Tribunal administratif N° 41496a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2018 4e chambre Audience publique du 16 octobre 2018 Recours formé par Madame … (…) … et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (Art. 27, L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41496 du rôle et déposée le 25 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … (…) …, née le … à … (Géorgie), de nationalité géorgienne, déclarant agir tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …, née le … à … (Russie) et …, né le … à …, ces deux enfants étant prétendument sans nationalité déterminée, demeurant actuellement tous ensemble à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 juillet 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même jour portant refus de lui accorder un statut de la protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu l’ordonnance du premier vice-président du tribunal administratif du 8 août 2018, portant le numéro 41525 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 17 septembre 2018 ;
Vu le jugement du 2 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41496 du rôle, rendu par le premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal, renvoyant l’affaire devant la formation collégiale de la quatrième chambre du tribunal administratif ;
Vu la « communication par fax » adressée au tribunal administratif par le délégué du gouvernement en date du 9 octobre 2018 avant l’audience des plaidoiries ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives.
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Le 10 juillet 2017, Monsieur … et son épouse, Madame … …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par une décision du 10 juillet 2018, notifiée en mains propres le 11 juillet 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur …, ainsi que ses enfants mineurs … et … que leurs demandes de protection internationale étaient déclarées irrecevables sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point c) de la loi du 18 décembre 2015.
Suite à une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2018, la décision ministérielle précitée du 10 juillet 2018 fut annulée par un jugement du tribunal administratif du 5 septembre 2018, inscrit sous le numéro 41491 du rôle.
Par décision du 6 juillet 2018, notifiée en mains propres le 11 juillet 2018, le ministre informa Madame … (…) …, dénommée ci-après « Madame … », de ce que sa demande de protection internationale était refusée comme non fondée dans le cadre d’une procédure accélérée telle que réglementée par l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Le ministre résuma les déclarations de Madame … comme suit :
« (…) En mains votre rapport d'entretien des 14 septembre 2017 et 7 mai 2018 duquel il ressort que vous seriez de nationalité géorgienne et d'ethnie azérie et qu'en 1997, vous auriez quitté la Géorgie pour aller habiter avec vos parents à Bakou. Vous y auriez rencontré votre époux qui aurait par le passé été actif dans un parti politique, raison pour laquelle il aurait souvent été arrêté et interrogé au bureau de police. Après votre mariage traditionnel en 2008, il aurait décidé de mettre un terme à son activisme politique et vous auriez alors décidé de tous déménager à Iaroslavl/Russie pour « nous éloigner de tous nos problèmes ».
En 2011, vous auriez décidé de retourner en Azerbaïdjan. Après y avoir enregistré officiellement votre mariage, vous auriez voulu faire enregistrer vos enfants nés en Russie afin qu'ils obtiennent la nationalité azerbaïdjanaise. Or, vous auriez alors reçu « plusieurs lettres » vous informant que vos enfants ne seraient pas de nationalité azerbaïdjanaise et que vous devriez faire des démarches auprès des autorités géorgiennes ou russes, alors que vous sauriez que légalement parlant, vos enfants auraient droit à la nationalité azerbaïdjanaise.
En plus, en 2011, votre époux aurait décidé de renouer avec son activisme politique en participant à toutes les activités et manifestations organisées par le parti …. Une de ses connaissances au sein du parti, le dénommé … aurait été le rédacteur en chef de la revue oppositionnelle « … ». A partir de 2011, vous auriez commencé à écrire des articles pour ce journal et « à fur et à mesure », cela serait devenu votre profession. En 2012, vous auriez également commencé à travailler pour la revue « … ». A partir de 2012, vous auriez commencé à recevoir des appels et des sms anonymes.
En 2016, … aurait été agressé à Bakou « pour raisons politiques » et vivrait depuis en Allemagne, ce qui vous fait dire que « Maintenant, c'est moi la rédactrice en chef ». Vous ajoutez que la police aurait plusieurs fois fouillé les bureaux de la rédaction et menacé les employés de « persécution » et de « fermer la rédaction ».
