ou problème concret en relation avec son appartenance ethnique respectivement sa religion.
Le ministre souligna encore que toutes les communautés seraient traitées à pied d’égalité en Serbie et que rien ne permettrait de retenir que les Bosniaques y seraient discriminés.
S’agissant de la protection subsidiaire, Monsieur … n’apporterait aucun élément pertinent de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’en cas de retour en Serbie il court un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2018, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 5 novembre 2018 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 5 novembre 2018, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur estime que les conditions d’application des points a) et b) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 ne seraient pas remplies.
Il estime que les faits invoqués par lui seraient l’expression de formes diverses de persécutions en raison de son origine ethnique respectivement de son appartenance à la minorité bosniaque de la Serbie et du fait qu’il ne voudrait pas servir en tant que réserviste dans les unités militaires de son pays d’origine en sa qualité d’ancien policier à la retraite et réserviste au sein de la police.
Le demandeur souligne que ne voulant plus porter d’armes ou se battre lors d’un conflit, il aurait décidé de quitter la Serbie puisqu’il lui aurait paru impossible d’opposer à l’administration un refus lors de la prochaine convocation. Son départ aurait dès lors été motivé par la crainte permanente de se voir envoyer à la frontière albanaise en tant que réserviste, alors qu’il refuserait de se battre contre les Albanais ou de tuer une autre personne, et ce d’autant plus que ces personnes seraient de la même religion qui lui-même.
Après avoir cité divers extraits de son entretien, le demandeur donne à considérer que si en 2013 il avait pu échapper à un appel en tant que réserviste, cela aurait été pour des raisons médicales, qui ne seraient toutefois plus d’actualité. Le demandeur déclare craindre pour sa vie et estime qu’il ne trouverait aucune protection de la part des autorités serbes puisqu’il refuserait de se battre ou de tuer, ce refus expliquant pourquoi il ne pourrait rechercher la protection d’une autorité étatique.
S’y ajouterait qu’en Serbie, pays multi-ethnique, les Bosniaques n’auraient pas encore leur place en tant que citoyens à part entière et que le respect de leurs droits de la défense et leur droit à la protection effective et raisonnable de la part des autorités étatiques ne seraient pas données. Il aurait ainsi réagi dans le but de soustraire sa vie au danger représenté par l’autorité serbe, au lieu de vivre dans la crainte permanente de persécution et de menaces.
Le demandeur soulève en outre la question de savoir quelle garantie procédurale il pourrait obtenir en cas de refus de servir en tant que réserviste dans l’armée serbe sous le respect des droits de la défense et de son droit à un procès équitable.
Il s’en suivrait que l’Etat Serbe ne serait pas apte à lui garantir une sécurité suffisante.
S’agissant du recours en ce qu’il vise le refus d’octroi d’une protection internationale, le demandeur déclare se rapporter à la sagesse « du tribunal » en ce qui concerne l’obtention du statut de réfugié politique.
S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur estime que le caractère réel de sa crainte de subir des atteintes graves serait démontré par son dossier administratif, puisqu’il aurait « d’ores et déjà dû souffrir d’atteintes graves qui l’ont poussé à fuir définitivement du Kosovo [sic]». Il estime que le défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine en raison du refus de participer à des réunions réservistes, respectivement le refus de participer à des actions militaires contraires à sa conscience, constitueraient, par le caractère répété et l’accumulation, une atteinte à ses droits fondamentaux et plus particulièrement à son droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et à son droit de circuler librement conformément à l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 de la CEDH.
Les faits avancés par lui seraient, par ailleurs, constitutifs d’« actes des persécutions » au sens de l’article 42 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015 puisqu’il serait victime de violences mentales, alors qu’il devrait se conformer à l’ordre d’enrôlement des policiers réservistes. Il ajoute qu’il aurait fait l’objet de violences graves et répétés de ses droits de l’homme dans son pays d’origine. Il estime qu’il aurait établi une crainte fondée d’être « persécuté » dans son pays d’origine, respectivement une crainte d’être victime de traitements inhumains et dégradants.
S’agissant de la question de savoir si les « motifs des actes de persécution » dont il se dit victime sont liés à une appartenance à un groupe social au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur se réfère à la disposition de l’article 43 a), b), d) et e) de la même loi, pour conclure qu’il aurait été victime de persécutions motivées par son origine ethnique bosniaque et par ses croyances religieuses, partant des persécutions en raison de sa race, en raison de son appartenance à la population bosniaque et à un groupe social vulnérable.
Le demandeur poursuit qu’il s’exposerait encore en cas de retour dans son pays d’origine à des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi, tout en soulignant que la présomption selon laquelle l’Etat Serbe serai un Etat sûr, serait renversé par sa situation personnelle.
Enfin, le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation du refus d’une protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».
En l’espèce, le ministre a conclu que le demandeur provient d’un pays sûr, à savoir la Serbie.
Il n’est pas contesté que le demandeur a la nationalité serbe, et il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tel que modifié par la suite, a désigné la Serbie comme pays d’origine sûr.
Il convient toutefois de relever que vu le libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe, par ailleurs, au ministre d’évaluer si le demandeur de protection internationale ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En l’espèce, l’analyse de la situation décrite par le demandeur lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet cependant pas à la soussignée d’en dégager des éléments convaincants pour renverser la présomption se dégageant de l’inscription de son pays d’origine sur la liste des pays sûrs et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision déférée.
La soussignée relève, en effet, que le demandeur n’a apporté aucune raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée.
