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27/11/2018 | LUXEMBOURG | N°41994

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2018, 41994


Tribunal administratif N° 41994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2018 Audience publique du 27 novembre 2018 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 41994 du rôle et déposée le 22 novembre 2018 au greffe du tribunal administratif p

ar Maître Radia DOUKHI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à ...

Tribunal administratif N° 41994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2018 Audience publique du 27 novembre 2018 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 41994 du rôle et déposée le 22 novembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Radia DOUKHI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon en l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 novembre 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 12 novembre 2018, inscrit sous le numéro 41993, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT entendu en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Radia DOUKHI n’ayant été ni présente, ni représentée, ni excusée.

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Le 24 juillet 2018, Monsieur …, de nationalité tunisienne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, qu’il était entré irrégulièrement sur le territoire italien le 3 juin 2018.

Le même jour, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par courrier du 27 juillet 2018, le ministre sollicita auprès des autorités italiennes la reprise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III.

Par courrier du 3 octobre 2018, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes qu’elles considèrent l’Italie en application des articles 13, paragraphe 1) et 22, paragraphe 7), du règlement Dublin III comme ayant tacitement accepté la reprise en charge de Monsieur … en date du 28 septembre 2018.

Par courrier électronique du 5 octobre 2018, les autorités italiennes donnèrent leur accord pour l’organisation du transfert de l’intéressé.

Le 23 octobre 2018, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur ….

Par décision datée du 12 novembre 2018, le ministre informa Monsieur … que le Grand-

Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 13, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« J’accuse réception de votre demandé en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 24 juillet 2018.

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 13§11 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.

Selon vos déclarations vous auriez quitté la Tunisie le 1er juin 2018 en bateau vers l’Italie.

Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection Internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 3 juin 2018.

Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de prise en charge aux autorités italiennes qui ont accepté tacitement en date du 28 septembre 2018 de vous prendre en charge en vertu de l’article 13§1 du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.

Lors de votre audition en date du 24 juillet 2018, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11, du règlement UE Nr 604/2013 ;

Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois de faire application de l’article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées ;

La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif en application de l’article 35(3) de la loi du 18 décembre 2015. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de 15 jours à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d’aucun appel.

Une procédure de référé en vue de l’obtention d’un sursis à l’exécution ou d’une mesure de sauvegarde peut être introduite auprès du Président du Tribunal administratif par requête signée d’un avocat à la Cour. » Suite à un contrôle de police au cours duquel Monsieur … tenta de prendre lui fuite, le ministre ordonna par arrêté du 21 novembre 2018 son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2018, inscrite sous le numéro 41993 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 12 novembre 2018. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41994 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Italie et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.

Il expose à l’appui de son recours avoir été contraint de fuir son pays dans un contexte de tensions politiques et de corruption alors que sa famille aurait refusé de lui offrir la protection dont il aurait eu besoin.

Après un long et difficile périple, il aurait déposé en date du 24 juillet 2018 une demande de protection internationale, laquelle se serait toutefois vue opposer la décision de transfert vers l’Italie du 12 novembre 2018, motivée par le fait qu’il aurait irrégulièrement franchi la frontière italienne en date du 3 juin 2018.

En date du 28 septembre 2018 l’Italie aurait accepté de prendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte que l’Italie serait l’Etat membre responsable pour examiner sa demande, mais qu’il s’opposerait à la décision de transfert vers l’Italie.

Monsieur … soutient que l’exécution de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de son recours au fond seraient sérieux.

Au titre du préjudice grave et définitif, il relate qu’il serait très probable qu’en cas de transfert en Italie, il se retrouverait à la rue, sans aucune garantie quant à la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires ce qui constituerait une atteinte grave à sa dignité.

En outre, il serait encore exposé à un risque de préjudice grave et définitif en ce sens qu’il n’y aurait aucune garantie que sa demande d’asile soit réexaminée par les autorités italiennes dans le respect de ses droits procéduraux, de sorte qu’il risquerait de ne pas pouvoir faire valoir à suffisance les motifs à l’appui de sa demande, ni accéder le cas échéant aux voies de recours exigées par le droit de l’Union.

Enfin, il affirme qu’en cas de transfert vers l’Italie, pays ayant déjà refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, il serait très certainement éloigné vers la Tunisie et ce en violation de l’article 33 de la Convention de Genève.

