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23/10/2018 | LUXEMBOURG | N°41833

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 octobre 2018, 41833


Tribunal administratif N° 41833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2018 Audience publique du 23 octobre 2018 Requête en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 41833 du rôle et déposée le 18 octobre 2018 au greffe du tribunal administratif pa

r Maître Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocat...

Tribunal administratif N° 41833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2018 Audience publique du 23 octobre 2018 Requête en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 41833 du rôle et déposée le 18 octobre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 octobre 2018 de le transférer vers l’Autriche, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la prédite décision ministérielle du 5 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41832 du rôle, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Maître Françoise NSAN NWET et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2018.

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Le 25 septembre 2018, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-

après « le règlement Dublin III ». Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Autriche en date des 22 février 2015 et 8 juin 2017 et en France en date des 7 novembre 2017 et 3 juillet 2018.

Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile lui notifia un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par décision du 5 octobre 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Autriche, sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et à celles de l’article 18, paragraphe 1 d), du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2018, inscrite sous le numéro 41832 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 5 octobre 2018. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41833 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure de sauvegarde, consistant à lui accorder l’autorisation de se maintenir au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.

Le requérant soutient encore qu’il subira du fait de la décision attaquée par le recours au fond un dommage grave et définitif.

Il insiste à cet égard qu’il existerait un risque réel et avéré d’être renvoyé par les autorités autrichiennes en Afghanistan, où il serait exposé à une violence aveugle et meurtrière, bien avant que le tribunal administratif n’ait pu statuer sur le fond du recours lui soumis. A l’appui de cette affirmation, il se prévaut notamment d’un arrêt de la Cour administrative luxembourgeoise, ainsi que de rapports d’organisations non gouvernementales, dont il résulterait qu’il règnerait en Afghanistan une violence aveugle telle qu’il existerait un danger mortel pour toutes les personnes se trouvant sur le territoire afghan.

Il affirme encore que l’incohérence entre les rapports du terrain faisant état d’une violence aveugle et omniprésente, et l’attitude de certains Etats européens, dont l’Autriche, qui persisteraient à renvoyer de force des ressortissants afghans vers leur pays d’origine, serait dénoncée avec véhémence tant par des organisations non gouvernementales, la presse, ou encore des tribunaux étrangers, qui auraient annulé des transferts vers des Etats membres pratiquant des renvois forcés vers l’Afghanistan Enfin, le gouvernement luxembourgeois lui-

même n’effectuerait pour l’heure aucun retour forcé vers l’Afghanistan, reconnaissant ainsi implicitement qu’une telle opération présenterait trop de dangers pour les intéressés.

Il expose ensuite qu’un refus de protection internationale émis par les autorités autrichiennes équivaudrait automatiquement pour un Afghan à un retour en Afghanistan, l’Autriche pratiquant en effet le renvoi forcé de ressortissants afghans dans leur pays.

Or, lui-même aurait été informé par les autorités autrichiennes que suite à la confirmation du rejet de sa demande d’asile il serait renvoyé en Afghanistan.

Il fait dès lors plaider que son transfert vers l’Autriche aurait ainsi pour effet de violer l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH », l’article 4 la de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 33, paragraphe 1er de la Convention de Genève, sans que le ministre ne présente de garanties permettant de supposer que sa déportation de l’Autriche vers l’Afghanistan ne serait pas effectuée à brève échéance sitôt qu’il serait transféré en Autriche.

Aussi, en l’absence d’une mesure de sauvegarde, il serait très possible qu’il se retrouverait en danger de mort en Afghanistan, et dénué de toute possibilité de se soustraire à ce danger, avant même que le tribunal administratif n’ait pu statuer sur le fond de l’affaire.

Monsieur … estime encore que ses moyens produits à l’appui de son recours au fond seraient sérieux.

