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15/10/2018 | LUXEMBOURG | N°41701

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 octobre 2018, 41701


Tribunal administratif N° 41701 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2018 1re chambre Audience publique 15 octobre 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41701 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 septembre 2018 par Maître Louis Tinti, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Tribunal administratif N° 41701 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2018 1re chambre Audience publique 15 octobre 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41701 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 septembre 2018 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant à L-…, élisant domicile en l’étude de son litismandataire à L-1940 Luxembourg, 310, route de Longwy, tendant à la réformation de la décision du 27 août 2018 du ministre de l’Immigration et de l’Asile de statuer sur le bien-fondé de la demande en protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en vertu de l’article 27§1 de la loi modifiée du 18 décembre 2015, à la réformation de la décision du 27 août 2018 du même ministre de lui refuser de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 27 août 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 octobre 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le président de la première chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, et Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2018.

Le 7 décembre 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 à relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Les 14 mars, 25 avril et 28 juin 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 août 2018, notifiée par lettre recommandée expédiée le 29 août 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« […] Monsieur, il s'avère essentiel de relever avant tout que l'ensemble de vos déclarations sont très difficiles à saisir dans la mesure où vous parlez de plusieurs histoires différentes n'ayant aucun lien entre elles et parfois le lien entre les faits que vous relatez et votre personne est inexistant voire totalement incompréhensible. Non seulement vous vous contredisez constamment mais ce que vous tentez de relater n'est ni clair ni cohérent.

Ainsi, il ressort de vos déclarations que vous auriez vécu depuis 2010 en Europe, en grande partie sans disposer d'un droit de séjour. Entre mai 2015 et juillet 2017, vos empreintes digitales ont été prises en Hongrie, à trois reprises en Autriche, en Suède, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Danemark. Vous seriez resté un an et demi en Suède, et vous auriez résidé en Autriche pendant deux mois « chez un ami » (page 10/27 du rapport d'entretien). Vous seriez rentré en Algérie volontairement par l'intermédiaire de l'Organisation internationale des Migrations à partir de l'Autriche en 2017 après avoir appris le décès de votre père. Environ trois semaines plus tard, vous seriez retourné illégalement en Europe. Vous seriez resté une semaine en Italie et un mois chez une tante en France avant de venir au Luxembourg.

A votre retour en Algérie en 2017, c'est à l'aéroport que vous auriez été arrêté et emprisonné pour des raisons floues sinon inconnues pendant une semaine. La police vous y aurait frappé et cassé les dents. Afin d'être libéré une semaine plus tard, vous auriez payé la somme de 30.000 euros, provenant de la vente, en un jour, d'un appartement appartenant à votre famille à Alger. Vous dites plus tard avoir proposé la somme d'un milliard de dinars au policier pour votre libération. Après avoir été libéré, vous seriez parti à Oran pendant deux semaines avant de repartir à destination de l'Europe à partir d'Annaba. Il ne se serait « rien (…) passé » (page 20/27 du rapport d'entretien) durant les quinze jours de votre séjour en Algérie. La police serait venue à deux reprises pour vous poser des questions sur vos déplacements mais il aurait s'agit à chaque fois d' « un passage pacifique. » (page 21/27 du rapport d'entretien).

Monsieur, en raison de l'incohérence et du manque de clarté de vos dires, il ne peut être que supposé que vous invoquez comme motif principal de votre demande de protection internationale le fait qu'en raison des origines juives de votre famille du côté paternel, « (…) ils ne vont jamais nous laisser vivre tranquillement en Algérie. » (page 12/27 du rapport d'entretien). Les services de renseignement algériens auraient « pris tout ce qu'on avait. » (page 7/27 du rapport d'entretien), notamment votre magasin d'alimentation générale qui aurait été saisi en 2005 ou 2007. Vous seriez alors parti vivre et travailler à Oran jusqu'en 2010 avant de partir pour l'Europe une première fois. Vous dites au début de l'entretien que votre père aurait été emprisonné de 2015 à 2016 pour ensuite déclarer qu'il aurait été en prison de 2016 à 2017 pour des raisons qui restent vagues et une semaine après sa libération, votre maison familiale à Annaba aurait été saisie par la police. La police aurait simplement voulu « prendre la maison (…) pour gâcher la vie de mon père » (page 9/27 du rapport d'entretien), or d'après vos dires, votre famille serait toujours propriétaire des biens.