Le 19 mars 2016, en faisant vos courses, une personne inconnue vous aurait saisie par la gorge et menacée avec un couteau en vous conseillant d'être « sage » et d'arrêter d'écrire des articles. Après vous avoir lachée, vous auriez décidé avec votre époux de dénoncer cette agression à la police. Votre plainte aurait été enregistrée mais les policiers vous auraient fait comprendre qu'il serait peu probable qu'elle aboutisse à quelque chose alors que vous n'auriez pas vu le visage de votre agresseur inconnu. Votre époux aurait par la suite quitté le pays tandis que vous auriez déménagé en gardant secret votre nouvelle adresse. En été 2016, vous auriez quitté la rédaction de « … » mais vous travailleriez toujours pour « … ».
Vous ajoutez que vos relations avec la police seraient tendues et que vous auriez été menacée et interrogée à plusieurs reprises. Entre 2015 et 2016, vous auriez reçu trois ou quatre convocations pour vous présenter pour des interrogatoires au poste de police lors desquels vous auriez été menacée et agressée verbalement.
Depuis février 2017, vous seriez recherchée par les autorités azerbaïdjanaises alors qu'une enquête serait ouverte contre vous pour avoir « protégé » votre époux et son activité politique, pour avoir incité le peuple à provoquer un coup d'Etat et pour avoir insulté le président. Vous précisez par ailleurs que votre époux serait lui aussi recherché depuis septembre 2016 pour avoir organisé des « manifestations illégales contre le pouvoir ». Vous auriez été convoquée au bureau de police le 23 février 2017 mais en date du 20 février 2017, vous auriez quitté l'Azerbaïdjan.
Vous présentez les documents suivants:
- Une carte de presse « … » indiquant que vous êtes un « membre » depuis le 1er janvier 2016. - Une « reference » non datée certifiant que « … … because, she indeed works as 5 years at newspaper and news site "…". (…) Her work experience is journalist. (…) This is to be submitted to the required location… ».
- Une reference similaire non datée certifiant que « because, she indeed works as 5 years at news site "…". Her work experience is journalist. (…) ». - Une convocation du 13 février 2017 pour vous rendre auprès de la police.
- Un document relatif à l'ouverture d'une enquête et un document relatif à un ordre d'arrestation contre vous, Madame, « laquelle assisté (sic) et aidée par son époux Monsieur …, respectivement concernant ses appels à l'opposition politico-social (sic) contre le gouvernement et contre le Président de la République de l'Azerbaïdjan ».
- Une carte et un carnet militaire appartenant à votre époux.
- Un document attestant les liens et les activités de Monsieur … au sein du parti politique ….
- Une convocation pour se rendre à la police, adressée à votre époux le 24 septembre 2016 .
- Un document relatif à un ordre d'arrestation contre votre époux.
- Un document relatif à un ordre d'arrestation contre Madame … …, laquelle assisté (sic) et aidée par son époux Monsieur …, respectivement concernant ses appels à l'opposition. (…) ».
La décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée fut motivée par le constat du ministre que Madame … proviendrait de la Géorgie, considéré comme pays d'origine sûr, et qu’en déposant sa demande et en exposant les faits, elle n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, alors que les faits qu’elle aurait invoqués se rapporteraient uniquement à son vécu en Azerbaïdjan, et non pas à la Géorgie, considérée comme étant son pays d’origine du fait de sa nationalité géorgienne.
Cette même motivation fut invoquée à la base du refus de la demande d’un statut de réfugié, le ministre soulignant que quant à la possibilité de vivre en Géorgie, Madame … se serait bornée à expliquer qu’elle n’y aurait même pas pensé, et ce, alors même que son frère habiterait et travaillerait encore aujourd'hui à Tbilissi, de sorte qu’il y aurait également une possibilité de fuite interne en Géorgie.
