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25/06/2018 | LUXEMBOURG | N°41212

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juin 2018, 41212


Tribunal administratif N° 41212 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2018 Audience publique du 25 juin 2018 Recours formé par Monsieur … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41212 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mai 2018 par Maître Patrice Mbonyumutwa, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ….. à …..(Maroc)...

Tribunal administratif N° 41212 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2018 Audience publique du 25 juin 2018 Recours formé par Monsieur … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41212 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mai 2018 par Maître Patrice Mbonyumutwa, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ….. à …..(Maroc), alias Monsieur …, né le ….. à ….. (Tunisie), actuellement sans domicile connu, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 avril 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge, en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Ysaline Peugeot, en remplacement de Maître Patrice Mbonyumutwa, et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 juin 2018.

Le 9 octobre 2017, Monsieur …, ci-après désigné par « Monsieur ….. », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur ….. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le même jour, Monsieur ….. fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

A l’entretien prévu à 10.30 heures en date du 17 janvier 2018 auprès d’un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, afin d’être entendu sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, Monsieur ….. arriva une heure et demi en retard, de sorte que seules les données sur sa personne et sur sa situation familiale furent recueillies, tandis qu’à l’audition du 20 février 2018 fixée pour la continuation, il ne se présenta pas et ce sans remettre d’excuses.

Par courrier du 10 mars 2018 envoyé au litismandataire de l’époque de Monsieur …, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », constata que Monsieur…ne s’est pas présenté à l’entretien prévu en date du 20 février 2018 et lui demanda de faire parvenir par écrit les motifs à la base de sa demande de protection internationale jusqu’au 16 mars 2018.

Par décision du 25 avril 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 23 mai 2018 après avoir fait l’objet d’un affichage public, le ministre informa Monsieur…qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre estima, en substance, que Monsieur…manifesterait un désintérêt total pour le déroulement de sa demande de protection internationale et que des incohérences existeraient entre le rapport de police du 20 février 2018, les données manuscrites de sa fiche des motifs de demande de protection internationale et le rapport d’entretien du 17 janvier 2018. Il nota ensuite que des faits non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ne seraient susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que Monsieur…resterait en défaut d’étayer un lien entre le prétendu assassinat de ses parents et des éléments liés à sa personne l’exposant à des actes similaires.

Enfin, il conclut que le récit de Monsieur…ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2018, Monsieur…a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 25 avril 2018 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître des recours en réformation dirigés contre les décisions du ministre du 25 avril 2018 telles que déférées.

Lesdits recours ayant encore été introduits dans les formes et délai de la loi, ils sont à déclarer recevables.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur admet en premier lieu avoir menti « sans raisons apparentes » aux autorités luxembourgeoises dans la mesure où il ne se nommerait pas …, mais …, et serait en réalité d’origine tunisienne et non pas d’origine marocaine.

A l’appui du volet de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur se rapporte à prudence de justice.

A l’appui de son recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur demande à titre principal l’octroi du statut de réfugié et à titre subsidiaire le statut conféré par la protection subsidiaire et « s’en remet à la prudence du Tribunal quant à ce point ».

Enfin, le demandeur fait valoir dans le cadre du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire qu’il aurait pour projet de se marier et qu’il serait dans l’attente de son passeport. Il soutient par ailleurs que « sa compagne régulière » serait enceinte et qu’il entendrait reconnaître son enfant dès qu’il serait en possession de son passeport. Il précise qu’il serait « injuste » de maintenir l’ordre de quitter le territoire à son encontre et de « l’empêcher de vivre avec son nouveau-né, de partager les joies de la naissance et d’apporter toute l’aide dont la maman aura besoin ». Il invoque dans ce contexte que l’ordre de quitter le territoire serait incompatible avec les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des trois recours.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

La soussignée constate de prime abord que ni le texte législatif ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents, ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé », et ce contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait en son article 9 la demande d’asile manifestement infondée1, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile en ses articles 32, 43, 54 et 65.

Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le 1 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile […]. » 2 « Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée. » 3 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » 4 « 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution. 2) Le fait d’établir qu’un pays déterminé ne présente pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution, n’entraînera cependant pas automatiquement le rejet de toute demande d’asile introduite par un ressortissant de ce pays, le principe de l’examen individuel de la demande restant acquis. » 5 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur le point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel :

« (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale.