Vous évoquez également de manière tout à fait vague et sans pouvoir fournir un quelconque détail ou élément pertinent une histoire qui remonterait à 1995 entre votre père et un de ses amis. Ils auraient été témoins d'une scène lors de laquelle un bus rempli de gens aurait brûlé. Or, vous êtes incapable de fournir une quelconque explication à cette déclaration autre que celle que l'ami de votre père se serait enfui en France où il serait toujours et aurait « déposé une plainte contre le général …. C'était ça la source du problème.

Le service de renseignement est venu chez mon père pour le [sic] demander d'intervenir chez son ami en France pour retirer la plainte déposée en France. » (page 12/27 du rapport d'entretien). Vous seriez d'avis que votre emprisonnement à l'aéroport en 2017 aurait un lien avec cette histoire.

Vous mentionnez le fait que lorsque vous auriez été en Suède, deux hommes des services de renseignements algériens auraient logé dans le même foyer que vous, dans la chambre à côté de la vôtre, vous auraient posé des questions et « (…) ils parlaient de la politique, ils voulaient savoir ce que je pensais de cela. » (page 15/27 du rapport d'entretien).

Vous rapportez qu'il y avait également une personne des services de renseignement algérien lorsque vous étiez aux Pays-Bas et qui vous aurait posé le même genre de questions à propos de la politique. Finalement, vous déclarez que ces personnes « ne s'intéressent pas juste à moi, mais à chaque Algérien qui vient en Europe. » (page 16/27 du rapport d'entretien). Vous continuez en disant que vous auriez retiré votre demande de protection internationale en Suède, suite à un appel de votre père qui vous aurait conseillé de quitter le pays et de retirer votre demande. Cela aurait été demandé à votre père par une personne des services de renseignement qui aurait rendu visite à votre père en Algérie. Vous seriez ensuite resté encore en Suède pendant « (…) un an après avoir stoppé la demande. J'y suis resté au noir. » (page 17/27 du rapport d'entretien).

Vous estimez finalement, et non sans contradictions, que la seule raison de votre arrestation à l'aéroport aurait été d'avoir introduit une demande de protection internationale en Suède. Les services de renseignement vous auraient reproché d'avoir « (…) sali l'image du pays » (page 19/27 du rapport d'entretien). Peu de temps après vous expliquez toutefois que ce qui vous aurait poussé à quitter Oran serait l'affaire de votre père et de son ami en France, dans le sens où les autorités se seraient « retournés contre moi » (page 21/27 du rapport d'entretien). Vous ajoutez que l'histoire de votre père et de son ami serait « le résumé et la source » de votre arrestation, mais que votre arrestation elle-même serait due à « une autre affaire » (page 21/27 du rapport d'entretien), celle d'avoir introduit une demande de protection internationale en Suède, qui se serait réglée puisque vous auriez « donné de l'argent » (page 21/27 du rapport d'entretien). […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.

Le ministre releva de prime abord que Monsieur … serait retourné volontairement en Algérie en 2017 en faisant valoir qu’un tel retour serait incompatible avec une réelle crainte de persécutions. Il en serait de même du fait d’avoir renoncé à sa demande de protection internationale en Suède et du fait de s’être adressé à l’ambassade algérienne en France afin d’obtenir un passeport respectivement de sa volonté de contacter le consulat algérien pour avoir des nouvelles de sa famille.

D’autre part, le ministre releva de nombreuses incohérences et contradictions manifestes au niveau du récit de Monsieur … rendant difficile voire impossible d’identifier la vraie raison à la base de sa demande de protection internationale et cela malgré les tentatives répétées de l’agent en charge de l’entretien de solliciter des explications.