Sur base des mêmes considérations, le ministre estima qu’il n’existerait pas non plus de sérieuses raisons de croire qu’en cas de retour dans son pays d'origine, Madame … risquerait de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 pouvant amener à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2018, Madame …, déclarant agir tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs … et …, a fait introduire un recours tendant à la réformation 1) de la décision ministérielle précitée du 6 juillet 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Par une requête commune déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2018, inscrite sous le numéro 41525 du rôle, Monsieur … et Madame Madame …, déclarant agir tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs, … et …, ont fait introduire une demande en instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport aux deux décisions précitées du ministre des 6 et 10 juillet 2018, tendant en substance à se voir provisoirement autoriser à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leurs deux recours au fond.
Par ordonnance du 8 août 2018, portant le numéro 41525 du rôle, le premier vice-
président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président du tribunal administratif, déclara ladite demande irrecevable, tout en donnant acte à la partie gouvernementale de sa déclaration suivant laquelle aucune décision d’éloignement du territoire luxembourgeois ne sera prise à l’égard des requérants avant que ne soient rendus les deux jugements au fond.
En application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président du tribunal administratif, président de la quatrième chambre du prédit tribunal, a, par jugement rendu en date du 2 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41496 du rôle, jugé que le recours n’est pas manifestement infondé, et a renvoyé l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
A titre liminaire, le tribunal tient à relever que tout jugement non susceptible d’appel est frappé de l’autorité de chose jugée et que cette dernière s’attache tant au dispositif d’un jugement, qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Par contre, les considérations qui ne sont pas nécessaires à la solution- les obiter dicta- ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée.1 En vertu de ce principe, le tribunal ne tranchera plus ce qui a d’ores et déjà été jugé par le premier juge, siégeant comme juge unique, dans son jugement du 2 octobre 2018, en remplacement du premier vice-président, président de la quatrième chambre du tribunal administratif.
Ainsi, le tribunal relève que la recevabilité des recours a été tranchée par le jugement précité du 2 octobre 2018.
A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité de la « communication par fax » lui adressée par le délégué du gouvernement dix minutes avant l’audience.
Le litismandataire de la demanderesse se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité de cette communication.
Le délégué du gouvernement estime que cette « communication par fax » consisterait en des pièces supplémentaires qu’il entendrait invoquer à l’appui de l’argumentation gouvernementale et dont la communication serait toujours recevable tant qu’elle serait faite avant la présentation du rapport à l’audience par le juge rapporteur.
Si, par une lecture a contrario de l’article 8, paragraphe (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-
après « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « Toute pièce versée après que le juge-
rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal. », la communication de pièces est effectivement toujours autorisée tant que le juge rapporteur n’a pas commencé son rapport, et qu’en l’espèce, ladite communication a effectivement eu lieu avant l’audience publique des plaidoiries soit nécessairement avant tout rapport, force est néanmoins au tribunal de relever qu’en l’occurrence, la dénommée « communication par fax » n’est pas composée de pièces regroupées dans une farde, mais constitue un courrier, signé par un délégué du gouvernement, reprenant différents extraits de rapports liés entre eux par des commentaires personnels du délégué du gouvernement en question, de sorte que cette « communication par fax » s’apparente plutôt à un mémoire supplémentaire, dont le dépôt n’a cependant ni été demandé par la partie gouvernementale ni autorisé par le tribunal, étant relevé qu’en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. (…) ».
Il suit de ces considérations que la « communication par fax » adressé au tribunal le 9 octobre 2018 est à écarter des débats pour constituer un mémoire surnuméraire non autorisé.
Force est d’abord de relever qu’à l’appui de son recours, la partie demanderesse, après avoir fait le rappel des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale ainsi que des rétroactes de son affaire, invoque au-delà des moyens au fond du recours également un moyen tenant à la légalité externe de la décision déférée.