Force est à la soussignée de constater que si le demandeur dirige un recours contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, il s’est cependant limité à se rapporter à prudence de justice quant à ce volet de la décision entreprise.

Or, s’il est vrai que le fait pour une partie de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation6, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement développée est à écarter, dans la mesure où il n’appartient pas à la soussignée de suppléer à la carence du demandeur et de faire des suppositions sur le moyen que ce dernier aurait voulu soulever au risque d’une violation des droits de la défense7.

S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, force est en premier lieu à la soussignée de retenir qu’en vertu de l’article 13, paragraphe 58, le ministre a pu prendre une décision malgré le fait que le demandeur ne s’est pas présenté auprès de la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes afin de passer l’entretien personnel prévu par ladite disposition.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « (…) tout 6 trib. adm. 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 741, 1er tiret, et les autres références y citées.

7 trib. adm. 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 741, 2e tiret.

8 « L’absence d’entretien personnel n’empêche pas le ministre de se prononcer sur une demande de protection internationale. Indépendamment de l’article 23, paragraphe (2), lorsque le ministre se prononce sur une demande de protection internationale, il peut tenir compte du fait que le demandeur ne s’est pas présenté à l’entretien personnel, sauf s’il avait de bonnes raison de ne pas se présenter. (…) » ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ». L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), comme étant la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond de la Convention de Genève où sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Force est à la soussignée de constater que le demandeur dirige certes un recours contre la décision du ministre lui refusant la protection internationale mais se rapporte à prudence de justice. Or, comme la soussignée vient de le rappeler lors de l’analyse du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée n’est pas appelée à suppléer à la carence du demandeur, au risque notamment de violer les droits de la défense, le recours tendant à la réformation de la décision de lui accorder une protection internationale est, à défaut de moyens dirigés contre ce volet de la décision, à rejeter pour être manifestement infondé.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, de sorte que c’est, à juste titre, que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée dès lors qu’un retour dans son pays d’origine n’est pas de nature à l’exposer à des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, force est de retenir qu’il a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En ce qui concerne le moyen du demandeur selon lequel un ordre de quitter le territoire à son égard serait incompatible avec l’article 8 de la CEDH, la soussignée rappelle que le juge administratif dans le cadre de sa compétence attribuée sur la base de la loi du 18 décembre 2015, se prononce exclusivement sur la reconnaissance du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire et sa compétence se limite dès lors à un examen des éléments en rapport avec les critères fixés dans les articles 2, sub f) et g), de la loi du 18 décembre 20159 et que l’invocation d’une vie privée et familiale relève d’une autre procédure que celle de la demande de protection internationale.

A titre superfétatoire, force est à la soussignée de relever que les circonstances de fait mises en avant par le demandeur, telles que son intention d’épouser « sa compagne régulière », qui serait enceinte de ses œuvres, ne sont pas de nature, en l’espèce, à remettre en cause la proportionnalité de la décision déférée, étant rappelé qu’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, même si les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration. A cet égard, en ce qui concerne l’invocation de l’article 8 de la CEDH, celui-ci est libellé comme suit :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

La protection de l’article 8 CEDH ne saurait cependant être admise qu’à condition que la vie familiale invoquée soit effective, et qu’elle ait été a priori préexistante à l’entrée sur le territoire national. En effet, l’article 8 CEDH n’est pas absolu et ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis - l’article 8 ne garantissant en particulier pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale10 -

et un étranger séjournant de manière irrégulière sur le territoire luxembourgeois n’est pas sans ignorer la relative précarité de sa situation. Or, si un étranger en situation irrégulière demeurant sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie privée et familiale peut certes alléguer qu’une décision de refus de lui accorder un titre de séjour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la décision litigieuse avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 CEDH.

9 Cour adm. 17 mai 2018, n° 40890C du rôle.

10 Voir Cour eur. D.H., Abdulaziz, Cabales and Balkandali c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, et Ahmut c. Pays-

Bas, du 28 novembre 1996.

