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13/07/2018 | LUXEMBOURG | N°41322

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2018, 41322


Tribunal administratif N° 41322 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2018 1re chambre Audience publique extraordinaire du 13 juillet 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41322 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2018 par Maître Ardavan Fatholahz

adeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 41322 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2018 1re chambre Audience publique extraordinaire du 13 juillet 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41322 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juin 2018 de recourir à la procédure accélérée, de refuser de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 juillet 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le président de la première chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juillet 2018.

Le 31 mai 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 à relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur… sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date du 5 juin 2018, Monsieur… fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 7 juin 2018, notifiée en mains propres le 12 juin 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur… comme suit :

« (…) En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 5 juin 2018, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l'Albanie parce que vous auriez peur de deux conflits de vengeance dans lesquels des membres de votre famille seraient impliqués et à cause de votre relation avec … qui n'aurait pas été approuvée par son père.

Ainsi, vous dites qu'en 1998, votre cousin, ……, aurait tenté de tuer une personne.

Depuis cette tentative de meurtre, votre famille aurait vécu cloitrée à la maison, tandis que votre cousin serait parti vivre aux Pays-Bas où il aurait été tué en 1999 à cause d'un « conflit qu'il a eu là-bas ». Après son enterrement, votre famille aurait tenté de se réconcilier avec la famille de la personne visée par votre cousin, mais celle-ci aurait refusé. Vous ne sauriez pas qui aurait été visé par votre cousin et ne sauriez pas non plus donner des informations quelconques quant à sa famille.

En plus, en 2000, des membres inconnus de votre famille auraient décidé de venger la mort de votre cousin en tuant deux membres de la famille de son meurtrier. Vous précisez que vous n'auriez jamais voulu vous mêler des problèmes de votre famille et ne pas approuver ce qu'elle aurait fait, raison pour laquelle vous seriez parti en Suède en 2010, tout en précisant que vous n'auriez jamais eu de problèmes personnels en Albanie.

En 2012, vous seriez brièvement retourné en Albanie, mais seriez retourné en Suède après deux semaines. En mai 2013, vous seriez de nouveau retourné vivre en Albanie en vous installant chez votre oncle à …, où vous auriez fait la connaissance d'…. En janvier 2014, alors qu'elle aurait encore été mineure, … aurait quitté sa famille et vous vous seriez alors installés dans votre maison parentale. Etant donné que son père n'aurait pas su où elle se trouverait, elle aurait été déclarée disparue par les autorités albanaises. Votre père se serait alors présenté à la police pour lui expliquer que la fille se trouverait chez sa famille. La police aurait décidé de faire rentrer … à sa maison parentale et aurait conseillé à votre père de trouver une solution à l'amiable avec la famille d'….

Or, comme vous auriez eu peur de la réaction de son père envers sa fille pour avoir « déshonoré » la famille, vous l'auriez attendue devant le commissariat de police pour la ramener chez vous. Vous auriez alors à plusieurs reprises tenté de vous réconcilier avec son père mais ce dernier n'aurait jamais accepté et aurait menacé de vous tuer pour avoir « sali son honneur ».

En février 2015, vous seriez retourné en Suède en espérant y trouver un travail et en mars 2016, vous seriez retourné en Albanie. En avril 2016, … serait tombée enceinte. En août 2016, vous seriez allé voir le père d'… pour le demander la main de sa famille, mais ce dernier et d'autres membres de sa famille vous auraient alors « agressé verbalement ». « Heureusement » qu'un policier du quartier serait alors passé pour vous emmener au commissariat pour un petit interrogatoire. Il vous aurait reproché de vous être rendu auprès de la famille d'… alors qu'elle aurait pu se sentir agressée par cette action.

En novembre 2016, … serait venue au Luxembourg, tandis que vous auriez été obligé de rester en Albanie à cause de « tous ces soucis » et pour « attendre la suite de cette affaire ». Ensuite, vous expliquez toutefois que vous n'auriez pas eu le droit d'entrer dans l'espace Schengen jusqu'au 13 avril 2018, pour avoir vécu de façon irrégulière en Suède. Après le départ d'…, vous n'auriez plus rencontré de problèmes en Albanie. Vous auriez pris la décision de quitter l'Albanie à la naissance de votre fille au Luxembourg.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

(…) ».

Le ministre informa ensuite Monsieur… qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.

Le ministre estima que Monsieur…, de nationalité albanaise, proviendrait d’un pays d’origine sûr, à savoir l’Albanie.