1 Voir M. Leroy, Contentieux administratif, 4e éd., Bruylant, p.759.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d'une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.2 En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, la demanderesse conclut ainsi notamment à l’annulation de celle-ci en raison d’une irrégularité formelle tenant à une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de ses droits de la défense y consacrés.
Elle relève qu’elle n’aurait été interrogée que sur les motifs pour lesquels elle aurait quitté l'Azerbaïdjan, pays où elle aurait certes vécu depuis l’âge de dix ans, mais dont elle n’aurait jamais acquis la nationalité, sans que le ministre ne lui ait posé la moindre question relative à la Géorgie, pays dont elle aurait pourtant la nationalité, tel que cela aurait d’ailleurs également été relevé par le ministre.
En concluant à l’absence de craintes dans son pays d’origine, sans lui avoir permis de prendre position sur les risques encourus en cas de retour en Géorgie, le ministre aurait violé ses droits de la défense au sens de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 en vertu duquel le ministre devrait faire en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l'issue d'un examen approprié, individuel, objectif et impartial.
En ce qui concerne son affirmation selon laquelle elle n’aurait pas songé à un déménagement vers la Géorgie, la demanderesse fait souligner que le ministre aurait tiré cette déclaration de son contexte, alors qu’il s’agirait d’une réponse à une question posée en début d'audition concernant son départ vers la Russie en 2008, et non son départ vers le Luxembourg en 2017 pour y déposer une demande de protection internationale. Elle explique encore qu’elle et son mari auraient choisi instinctivement la Russie à l’époque, alors que sa belle-sœur y aurait vécu.
En dirigeant les questions de son audition uniquement sur sa situation en Azerbaïdjan pour ensuite invoquer l’absence d’informations de sa part relatives à la Géorgie pour statuer dans le cadre d’une procédure accélérée et pour refuser sa demande de protection internationale, le ministre aurait fait une mauvaise appréciation des faits de l'espèce, respectivement aurait procédé à une mauvaise instruction du dossier administratif violant ainsi l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut au rejet de ce moyen, en relevant que le ministre aurait fait une analyse détaillée de la situation individuelle de la demanderesse qui aurait pu se présenter, assistée par son avocat, à deux reprises au ministère pour développer les motifs gisant à la base de sa demande protection internationale et qui n’aurait pas déclaré, à la fin de l'entretien, qu'elle aurait encore des informations supplémentaires à fournir.
2 trib. adm. 31 mai 2006, n °21060 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 440.
A l’audience publique des plaidoiries, le délégué du gouvernement précise que le ministre n’aurait aucune obligation de poser telle ou telle question à un demandeur de protection internationale, mais que ce serait surtout à ce dernier, en vertu de son devoir de collaboration, de fournir au ministre les informations nécessaires à l’appréciation du bien-fondé de la demande.
Le délégué du gouvernement en conclut que le ministre aurait été parfaitement en mesure de prendre une décision en bonne et due forme.
Il échet d’abord de rappeler, tel que cela a été relevé précédemment par le premier juge, qu’en ce qui concerne la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le ministre se fonde, en l’espèce, sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Force est ensuite de constater qu’il ressort effectivement du rapport d’entretien de la demanderesse qu’à l’exception d’une question posée dans le contexte de son déménagement vers la Russie en 2008, l’agent ayant procédé à l’audition n’a posé aucune question relative au pays d’origine de la demanderesse, à savoir la Géorgie, pays dont elle a la nationalité, mais seulement sur sa situation en Azerbaïdjan, pays de résidence.
Il est également à noter que, dans la décision déférée, le ministre s’est exclusivement basé sur le constat suivant lequel la partie demanderesse n’a pas relevé, dans son entretien, des éléments de fait relatifs à son pays d’origine, la Géorgie, pour conclure que cette dernière n’aurait pas renversé la présomption du pays d’origine sûr dans son chef et qu’elle n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si, par rapport à son pays d’origine, elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Aux termes de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 « (1) L’examen d’une demande de protection internationale n’est ni refusé ni exclu au seul motif que la demande n’a pas été présentée dans les plus brefs délais.
