La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/03/2018 | LUXEMBOURG | N°40838

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2018, 40838


Tribunal administratif N° 40838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2018 Audience publique du 7 mars 2018 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, par rapport à un arrêté du ministre de l’Economie en présence de la société anonyme …, en matière de servitude

___________________________________________________________________________


ORDONNANCE

Vu la requête, inscrite sous le numéro 40838 du rôle et déposée le 28 février 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri FRA

NK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Tribunal administratif N° 40838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2018 Audience publique du 7 mars 2018 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par Monsieur …, …, par rapport à un arrêté du ministre de l’Economie en présence de la société anonyme …, en matière de servitude

___________________________________________________________________________

ORDONNANCE

Vu la requête, inscrite sous le numéro 40838 du rôle et déposée le 28 février 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, agriculteur, demeurant à …, tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à un arrêté du ministre de l’Economie du 13 décembre 2017, référencé sous …, portant autorisation dans le chef de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d’administration en fonctions, à se servir d’une parcelle, sise dans la commune d’Echternach, section … de …, n° du cadastre …, dans le cadre de la modification partielle de la ligne aérienne à haute tension « Rosport-Echternach/Monsanto », un recours en annulation, introduit par requête déposée le 23 février 2018 et inscrite sous le numéro 40810 du rôle, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 1er mars 2018, portant signification du prédit recours à la société anonyme …, préqualifiée ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Maître Henri FRANK, Maître Serge MARX, pour la société anonyme …, et Monsieur le délégué de gouvernement Luc REDING entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mars 2018.

___________________________________________________________________________

En date du 28 septembre 2016, la société anonyme …, ci-après dénommée « … », introduisit auprès du ministre de l’Economie, ci-après dénommé le « ministre », une demande tendant à l’obtention, sur base de l’article 41 de la loi modifiée du 1er août 2007 relative à l’organisation du marché de l’électricité, d’une autorisation de se servir d’une parcelle, sise dans la commune d’Echternach, section … de …, n° du cadastre …, et appartenant à Monsieur …, dans le cadre de la modification partielle de la ligne aérienne à haute tension « Rosport-Echternach/Monsanto », et ce en vue de la pose d’un pylône et du passage aérien de la ligne haute tension.

1 L’avis de dépôt de ladite demande fut affiché à la commune d’Echternach pendant une période de 15 jours à partir du 13 janvier 2017, le même avis de dépôt ayant également été notifié en date du 13 janvier 2017 par courrier recommandé à Monsieur ….

Au cours de l’enquête menée par le collège des bourgmestre et échevins de l’administration communale d’Echternach conformément à l’article 41, paragraphe (4), alinéa 9 de la loi précitée du 1er août 2007, Monsieur … introduisit par courrier du 26 janvier 2017 auprès de l’administration communale une réclamation à l’encontre de la demande d’autorisation déposée par ….

Le ministre, après avoir réceptionné la prise de position de … du 6 novembre 2017 par rapport à la réclamation de Monsieur …, ainsi que l’avis du commissaire du Gouvernement à l’Energie du 13 décembre 2017, délivra en date du 13 décembre 2017 l’autorisation sollicitée par …. L’arrêté ministériel est libellé comme suit :

« Vu la loi modifiée du 1er août 2007 relative à l’organisation du marché de l’électricité et notamment son article 41 ;

Vu la demande de …. en obtention d’une autorisation pour la modification partielle de la ligne aérienne à haute tension « Rosport-Echternach/Monsanto », nous parvenue le 28 septembre 2016 ;

Vu les pièces de l’instruction et le résultat de l’enquête publique de la commune d’Echternach ordonnée conformément à la loi modifiée du 1er août 2007 relative à l’organisation du marché de l’électricité ;

Vu la prise de position de … du 6 novembre 2017 ;

Vu l’avis du Commissaire du Gouvernement à l’Energie du 13 décembre 2017 ;

Arrête:

Art. 1er. La société …. est autorisée à se servir du terrain enregistré sous le numéro cadastral … appartenant à Monsieur …, demeurant à ….