Par ailleurs, il estima que les raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Ainsi, il ne serait pas établi que Monsieur… soit effectivement impliqué dans une dette de sang remontant aux années 1990 respectivement 2000. Pour le surplus, Monsieur… n’aurait donné aucune précision quant à cette vendetta et ne ferait pas non plus état du moindre incident l’ayant impliqué, de manière que le ministre conclut à une crainte purement hypothétique, cette analyse étant confirmée, d’après le ministre, par la circonstance que Monsieur… serait retourné à plusieurs reprises en Albanie après l’avoir quitté.

A admettre que Monsieur… soit impliqué dans une dette de sang, le ministre estima encore qu’une telle vendetta ne pourrait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève pour ne pas trouver son origine dans l’appartenance de Monsieur… à une certaine ethnie, sa nationalité, sa religion, ses convictions politiques ou encore son appartenance à un certain groupe social.

En réalité, les motifs du départ de Monsieur… de son pays d’origine seraient, d’après le ministre, sa décision de quitter l’Albanie pour venir au Luxembourg suite à la naissance de sa fille au Luxembourg. Or, des motifs familiaux ne sauraient justifier une demande de protection internationale.

S’y ajouterait, que Monsieur… aurait proféré des menaces à l’encontre de sa petite amie.

Pour le surplus, s’agissant des menaces reçues de la part du père de sa petite amie, le ministre ajouta qu’un conflit d’ordre purement familial ne pourrait constituer une persécution.

Le ministre retint ensuite que dans la mesure où les actes invoqués émaneraient de personnes privées, Monsieur… ne pourrait prétendre à une protection internationale que pour autant qu’il prouve un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine, défaut de protection qui ne serait pas établi en l’espèce.

A cet égard, le ministre releva le fonctionnement de la police albanaise, qui montrerait une détermination particulière à rayer des problèmes de vengeance.

Enfin, le ministre évoqua la possibilité d'une fuite interne.

Le ministre estima, par ailleurs, que les faits mis en avant par Monsieur… ne justifieraient pas non plus l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire puisqu’il n’établirait pas qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2018, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 7 juin 2018 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à la demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 7 juin 2018, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et s’agissant de la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche au ministre une fausse application de la loi sinon une appréciation erronée des faits.

Son départ de l’Albanie aurait, en effet, été motivé par sa crainte constante d’être persécuté sinon tué par le père de sa compagne, …, laquelle en prenant la fuite avec lui aurait déshonoré sa famille. De plus, sa propre famille serait impliquée dans une dette de sang remontant à 1998. Chaque famille tuant un autre membre pendant des années, lui-même n’aurait pas eu d’autre choix que de vivre cloîtré dans sa maison jusqu’en 2010 lorsqu’il aurait décidé de quitter son pays d’origine. Le demandeur estime que les faits exposés par lui seraient pertinents par rapport à la demande de protection internationale, en faisant valoir qu’il n’aurait plus pu sortir seul sous la menace de la dette de sang, de sorte à ne plus se sentir en sécurité en Albanie sans pouvoir réclamer une protection des autorités en place. Il donne à considérer qu’il serait persécuté en raison de son appartenance à un groupe social vulnérable, à savoir le groupe social des personnes victimes d’une dette de sang en Albanie.

Le demandeur donne ensuite à considérer que les craintes l’ayant poussé à fuir son pays d’origine seraient l’absence de liberté de circulation, les menaces et la crainte de se faire agresser sinon tuer en raison de la dette de sang engagée contre sa famille, les menaces et la crainte de se faire agresser sinon tuer en raison de la dette de sang engagée contre lui-même en raison de sa fuite avec sa compagne …, l’absence de protection de la part de la police albanaise et l’isolement au niveau social et professionnel.

Ces craintes seraient liées aux critères de fond définis par la Convention de Genève, le demandeur insistant qu’il aurait des raisons évidentes de craindre pour sa vie. Il souligne qu’il ne pourrait bénéficier d’aucune protection de la part des autorités albanaises, en renvoyant à ses déclarations faites lors de son audition. Il donne encore à considérer que les incidents vécus par lui ne devraient pas être pris isolément, mais en tenant compte de l’atmosphère générale d’insécurité en raison de son implication à une dette de sang, de sorte que l’effet cumulatif des événements vécus devrait être pris en considération.

Le demandeur en conclut qu’il serait victime directe d’actes de persécution qui seraient d’une gravité particulière et suffisante.

