Tribunal administratif N° 40760 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2018 Audience publique du 15 février 2018 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 40760 du rôle et déposée le 12 février 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Irak), de nationalité irakienne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon en l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 janvier 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Belgique, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 30 janvier 2018, inscrit sous le numéro 40759, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Rdia Doukhi en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 2 août 2017, Monsieur …, de nationalité irakienne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date du 3 août 2017, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et 1mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ». Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en Belgique le 23 octobre 2014 et qu’il se trouve de façon illégale sur le territoire luxembourgeois depuis 2015.
Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.
Il résulte d’un rapport de la police grand-ducale portant le numéro 2017/30883/275/BS établi par le Centre d’Intervention et de Proximité d’Echternach, Service Intervention, en date du 21 août 2017, qu’en date du 4 mai 2017 un procès-verbal fut établi à l’encontre de Monsieur … pour coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail d’une durée d’un jour, ainsi que pour menaces d’attentats contre les personnes. Il résulte également dudit procès-
verbal que Monsieur … fut associé d’une société au Luxembourg depuis le 26 mai 2016 et que des contradictions apparurent quant à la rédaction de son nom, et son lieu de naissance.
Par courrier du 13 septembre 2017 et suite à une demande de reprise en charge de Monsieur … formulée par les autorités luxembourgeoises le 5 septembre 2017, les autorités belges refusèrent de prendre/reprendre en charge Monsieur …, au motif que sa demande de protection internationale aurait été définitivement refusée en date du 7 juin 2016 et ils informèrent les autorités luxembourgeoises que celles-ci auraient déjà sollicités des informations relatives à Monsieur … en date du 10 février 2017.
Par courrier du 29 septembre 2017, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités belges qu’elles les avaient effectivement contactées au mois de février 2017, mais ce dans le cadre de la demande de protection internationale introduite par l’épouse de Monsieur …. Après avoir signalé que tant Monsieur … que son épouse avaient déclaré vivre séparément depuis au moins deux années, les autorités luxembourgeoises invitèrent leurs homologues belges à réévaluer leur demande de prise/reprise en charge.
Par courrier du 18 octobre 2017, les autorités belges sollicitèrent l’application de l’article 17, paragraphe 2, du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités luxembourgeoises refusèrent de faire suite par courrier du 8 novembre 2017 au motif que la relation entre Monsieur … et ses enfants ne serait pas clarifiée.
Par arrêté du 30 octobre 2017, l’assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg de Monsieur … fut prorogée pour une nouvelle durée de trois mois.
Par décision du 30 janvier 2018, notifiée par envoi recommandé le même jour, le ministre informa l’intéressé que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1) d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 2 août 2017.
2Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez introduit une demande de protection internationale en Belgique au date du 23 octobre 2014.
La Belgique a accepté en date du 12 décembre 2017 de prendre/reprendre en charge l'examen de votre demande de protection internationale.
Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique, qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale. (…) ».
Il résulte d’un courrier adressé par le service de police judiciaire à la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes le 30 janvier 2018, que le transfert de Monsieur … vers la Belgique est prévu pour le 8 mars 2018.
Par décision du 31 janvier 2018, le ministre notifia à Monsieur … un arrêté prorogeant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une nouvelle durée de trois mois.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2018, inscrite sous le numéro 40759 du rôle, Monsieur …a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 30 janvier 2018. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 40760 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la Belgique et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Le demandeur soutient que l’exécution de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de son recours au fond seraient sérieux.
Au titre du préjudice grave et définitif, il fait valoir qu’un transfert en Belgique porterait une atteinte grave à son droit à la vie privée et familiale tel que prévu à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH ». Il expose plus particulièrement, qu’il aurait rejoint le Grand-Duché de Luxembourg et y aurait retrouvé sa femme et ses enfants qui auraient réussi à fuir l’Irak et se trouveraient également en quête de protection internationale - son épouse et ses enfants auraient déposé une demande de protection internationale le 6 janvier 2016 - en se fondant sur les dispositions de l’article 11, a) du règlement Dublin III selon lesquelles l’Etat membre ayant été désigné comme responsable de la prise en charge de la majorité des membres d’une famille est chargé de l’examen des demandes de protection internationale de l’ensemble des membres de cette même famille. Le requérant releva encore que, malgré le fait, qu’il n’aurait pas eu de nouvelles de sa femme et de ses enfants pendant presque deux années, il aurait été soulagé de constater lors de son arrivée au Luxembourg, qu’ils étaient en vie et en sécurité en soulignant que ses relations avec ses enfants seraient très fortes, de sorte que son renvoi en Belgique porterait une atteinte particulière au droit à la vie privée et familiale de l’ensemble des membres de sa famille, surtout eu égard à la grande vulnérabilité de celle-ci.
