Tribunal administratif N° 41853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 octobre 2018 Audience publique du 26 octobre 2018 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 41853 du rôle et déposée le 23 octobre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, actuellement retenu au Centre de rétention de Findel, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 octobre 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Pologne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 3 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41836, introduit le 18 octobre 2018, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Sarah Moineaux, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 octobre 2018.
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Le 27 août 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent de la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile notifia encore à l’intéressé un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg pour une durée de trois mois.
Le même jour, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-
après « le règlement Dublin III ».
Par une décision du 3 octobre 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et à celles des articles 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 27 août 2018.
En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 12§4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Pologne qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d'origine, l'Érythrée en date du 3 octobre 2015. Vous seriez parti en Éthiopie, puis parti au Soudan pour ensuite prendre un avion pour arriver en Arabie saoudite. Finalement vous auriez pris l'avion pour vous rendre à Paris.
ll résulte par ailleurs des recherches effectuées dans la base de données AE.VIS, que la Pologne vous a délivré un visa valable du 19 juin 2018 au 19 août 2018, vous ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre ;
Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de prise en charge aux autorités polonaises qui ont accepté en date du 7 septembre 2018 de vous prendre en charge en vertu de l'article 12§4 du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
Lors de votre audition en date du 28 août 2018, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013 ;
Vous n'avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l'Etat luxembourgeois de faire application de l'article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités polonaises n'ont pas été constatées ;[…]» Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2018, inscrite sous le numéro 41836 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 3 octobre 2018. Par requête déposée en date du 23 octobre 2018, inscrite sous le numéro 41853 du rôle, Monsieur … a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la Pologne jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
A l’appui de sa requête, le requérant expose avoir dû quitter son pays d'origine notamment pour fuir le service national obligatoire à durée indéterminée et indéfinie imposé par un régime dictatorial. Après avoir transité par l'Éthiopie, le Soudan et l’Arabie Saoudite, il serait entré sur le territoire de l'Union européenne grâce à un visa valable du 19 juin au 19 août 2018 lui délivré le 13 juin 2018 par les autorités consulaires polonaises, représentées en Arabie Saoudite. Arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en août 2018, il aurait retrouvé sa jeune sœur laquelle se serait vue reconnaître le statut de réfugié au Luxembourg en 2017.
Après avoir retracé les faits et rétroactes décrits ci-avant, le requérant expose qu'il se dégagerait de la lecture de son recours en annulation que exécution de la décision ministérielle de transfert vers la Pologne aurait pour conséquence, d’une part, que sa demande de protection internationale ferait l'objet d'un examen vicié par des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs en Pologne, ce qui aurait pour conséquence dans son chef un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (La Charte) et de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), et d'autre part, qu'il serait soumis au risque d’un refoulement vers son pays d'origine où il ferait l'objet de nouvelles persécutions et cela en violation du principe du non-refoulement consacré par la Convention de Genève, et cela en violation des articles 2 et 3 de la CEDH, de sorte qu’il risquerait de faire l'objet d'un refoulement indirect. La décision violerait encore son droit à une vie privée et familiale conformément à l'article 8 de la CEDH qu’il ne serait pas respecté par les autorités luxembourgeoises.
Les moyens invoqués par lui à l’appui du recours au fond, auxquels il renvoie seraient partant à considérer comme étant sérieux.
Quant au risque d’un préjudice grave et définitif, le demandeur fait valoir que le transfert vers la Pologne aurait pour conséquence d'engendrer une série de préjudices graves et définitifs, à savoir que sa demande de protection internationale fera l'objet d'un examen vicié par des défaillances systémiques risquant d'entraîner une décision définitive de rejet de sa demande, laquelle aurait pour conséquence d'entraîner son refoulement vers son pays d'origine où il subirait de nouvelles persécutions.
A l'appui de son recours au fond, le requérant fait état de l'existence de défaillances systémiques en Pologne au sens de l'article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III entraînant un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.
A cet égard, il souligne qu'en cas de transfert vers la Pologne, son placement en détention à son arrivée serait hautement probable voire certain, en se référant à un rapport du Asylum Information Database sur la Pologne (AIDA) intitulé « country report Poland 2017, update février 2018 ».
Par rapport aux extraits cités par lui, il donne à considérer que si des personnes vulnérables atteintes de post traumatic stress disorder sont placées en détention suite à l'exécution de leur transfert vers la Pologne, la probabilité que lui-même soit placé en détention lors de son arrivée en Pologne serait d'autant plus élevée.
S’y ajouterait qu'il serait plus que probable qu'il serait contraint d'introduire sa demande de protection internationale en Pologne, alors qu'il se trouverait en détention où il serait placé dès son arrivée sur le territoire polonais, ce placement en détention pouvant être prolongé jusqu'à 90 jours, voire six mois, durée pendant laquelle il serait confronté aux conditions des lieux de détention difficiles, le demandeur se référant à cet égard au même rapport de l’AIDA.