Le requérant soutient ainsi et en substance que la décision de le transférer vers l’Autriche reflèterait une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article 17(1) du règlement Dublin III, en soulignant le fait que la Cour administrative luxembourgeoise aurait reconnu, en se rapportant à divers rapports internationaux, qu’il règnerait en Afghanistan une violence aveugle susceptible de justifier une protection subsidiaire. Par ailleurs, un retour dans son pays l’exposerait d’autant plus à ces violences meurtrières que sa région d’origine, la région de Kapisa ferait l’objet de luttes meurtrières entre les Talibans et les forces de l’ordre complètement dépassées, et que de nombreuses victimes civils y seraient à déplorer.

Or, comme l’Autriche pratiquerait le renvoi forcé de ressortissants afghans dans leur pays, son propre transfert vers l’Autriche aurait pour effet de violer l’article 33, paragraphe 1er de la Convention de Genève.

A titre subsidiaire, il demande au tribunal administratif de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la question préjudicielle suivante : « Les articles 4 de la Charte des droits fondamentaux et 17(1) du règlement Dublin III doivent-ils mener l’administration d’un Etat membre à déroger aux critères dudit règlement et à examiner la demande de protection internationale d’un demandeur, si l’application de ces critères aurait pour effet certain de renvoyer ce demandeur dans un Etat membre dont il est avéré qu’il pratique des renvois forcés vers un Etat tiers où règne une violence telle que la violation des articles 4 Charte et 3 CEDH ainsi que l’article 33(1) de la Convention de Genève s’ensuivrait nécessairement d’un tel renvoi ?» Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance. Par ailleurs, une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.

L’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 18 octobre 2018, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », endéans 2 mois de l’introduction de la requête et est d’ailleurs fixée pour plaidoiries au 28 novembre 2018, de sorte qu’elle devrait a priori être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.

Toutefois, le transfert de l’intéressé pouvant intervenir en application de l’article 27 (2) du règlement Dublin III à tout moment à partir du 29 octobre 2018, l’échéance du 28 novembre 2018 doit être considérée comme tardive compte tenu de ces circonstances particulières En l’espèce, force est au soussigné de constater que la décision déférée du 5 octobre 2018, prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, a a priori un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernées vers l’Etat membre compétent, en l’espèce l’Autriche, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.

Si Monsieur … met en avant le risque d’un préjudice grave résultant de son transfert vers l’Autriche en raison du risque d’une expulsion en cascade vers l’Afghanistan, il convient de relever que, d’une manière générale et à défaut de circonstances particulières, un tel risque n’existe a priori pas en présence d’un transfert vers un Etat membre.

En effet, la jurisprudence des juges du fond relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

des Etats participants2 3. Il n’appert encore pas que l’Autriche ait refusé ou omis de traiter sa demande de protection internationale ; au contraire, le soussigné constate que le requérant a bien vu sa demande de protection internationale examinée en Autriche, puisque les autorités autrichiennes ont explicitement accepté de le reprendre en charge sur base de l’article 18, paragraphe 1 d), du règlement Dublin III, disposition qui vise le cas d’un demandeur de protection internationale « dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre » : aussi, le fait que le requérant, d’ores et déjà débouté en Autriche d’une demande de protection internationale, ne puisse réitérer cette demande dans un autre Etat membre, ne saurait, à lui seul, être considéré comme un préjudice suffisant, voire comme un préjudice légitime.

Par ailleurs, et toujours d’une manière générale, le soussigné relève en ce qui concerne le risque allégué d’une expulsion en cascade que l’acte entrepris n’implique pas un retour au pays d’origine mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande d’asile, respectivement de ses suites, soit en l’espèce l’Autriche, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, point n’étant d’ailleurs pas contesté.

Toutefois il ressort, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 CEDH -

similaire à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne -, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable4.

Or, afin d’apprécier s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la partie requérante encourt un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après « la CourEDH », a jugé que pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, il y a lieu d’examiner les conséquences prévisibles de l’éloignement du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres au cas de la partie requérante5.

En ce qui concerne l’examen des circonstances propres au cas de la partie requérante, la CourEDH a jugé que le risque invoqué présente un caractère individualisé dès lors qu’il s’avère suffisamment concret et probable6.

2 Ibidem, point. 79.

3 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.

4 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

5 CEDH 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 78 ; CEDH 28 février 2008, Saadi/Italie, n° 37201/06 points128-129 ; CEDH 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, n° 13448/87, point 108 in fine.