Art. 2. La servitude sur le terrain concerné établie par l’article 1er constitue une servitude d’utilité publique.

Article 3. Les indemnités revenant à l’intéressé seront réglées conformément aux dispositions du paragraphe 6 de l’article 41 de la loi modifiée du 1er août 2007 relative à l’organisation du marché de l’électricité.

Article 4. (1) Le présent arrêté sera expédié à … aux fins d’exécution ainsi qu’à l’intéressé aux fins de notification. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2018, enrôlée sous le n° 40810, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 13 décembre 2017. Par requête séparée, inscrite sous le numéro 40838 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2018, Monsieur … 2 sollicite l’institution d’un sursis à l’exécution par rapport à l’arrêté ministériel précité du 13 décembre 2017.

A l’appui de sa demande, Monsieur … soutient en substance que les conditions d’un sursis à exécution inscrites à l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », seraient remplies, en concluant à l’existence d’un préjudice grave et définitif dans son chef et au sérieux des moyens invoqués au fond.

En ce qui concerne l’existence d’un préjudice grave et définitif dans son chef, il expose que … aurait commencé en date du 28 février 2018 les travaux d’excavation en vue d’implanter un pylône ; aussi, le risque d’un préjudice grave et définitif serait de toute évidence donné car en cas de poursuite des travaux, il serait difficilement concevable que sans recours à des procédures longues, coûteuses et disproportionnées, le socle et le pylône construit sur ce socle ne soient supprimés. Partant, Monsieur … conclut à ce qu’il y aurait extrême urgence en la matière.

Quant aux moyens soulevés à l’appui de son recours au fond, le requérant soulève en en premier lieu que la motivation de la décision ministérielle serait fallacieuse et incompréhensible.

Dans ce contexte, il relève qu’une ligne aérienne de … passerait d’ores et déjà au-

dessus de sa parcelle n° …, de sorte qu’il serait déjà débiteur d’une servitude au profit de … concernant cette parcelle. Par ailleurs, cette ligne aérienne alimentant Freckeisen-Echternach-

Monsanto, reliée par les pylônes …, disposerait d’un poste de transformation 65/20 kV à hauteur du pylône n°… qui redirigerait une ligne aérienne vers le pylône n° …. Or, au niveau de sa demande en autorisation, … expliquerait que son poste de transformation 65/20 kV de la ligne Echternach/Zimpelbach se trouverait dans un état vétuste et qu’elle aurait l’intention de l’abandonner et que dès lors, elle projetterait ce nouveau tracé avec les nouveaux pylônes électriques : aussi, le requérant s’interroge quant à la nécessité d’implanter une nouvelle ligne alors que l’exploitant pourrait procéder à la mise en place d’un nouveau poste de transformation au même endroit tout en se servant des servitudes déjà existantes, le requérant estimant que la façon de procéder de … demeurerait incompréhensible.

Dans le même ordre d’idées, il relève que le tracé de la nouvelle ligne aérienne projetée par … ne serait pas droite, mais qu’elle effectuerait une légère courbe vers la gauche, ce qui aurait pour conséquence que le pylône électrique de … empièterait sur son terrain :

aussi, il conteste que l’implantation d’un pylône sur son terrain, imposée par cette courbe, soit nécessaire ou requise pour cause d’une quelconque utilité publique, alors qu’un tracé rectiligne épargnerait son terrain ; par ailleurs, il relève encore les parcelles voisines seraient toutes non construites, de sorte que le tracé retenu serait incompréhensible.

Monsieur … par conséquent conteste toute utilité publique au tracé retenu et à la nécessité d’empiéter sur sa propriété.

Il expose encore que toute décision administrative devrait être légalement motivée et reposer sur des motifs réels et sérieux, de sorte qu’une motivation incompréhensible et fallacieuse équivaudrait à une absence de motivation devant être sanctionnée par l’annulation pour excès de pouvoir et/ou détournement de pouvoir.