Le ministre mit en doute la crédibilité du récit du demandeur en ce qui concerne une saisie forcée de la maison familiale à Annaba par la police algérienne au motif que son grand-

père aurait été juif et afin de gâcher la vie de son père, tel que déclare Monsieur …. A cet égard, le ministre souligna que Monsieur … ne fournirait aucune preuve à l’appui de ses dires et que, par ailleurs, son récit ne serait ni précis ni cohérent. Deuxièmement, le ministre souligna qu’il serait peu probable que les autorités algériennes auraient saisi la maison familiale en raison de la confession juive du grand-père, alors que Monsieur … de même que son père seraient de confession musulmane. S’y ajouterait que Monsieur … aurait déclaré tantôt que ses ancêtres seraient d’origine palestinienne tantôt qu’ils seraient des juifs. Au-delà de ce constat, le ministre releva les dispositions de la Constitution algérienne modifiée en 2016 garantissant la liberté de confession. Troisièmement, le ministre souligna que la Constitution algérienne de 1989 garantirait la propriété privée et le droit d’héritage, de sorte qu’il ne serait pas crédible que les autorités algériennes aient pu saisir la maison familiale pour des raisons confessionnelles.

A supposer que les autorités algériennes aient entamé des démarches d’expropriation, le ministre estima en outre qu’il ne serait pas prouvé que ces démarches soient liées à un des critères de fond de la Convention de Genève.

S’agissant de l’incident visant le père de Monsieur … et un ami de celui-ci, remontant à 1995, le ministre releva que cet incident serait trop éloigné dans le temps pour être actuellement encore pris en considération dans le cadre d’une demande de protection internationale. Aussi, Monsieur … ne fournirait aucun élément concret justifiant un quelconque lien avec sa demande de protection internationale.

S’agissant de l’arrestation alléguée au retour en Algérie, le ministre met en question la crédibilité des dires de Monsieur …, premièrement, en raison du fait que celui-ci aurait indiqué des multiples raisons de cette arrestation qui par ailleurs seraient incohérentes, deuxièmement, puisqu’il serait improbable que les services de renseignement algériens aient suivi Monsieur … en Suède et aux Pays-Bas sans qu’il ne se dégage des déclarations de Monsieur … qu’il serait une personne hautement placée et qui, de ce fait, serait cible des autorités algériennes. Troisièmement, les déclarations de Monsieur … quant à cette arrestation seraient incohérentes, plus particulièrement quant au déroulement exact de l’arrestation.

Quatrièmement, le ministre releva des incohérences s’agissant du paiement de la somme d’argent qui aurait permis la libération de Monsieur ….

A supposer que l’arrestation se trouve avérée, le ministre ajouta qu’il ne serait pas établi qu’elle serait liée à un des critères de fond de la Convention de Genève.

Enfin, le ministre releva que sur la fiche des motifs personnels ainsi que suivant le rapport de police, Monsieur … aurait déclaré avoir quitté son pays d’origine pour des raisons exclusivement économiques, motifs qui ne sauraient toutefois justifier une demande en obtention du statut de réfugié.

Enfin, le ministre estima que Monsieur … ne remplirait pas non plus les conditions d’une protection subsidiaire et évoqua encore la possibilité d’une fuite interne.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2018, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 27 août 2018, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que sa demande de protection internationale actuellement soutenue, après diverses autres tentatives antérieures de trouver une protection en Europe ayant échouées, serait motivée par des considérations de deux ordres, à savoir, d’une part, les origines juives de sa famille, et, d’autre part, la circonstance que son père serait l’ami d’une personne s’étant réfugiée à l’étranger d’où il aurait déposé plainte contre le général ….

Lui-même serait la victime directe sinon indirecte de chacun de ces ordres de considérations.