Il estime que, par ailleurs, il n'aurait pas accès à une assistance juridique, par référence au même rapport. Il se dégagerait des citations de sources invoquées par lui, qu'il ne serait pas en mesure d'entreprendre la décision ordonnant son placement en détention avec l'assistance d'un professionnel du droit et que dès lors il ne serait pas en mesure d'exercer les recours de manière effective. Il en serait de même dans l'hypothèse où les autorités polonaises lui notifieraient une décision de rejet de sa demande.
Le requérant s’empare ensuite du contexte politique polonais actuel, en se référant à un article paru dans le Monde, tout en soulignant que la Pologne se serait démarquée des autres Etats membres en refusant de respecter et d'appliquer le programme de relocalisation et de réinstallation des demandeurs de protection internationale initié par la Commission européenne. Il cite, par ailleurs, des positions de la Pologne depuis l'arrivée au pouvoir du parti conservateur droit et justice. Il estime qu’au regard des sources invoquées par lui, il serait très probable qu'en cas d’exécution de son transfert vers la Pologne, il soit définitivement débouté de sa demande de protection internationale et fasse l'objet d'un ordre de quitter le territoire polonais suivi d'un renvoi forcé vers l'Érythrée, pays dans lequel il aurait d'ores et déjà été persécuté et où en cas de retour, il serait soumis à de nouvelles persécutions, à la torture, à un emprisonnement illégal et disproportionné dans des conditions atroces, à des travaux forcés et à un enrôlement dans le service national indéfini.
D'autre part, le requérant invoque l'article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et reproche au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire y inscrite, tout en citant l'article 4, paragraphe (1) du même règlement. Il fait valoir que dans la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, les autorités devraient tenir compte de la présence sur le territoire non seulement de membres de famille d'un demandeur, mais également de proches ou de tout autre parent, les clauses discrétionnaires permettant à un Etat de décider d'examiner une demandes pour laquelle il n'est pas responsable afin de permettre à des membres d'une famille élargie d'être ensemble, l'objectif du règlement de ne pas séparer des parents et des proches résultant également des travaux préparatoires audit règlement.
Le requérant souligne que lors de son entretien Dublin III, il aurait expliqué à plusieurs reprises s'être rendu au Luxembourg où il aurait décidé d'introduire sa demande de protection internationale pour être à côté de sa jeune sœur qui s'est vue accorder le statut de réfugié par les autorités nationales en 2017, de sorte qu'il aurait appartenu au ministre de faire application de l'article 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III.
En tout état de cause, la décision litigieuse et le refus d'examiner sa demande sur le fondement d'une des clauses discrétionnaires prévues à l'article 17 du règlement Dublin III violerait le principe de proportionnalité, le demandeur se référant à un arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2016. Il souligne qu'il ne se serait jamais rendu en Pologne et ne souhaiterait pas y introduire une demande de protection internationale, puisqu’il voudrait rester aux côtés de sa jeune sœur.
Le refus du ministre de faire application de ladite clause discrétionnaire serait non seulement disproportionné mais serait encore contraire à l'article 8 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, après avoir estimé que la requête introductive serait très sommaire, sans toutefois en tirer un moyen en droit, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
S’agissant de prime abord de la forme de la requête introductive telle que critiquée par le délégué du gouvernement, à supposer que celui-ci ait entendu soulever l’exception de libellé obscur, la soussignée relève de prime abord que les termes de celle-ci sont suffisants au regard des exigences de la loi, le requérant ayant fait état des deux conditions d’une demande en obtention d’une mesure de sauvegarde, à savoir l’existence d’un préjudice grave et définitif et l’existence de moyens sérieux qui ont été amplement développés dans le recours au fond annexé à la requête en institution d’une mesure de sauvegarde.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété par le président du tribunal administratif qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Quant à la question de savoir si l’affaire au fond est en état d’être plaidée à brève échéance, il échet de constater qu’en l’espèce, l’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 18 octobre 2018, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 endéans les deux mois de l’introduction de la requête et est d’ailleurs fixée pour plaidoiries à l’audience publique du 5 décembre 2018, de sorte qu’elle devrait a priori être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance, le requérant n’ayant fourni aucun élément susceptible d’énerver cette première conclusion.
Toutefois le transfert de l’intéressé étant susceptible d’être exécuté dès à présent, l’échéance du 5 décembre 2018 doit être considérée comme tardive compte tenu des circonstances particulières.