3 Subsidiairement, Monsieur … relève que l’article 41 (4) de la loi du 21 août 2007 prévoirait une obligation formelle de motivation ; or, en l’espèce, si la demande de … contiendrait une brève motivation, aucune précision ne serait apportée quant à la dimension du pylône.

En guise de conclusion de ce moyen, Monsieur … s’empare de son droit de propriété tel que garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que par la Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne et par l’article 16 de la Constitution, pour soutenir que ce droit serait violé sans motivation légale.

Dans le cadre d’un deuxième moyen, le requérant conteste la légalité de la servitude d’utilité publique. Il relève à ce titre que si l’arrêté ministériel spécifierait en son article 2 que la servitude sur le terrain concerné établi par l’article 1er constitue une servitude d’utilité publique, la référence à un article 1er sans précision de quel article il s’agit serait constitutive en soi d’excès respectivement de détournement de pouvoir.

Par ailleurs, le caractère d’utilité publique de la servitude serait contesté tant qu’il ne serait pas prouvé que l’ensemble du système de la modification de la ligne aérienne, de la création d’une nouvelle ligne aérienne et de la suppression du poste de transformation soient véritablement susceptibles de pouvoir revendiquer le caractère d’« utilité publique ».

En troisième lieu, le requérant rappelle être d’ores et déjà débiteur d’une servitude passant au-dessus de sa parcelle n°… ; aussi, en lui imposant une seconde servitude sur la parcelle voisine, … l’empêcherait d’y réaliser un établissement agricole projeté comprenant des hangars et des silos ; par conséquent, non seulement les immeubles prévus ne pourraient pas avoir les dimensions projetées, mais en outre, les engins agricoles n’auraient plus suffisamment d’espace afin d’effectuer des manœuvres nécessaires pour l’exploitation de l’établissement agricole. Ce faisant, l’arrêté ministériel violerait le principe de proportionnalité.

Enfin, en tant que quatrième moyen, le requérant invoque une violation de l’article 10bis de la Constitution en ce qu’il serait incontestablement discriminé par rapport aux autres propriétaires des terrains voisins, alors qu’il serait le seul à se voir imposer l’implantation d’un pylône sur sa parcelle. Si certes d’autres propriétaires devaient concéder une servitude aérienne, lui-même perdrait de facto une partie non négligeable de la surface de sa parcelle du fait de l’implantation d’un pylône.

Tant la partie gouvernementale que … concluent à la non-vérification de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef du demandeur ; par ailleurs, concernant le sérieux des moyens soulevés au fond, ils estiment qu’aucun moyen ne présenterait de sérieuses chances de succès.

En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

4 L’affaire au fond ayant été introduite le 23 février 2018 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme l’intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie demanderesse apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.

Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

5 Or, à cet égard, force est au soussigné de relever l’existence d’un précédent jurisprudentiel1 relatif à un cas similaire, respectivement à une argumentation identique, l’amenant à considérer qu’aucun des moyens du requérant ne convainc au provisoire.