Le demandeur expose, par ailleurs, qu’il serait convaincu que les autorités de son pays d’origine exerceraient sur lui une surveillance particulière, en faisant état de ses déclarations en relation avec la présence de deux personnes du service de renseignement en Suède et à son arrestation à l’aéroport à son retour de Suède en 2017.

Il ajoute qu’il serait impossible pour lui d’obtenir une quelconque forme de protection dans son pays d’origine, ce constat étant corroboré par son arrestation à son retour en Algérie en 2017 et de l’extorsion du magasin familial.

En droit, et à titre de remarque préliminaire, le demandeur insiste sur la considération que la communauté juive algérienne aurait actuellement quasiment disparu pour avoir été victime de nombreuses formes de persécutions tout au long de son histoire, en renvoyant, à cet égard, à un article intitulé « La situation des juifs en Algérie », à un rapport intitulé « International religious freedom report 2013 », de même qu’à un rapport de 2017 du département d’Etat américain, qui ferait état de nombreuses atteintes aux droits de l’homme en Algérie. Il ajoute que les perspectives de la société algérienne d’évoluer vers un Etat de droit ne seraient guère favorables, tel que cela se dégagerait d’une position de EUROMED DROITS de janvier 2016, le demandeur faisant encore état de problèmes de corruption tel qu’épinglé par l’O.N.G. Transparency International.

S’agissant de la crédibilité de son récit, le demandeur fait valoir que s’il n’est pas contesté que son récit manque de clarté, ce qui s’expliquerait par les « forts troubles » dont il aurait été atteint tout au long de son audition puisqu’il aurait été sans nouvelles de ses proches, il contesterait que son récit ne serait pour autant pas crédible.

A cet égard, il souligne que le fait d’avoir renoncé à sa demande de protection internationale en Suède s’expliquerait par le fait qu’il aurait été répéré par les autorités de son pays d’origine, de sorte que ceux-ci auraient pu lui nuire directement sinon auraient pu faire pression sur son père resté en Algérie, tout en faisant valoir que le fait pour des agents étrangers de surveiller des demandeurs de protection internationale en se faisant passer pour de tels serait une pratique connue.

S’agissant de l’expropriation de la maison familiale, le demandeur explique que celle-

ci serait intervenue immédiatement après la fin de l’emprisonnement de son père, de sorte qu’il ne serait pas exclu qu’il y ait un rapport entre les deux événements. Or, à défaut d’avoir été présent en Algérie au moment de l’incarcération de son père suivi de l’expropriation, le demandeur expose qu’il ne pourrait pas rattacher cette dernière aux persécutions dont sa famille aurait été victime de tout le temps du fait des origines juives sinon du fait des rapports de son père avec la personne à l’origine de la plainte contre le général …. Le demandeur maintient toutefois que l’expropriation se serait réalisée en dehors de tout cadre légal dans le but de persécuter sa famille, ce qui serait confirmé par la considération qu’aucune procédure administrative n’aurait été suivie.

Il ajoute que s’il avait déclaré que le terrain se trouvait toujours enregistré au nom de sa mère, cela n’exclurait pas une expropriation forcée puisqu’un changement de propriété ignoré par lui ne pourrait pas être exclu.

Par ailleurs, le demandeur conteste que la communauté juive puisse mener une vie paisible en Algérie.

Quant aux conditions de son arrestation à l’aéroport à son retour en Algérie en 2017, le demandeur donne à considérer qu’un sac avait été mis sur sa tête, de sorte qu’il serait compréhensible qu’il ne se souvenait plus exactement à quel endroit il avait été transféré.

Pour ce qui est de la somme finalement payée pour être libéré, le demandeur admet s’être trompé pour avoir fait mention de la somme de 1 milliard de dinars, alors qu’il s’agirait en réalité de 10 millions de dinars.

Enfin, le demandeur invoque les dispositions de l’article 37, paragraphe (5) e) de la loi du 18 décembre 2015 et donne à considérer que le doute devrait lui profiter puisque son récit serait globalement cohérent et crédible.