Au-delà de cette première conclusion, la soussignée constate qu’en l’espèce, la décision litigieuse a été prise par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, au motif que le Luxembourg ne serait pas compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par le requérant, mais la Pologne, Etat dans lequel le requérant disposait d’un visa, la Pologne ayant en outre accepté en date du 7 septembre 2018 la prise en charge du requérant. Ladite décision a a priori un double objet, conformément à la disposition, précitée, à savoir celle, d’une part, de transférer les personnes concernées vers l’Etat membre compétent, et, d’autre part, de ne pas examiner leur demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.
Au regard des moyens développés dans le cadre de la requête en institution d’une mesure de sauvegarde, ensemble avec les moyens exposés dans le cadre du recours au fond auxquels le requérant a renvoyé, la soussignée arrive à la conclusion que le demandeur, - qui situe son préjudice grave et définitif dans les conditions de traitement de sa demande de protection internationale en Pologne, le demandeur faisant état d’un risque de subir à son arrivée une détention excessivement longue contre laquelle il ne pourrait introduire de recours à défaut de l’assistance assurée d’un avocat, d’une forte probabilité d’une décision de refus au regard des positions affichées par le gouvernement polonais par rapport à des demandeurs de protection internationale provenant de pays africains, décision contre laquelle il ne pourrait pas se défendre à défaut de l’assistance assurée d’un avocat, dans le risque d’un refoulement vers son pays d’origine dans lequel il risquerait des traitements inhumains et dégradants, et enfin, dans le fait d’être séparé de sa sœur -, reste toutefois à ce stade en défaut de prouver en quoi la décision d’incompétence, respectivement de transfert, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif. La preuve de la gravité du préjudice implique, en effet, en principe que le demandeur donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice1 : en effet, le risque de préjudice grave et définitif s’apprécie in concreto et il incombe au demandeur d’en rapporter la preuve2. A cet égard, il convient de souligner qu’en la présente matière la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif est étroitement liée à celle du caractère sérieux des moyens avancés au fond, étant relevé que le juge du provisoire ne peut avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête.
En ce qui concerne le risque d’un préjudice grave résultant du transfert de l’intéressé vers la Pologne, il convient de relever que, d’une manière générale et à défaut de circonstances particulières, un tel risque n’existe a priori pas en présence d’un transfert vers un Etat membre.
En effet, la jurisprudence des juges du fond relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4 5.
Il n’appert pas que la Pologne refuse de traiter la demande de protection internationale du demandeur, ledit pays ayant expressément accepté, tel que relevé ci-avant, de prendre en charge cette demande.
1 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820.
2 Trib. adm. (prés.) 25 février 2011, n° 27932.
3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
4 Ibidem, point. 79.
5 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.
Le requérant n’ayant pas été physiquement en Pologne, il ne peut forcément pas faire état d’un événement spécifique et concret qu’il aurait personnellement vécu en Pologne qui permettrait de soutenir sa thèse suivant laquelle il y risquerait des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, celui-ci n’ayant d’ailleurs pas non plus fait état de telles difficultés potentielles lors de son entretien, mais ayant uniquement déclaré ne pas vouloir aller en Pologne puisque sa sœur se trouverait au Luxembourg.
Par ailleurs, le demandeur fonde sa thèse essentiellement sur des extraits cités du rapport AIDA, précité, qui certes fait état de cas de détentions inadaptées de demandeurs de protection internationale atteints d’un post traumatic stress disorder, de l’équipement d’agents à la frontière avec des armes électriques, de difficultés d’accès à internet et à l’assistance psychologique, de conditions sanitaires inadaptés dans un centre de rétention, et de manque de ressources au niveau de l’assistance juridique. Il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée, - étant relevé qu’il appartient au requérant sollicitant du juge du provisoire une mesure de sauvegarde de lui soumettre les éléments concrets pertinents pour soutenir son argumentation et plus particulièrement, s’agissant de rapports, de relever les passages qu’il juge pertinents à cet égard -, que de manière automatique et systématique les demandeurs de protection internationale transférés en Pologne sur base du règlement Dublin III soient détenus ou qu’ils le soient sur des périodes prolongées, que la Pologne n’examine pas les demandes plus particulièrement de demandeurs provenant de pays africains de façon objective et impartiale, qu’ils soient automatiquement victimes de mauvais traitements du seul fait du statut de demandeur d’asile, respectivement n’ont pas accès de façon automatique et systématique à l’assistance juridique et à des voies de recours, le seul constat que certaines insuffisances ont été constatés dans certains centres ne permettant pas d’en déduire de manière généralisée des défaillances systémiques. De manière plus générale, les éléments à la disposition de la soussignée ne permettent pas de retenir que la gestion de la procédure d’asile en Pologne et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale ont des déficiences structurelles exposant ceux-ci à des traitements inhumains et dégradants. Par ailleurs, le requérant n’a pas non plus fait état de rapports interdisant ou recommandant l’arrêt de transferts vers la Pologne.