6 CEDH 21 janvier 2011, M.S.S./Belgique et Grèce, point 359 in fine.

En ce qui concerne tant la situation générale dans un pays que les circonstances propres au cas de la partie requérante, celle-ci doit disposer de la possibilité matérielle de faire valoir en temps utile lesdites circonstances7.

Dans ce cas, l’existence d’un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 CEDH doit être évaluée en fonction des circonstances dont la partie défenderesse avait ou devait avoir connaissance au moment de la décision attaquée8. Le ministre doit dès lors se livrer à un examen aussi rigoureux que possible des éléments indiquant l’existence d’un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 CEDH9.

La Cour EDH a encore régulièrement rappelé10 que dans les cas d’expulsion où une crainte de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 est fondée sur un risque général bien connu et corroboré par des sources fiables, l’article 3 CEDH exige des Etats l’examen de tels risques de leur propre initiative, y compris le risque de refoulement en chaîne.

En l’espèce, le soussigné constate, au terme d’un examen nécessairement sommaire, que, d’un côté, lors de l’audition Dublin du 25 septembre 2018, le requérant a, en ce qui concerne l’Autriche, expliqué que sa demande de protection internationale y avait été rejetée, qu’il avait introduit en vain deux recours, qu’un ordre de quitter le territoire lui avait été notifié et que son rapatriement vers l’Afghanistan avait été annoncé, le requérant, à la question « Pour quelles raisons est-ce que vous ne souhaitez pas vous rendre dans cet EM [Etat membre] pour le traitement de votre demande de protection internationale et quelles seraient pour vous les conséquences d’un transfert vers cet Etat ? » a répondu « Ils vont me rapatrier en Afghanistan, où ma vie est en danger ».

Le soussigné relève ensuite que de l’autre côté, la décision ministérielle affirme que « Lors de votre audition en date du 25 septembre 2018 vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux. Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013 ; Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois de faire application de l’article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013. D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités autrichiennes n’ont pas été constatées ».

Or, il appert à première vue que le requérant semble bien avoir fait valoir un risque de traitement contraire, ou du moins potentiellement contraire, au prescrit de l’article 3 CEDH, sans que le ministre n’ait de son côté procédé à des investigations plus approfondies afin de s’assurer de l’absence de tout risque au regard de l’article 3 CEDH.

77 CEDH 21 janvier 2011, M.S.S./Belgique et Grèce, point 366.

8 Voir CEDH 4 décembre 2008, Y./Russie, point 81 ; CEDH 20 mars 1991, Cruz Varas et autres/Suède, n° 15576/89, points 75-76 ; CEDH 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, point107.

9 CEDH 21 janvier 2011, M.S.S./Belgique et Grèce, points 293 et 388.

10 CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. /Belgique et Grèce, points 286-293.

Il appert en particulier et ce à première vue, au vu du libellé de la décision déférée, que le ministre ne s’est pas livré à un examen aussi rigoureux que possible des éléments indiquant l’existence d’un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 CEDH, d’autant plus tenant compte, d’une part, de la situation particulière que connaît actuellement l’Afghanistan, ayant donné lieu notamment aux arrêts de la Cour administrative des 28 novembre 2017, n° 39977C et 4 janvier 2018, n° 40256C, et dont ni le soussigné, ni le ministre ne peuvent ignorer l’existence, qui ont retenu que l’Afghanistan est actuellement en proie à un « conflit armé interne » dans le sens que des forces régulières d’un Etat, ainsi que des forces alliées internationales, affrontent un ou plusieurs groupes armés, dont notamment les Talibans et des groupes appartenant à la mouvance de l’« Etat Islamique », de sorte qu’une personne devant y être éloignée y est confrontée à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, et, d’autre part, des conséquences du transfert du requérant vers l’Autriche, notamment au vu de la politique pratiquée par les autorités autrichiennes, politique dont la réalité n’est en l’espèce au vu des éléments du dossier a priori ni contestable, ni contestée ; l’Autriche étant en effet apparemment l’un des Etats membres ayant décidé, dans le cadre de l’accord « Joint Way Forward » conclu avec le gouvernement afghan, de rapatrier les Afghans déboutés de leur demande de protection internationale.