Ainsi, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la motivation de la décision ministérielle serait « fallacieuse et incompréhensible », moyen consistant a priori en substance, dans la mesure où le soussigné l’a compris, à contester la nécessité du tracé retenu et, en particulier la nécessité d’implanter un pylône sur la parcelle n° …, il résulte des explications de …, corroborées par la prise de position adressée le 6 novembre 2017 par … au ministre de l’Economie, que le tracé retenu, et en particulier l’érection du pylône n° … sur la parcelle du requérant s’impose, d’une part, en amont, par la nécessité d’implanter une nouvelle portion de ligne entre le poste 65/20V « Monsanto » et le pylône n° … de la ligne Haute Tension « Rosport-Echternach-Monsanto », une partie de la ligne existante devant être supprimée suite à l’abandon du poste transformateur 65/20 KV « Echternach », tombé en désuétude. D’autre part, en aval, il résulte encore des explications du représentant de … qu’au-delà de la nécessité de créer un nouveau tronçon, le choix précis du tracé tel que retenu résultent de critères techniques, consistant notamment pour des raisons de tension physique d’éviter des angles aiguës dans la ligne, de critères environnementaux - l’exploitant étant tenu de minimiser l’impact paysager de sorte à rechercher l’installation de nouvelles lignes dans la mesure du possible en parallèle avec des lignes existants, l’impact visuel étant de la sorte moins important - et de critères économiques, l’exploitant ayant cherché à éviter la multiplication des pylônes et l’allongement non indispensable de la ligne. En ce qui concerne ce dernier critère, il résulte de la jurisprudence que si la loi du 1er août 2007 et plus particulièrement son article 27 laissent les gestionnaires de réseau libres de choisir le mode d’exécution du développement de leurs réseaux, il n’en reste pas moins qu’ils restent tenus d’établir et d’exploiter les réseaux sous leur responsabilité à des conditions économiques optimales. La notion des conditions économiquement les plus avantageuses s’inspire de la législation en matière de marchés publics qui considère, à côté des critères purement financiers et économiques, également d’autres critères, tels que des critères techniques, environnementaux et sociaux. A cela s’ajoute qu’au vu de la longévité des ouvrages électriques, il convient d’apprécier notamment l’ensemble des coûts sur toute la durée de vie et non pas seulement les coûts du premier établissement2.

Enfin, il résulte des explications du représentant de … que le choix précis de la localisation du pylône n° … s’imposait par la nécessité d’implanter en cet endroit de la ligne un pylône « tendeur », la localisation précise ayant été dictée par le souci de … d’impacter de manière minimale sur la parcelle n° … puisque le pylône sera installé en bordure et dans un coin de ce terrain afin de minimiser toute gêne d’exploitation.

Ces explications, a priori pertinentes et retraçables, n’ont pas été utilement énervées à l’audience par le requérant ; or, le régime de la charge de la preuve de droit commun en contentieux administratif tel qu’il est actuellement appliqué par les juges du fond, fait en premier lieu peser le fardeau de la preuve sur le requérant, lequel doit fournir des éléments concrets permettant d’énerver les motifs, de fait ou de droit, sur lesquels reposent une décision administrative.

1 Trib. adm. 22 juin 2015, n° 34293 du rôle, confirmé par arrêt du 26 janvier 2016, n° 36699C du rôle.

2 Projet de loi relative à l’organisation du marché de l’électricité n° 5695, commentaire des articles, ad article 28, cité par trib. adm. 22 juin 2015, n° 34293 du rôle.

6 La motivation fournie par … n’ayant à ce stade d’instruction du dossier pas été sérieusement ébranlée, le moyen tiré d’une motivation prétendument « fallacieuse et incompréhensible » ne présente pas le sérieux nécessaire.

En tout état de cause, la question du choix précis du tracé et des critères l’ayant déterminé, ainsi que l’éventuelle pondération entre ce choix et l’atteinte à la propriété du requérant, relèverait in fine d’une question d’appréciation exigeant une analyse plus poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait pas procéder.

En ce qui concerne le second moyen, consistant, sur la toile de fond des contestations analysées ci-avant et rejetées, en l’état actuel du dossier, comme ne présentant pas le sérieux nécessaire, à contester également le caractère d’utilité publique du projet à réaliser, le soussigné est également amené, en l’état actuel du dossier, à lui dénier le sérieux nécessaire.

En ce qui concerne d’abord l’affirmation selon laquelle le ministre, en se référant dans son arrêté à un article 1er « sans précision de quel article il s’agit » aurait commis un excès respectivement un détournement de pouvoir, sinon une violation de la forme destinée à protéger les intérêts privés, le soussigné ne saurait raisonnablement accorder un quelconque crédit à ce moyen, alors qu’une lecture même superficielle dudit arrêté doit nécessairement révéler que l’article 1er référencé à l’article 2 vise l’article 1er situé immédiatement au-dessus de l’article 2 dans le même texte.