Pour le surplus, si actuellement l’adoption de réformes relatives au pouvoir judiciaire polonais est notoire, de même que les mises en garde émanant de l’Union européenne, qui y voit une menace pour l’Etat de droit en Pologne, essentiellement par l’atteinte à l’indépendance des magistrats que ces réformes comportent, le caractère très récent de l’adoption de ces réformes critiquées par les autres Etats membres, ne permet pas à la soussigné d’apprécier la portée exacte, concrète et actuelle desdites réformes sur l’effectivité des procédures d’asile en Pologne.
Dans ces conditions, la soussignée est amenée à retenir qu’à ce stade du dossier, les craintes avancées par le demandeur d’être victime de traitements inhumains et dégradants dans le cadre du traitement de sa demande de protection internationale en Pologne ne sont que purement hypothétiques.
En ce qui concerne un éventuel risque d’une expulsion en cascade, la soussignée relève que l’acte entrepris n’implique pas un retour au pays d’origine mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande d’asile, respectivement de ses suites, soit en l’espèce la Pologne, ce pays ayant, comme relevé ci-
dessus, reconnu sa compétence pour prendre en charge l’intéressé, point n’étant d’ailleurs pas contesté.
Or, un sursis à exécution, respectivement une mesure de sauvegarde, ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué6, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours7 : or, il appert en l’espèce que la situation de fait critiquée par le requérant se situe, à côté des conditions d’accueil en Pologne, dans son éloignement redouté vers l’Erythrée, retour qui, comme relevé ci-avant, ne fait pas l’objet de la décision présentement déférée, laquelle ne porte que sur le transfert du requérant vers la Pologne, pays responsable du traitement de sa demande de protection internationale.
Il est toutefois vrai qu’il ressort, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 CEDH, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable8.
Toutefois un tel risque n’est actuellement pas concrètement étayé.
En effet, en l’état actuel du dossier, aucun élément n’a par ailleurs été communiqué à la soussignée lui permettant de retenir qu’il existerait en Pologne des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne : en effet, ce pays est signataire de cette Charte, de la CEDH, de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, en applique les dispositions.
Tel que retenu ci-avant, le requérant n’a pas non plus apporté la preuve que personnellement et concrètement ses droits n’auraient pas été respectés ou ne seraient pas garantis en Pologne, que les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Pologne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Pologne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.
Enfin, le requérant n’a encore fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait donc à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle où sa liberté seraient sérieusement menacées, ou encore qu’il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays, sans avoir pu faire valoir ses droits.
6 J.-P. Lagasse, Le référé administratif, 1992, n° 46, p.60.
7 Ph. Coenraets, Le contentieux de la suspension devant le Conseil d’Etat, synthèses de jurisprudence, 1998, n° 92, p.41.
8 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
Enfin, si par impossible les autorités polonaises devaient néanmoins décider de rapatrier le requérant, au bout de la procédure de demande d’asile à suivre en Pologne, en violation des articles 3 et 33 CEDH, à supposer que le requérant soit effectivement exposé à un risque concret et grave en cas de retour en Erythrée, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates9 ; sinon il pourrait, tous recours épuisés, encore saisir la Cour européenne des droits de l’Homme et lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités polonaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Il convient enfin de rappeler que le règlement Dublin III ne permet pas à un demandeur d’asile individuel de choisir lui-même par quel pays il souhaite voir traiter sa demande d’asile, le but poursuivi par le règlement Dublin III étant précisément de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants10 11 : les conséquences d’une application a priori régulière du règlement Dublin III ne sauraient être considérées à elles seules comme justifiant l’instauration d’une mesure provisoire.
D’autre part, le fait que le demandeur ne puisse pas voir examinée sa demande de protection internationale au Luxembourg, où se trouve sa sœur, de laquelle il était séparé au moins depuis 2015 lorsqu’il a quitté son pays d’origine, sa sœur, quant à elle, ayant vécu suivant ses déclarations depuis 3 ans au Luxembourg, la soussignée est amené à retenir qu’en l’espèce, le fait d’être séparé de sa sœur durant la procédure d’examen de sa demande de protection internationale, n’implique pas un préjudice grave et définitif.
Etant donné qu’il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner le sérieux des moyens présentés au fond, cet examen devenant surabondant.
Le recours sous examen encourt dès lors le rejet.
Par ces motifs, la soussignée, vice-président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais.
9 Voir article 26 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
10 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point. 79.
11 Trib. adm. 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 octobre 2018 par Annick Braun, vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 octobre 2018 Le greffier du tribunal administratif 10