3En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui de son recours, le demandeur renvoie à sa requête au fond. Il estime plus particulièrement que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale sur base des articles 11 et 17 du règlement Dublin III tout en se référant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Le délégué du gouvernement pour sa part, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause, tout en précisant qu’à l’épouse de Monsieur …, Madame …, ainsi qu’à leurs trois enfants mineurs le statut de réfugié a été accordé par décision ministérielle du 24 janvier 2018.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
En l’espèce, il échet de constater, l’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 12 février 2018, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 endéans 2 mois de l’introduction de la requête et est d’ailleurs fixée pour plaidoiries à l’audience publique du 26 mars 2018 à 15.00 heures, de sorte qu’elle devrait a priori être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.
Toutefois, le transfert en Belgique de Monsieur … étant prévu pour le 8 mars 2018, l’échéance du 26 mars 2018 doit être considérée comme tardive compte tenu de ces circonstances particulières.
A titre liminaire, la soussignée constate que la décision déférée du 30 janvier 2018, prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe 1, d) du règlement Dublin III, a a priori un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre 4compétent - en l’espèce la Belgique -, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.
Toujours à titre liminaire et en fait, la soussignée retient à l’issue d’un examen nécessairement sommaire que si en début de procédure des doutes ont pu exister quant à la relation entre Monsieur … et Madame …, ainsi que les trois enfants de cette dernière, la circonstance de l’existence d’un lien matrimonial, respectivement d’une filiation entre ces différentes personnes ne paraît plus être mise en question au stade actuel du dossier, au vu notamment (i) des déclarations de Madame … ayant confirmée lors de ses entretiens auprès du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration être l’épouse de Monsieur … – dont elle entendait se séparer -, (ii) du rapport précité de la police grand-ducale du 21 août 2017 et , enfin des explications du délégué du gouvernement à l’audience publique des plaidoiries.
La première condition, tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, se trouve dès lors vérifiée en cause, étant donné qu’indépendamment de la volonté éventuelle des époux … – … de divorcer, l’éloignement du territoire luxembourgeois de Monsieur … impliquerait nécessairement la séparation avec ses trois enfants, d’ailleurs mineurs1, et risquerait ainsi de perturber une vie privée et familiale dont l’inexistence ne peut pas être affirmée, à ce stade, avec le degré de certitude suffisant.
Concernant ensuite la question du caractère sérieux des moyens avancés par le demandeur à l’appui de son recours au fond, il échet de relever qu’aux termes de l’article 11 du règlement Dublin III, expressément invoqué en cause par le demandeur : « Lorsque plusieurs membres d’une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l’application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l’État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes:
a) est responsable de l’examen des demandes de protection internationale de l’ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l’État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d’entre eux ; (…) ».
A cet égard, la soussignée à l’issue d’un examen nécessairement sommaire, arrive à la conclusion que les membres de la famille famille … – … sont a priori à considérer comme « membres de famille » au sens de l’article 2 g) du règlement Dublin III et qu’il ne figure aucun élément au dossier permettant d’exclure que le Luxembourg soit l’Etat responsable pour l’analyse de la demande de protection internationale de Madame … ainsi que de ses trois enfants mineurs, partant « du plus grand nombre » des membres de la famille … – …, étant encore à préciser dans ce contexte que l’interprétation de la notion de « dates suffisamment rapprochées », permettant de déterminer si les membres de la famille … – … ont déposé leurs demandes de protection internationale au Luxembourg à des dates « suffisamment rapprochées » au sens du prédit article 11 du règlement Dublin III2, nécessite une analyse approfondie relevant de la compétence du juge du fond. Eu égard à ces considérations, il ne peut pas être exclu que les juges du fond arrivent à la conclusion dans le cadre de l’examen du 1 Selon le rapport de la police grand-ducale du 21 août 2017 portant le numéro 2017/30883/275/BS, les enfants sont nés en 2008, 2009 et 2012 2 Madame … a déposé sa demande de protection internationale en son nom ainsi qu’au nom de ses trois enfants mineurs le 6 janvier 2015 et Monsieur … le 2 août 2017 5moyen ainsi soulevé dans le recours au fond que l’article 11 du règlement Dublin III n’a pas été respecté en l’espèce.
Il s’ensuit que la condition tendant au caractère sérieux des moyens invoqués au fond impartie pour justifier l’institution d’une mesure provisoire se trouve également remplie en l’espèce.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de faire droit à la demande de Monsieur ….
Par ces motifs, la soussignée, vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la requête en institution d’une mesure provisoire en la forme ;
au fond, la déclare justifiée ;
partant suspend l’exécution de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 janvier 2018 de transférer Monsieur … vers la Belgique et autorise ce dernier à séjourner provisoirement sur le territoire jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué au fond sur le recours introduit sous le numéro 40759 du rôle ;
réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 février 2018 par Françoise Eberhard, vice-président du tribunal administratif, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.
Arny Schmit Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15.2.2918 Le greffier du tribunal administratif 6