Le soussigné n’ayant par ailleurs pas retenu les contestations de fait comme suffisamment sérieuses, il ne saurait a fortiori considérer la conclusion juridique, relative au caractère d’utilité publique, que le requérant entend tirer de ses contestations factuelles comme présentant le sérieux nécessaire. Au-delà de ce constat, force est encore au soussigné de rappeler que selon l’article 14, paragraphe 1er, de la loi du 1er août 2007, « Afin de garantir la pérennité ou la sécurité de l’approvisionnement, les ouvrages électriques constituant les réseaux de transport et de distribution sont d’utilité publique », tandis qu’il résulte encore de la jurisprudence des juges du fond qu’en tout état de cause, d’après l’article 41, paragraphe 4, de la loi du 1er août 2007, « les servitudes établies soit conventionnellement, soit [comme en l’espèce], après procédure d’enquête et notification directe aux intéressés, constituent des servitudes d’utilité publique », de sorte à s’agir de sujétions que les particuliers doivent assumer pour le bon établissement et le bon fonctionnement des services public et universel3.

En ce qui concerne la violation alléguée du principe de proportionnalité, le requérant soutenant que du fait de la servitude il ne pourrait pas réaliser en cet endroit précis un projet d’exploitation agricole comportant des étables et hangars, le soussigné constate que si le requérant a fait usage de son droit d’opposition par courrier du 26 janvier 2017, ladite réclamation ne mentionnait d’aucun mot un quelconque projet d’exploitation agricole, les plans versés en cause comportant d’ailleurs comme date le 20 février 2018, soit 3 jours avant le dépôt du recours en annulation, de sorte à pouvoir être soupçonnés comme ayant été établis postérieurement à la décision et spécifiquement pour les besoins de la cause.

Par ailleurs, il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, 3 Cour adm. 26 janvier 2016, n° 36699C du rôle, confirmant trib. adm. 22 juin 2015, n° 34293 du rôle.

7 d’après les pièces et éléments du dossier administratif4, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue : en effet, il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile5, le juge de l’annulation ne pouvant en effet prendre en considération ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision6.

Dès lors, l’analyse de l’existence de moyens sérieux doit nécessairement se faire, au provisoire, en tenant compte de la limitation temporelle imposée à l’examen du juge de l’annulation, statuant au fond, à l’exclusion de tout élément intervenu postérieurement à la date de la décision déférée.

Aussi, il paraît douteux que le projet allégué de « Neubau einer Aussiedlung » - projet n’ayant d’ailleurs pas encore été concrètement soumis aux autorités compétentes, de sorte à devoir être actuellement considéré comme purement hypothétique - puisse amener les juges à procéder à l’annulation de l’arrêté ministériel au vu d’un élément fourni à l’Etat pour la première fois dans le cadre de la procédure contentieuse : il ne saurait en effet a priori être reproché au ministre de ne pas avoir tenu compte de documents qui n’ont été fournis à l’Etat que postérieurement et ce dans le seul cadre de la procédure contentieuse : ces documents ne constituent pas des éléments supportant un moyen sérieux, susceptible d’aboutir à l’annulation par les juges du fond, statuant en tant que juges de l’annulation, de la décision déférée.

