Tribunal administratif N° 41745 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2018 Audience publique du 25 octobre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41745 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 septembre 2018 par Maître Katrin Djaber, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 septembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Katrin Djaber et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul Reiter en leurs plaidoiries à l’audience publique du 15 octobre 2018.
Le 21 mars 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Les 1er décembre 2017, 20 juin, 4 et 9 juillet 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 7 septembre 2018, notifiée à l’intéressé le 12 septembre 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « (…) Vous auriez quitté votre pays d'origine en 2009 parce que, depuis l'âge de treize ans, vous y auriez eu des problèmes à cause de votre orientation sexuelle. Ainsi votre famille n'aurait pas accepté que vous auriez eu des relations sexuelles avec des « amis » (page 17 du rapport d'entretien). Quand votre famille vous aurait surpris à la maison avec « 3 amis garçons et 2 filles » (page 10 du rapport d'entretien) à moitié habillés, elle aurait appelé « un policier de la famille » (page 9 du rapport d'entretien) qui vous aurait frappé dans votre maison familiale et vous aurait amené au poste de police. Votre famille aurait « déposé plainte contre moi chez la police en disant que je suis une personne anormale et que je suis un homosexuel » (p.4 du rapport d'entretien). Entre l'âge de 14 et 16 ans, vous auriez été frappé à trois reprises par des policiers au poste de police en raison de votre orientation sexuelle.
Vous déclarez que vous n'auriez jamais eu de relation amoureuse avec un homme (page 16 du rapport d'entretien), et que depuis votre arrivée au Luxembourg, vous seriez en couple avec une fille.
Vous ajoutez plus tard lors de l'entretien que vous auriez eu des problèmes avec votre famille depuis votre naissance. Il y aurait eu des disputes en permanence et vous auriez « toujours [été] victime quand mon père s'énervait » (p.5 du rapport d'entretien). Votre famille vous aurait frappé et jeté à plusieurs reprises de la maison familiale, en vous disant « Vas faire ta vie sans nous » (p.5 du rapport d'entretien). Or, vous seriez régulièrement retourné auprès de vos parents puisqu' « il y avait des périodes où cela allait bien mais il y avait aussi des périodes où cela n'allait pas bien » (p.5 du rapport d'entretien). En 2009, vous auriez décidé de quitter le foyer familial définitivement.
Selon vos déclarations vous auriez vécu dans la pauvreté en Tunisie (page 17 du rapport d'entretien) et vous n'auriez pas trouvé de travail stable. Ainsi il ressort du rapport de police du 21 mars 2017 que vous auriez quitté la Tunisie pour améliorer vos conditions de vie.
Un an et demi après votre départ, vous auriez entendu de la part d'une personne de votre quartier que vous seriez recherché en Tunisie, sans pour autant en connaître avec certitude la raison.
Vous déclarez que vous auriez vécu pendant trois ans en France, trois ans en Belgique et quelques mois en Italie. En 2015, vous auriez été rapatrié par les autorités françaises en Algérie parce que vous leur aviez présenté une fausse pièce d'identité vous identifiant comme citoyen algérien. Après avoir passé six mois en prison en Algérie, vous seriez retourné en France.
Vous ne présentez aucun document d'identité. Une copie de votre passeport tunisien nous a été transmise par les autorités françaises. (…) ». Le ministre, après avoir mis en doute la crédibilité des déclarations de Monsieur …, l’informa qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a), c) et d) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 7 septembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître des recours en réformation dirigés contre les décisions du ministre du 7 septembre 2018, telles que déférées.
Lesdits recours ayant encore été introduits dans les formes et délai de la loi, ils sont à déclarer recevables.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique être de nationalité tunisienne et ne pas avoir pu rester dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle, qui n’aurait été acceptée ni par sa famille ni par la police. Il affirme avoir été frappé par des membres de sa famille et jeté hors du domicile familial. Ces derniers auraient également porté plainte contre lui, suite à laquelle la police l’aurait arrêté, menacé et battu. Il aurait quitté la Tunisie en 2009 par crainte d’être persécuté et puni du fait de ses préférences sexuelles.