Il estime que l’autorité ministérielle aurait manqué à son obligation d’examiner de façon appropriée son dossier, de sorte que l’argumentation du ministre destinée à mettre en doute et de décrédibiliser son récit respectivement son implication dans une dette de sang résulterait d’une mauvaise appréciation des faits de l’espèce et violerait le principe de diligence et de loyauté, de même que la loi.

Quant à la demande en obtention du statut de réfugié, le demandeur fait valoir que l’incapacité de l’Albanie de protéger ses citoyens de façon effective serait de nature à justifier l’existence d’une persécution.

Le demandeur se réfère à un rapport de …à propos du Kanun, tout en donnant à considérer que certaines personnes appliqueraient le Kanun même à l’égard des enfants, quel que soit leur âge. Il cite encore un article du journal Courrier international à propos de la vendetta.

Le demandeur en déduit qu’à l’heure actuelle, l’image de l’Albanie telle que décrite par l’autorité ministérielle quant au respect des valeurs humaines ne refléterait pas la réalité, le demandeur soulignant qu’en l’espèce, les persécutions s’inscriraient dans un contexte de persécutions généralisées sans que les autorités en place ne soient en mesure d’apporter une quelconque protection.

S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur cite les dispositions de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à propos de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Il souligne que le caractère réel de sa crainte de subir des atteintes graves ressortirait du dossier administratif puisqu’il aurait d’ores et déjà dû souffrir d’atteintes graves l’ayant poussé à quitter l’Albanie. Le fait de vivre dans la peur constante constituerait pour lui un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, le demandeur citant, à cet égard, les dispositions de l’article 42, paragraphe 1 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015. Il donne à considérer que les menaces de mort répétées et l’absence de protection de la part des autorités étatiques constitueraient, par leur caractère répété et leur accumulation, des atteintes à ses droits fondamentaux et notamment au droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant et à son droit de circuler librement.

Tout en admettant que les actes émaneraient de personnes privées, le demandeur fait valoir que celles-ci devraient être considérées comme des agents de persécution, à défaut de protection disponible dans son pays d’origine. Il se dégagerait de son récit que des « personnes inconnues ainsi que les autorités étatiques » seraient les persécuteurs principaux ce qui expliquerait qu’il n’aurait eu aucune volonté ou confiance de « redemander » une quelconque protection puisque les persécutions émaneraient « de personnes inconnues, mais également de la police elle-même ». Eu égard à l’inaction de la police, celle-ci ne serait pas digne de confiance pour qu’il réclame sa protection.

Le demandeur donne encore à considérer que même lorsqu’il avait tenté une réconciliation, il aurait été arrêté par la police pour avoir menacé sa belle-famille, de sorte à en déduire qu’il ne bénéficierait d’aucune assistance ou protection de la police albanaise.

Il en conclut que les démarches auprès de la police albanaise s’avéreraient inutiles puisque celle-ci serait impuissante et incapable respectivement n’aurait pas la volonté de lui accorder une protection. L’accumulation des « persécutions » serait suffisamment grave, puisqu’il aurait lui-même été « attaqué physiquement », de sorte à avoir été « à plusieurs reprises » victime de « violences physiques et morales ».

Il aurait partant été victime de violations graves et répétées de ses droits de l’homme.

Le demandeur ajoute que les faits constitueraient incontestablement des « actes de persécution » au sens de l’article 42 b) de la loi du 18 décembre 2015 en ce qu’ils constitueraient une accumulation de diverses mesures qui se seraient succédées de manière répétitive avant sa fuite de l’Albanie et qui auraient sans doute continué s’il n’avait pas pris la fuite.

Dans la mesure où la police aurait fait preuve d’inaction, il serait démontré à suffisance qu’elle n’est pas digne de confiance et l’empêcherait à réclamer une protection.

Enfin, le demandeur insiste sur la considération que ces craintes seraient liées à son appartenance à un groupe social, ce qui serait le cas si les membres du groupe partagent une caractéristique innée ou une histoire commune ne pouvant pas être modifiée, de sorte que lui-

même appartiendrait à un groupe social vulnérable en raison de la vendetta contre sa famille.

Il souligne qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il s’exposerait à des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et notamment à des traitements inhumains, dégradants et discriminatoires, de sorte à être fondé à se prévaloir de la protection subsidiaire. Il conviendrait de constater que la situation particulière des personnes victimes de la loi du Kanun, tel que cela serait son cas, et l’incapacité de la police à le protéger dans son pays d’origine.