(2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire.
(3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que:
a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement;
b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations;
c) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions connaissent les normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés;
d) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions aient la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre.
(4) Les juridictions saisies d’un recours en vertu de la présente loi, ont accès, par le biais du ministre, du demandeur ou autrement, aux informations générales visées au paragraphe 3, point b), nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
(5) A l’exception des documents d’identité, tout document remis au ministre rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une traduction dans une de ces langues, afin d’être pris en considération dans l’examen de la demande de protection internationale. ».
S’il ressort de la lecture de cet article que ce dernier ne prévoit pas de directives faites à l’égard du ministre quant à la tenue d’un entretien avec un demandeur de protection internationale, ni quant au contenu des questions que l’agent en charge de l’audition est censé poser, force est de relever que les obligations y relatives du ministre ressortent néanmoins, entre autres, de l’article 14 de la loi du 18 décembre 2015 suivant lequel « (…) (3) Le ministre fait en sorte que l’entretien soit mené dans des conditions qui permettent au demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande.
A cet effet, le ministre:
a) veille à ce que la personne chargée de mener l’entretien soit compétente pour tenir compte de la situation personnelle et générale dans laquelle s’inscrit la demande, notamment l’origine culturelle, le genre ou l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou la vulnérabilité du demandeur; (…) ».
De même l’article 15 de la même loi prévoit que « (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur. ».
Etant encore relevé que l’analyse d’une demande de protection internationale d’un demandeur non apatride se fait, selon les prescrits des points f) et g) de l’article 2 de la loi du 18 décembre 2015, par rapport au pays de sa nationalité, respectivement par rapport à son pays d’origine et que, d’après le point p) du même article, le pays d’origine est défini par rapport à la nationalité d’un demandeur de protection internationale s’il n’est pas apatride, il aurait appartenu au ministre, au regard des obligations précitées, ainsi que dans le respect du droit à la défense, de souligner, lors de l’entretien, que l’analyse de la demande de protection internationale serait exclusivement faite par rapport à la Géorgie, pays de la nationalité de Madame …, et de lui poser, notamment, une question quant aux conséquences d’un retour vers la Géorgie, la simple circonstance que la demanderesse ait signé le rapport d’audition en déclarant ne pas avoir d’autres faits à invoquer au sujet de sa demande de protection internationale n’étant pas de nature à exonérer le ministre de ce devoir de collaboration à sa charge ressortant, par ailleurs, également du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés publié par l’UHNCR suivant lequel l'examinateur doit « Obtenir du demandeur qu'il présente son cas de manière aussi complète que possible et avec tous les éléments de preuve dont il dispose. »3.
Au vu des considérations qui précèdent, alors que la décision de procéder à l’analyse de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée repose sur le seul fait suivant lequel la demanderesse n’a pas fourni d’informations sur sa situation en Géorgie, il échet de retenir que c’est à bon droit que la demanderesse a conclu à une violation de ses droits de la défense, de sorte que, dans le cadre du recours en réformation dont le tribunal est saisi, la décision déférée est à annuler pour vice de forme, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués au fond du recours qui deviennent de ce fait et à ce stade superfétatoires.
Par ces motifs, et sur renvoi par le jugement du 2 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41496 du rôle, rendu par le premier juge, en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal administratif ;
vidant le jugement précité du 2 octobre 2018 ;
écarte des débats la « communication par fax » adressée par le délégué du gouvernement au tribunal administratif le 9 octobre 2018 à 14.48 heures ;
déclare le recours justifié au fond, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 6 juillet 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire, et renvoie le dossier en prosécution devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, 2ième partie, n° 205.
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 16 octobre 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 octobre 2018 Le greffier du tribunal administratif 10