Il convient, ensuite, de relever que le fait d’être, le cas échéant, convoqué pour une mission policière en tant que réserviste de la police, même pour un policier retraité, étant précisé que suivant le récit du demandeur des possibilité de recours contre une telle convocation existent, le demandeur ayant déjà bénéficié par le passé d’une dispense en raison de son état de santé et ayant encore fait à allusion, lors de son entretien, à des possibilités de recours qu’il n’aurait toutefois pas utilisées, ne permet a priori pas de retenir que, de ce fait, la Serbie soit à considérer comme un pays d’origine non sûr ne répondant pas aux critères énoncés à l’article 30, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 précité.
En toute hypothèse, le demandeur ne fait état d’aucun élément ou incident concret, que ce soit en raison de sa qualité de réserviste de la police ou en raison de son appartenance à la minorité bosniaque, qui permettrait de retenir que malgré l’inscription de la Serbie sur la liste des pays d’origine sûr, sa situation personnelle serait de nature à renverser cette présomption.
Au-delà de ce premier constat, la soussignée retient encore, s’agissant de l’article 27, paragraphe 1er, point a) de la loi du 18 décembre 2015, que le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
A cet égard, la soussignée relève qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précités, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Il convient de prime abord de relever que si dans ses développements en relation avec la protection subsidiaire, le demandeur fait allusion à des « persécutions », notion pourtant propre au statut de réfugié, de même qu’aux motifs de ces « persécutions » que le demandeur situe dans son origine bosniaque et ses croyances religieuses, suivant la requête introductive d’instance, sous le chapitre consacré au recours en ce qu’il vise le refus d’accorder le statut de c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » réfugié politique, le demandeur a déclaré se rapporter à sagesse « du tribunal » quant à l’application des dispositions de la Convention de Genève.
A défaut de contestations plus spécifiques du demandeur quant aux conditions d’application du statut de réfugié et à défaut de tout élément objectif concret permettant de retenir que les craintes avancées par lui, à savoir celles d’être appelé en tant que réserviste de la police pour une mission de trois mois à la frontière kosovare, seraient liées à son origine bosniaque respectivement à sa religion, un tel lien ne se dégageant manifestement d’aucun élément concret du dossier, et à défaut de tout élément concret permettant de retenir qu’en raison de son appartenance à la minorité bosniaque en Serbie il risquerait d’être persécuté, étant relevé qu’une allusion tout à fait générale à un discours du président serbe est manifestement insuffisante à cet égard, c’est manifestement à bon droit que le ministre a retenu que la demande telle que présentée par le demandeur est sans pertinence au regard des conditions d’octroi du statut de réfugié.
S’agissant de la protection subsidiaire, la soussignée relève qu’il ne se dégage d’aucun élément concret du dossier que le demandeur fait état de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour en Serbie, il court un risque réel de subir des atteintes graves conformément à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains et dégradants, respectivement des menaces graves individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Force est, en effet, de constater que le demandeur ne fait pas état de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, ni d’un risque d’encourir la peine de mort, l’exécution ou encore de subir la torture.
Si dans sa requête introductive d’instance, le demandeur mentionne des « violences mentales » et de « violations graves et répétées des droits de l’homme », il n’a fait état, ni lors de son entretien, ni dans sa requête introductive d’instance, d’un quelconque élément concret permettant de retenir qu’il a été ou risque d’être victime de telles violences ou violations de ses droits.
De manière évidente, le seul fait d’être, le cas échéant, convoqué pour une mission de trois mois en tant que réserviste de la police, à défaut d’autres éléments, ne saurait être considéré comme un traitement ou sanction inhumain ou dégradant, cela d’autant plus que, d’une part, le demandeur ne fait pas état d’incidents concrets qui permettraient de conclure qu’il serait forcé dans le cadre de cette mission à tuer des gens, une mission policière n’étant pas à assimiler à une mission militaire en temps de guerre, et que, d’autre part, l’obligation même de devoir obtempérer à un appel en tant que réserviste pour participer dans une mission reste purement hypothétique puisque, non seulement, dans le passé, le demandeur a déjà pu faire valoir son état de santé pour ne pas participer à une telle mission, mais encore il a fait état dans son entretien d’une possibilité de recours au niveau des autorités policières, le demandeur ayant déclaré qu’au lieu de demander des entretiens avec l’administration pour expliquer sa situation, il a préféré quitter la Serbie. D’autre part, le demandeur n’invoque aucun élément concret permettant de retenir qu’en raison de son appartenance à la minorité bosniaque en Serbie il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants, la seule référence générale à un discours du président serbe étant manifestement insuffisante à cet égard.
Il s’ensuit que c’est encore manifestement à bon droit que le ministre a retenu que la demande telle que présentée par le demandeur est sans pertinence au regard des conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne faisant état que de craintes purement hypothétiques.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur, dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande d’octroi d’une protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est à rejeter comme étant manifestement infondé.
2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale La soussignée relève qu’elle vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur n’a fait état que de faits sans pertinence avec les conditions d’octroi d’une protection internationale. Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours, la soussignée ne s’est pas vu soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, les craintes avancées par le demandeur ne sauraient manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celui-ci dans son pays d’origine ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit et à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, Le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 novembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre les trois décisions déférées manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande d’octroi du statut conféré par la protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2018, par la soussignée, vice-président président de la première chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20/12/2018 Le Greffier du Tribunal administratif 12