La situation en Albanie serait loin de répondre aux critères d’un Etat démocratique, de sorte à ne pas pouvoir être considéré comme un pays d’origine sûr. Les lacunes seraient non négligeables et toucheraient les personnes les plus vulnérables respectivement les enfants d’une famille impliquée dans une vendetta vivant en cachette et en marge de la société.

Dans ces conditions, la présomption de pays d’origine sûr devrait être renversée d’autant plus qu’il s’agirait d’un pays se caractérisant par la fragilité de son Etat de droit et ne répondant pas aux caractéristiques des dispositions de l’article 20 paragraphe 2, a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015.

Les institutions en Albanie demeureraient fragiles et resteraient gangrénées par la corruption, et les préjugés, régis par une loi patriarcale toujours plus violente, les rendant inaptes à protéger les droits des citoyens victimes d’une dette de sang.

En l’espèce, au regard de l’ensemble des développements exposés dans son recours, le demandeur est d’avis que le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 « introduirait incontestablement une discrimination entre les réfugiés en raison de leur pays d’origine » ce qui serait contraire aux dispositions de l’article 3 de la Convention de Genève.

La décision ministérielle encourait partant la réformation pour violation de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant de la situation générale en Albanie, le demandeur fait valoir qu’il conviendrait de considérer la vulnérabilité des personnes visées par la problématique du Kanun et l’incapacité des autorités albanaises à y répondre de manière satisfaisante.

Le demandeur se réfère à un rapport intitulé « Albanie : vendetta » du 13 juillet 2016 de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, dont la teneur se trouverait corroborée par le « rapport de mission en République d’Albanie du 3 au 13 juillet 2013 ». Dans son rapport de 2013, le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Monsieur …, confirmerait la persistance et la gravité du phénomène. S’y ajouterait que les autorités de police et judiciaires albanaises seraient fortement affaiblies en raison de problèmes de corruption, le demandeur se référant, à cet égard, à un document intitulé « Mission exploratoire en Albanie du 1er au 6 avril 2013 ».

Par ailleurs, il se réfère à un rapport déposé suite à la visite en Albanie du 13 au 27 septembre 2013 par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe … .

Le demandeur donne encore à considérer qu’à l’affaiblissement des autorités albanaises du fait des problèmes de corruption s’ajouterait le fait que ces mêmes autorités n’évalueraient pas à sa juste mesure la problématique du Kanun en termes d’atteinte à l’ordre public et aux libertés fondamentales des citoyens albanais, le demandeur se référant, à cet égard, à un rapport d’avril 2013 de l’avocat du peuple, tout en soulignant que la vendetta selon la loi du Kanun serait toujours d’actualité en renvoyant à une « pièce numéro 16 », non versée aux débats. Pour insister sur les problèmes de corruption, le demandeur renvoie encore à un article publié en mars 2017, en donnant à considérer que l’ensemble de l’appareil judiciaire et policier albanais serait défaillant, tout en mettant en question la probité de certains hommes politiques albanais.

Sa situation serait le reflet d’une absence totale de l’Etat de droit en Albanie.

Poursuivi pour une vengeance par ses persécuteurs, sans même avoir participé aux querelles initiales, le demandeur déclare rester menacé et risquer d’être victime de cette vengeance respectivement de la dette de sang de sa famille sinon par la famille de sa compagne ….

S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, le demandeur en demande la réformation comme conséquence la réformation du refus de lui accorder une protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».

En l’espèce, le ministre a conclu que le demandeur provient d’un pays sûr, à savoir l’Albanie.

Il n’est pas contesté que le demandeur a la nationalité albanaise, et il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tel que modifié par la suite, a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr.

Il convient toutefois de relever que vu le libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe, par ailleurs, au ministre d’évaluer si le demandeur de protection internationale ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Pour l’examen de la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, s’il fait, comme en l’espèce, état de faits subis par des personnes non étatiques, le demandeur invoquant, en effet, des difficultés avec deux familles dans le cadre d’une vendetta, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 391 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 402 de la même loi est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux moyens présentés par le demandeur tendant à établir que cette condition requise pour prétendre à une protection internationale est remplie dans son chef.

A cet égard, la soussignée relève encore que si le demandeur, affirme dans la requête introductive d’instance, avoir été « persécuté » aussi par des policiers, il ne se dégage nullement de son audition que tel avait été le cas, le demandeur ne précisant d’ailleurs pas non plus dans la requête introductive quelles seraient les persécutions policières dont il fait état.