Enfin, toujours dans le même contexte, il résulte encore de la jurisprudence des juges du fond que l’article 42, paragraphe 2, de la loi du 1er août 2007 prévoit que « pour autant que des ouvrages électriques créent de façon durable une gêne grave aux travaux décrits au paragraphe (1) ci-dessus, la personne de droit privé en cause a le droit d’en demander la modification aux frais du concessionnaire concerné, selon le paragraphe (1) de l’article 36 de la présente loi », de même que son article 45, paragraphe 1er, dispose que l’exercice des droits du concessionnaire ne prévoit aucune dépossession au niveau du droit de propriété, de sorte que les propriétaires des terrains grevés d’une servitude conservent non seulement leur droit de construire, mais également celui de démolir ou de clore leur propriété, les juges du fond ayant encore relevé que l’article 41, paragraphe (6) de la loi du 1er août 2007 prévoit le versement d’indemnités « pour dommages réels, c’est-à-dire des dommages précis, actuels et certains en relation directe et certaine avec l’exercice d’une servitude, résultant de l’exercice des servitudes prévues sous les points a) à d) du paragraphe (1) » du même article, pour conclure au rejet d’un préjudice résultant d’une prétendue gêne en relation avec l’urbanisation future du terrain en question7.

4 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.

5 Voir notamment CE belge, arrêt n° 110.548 du 23 septembre 2002 ; CE belge, arrêt n° 93.593 du 27 février 2001; dans le même sens également : CE belge, arrêt n°87.676 du 26 août 1998, CE belge, arrêt n° 78.664 du 11 février 1999, CE belge, arrêt n° 82.272 du 16 septembre 1999, consultables sur www.raadvst-consetat.be, ainsi que CCE belge, n° 43 905 du 27 mai 2010, CCE belge, n° 46 725 du 27 juillet 2010, consultables sur www.cce-

rvv.be ainsi que trib. adm. (prés) 23 mars 2012, n° 29992 ; trib. adm. 11 juin 2012, n° 29126 ; trib. adm. 9 juillet 2012, n° 28965, consultables sous www.ja.etat.lu.

6 Cour adm. 25 février 2014, n° 32165C ; Cour adm. 20 mars 2014, n° 33780 ; Cour adm. 26 juin 2014, n° 34374C, Pas. adm. 2017, V° Recours en annulation, n° 25.

7 Trib. adm. 22 juin 2015, n° 34293 du rôle.

8 Finalement, en ce qui concerne l’allégation par le requérant d’une violation de l’article 10bis de la Constitution, sur la toile de fond d’une atteinte démesurée au droit de propriété et d’une discrimination par rapport à ses voisins non astreints à une telle servitude, la jurisprudence a retenu que le principe d’égalité devant les charges publiques ne saurait impliquer que si un terrain est touché par le tracé d’une installation électrique, les terrains limitrophes doivent l’être à proportions égales afin de faire participer l’ensemble des administrés aux inconvénients liés à la servitude d’utilité publique8, la Cour administrative9 ayant renchéri en retenant qu’il serait « passablement irréaliste d’exiger qu’une servitude d’utilité publique, telle […] une ligne électrique, doive empiéter à proportions égales sur les terrains limitrophes afin de faire participer l’ensemble des administrés à parts égales aux prétendues inconvénients causés par cette emprise ».

Quant à la violation du droit de propriété, moyen simplement suggéré, la jurisprudence citée ci-dessus a retenu qu’en tout état de cause, les propriétaires des terrains grevés d’une servitude conservent non seulement leur droit de construire, mais également celui de démolir ou de clore leur propriété, tout comme il leur reste toujours la possibilité de réclamer devant les juridictions civiles la réparation du préjudice leur accru, sinon de solliciter la modification des ouvrages installés aux frais du concessionnaire pour l’hypothèse où les ouvrages électriques leur causeraient de façon durable une gêne grave.

Il suit de ce qui précède que les moyens invoqués tant à l’appui du présent recours qu’à l’appui de la demande au fond par le requérant n’apparaissent pas, au stade actuel de leur instruction et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, comme ayant des chances suffisamment sérieuses d’aboutir à l’annulation de la décision litigieuse au fond.

Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’un sursis à exécution, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un import de 2.500.- € encore formulée par le requérant laisse pareillement d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le requérant aux frais.

8 Ibidem 9 Cour adm. 26 janvier 2016, n° 36699C du rôle.

9 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mars 2018 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 mars 2018 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40838
Date de la décision : 07/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-03-07;40838 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award