Quant au fond et à l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche au ministre d’avoir erronément appliqué les points a), c) et d) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015. En ce qui concerne le point c), il fait d’abord valoir qu’il aurait répondu honnêtement et ouvertement aux questions de l’agent du ministère chargé de son audition. Il aurait ainsi expliqué que ses documents d’identité seraient chez un ami en Tunisie et que son passeport, obtenu en Belgique, aurait été déchiré par son frère. Il n’aurait pas dit la vérité la première fois en raison de son anxiété. Quant au point d), Monsieur … estime que le ministre aurait erronément interprété son récit et ne donnerait pas les raisons pour lesquelles il aurait tenté ostentatoirement de dissimuler son identité. Enfin, concernant le point a), le demandeur considère que les faits l’ayant poussé à quitter la Tunisie entreraient dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève » et de la loi du 18 décembre 2015 et reproche au ministre de ne pas avoir correctement évalué sa situation. En outre, son comportement au sein du foyer qui l’hébergerait au Luxembourg ne serait pas pertinent pour motiver la décision de lui refuser la protection internationale, mais démontrerait plutôt une crainte et une insécurité dans son chef. Il affirme que dans son pays d'origine, il aurait été frappé, enfermé dans sa maison, menacé, et persécuté en raison de son orientation sexuelle, ce qui aurait eu comme conséquence de vivre dans un stress insupportable qui rejaillirait sur son comportement actuel.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur affirme que le ministre aurait fait une interprétation erronée des faits. Il estime remplir les conditions de l’article 2, point f), de la loi du 18 décembre 2015. Il résulterait, en effet, de ses déclarations qu’il subirait des persécutions en Tunisie en raison de son homosexualité. Il serait de ce fait à la merci de ses agresseurs, contre lesquels la police et le gouvernement seraient incapables de lui accorder une protection. Il reproche au ministre d’avoir remis en cause ses explications relatives à la réalité de son orientation sexuelle et cite un extrait de son rapport d’audition dans lequel il explique être homosexuel pour conclure que les doutes de l’autorité ministérielle à cet égard ne seraient pas fondés. Il donne à considérer que, depuis 2013, le code pénal tunisien sanctionnerait « la sodomie entre adultes consentants » et verse un article du site « www.nawaat.org » du 2 décembre 2011 intitulé « L’homosexualité en Tunisie, si on parlait ? », qui relaterait des difficultés des homosexuels dans ledit pays. Quant à la protection subsidiaire, Monsieur … estime que les faits relatés entreraient également dans le champ d’application de l’article 48 et qu’il remplirait les conditions visées à l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.
Finalement, le demandeur fait valoir dans le cadre du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, qu’en raison du caractère indissociable de la décision lui refusant la protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire, la réformation de la première entraînerait automatiquement la réformation du second, de sorte que l’exécution de l’ordre de quitter le territoire constituerait une violation de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance les motifs de refus à la base des décisions déférées. Il précise, quant aux points c) et d) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, que Monsieur … aurait utilisé le nom d’… en France, de nationalité algérienne, en vue d’éviter un rapatriement en Tunisie. Il aurait dès lors sciemment dissimulé son identité. De plus, ce dernier aurait affirmé à deux reprises avoir perdu son passeport et serait revenu sur ses déclarations en affirmant, lors de son audition devant un agent du ministère dans le cadre de sa demande de protection internationale, que son frère l’aurait déchiré, ce qui amènerait la partie étatique à douter de son identité et, en conséquence, de la véracité de l’ensemble de son récit. La partie étatique réitère les développements ministériels sur l’opportunité de la demande de protection internationale de Monsieur …, dans la mesure où il aurait eu un comportement inapproprié dans le foyer dans lequel il est hébergé, que sa demande aurait été implicitement retirée par décision du 7 mai 2018 suite à l’absence de ce dernier à trois entretiens sans excuse valable. Elle ajoute qu’il existerait des contradictions et des incohérences, notamment sur l’orientation sexuelle du demandeur, et qu’en outre, les faits dont il se prévaudrait auraient eu lieu entre 2005 et 2009 et seraient de ce fait trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale en 2017. Le délégué du gouvernement relève encore que le demandeur serait entré en contact avec les autorités tunisiennes pour obtenir son passeport, ce qui ne serait pas compatible avec une crainte de persécution. Il conclut qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, le ministre aurait eu raison de douter de la véracité du récit de Monsieur … et de lui refuser la protection internationale.
Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), c) et d) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui disposent que « (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou (…) c) le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable ; ou d) il est probable que, de mauvaise foi, le demandeur a procédé à la destruction ou s’est défait d’un document d’identité ou de voyage qui aurait aidé à établir son identité ou sa nationalité ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a), c) et d) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande de protection internationale sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande ou si le demandeur induit les autorités en erreur sur son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indication ou des faux documents, ou s’il est probable que le demandeur a procédé de mauvaise foi à la destruction ou à l’abandon d’un document d’identité ou de voyage qui aurait pu établir son identité ou sa nationalité.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne plus particulièrement le point d) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, il ressort des propres déclarations du demandeur qu’il a utilisé une fausse pièce d’identité auprès des autorités françaises et s’est fait passer pour Monsieur …, de nationalité algérienne. Or, un tel comportement conduit à émettre des doutes quant à la réalité de son identité actuelle. Il ressort en outre de la fiche de données personnelles que Monsieur … a remplie le 21 mars 2017 lors du dépôt de sa demande de protection internationale qu’il aurait perdu son passeport - le seul document d’identité qui aurait été en sa possession en Europe -, information qu’il a réitérée le même jour devant les agents de la police des étrangers et des jeux en affirmant l’avoir perdu en Belgique. Cependant, il a ensuite déclaré devant l’agent du ministère que son frère l’aurait déchiré lors d’une dispute en avouant, sur question de l’agent, avoir menti de peur que sa demande de protection internationale ne soit pas enregistrée, semant ainsi le doute sur la version à retenir, doutes qu’il ne parvient pas à dissiper dans sa requête introductive d’instance. En effet, le demandeur se limite à indiquer qu’il ne comprend pas les raisons pour lesquelles le ministre aurait estimé qu’il aurait tenté ostentatoirement de dissimuler son identité. Dès lors, la soussignée est amenée à constater que l’argumentation incohérente et très concise du demandeur concernant le point d) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 ne remet pas en cause les conclusions du ministre selon lesquelles il est probable que Monsieur … a, de mauvaise foi, procédé à la destruction ou à l’abandon de son passeport.
Le moyen du demandeur quant au point d) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 est à rejeter pour être non fondé.
Par voie de conséquence, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, est à déclarer manifestement infondé, dans la mesure où il est probable que le demandeur ait, de mauvaise foi, procédé à la destruction ou s’est défait de son passeport, document qui aurait pu aider à établir son identité et sa nationalité réelles, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27 (1) points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de refus de protection internationale En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-
avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Indépendamment de la question ayant trait à la crédibilité générale du récit de Monsieur …, il ressort de ses déclarations qu’il craint un retour en Tunisie en raison de son homosexualité et du fait qu’il y serait recherché.
Ces craintes s’avèrent pourtant être hypothétiques et ne sont basées sur aucun élément concret du dossier.
En effet, en ce qui concerne tout d’abord le fait qu’il soit recherché en Tunisie, Monsieur … a affirmé lors de son audition qu’un cousin paternel lui aurait dit qu’il serait recherché depuis « un an et demi après [son] départ de la Tunisie »3 et que ce fait aurait été confirmé en 2011 par un ami qui connaîtrait une personne travaillant « au tribunal » en tant que coursier, mais qui aurait refusé de lui donner les raisons pour lesquelles il serait recherché. Le fait qu’il soit recherché par les autorités tunisiennes depuis 2011 aurait été de nouveau confirmé en 2018 par un dénommé … qui aurait « entendu » qu’il était recherché.
Or, il ressort de ces déclarations que les craintes de Monsieur … d’être recherché par les autorités tunisiennes ne sont basées que sur des ouï-dire, qui ne reposent sur aucun élément concret ou explication plausible de la part du demandeur, de sorte que ses craintes d’être emprisonné par lesdites autorités à son retour n’ont aucun fondement. Cette conclusion est encore corroborée par le fait que les autorités tunisiennes n’ont pas vu d’inconvénient à délivrer en 2011 un passeport au demandeur, lorsqu’il se trouvait en Belgique.
En ce qui concerne ensuite le fait de subir des persécutions en raison de son homosexualité, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas ».
Si les faits subis par Monsieur … avant son départ sont suffisamment graves pour entrer a priori dans le champ d’application du prédit article 37 (4), la soussignée est néanmoins amenée à constater, en premier lieu, que le demandeur reste en défaut de démontrer qu’à l’heure actuelle, il risquerait de subir une peine pénale en cas de retour en Tunisie, le fait qu’il ait pu obtenir un passeport en 2011 de la part des autorités tunisiennes réfutant l’existence d’une quelconque poursuite ou de recherche à son encontre et confirme cette analyse. En deuxième lieu, un seul article de presse datant de 2011 et ne relatant dès lors pas forcément la situation actuelle en Tunisie n’est pas suffisant pour justifier l’existence de craintes de persécutions ou d’atteintes graves actuelles en raison de son homosexualité, d’autant plus que ledit article démontre une certaine amélioration concernant cette question, dans la mesure où, même s’il dénonce la difficulté d’être homosexuel en Tunisie, il fait état de lieux de rencontre homosexuelle qui seraient multiples et du fait de pouvoir s’afficher 3 Page 11 du rapport d'audition.