En outre, le soussigné ne peut imaginer que le ministre n’avait pas connaissance, au moment de la prise de la décision attaquée, des rapports internationaux plus récents invoqués par le requérant en termes de requête, dont notamment les UNHCR Eligibility Guidelines Afghanistan 2018 du 28 août 2018.

Force est par ailleurs au soussigné de relever que la CourEDH11 s’est montrée particulièrement préoccupée lorsque les décisions de première instance [administratives] sont, dans la quasi-totalité des cas, négatives et rédigées de manière stéréotypée sans spécifier les éléments motivant la décision, préoccupation susceptible de s’appliquer à la décision sous analyse.

Le moyen tiré d’une violation de l’article 3 CEDH, pris sur la toile de fond de la question de l’existence d’un recours effectif, présupposant un examen serein et rigoureux de griefs défendables exprimé dans les termes de l’article 3 CEDH, paraît dès lors, en l’état actuel d’instruction du dossier, comme suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire sollicitée.

En ce qui concerne le risque d’un préjudice grave et définitif résultant du transfert de l’intéressé, il est patent en cause que Monsieur … a été débouté en Autriche de sa demande de protection internationale et qu’il s’y est vu opposer un ordre de quitter le territoire ; de même, il est constant en cause, du moins en l’état actuel d’instruction du dossier, que l’Autriche rapatrie en général vers l’Afghanistan les personnes définitivement déboutées ; enfin, le soussigné relève, comme cité ci-dessus, que la Cour administrative a retenu, dans son appréciation souveraine en tant que juridiction suprême nationale, l’existence en Afghanistan d’une violence aveugle due au conflit armé interne exposant les autochtones en cas de retour 11 CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. /Belgique et Grèce, point 302.

en Afghanistan à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Dès lors, le fait de transférer Monsieur … vers l’Autriche, où il affirme être exposé au risque d’un rapatriement immédiat vers l’Afghanistan, sans que le ministre n’ait concrètement et effectivement analysé ce grief, est potentiellement constitutif d’un risque de préjudice grave et définitif.

Toutefois, il est apparu lors de l’audience publique du 22 octobre 2018 que Monsieur … a disparu du SHUK depuis le 20 octobre 2018 sans y être réapparu depuis lors et sans que son avocat n’ait pu informer le soussigné de sa localisation actuelle.

Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier, Monsieur …, en dépit de la décision d’assignation à résidence lui imposée par le ministre en date du 25 septembre 2018, lui imposant de se présenter quotidiennement au plus tard à 23 heures du soir ainsi qu’à 8 heures du matin au personnel du SHUK, n’est plus à disposition du gouvernement en vue de l’exécution de son transfert vers l’Autriche.

Il convient à cet égard de rappeler qu’en tant que dérogation à l’action d’office de l’administration, toute mesure provisoire doit rester exceptionnelle et ses conditions doivent être appliquées de manière stricte.

A cet égard, pour constituer un risque de préjudice grave et définitif, le risque de préjudice invoqué par le demandeur ne doit pas être aléatoire, mais réel et se dégager des circonstances concrètes de fait exposées par lui ; s’il n’est pas exigé que le préjudice invoqué soit certain, il faut toutefois qu’il soit plausible. Or, les décisions qui ne sont pas, concrètement, susceptibles d’être exécutées dans un avenir prévisible ne sont pas de nature à causer un préjudice grave et définitif au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 199912.

Aussi, s’étant soustrait au gouvernement en disparaissant, le requérant ne saurait actuellement être transféré : le risque allégué ne saurait dès lors plus actuellement et en l’état du dossier être considéré comme justifiant la mesure provisoire sollicitée.

Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, - encore que cette condition du caractère sérieux des moyens avancés au fond est en la présente matière est étroitement liée à celle de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif - les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

12Trib. adm. prés. 6 janvier 2005, n° 19005, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 582.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, condamne le requérant aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 octobre 2018 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2018 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41833
Date de la décision : 23/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-10-23;41833 ?

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