Tribunal administratif N° 41939 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 novembre 2018 Audience publique du 13 novembre 2018 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 41939 du rôle et déposée le 9 novembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Aurore GIGOT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), demeurant à …, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 octobre 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont déclaré irrecevable sa demande de protection internationale et lui ont enjoint de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours, un recours en annulation dirigé contre la prédite décision ministérielle du 12 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41938, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Aurore GIGOT et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 6 septembre 2018, Monsieur …, de nationalité érythréenne, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait précédemment déposé des demandes de protection internationale en Italie, en Allemagne et en Suisse.
Le même jour, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-
après « le règlement Dublin III ».
Les recherches effectuées par les services ministériels auprès des autorités italiennes révélèrent toutefois que l’intéressé bénéficierait d’ores et déjà du statut de la protection internationale en Italie.
Le 3 octobre 2018, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale et ce en vue de déterminer la recevabilité de cette demande.
Par décision du 12 octobre 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », déclara irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … en les termes suivants :
« J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 6 septembre 2018.
En mains les rapports du Service de Police Judiciaire et d’entretien Dublin III de la même date, ainsi que le rapport d’entretien sur la recevabilité de votre demande de protection internationale du 3 octobre 2018.
Il ressort desdits rapports qu’en 2007, vous auriez quitté l’Erythrée en direction de la Libye où vous seriez monté à bord d’un bateau qui vous aurait amené en Italie. Vous auriez ensuite voyagé en Suisse, en Allemagne et en France avant d’arriver au Luxembourg le 3 septembre 2018.
Vous signalez avoir introduit des demandes de protection internationale en Italie en 2008, en Allemagne en 2013 et en 2015 et en Suisse en 2014. Vous auriez obtenu le statut de réfugié en Italie, or, comme vous n’auriez pas reçu d’aides sociales et que vous n’auriez eu ni travail, ni logement, vous auriez décidé de quitter ce pays. A cela s’ajoute que vous souffriez de diabète et que vous n’auriez pas eu accès aux soins en Italie. Ainsi, vous seriez parti en Allemagne et en Suisse dans l’espoir de trouver de « l’aide médicale ». Vous précisez finalement que lors de votre séjour en Italie, les « églises » vous auraient acheté des médicaments dont vous auriez eu besoin et que vous vous seriez adressé à la « Caritas » lorsque vous auriez eu besoins de soins.
Je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif qu’une protection internationale vous a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne.
En effet, il résulte de la télécopie des autorités italiennes du 19 septembre 2018, que celles-ci vous ont accordé une protection internationale et que vous êtes en possession d’un titre de séjour valable jusqu’au 9 février 2019.
Bien que vous vous plaignez de l’absence d’une aide sociale, du fait de ne pas avoir trouvé de travail ou de logement ou que vous n’auriez pas eu accès aux soins, il ne ressort pas des éléments en notre possession que vous auriez à craindre en Italie pour votre vie ou pour votre liberté.
En outre, l’Italie respecte le principe de non refoulement conformément à la convention de Genève et l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Ajoutons à cela que vous prétendiez encore au début de votre entretien que « I had a problem when I was living in Italy. I have diabetes. I did not get a stay permit, I didn’t get support to get my medication », pour avouer par la suite que vous auriez bien possédé un titre de séjour et que vous auriez reçu les médicaments et les soins dont vous auriez eu besoin par le biais des « églises » et de la « Caritas ».
Quoi qu’il en soit, des motifs médicaux, voire des motifs matériels, ne sauraient de toute façon pas fonder votre demande de protection internationale, ni être prise en compte dans le cadre de l’analyse de celle-ci.
Conformément à l’article 34 (2) votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Italie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.
Conformément aux articles 35 (3) et 36 (2) la présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal, administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification de la présenté. Le recours contre la présente décision d’irrecevabilité n’a pas d’effet suspensif.
Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n’interrompt pas les délais de la procédure et que la décision du Tribunal administratif n’est pas susceptible d’appel. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2018, inscrite sous le numéro 41938 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 octobre 2018. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41939 du rôle, il a encore introduit un recours tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon à avoir instaurer une mesure de sauvegarde par rapport à la décision en question jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Le requérant soutient qu’il subira du fait de la décision attaquée par le recours au fond un dommage grave et définitif.
Dans ce contexte, il relève que son transfert en Italie ou tout autre pays entraînerait un préjudice grave et définitif dans son chef, préjudice résultant du fait que son maintien sur le territoire luxembourgeois serait fort compromis et qu’il se verrait contraint en vertu de la décision attaquée de le quitter sans que sa demande de protection internationale ne puisse être examinée.