Le requérant entend encore se prévaloir devant les juges du fond de l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, en se prévalant de rapports dont il résulterait plus particulièrement l’existence en Italie de conditions d’accueil désastreuses laissant des milliers de demandeurs d’asile à la rue sans accès à de la nourriture, de l’eau et les soins de santé les plus élémentaires ainsi que l’accélération des procédures au détriment du respect des droits fondamentaux des demandeurs d’asile, les personnes ayant été retransférées en Italie en vertu du règlement Dublin III - comme le serait Monsieur … - étant prétendument particulièrement susceptibles de se retrouver à la rue.

Enfin, il relève que les derniers développements politiques en Italie, caractérisés par la montée en puissance des partis populistes d’extrême-droite, dénoteraient une accentuation marquée, rapide et intentionnelle de ces défaillances.

Dès lors, son transfert serait contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par ailleurs, son transfert vers l’Italie aurait également pour effet de violer son droit au non-refoulement protégé par l’article 33, paragraphe 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », le requérant relevant que le nouveau ministre de l’intérieur aurait clairement affiché sa volonté de fermer la porte aux migrants et accuserait les autres Etats membres de l’Union européennes de ne pas prendre leurs responsabilités en la matière. Dans ces conditions, il ne serait plus possible de maintenir la présomption de respect par l’Italie des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale faisant l’objet d’un transfert en vertu du règlement Dublin III.

Monsieur … en conclut que son transfert vers l’Italie l’exposerait à des violations de ses droits fondamentaux tels que protégés par les articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 7 décembre 2000, désignée ci-après par « la Charte », et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH ».

Enfin, il entend s’emparer de l’article 17 du règlement Dublin III pour soutenir que l’Etat luxembourgeois aurait été tenu de faire application de la clause discrétionnaire visé par ladite disposition, alors que le ministre aurait disposé de toutes les informations permettant de conclure que son transfert vers l’Italie entraînerait des violations de ses droits fondamentaux.

Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

Le soussigné relève de prime abord que Maître Radia DOUKHI n’était ni présente, ni représentée, tout en n’ayant pas sollicité l’exoine en conformité avec le règlement intérieur de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg, de sorte à ne pas avoir pris utilement position par rapport aux moyens de défense lui opposés par le délégué du gouvernement.

Il résulte encore de la lecture de la requête introductive d’instance que les prétendus risques liés au transfert en Italie sont uniquement invoqués par le requérant sous forme d’hypothèses, le requérant n’ayant en effet pas allégué que sa demande d’asile aurait été traitée de manière inadéquate par les autorités italiennes ou que les conditions d’accueil dans ce pays auraient été mauvaises, l’Italie étant en l’état présumée respecter la sécurité des demandeurs de protection internationale, en particulier leur droit à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de leur demande, et leur garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, et notamment conforme à la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ainsi qu’à la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

Par ailleurs, tel que relevé par la partie gouvernementale, le tribunal administratif a retenu tout récemment, dans un jugement du 23 novembre 20181 et au vu d’une argumentation, tant factuelle que juridique, identique à celle développée en cause, que si des problèmes ponctuels affectant le système d’accueil en Italie en raison du nombre important de demandeurs de protection internationale seraient certes décelables, il n’apparaîtrait pas que la procédure de demande d’asile soit affectée en Italie par des défaillances systémiques.

Or, le défaut du mandataire du requérant à l’audience n’a pas permis d’éclairer d’une quelconque façon les points litigieux.

La procédure en obtention d’une mesure provisoire étant toutefois une procédure essentiellement orale, la présence du litismandataire ayant introduit la requête en obtention d’une mesure provisoire est indispensable, outre pour reprendre - au moins formellement - ses conclusions à l’audience, afin d’être en mesure de prendre position par rapport aux moyens lui opposés par la partie défenderesse et d’éclaircir, le cas échéant, le juge quant aux questions et problèmes soulevés par ladite requête.

1 Trib.adm. 23 novembre 2018, n° 41742 du rôle.

Le défaut du requérant qui s’abstient de comparaître à l’audience alors qu’il a été appelé à l’instance doit, dans ces circonstances et compte tenu de la présomption de régularité de l’acte administratif déféré, être considéré comme établissant le caractère peu sérieux de ses moyens, voire de son recours.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 novembre 2018 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41994
Date de la décision : 27/11/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-11-27;41994 ?

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