Dans ces conditions, il y a lieu d’admettre que les difficultés dont fait état le demandeur sont à entrevoir exclusivement par rapport à des agents non étatiques.

1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire.

Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il convient, ensuite, de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.

Il y a partant lieu d’analyser si le demandeur a soumis, conformément à l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie n’est pas un pays sur compte tenu de sa situation personnelle.

En l’espèce, l’analyse de la situation décrite par le demandeur lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet cependant pas à la soussignée d’en dégager des éléments convaincants pour renverser la présomption se dégageant de l’inscription de son pays d’origine sur la liste des pays sûrs et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision déférée.

La soussignée relève, en effet, que le demandeur n’a apporté aucune raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée.

Par ailleurs, il convient de relever que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse, que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.

L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances physiques et morales, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, force est à la soussignée de constater que le demandeur a déclaré lors de son audition que les autorités albanaises n’ont jamais été au courant de l’affaire de vengeance dans laquelle il déclare que sa famille serait impliquée et, sur question de l’agent menant l’entretien s’il avait déposé plainte auprès de la police, le demandeur a encore répondu par la négative.

Si dans son recours, le demandeur déclare, en substance, ne pas avoir confiance en la police albanaise en raison d’une inaction de celle-ci, la soussignée relève que, d’une part, le demandeur ne fournit aucun élément concret susceptible de conforter cette thèse, la police étant d’ailleurs intervenue lorsqu’il s’était rendu chez la famille d’… qui l’aurait agressé verbalement à ce moment3. Si le demandeur déclare encore que la police l’aurait, à ce moment, retenu au commissariat et lui aurait reproché d’avoir également menacé la famille de sa petite amie, la soussignée relève que le demandeur reste muet quant aux circonstances exactes de l’incident, de sorte que la circonstance que la police lui a reproché d’avoir aussi menacé cette famille ne constitue pas forcément un indice d’une absence de volonté de la police de protéger des personnes impliquées dans une vendetta, mais s’inscrit a priori dans le cadre d’une enquête ordinaire. D’autre part, il se dégage des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, que la police albanaise ne reste pas inactive plus particulièrement par rapport à des problèmes de vendetta, constat qui n’est pas ébranlé par les explications fournies par le demandeur, de sorte que le demandeur n’est pas fondé à justifier le défaut d’avoir recherché l’aide la police albanaise par l’affirmation qu’il n’aurait pas confiance en celle-ci.

Le demandeur n’a partant pas fourni des éléments suffisants permettant de conclure que de manière générale, la police albanaise serait impuissante ou non disposée à lui offrir une protection contre les problèmes dont il fait état, ce constat s’imposant d’autant plus que le demandeur a omis de rechercher l’aide des autorités de son pays d’origine.

Dès lors, le demandeur n’est manifestement pas fondé à soutenir qu’il n’aurait eu aucune possibilité de requérir une aide contre les difficultés rencontrées dans son pays d’origine, et que de la sorte l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr compte tenu de sa situation particulière.

Cette conclusion n’est pas infirmée par l’affirmation vague du demandeur que le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 « introduirait incontestablement une discrimination entre les réfugiés en raison de leur 3 Rapport d’entretien, page 4 : « Heureusement que le policier du quartier est arrivé temps » pays d’origine » ce qui serait contraire aux dispositions de l’article 3 de la Convention de Genève, des moyens non autrement expliqués et étayés n’étant manifestement pas de nature à fonder les prétentions du demandeur et à remettre en question le bien-fondé de la décision déférée.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur, dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande d’octroi d’une protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays sûr dans son chef sont visiblement dénués de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale La soussignée relève qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 394 et 405 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs 4 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 5 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précités, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

Or, indépendamment du caractère réel de la vendetta et de la gravité et du sérieux des difficultés dont fait état le demandeur, remis en question par l’Etat, la soussignée relève qu’elle vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir au demandeur une protection appropriée par rapport aux craintes dont il fait état. Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours, la soussignée ne s’est pas vu soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, les craintes avancées par le demandeur ne sauraient manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que Monsieur… est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celui-ci dans son pays d’origine ne les expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement.

Il s’ensuit et à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, Le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 7 juin 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours dirigé contre les trois décisions déférées manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de son demande d’octroi du statut conféré par la protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 juillet 2018 à 10.30 heures, par la soussignée, vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/7/2018 Le Greffier du Tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41322
Date de la décision : 13/07/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-07-13;41322 ?

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