Il donne encore à considérer qu’il souffrirait de graves problèmes de diabète et de problèmes cardiaques, ayant nécessité son hospitalisation, alors qu’il prétend n’avoir jusqu’à présent pas été correctement pris en charge, et ce ni en Erythrée, ni en Italie, où il n’aurait pas apporté les soins médicaux nécessités. Au Luxembourg en revanche, le suivi médical serait parfaitement adapté, de sorte que son retour entraînerait dans son chef des conséquences indéniables pour son état de santé.
Le requérant estime encore que ses moyens produits à l’appui de son recours au fond seraient sérieux ; dans ce contexte il entend s’emparer de l’article 3 du règlement Dublin III pour se prévaloir de l’existence de défaillances systémiques en Italie, argument qu’il étaye par les problèmes d’accès des réfugiés ou demandeurs d’asile en Italie au logement et aux soins ainsi que par la politique anti-migrants menée par l’actuel gouvernement italien, pour soutenir qu’il aurait appartenu au ministère des Affaires Etrangères et Européennes luxembourgeois de procéder à une analyse permettant de déterminer s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, et de déterminer si ces défaillances systémiques entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, disposant que « nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
A cet égard, le seul moyen du requérant, basé sur l’article 3 du règlement Dublin III, ne paraît pas en l’état actuel du dossier et au terme d’une analyse nécessairement sommaire comme suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
Le soussigné constate à cet égard que la décision déférée du 12 octobre 2018 a été prise sur base de l’article 28, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, lequel prévoit que « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: […] a) Une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne.
[…] », disposition dont les juges du fond retiennent que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre pays membre de l’Union européenne1.
Or, il appert que les autorités italiennes ont adressé le 19 septembre 2018 un courrier portant refus de reprendre en charge la demande de protection internationale du requérant et excluant l’application du règlement Dublin III et ce au motif qu’il bénéficierait déjà en Italie de la protection internationale sous l’alias de …, né le … en Erythrée, et se serait vu accorder en conséquence un permis de séjour valable jusqu’au 9 février 2019, fait non contesté par le requérant.
Il appert dès lors en l’état actuel du dossier que le requérant bénéficie bien d’ores et déjà de la protection internationale en Italie, le requérant n’ayant par ailleurs pas pris position par rapport à la base légale retenue par la décision ministérielle et les conditions y contenues.
Il appert dès lors, au vu de ce état de droit, que le requérant n’est plus habilité à se prévaloir des dispositions du règlement Dublin III, ce règlement, à première vue, au vu de l’article 2 c), ne trouvant à s’appliquer qu’aux personnes ressortissantes de pays tiers ou apatrides ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement, le règlement Dublin III ayant d’ailleurs, a priori, pour objet de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride - c’est-
à-dire par une personne non bénéficiaire de la protection internationale -, le système n’ayant manifestement pas été conçu pour être appliqué à des personnes, comme le requérant, qui ont effectivement le droit de résider dans l’un des Etats membres.
Plus particulièrement, une analyse succincte de l’article 3 Dublin III tel qu’invoqué par le requérant permet encore d’écarter l’application spécifique de cette disposition au provisoire, ladite disposition ne prévoyant à cet égard manifestement qu’une impossibilité de transfert, sous certaines conditions, d’un « demandeur », soit, aux termes de l’article 2 c) du règlement Dublin III « le ressortissant de pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ».
Le requérant n’ayant avancé aucun argument susceptible d’énerver cette conclusion provisoire et qui tendrait à établir, nonobstant le libellé du règlement Dublin III, l’applicabilité de toute ses dispositions, en ce compris la clause dérogation prévue à l’article 3, 2), le seul moyen laisse de convaincre en l’état actuel du dossier.
En tout état de cause, l’invocation de problèmes de santé en tant qu’obstacle au transfert du requérant suite à la décision d’irrecevabilité lui opposée semble relever d’une autre procédure. Dans ce contexte, il ne paraît pas inopportun de relever que les articles 130 et 131 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration prévoient expressément la possibilité pour un étranger qui doit être éloigné du territoire en vertu de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre, de solliciter un sursis à l’éloignement pour raisons médicales et que dans le contexte de pareille demande l’état de 1 Trib. adm. 29 mars 2017, n° 39083.
santé de celui-ci est à apprécier, le tout sur avis motivé du médecin délégué auprès de la Direction de la santé2, sinon de solliciter un report à l’éloignement sur base de l’article 125bis de la même loi, lu conjointement avec l’article 129.
Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle d’un risque de préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 novembre 2018 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 2 Voir en ce sens Cour adm. 17 mai 2018, n° 40890C.