S’agissant de l’application de la procédure accélérée, le demandeur maintient que les faits à la base de sa demande de protection internationale seraient d’une pertinence manifeste, en faisant valoir qu’il se trouverait dans une situation de danger du fait que les autorités algériennes le persécuteraient et, à l’instar de ce qui se serait produit à l’égard de son père, du fait de son appartenance à la communauté juive. Par ailleurs, les menaces subies par lui auraient atteint un niveau de danger ne lui permettant plus de poursuivre sa vie dans son pays d’origine, le demandeur soulignant que depuis 10 ans il chercherait par tous les moyens de fuir son pays d’origine dont les autorités officielles auraient fait preuve à son égard d’une « effroyable barbarie », que ce soit à l’occasion de sa tentative d’exode en 2008 lors de laquelle son bateau aurait volontairement été coulé par la marine algérienne, sinon en 2017 lorsqu’il aurait été torturé par les services de renseignement dans les locaux de l’aéroport.

S’agissant du refus d’une protection internationale, le demandeur donne à considérer que les faits à la base de sa demande relèveraient d’une gravité manifeste puisqu’ils se traduiraient par des atteintes répétées et graves à son intégrité physique, le demandeur faisant valoir qu’en cas de retour en Algérie, il risquerait à nouveau d’être exposé à des violences physiques sinon à une arrestation arbitraire.

Il ajoute qu’une partie des problèmes subis par lui trouverait son origine dans son appartenance à la communauté juive algérienne.

Quant à ses déclarations sur la fiche de motifs personnels et dans le rapport de police suivant lesquelles ce seraient des raisons économiques qui l’auraient poussé à quitter son pays d’origine, le demandeur fait valoir qu’eu égard à l’expérience éprouvée lors de l’instruction de sa demande de protection internationale en Suède, puisque des personnes l’auraient espionné sous le couvert du statut de demandeurs de protection internationale, il lui aurait été difficile d’exposer la réalité de ses problèmes hors de la présence de son avocat au moment de son arrivée au Luxembourg. Ce ne serait qu’au cours de l’instruction de sa demande de protection internationale qu’il aurait confié la réalité de ses problèmes, au moment de l’instruction où il pouvait bénéficier de l’assistance d’un conseil.

Pour le plus, le demandeur conteste la possibilité d’une fuite interne et fait, par ailleurs, état de persécutions antérieures.

S’agissant de la protection subsidiaire, il cite des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant du degré de gravité requis pour retenir la qualification des trois actes illicites au point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il insiste sur la considération que le risque pour lui de faire l’objet d’une arrestation par les autorités algériennes serait réel, une telle arrestation et détention étant d’après le demandeur à qualifier de traitement inhumain et dégradant. S’y ajouterait que dans la mesure où ce seraient les autorités algériennes elles-mêmes qui seraient à l’origine des atteintes graves subies par lui, il remplirait les conditions légales pour se voir accorder une protection subsidiaire.

Par rapport à l’ordre de quitter le territoire, le demandera invoque le principe de non-

refoulement pour conclure qu’en conséquence de la reconnaissance d’une protection internationale, il conviendrait de réformer également l’ordre de quitter le territoire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pris en ses trois volets et reprend, pour le surplus, en substance la motivation à la base de la décision de refus précitée du ministre du 27 août 2018.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou […]».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, plus particulièrement s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Force est de constater que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Force est de constater que le refus du ministre repose essentiellement sur la mise en question de la crédibilité du récit du demandeur, et cela en raison d’un certain nombre d’incohérences relevées par rapport aux déclarations du demandeur, les doutes mis en avant par le ministre de cette manière étant, d’après celui-ci, corroborés par le fait que dans la fiche de motifs personnels et dans le rapport de police, le demandeur a déclaré être venu au Luxembourg pour des raisons économiques exclusivement, et par la circonstance que le demandeur était retourné volontairement en Algérie en 2017, avait renoncé à sa demande de protection internationale en Suède avant de retourner en Algérie et se serait, par ailleurs, adressé à l’ambassade algérienne en France afin d’obtenir un passeport respectivement aurait exprimé le désir de consulter le consulat algérien à Luxembourg pour avoir des nouvelles de sa famille, comportement qui serait incompatible avec une réelle crainte de persécutions.