Par ailleurs, en vertu de l’article 8, paragraphe 2 CEDH, le droit au respect de la vie privée et familiale n’est pas illimité. L’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit peut bel et bien être justifiée si elle est « prévue par la loi », motivée par l’un ou plusieurs des buts légitimes énumérés, et « nécessaire dans une société démocratique », c’est-

à-dire proportionnée au but légitime poursuivi. Pour qu’une mesure soit « prévue par la loi », elle doit avoir un fondement dans le droit interne, être accessible et être prévisible, c’est-à-

dire «ne pas être dépourvue de toutes les garanties contre l’arbitraire».

La soussignée retient, d’un côté, que l’ordre de quitter le territoire litigieux a été pris en application de la loi du 18 décembre 2015, dont les dispositions doivent être considérées comme constituant des mesures qui, dans une société démocratique, sont nécessaires pour contrôler l’entrée des non-nationaux sur le territoire national11.

D’un autre côté, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la notion de vie familiale est un concept autonome12. Par conséquent, la question de l’existence ou de la non-existence d’une « vie familiale » est essentiellement une question de fait qui dépend de l’existence réelle dans la pratique de liens personnels étroits13. La soussignée examinera dès lors, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’Homme14, les liens familiaux de facto, tels que la vie commune du demandeur et de sa compagne, étant souligné que la Cour européenne des droits de l’Homme privilégie en premier lieu les attaches familiales effectives et solides15.

Dès lors, il convient de vérifier l’existence d’une vie privée et familiale effective ainsi que, cumulativement, l’impossibilité pour les intéressés de s’installer et de mener une vie privée et familiale normale dans un autre pays16.

Or, à cet égard, la soussignée est d’abord amenée à constater le statut nécessairement précaire du demandeur ayant introduit, selon ses propres dires, sa demande sous une fausse identité, en sa qualité de demandeur de protection internationale arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en date du 9 octobre 2017, et la qualité relativement récente de sa relation, le demandeur n’alléguant pas avoir connu sa compagne antérieurement à cette date, ainsi que le fait que les intéressés ne partagent officiellement pas la même résidence, tel qu’il ressort de l’extrait de la base de donnée RNRPP versé en cause par le délégué du gouvernement.

La soussignée constate ensuite que si le demandeur a certes annoncé dans sa requête introductive d’instance son intention imminente de marier sa compagne qui serait par ailleurs enceinte de ses œuvres, projet qui ne se trouve corroboré par aucun élément de preuve à part un certificat médical de grossesse d’une dénommée … sans référence à Monsieur …., une telle intention ne semble pas, en l’état des informations fournies à la soussignée, s’être concrétisée à la date du présent jugement, suivant les éléments de fait et de droit présentement acquis, de sorte qu’il convient d’en déduire que la relation telle que mise en avant lors de l’introduction 11 Voir notamment l’arrêt Cruz Varas et autres du 20 mars 1991.

12 Marckx c.Belgique, arrêt du 13 juin 1979, Série A no. 31, p. 11, §. 31, rapport de la Commission du 10 décembre 1977, Série B-29, p.44, § 69 13 K. c. Royaume-Uni, n° 11468/85, décision de la Commission du 15 octobre 1986, Décisions et Rapports (DR) 50, pp. 199, 207.

14 Voir : Johnston et autres c. Irlande, arrêt du 18 décembre 1986, Série A no. 112, p. 19, § 56.

15 Voir, par exemple, Bouchelkia c. France, arrêt du 29 janvier 1997, Mehemi c. France, arrêt du 26 septembre 1997, Nasri c. France, arrêt du 13 juillet 1995 et Radovanovic c. Autriche, arrêt du 22 avril 2004.

16 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n° 354.

du recours n’a pas connu les suites escomptées, permettant à la soussignée de retenir, au jour du présent jugement, l’absence de vie privée et familiale effective dans le chef des intéressés.

Au vu des conclusions qui précèdent, le moyen relatif à une violation de l’article 8 de la CEDH est à rejeter pour être non fondé.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme les recours en réformation introduits contre la décision ministérielle du 25 avril 2018 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare les recours dirigés contre ces trois décisions manifestement infondés et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juin 2018, par la soussignée, Michèle Stoffel, juge au tribunal administratif, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Michèle Stoffel Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2018 Le Greffier du Tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41212
Date de la décision : 25/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-06-25;41212 ?

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