publiquement dans la rue. Cette amélioration se trouve confirmée par les différentes sources auxquelles la partie étatique renvoie - qui n’ont pas été autrement contestées par le demandeur - et selon lesquelles (i) un magazine dédié aux problèmes des homosexuels en Tunisie aurait été lancé en mars 2011, (ii) en mars 2015, une manifestation d’homosexuels tunisiens aurait été organisée par l’association « LGBT », et (iii) les activistes en faveur des droits des homosexuels auraient confirmé que la question de l’homosexualité aurait pris une place de plus en plus importante dans la société tunisienne, les discussions à ce propos étant devenues publiques et reprises dans les médias, notamment sur une radio orientée sur cette thématique, qui serait diffusée en Tunisie. En troisième lieu, si le demandeur a subi l’hostilité et les violences de sa famille dans son pays d'origine et qu’il a pu se sentir obligé, en tant que mineur à l’époque, de supporter ledit comportement des membres de sa famille à son égard, il ne peut plus, actuellement et près de huit ans après ces incidents, se prévaloir de sa vulnérabilité, étant donné qu’il est à présent âgé de 27 ans.
Enfin, le fait que Monsieur … n’a déposé une demande de protection internationale que près de huit ans après avoir quitté son pays d’origine est de nature à mettre en cause la motivation à la base de sa demande de protection internationale, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée ou craignant sérieusement de subir des actes de persécution en cas de retour dans son pays d’origine, qu’elle dépose une demande de protection internationale dès qu’elle a l’occasion de le faire.
Dans la mesure où le ministre a démontré qu’il existait de bonnes raisons de penser que les actes subis par Monsieur … ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d'origine, les craintes de ce dernier de subir des traitements similaires en raison de son homosexualité et du fait qu’il serait recherché par les autorités ne sont pas fondées.
Par ailleurs, le fait que Monsieur … ait fait l’objet d’agressions par les policiers de son quartier, qui lui auraient notamment jeté un cendrier au visage entrainant une entaille, qui lui auraient tondu la tête en raison de la coloration que ce dernier aurait fait, et qui l’auraient menacé de mort, si ces actes sont certes condamnables, ils ne permettent cependant pas de retenir l’existence d’un défaut de protection dans le chef des autorités tunisiennes prises dans leur ensemble.
Il échet, en effet, de rappeler qu’il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut.4 Une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et d’actes de violence, communément la forme d’une plainte.
Force est de relever, à cet égard, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient 4 …, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
En l’espèce, le demandeur affirme avoir tenté de requérir une protection auprès des policiers de son quartier, qui l’auraient battu à cette occasion, puis déclare par la suite ne pas avoir porté plainte car il aurait été jeune à l’époque des faits et qu’il aurait eu peur.
Même à considérer qu’il aurait effectivement tenté de porter plainte, il ressort de ses déclarations que les policiers l’ayant maltraité seraient les mêmes, à savoir trois policiers qui travaillaient dans le quartier où il habitait5, et que l’autre policier serait un membre de sa famille. Il lui aurait dès lors appartenu de s’adresser à un autre bureau de police, voire aux supérieurs hiérarchiques des policiers concernés ou encore à une autre institution étatique, comme la sûreté nationale ou la garde nationale, tel que le relève la partie étatique.
Il ne ressort cependant pas des déclarations du demandeur qu’il ait tenté de s’adresser à ces institutions, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le demandeur n’a pas activement recherché une protection auprès des autorités tunisiennes.
A cet égard, l’allégation de corruption des policiers qui est simplement insinuée par le demandeur et qui ne se base que sur une simple hypothèse sans s’appuyer sur le moindre élément concret de son propre vécu, n’est pas suffisante pour expliquer le défaut du demandeur de rechercher activement une protection auprès des autorités tunisiennes.
Force est donc à la soussignée de constater que les craintes du demandeur de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays d'origine ne sont pas fondées, qu’il ne lui soumet aucune bonne raison de penser qu’il pourrait de nouveau y faire l’objet des actes subis avant son départ et qu’il ne prouve pas non plus que les autorités tunisiennes ne pourraient ou ne voudraient pas lui fournir une protection.
Les faits avancés par le demandeur ne sauraient dès lors manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à déclarer comme étant manifestement infondé et que Monsieur … est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
5 Page 9 du rapport d’audition.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 7 septembre 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 2018 par la soussignée, Françoise Eberhard, vice-président du tribunal administratif, présidant la deuxième chambre, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 octobre 2018 Le greffier assume du tribunal administratif 11