Si la crédibilité du récit du demandeur était ébranlée, et s’il devait s’avérer que les motifs à la base de la demande de protection internationale sont en réalité des considérations d’ordre économique, ce constat impliquerait que le ministre a à bon droit retenu que le demandeur n’a fait que des déclarations sans pertinence en rapport avec l’examen des conditions d’obtention d’une protection internationale.

Il convient dès lors d’examiner les motifs sur lesquels le ministre s’est fondé pour conclure à un défaut de crédibilité du récit du demandeur par rapport aux moyens présentés par celui-ci à l’appui de son recours.

Il est certes vrai que les incohérences et de contradictions dans le récit du demandeur telles que relevées par le ministre se dégagent des entretiens et sont, le cas échéant, susceptibles de mettre en doute la crédibilité du récit du demandeur. D’autre part, la circonstance que le demandeur est resté en Europe depuis 2010 sans avoir ressenti le besoin de déposer une demande de protection internationale jusqu’en 2015 où il a déposé une telle demande en Suède, respectivement jusqu’en 2017 où il en a déposé une au Luxembourg, de même que le fait d’être retourné volontairement en Algérie en 2017, sa renonciation préalable à sa demande de protection internationale en Suède et le fait de s’être par la suite adressé à l’ambassade algérienne en France afin d’obtenir un passeport respectivement sa volonté de contacter le consulat algérien pour avoir des nouvelles de sa famille d’avoir pris contact, ne sont pas sans pertinence et sont susceptibles d’être en contradiction avec le caractère réel et sérieux des craintes avancées par le demandeur, ce constat étant encore corroboré par la circonstance que celui-ci a déclaré à son arrivée tant à l’égard des services de la police grand-

ducale qu’au moment de remplir la fiche personnelle être venu au Luxembourg pour des considérations économiques, motifs qui sont sans lien tant avec les conditions d’obtention du statut de réfugié qu’avec celles de l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

La soussignée constate toutefois encore que dans la requête introductive d’instance, le demandeur a fourni un certain nombre d’explications quant aux incohérences dans ses déclarations et quant à son comportement.

Or, la soussignée est amenée à retenir que plus particulièrement l’examen des contradictions et incohérences multiples mis en avant par le ministre et leur mise en rapport avec les explications fournies par le demandeur à l’appui de sa requête introductive d’instance, mérite un examen approfondi par la composition collégiale, la soussignée estimant que le rejet des différents moyens invoqués à l’appui du recours respectivement de la demande ne s’imposant pas de manière évidente et manifeste.

Dans ces conditions, il ne saurait être actuellement retenu que le recours sous examen est à considérer comme étant manifestement infondé, étant en effet relevé que l’analyse approfondie des moyens afférents des demandeurs suppose également qu’il soit définitivement statué sur la crédibilité de ces derniers, examen dépassant le cadre de l’analyse de la soussignée.

Au regard de cette conclusion quant au seul cas d’ouverture de la procédure accélérée prévue à l’article 27, paragraphe (1), sous a) de la loi du 18 décembre 2015 invoqué à la base de la décision déférée, il échet de renvoyer l’affaire à la formation collégiale de la première chambre pour statuer de manière plus approfondie sur le bien-fondé du recours, sans qu’il y ait lieu d’examiner le recours quant aux deux autres volets de la décision.

Par ces motifs, Le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 août 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

dit que ledit recours n’est pas manifestement infondé et renvoie l’affaire à la première chambre du tribunal administratif pour y statuer en formation collégiale ;

fixe l’affaire à l’audience publique de la première chambre du mercredi 24 octobre 2018 à 15.00 heures pour plaidoiries ;

réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 octobre 2018, par la soussignée, vice-président président la première chambre du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15.10.2018 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41701
Date de la décision : 15/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-10-15;41701 ?

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