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29/01/2018 | LUXEMBOURG | N°40666

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2018, 40666


Tribunal administratif N° 40666 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 janvier 2018 Audience publique du 29 janvier 2018 Requête en institution d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … et Madame …, …, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 40666 du rôle et déposée le 23 janvier 2018 au greffe du tri

bunal administratif par Maître Sébastien LANOUE, avocat à la Cour, assisté de Maître Marcel MARIG...

Tribunal administratif N° 40666 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 janvier 2018 Audience publique du 29 janvier 2018 Requête en institution d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … et Madame …, …, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 40666 du rôle et déposée le 23 janvier 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Sébastien LANOUE, avocat à la Cour, assisté de Maître Marcel MARIGO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Belgique) et de sa compagne, Madame …, née le … à … (Sénégal), demeurant à …, tendant à l’instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 octobre 2017 portant refus d’autorisation de séjour dans le chef de Madame …, un recours en annulation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrite sous le numéro 40665 du rôle, introduit le 23 janvier 2018, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Maître Marcel MARIGO et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 janvier 2018.

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Il résulte des explications fournies en cause que Monsieur … et Madame … se seraient connus au Sénégal en novembre 2015 et que Monsieur … s’y étant rendu régulièrement, ils y auraient vécu en couple, Monsieur … et Madame … décidant finalement de vivre au Grand-Duché de Luxembourg.

Madame … ayant obtenu le 27 octobre 2016 un visa de court séjour, ou visa C, d’une durée maximale de séjour de 60 jours, valable du 28 octobre 2016 au 11 janvier 2017, elle entra sur le territoire de l’espace Schengen le 29 octobre 2016 et effectua sa déclaration d’arrivée à la commune de la Ville de Luxembourg le 3 novembre 2016.

Le 27 décembre 2016, soit à la date d’expiration de la régularité du séjour de Madame …, Monsieur … introduisit auprès du ministre de l’Immigration et de l’Asile un engagement de prise en charge au bénéfice de Madame …, engagement qui fit l’objet d’une décision de validation du ministre compétent du 3 janvier 2017, ladite décision comportant toutefois indication que la validation ne vaut pas autorisation de séjour et qu’en vertu de l’article 39, paragraphe 1er de la loi modifiée du 28 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, ci-après « la loi du 28 août 2008 », une éventuelle demande en obtention d’une autorisation de séjour doit être introduite et favorablement avisée avant son entrée du territoire, le ministre relevant que la validité du visa de Madame … ayant expiré, son séjour serait considéré en conséquence comme irrégulier et elle serait obligée de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Les parties requérantes exposent avoir ensuite cherché à faire une déclaration de partenariat conformément à la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, mais qu’ils se seraient heurtés au refus, prétendument injustifié, de l’officier de l’état civil compétent, lequel aurait exigé, prétendument indûment, un titre de séjour pour pouvoir enregistrer leur déclaration de partenariat.

Madame … ayant été convoquée par courriers recommandés des 28 février et 7 mars 2017 à un entretien en vue de son rapatriement, elle ne s’y présenta pas, tandis que Monsieur … expliqua ce défaut dans un courrier électronique du 14 mars 2017 par le fait que Madame …, bien qu’ayant prévu de retourner au Sénégal le 1er février 2017, aurait disparu depuis cette date et serait hébergée en Belgique par une personne inconnue.

Par courrier du 22 août 2017, l’avocat de Monsieur … et de Madame … s’adressa au ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », daté du 22 août 2017, pour solliciter l’obtention d’une autorisation de séjour basée sur l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 et sur base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, autorisation de séjour qui fut refusée par décision du ministre du 24 octobre 2017, libellée comme suit :

« J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique, qui m’est parvenu en date du 24 août 2017.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, votre demande en obtention d’une autorisation de séjour est irrecevable alors que selon l’article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, la demande en obtention d’une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.

Vu que vous invoquez l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, je vous signale que dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique.

Or, la situation de votre mandante ne constitue et ne constituait pas de cas exceptionnel, son séjour a largement dépassé trois mois et il n’est et n’était à aucun moment prouvé que le retour dans son pays d’origine constitue une charge inique.

Je tiens à préciser que ma décision de refus que vous invoquez afin de solliciter l’application de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée date du 3 janvier 2017, qu’elle a été notifiée le 6 janvier 2017 et qu’aucun recours n’a été introduit en temps utile.

Par courriel du 15 mars 2017 Monsieur … m’informe que l’intéressée n’a pas pu se présenter à la convocation de cette même date car elle avait, je cite, « fuit la maison » en date du 1er février 2017. J’émets donc pour le surplus des sérieux doutes quant à la relation de vos mandants.

Votre mandante n’est en conséquence pas autorisée à solliciter une autorisation de séjour à partir du territoire luxembourgeois. Subsidiairement, vu que vous invoquez l’application de l’article 8 de la CEDH afin de solliciter une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, je me permets de citer une partie du jugement rendu par le Tribunal administratif le 2 juillet 2012 (N°28941 du rôle) en ce qui concerne la protection du droit au respect de la vie privée et familiale. « La protection de l’article 8 CEDH ne saurait cependant être admise qu’à condition que la vie familiale invoquée soit effective, et qu’elle ait été a priori préexistante à l’entrée sur le territoire national. En effet, l’article 8 CEDH n’est pas absolu et ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis - l’article 8 ne garantissant en particulier pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale - et un étranger séjournant de manière irrégulière sur le territoire luxembourgeois n’est pas sans ignorer la relative précarité de sa situation. Or, si un étranger en situation irrégulière demeurant sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie privée et familiale peut certes alléguer qu’une décision de refus de lui accorder un autre titre de séjour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la décision litigieuse avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 CEDH ».

Vu les développements qui précèdent et vu que les intéressés ne témoignent pas d’une vie familiale effective préexistante à l’entrée sur le territoire de Madame …, il n’est pas porté préjudice de façon disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale en refusant l’autorisation de séjour à votre mandante.

Je ne peux que souligner et répéter qu’à défaut de quitter le territoire volontairement, l’ordre de quitter le territoire du 3 janvier 2017 sera exécuté d’office et elle sera éloignée par la contrainte.

Vu que l’engagement de prise en charge qui m’est parvenu le 27 décembre 2016 a été validé le 2 janvier 2017, Monsieur … est solidairement responsable avec l’intéressée envers l’Etat du remboursement de ses frais de séjour, de santé et de retour.

L’engagement de prise en charge qu’il a signé le 7 août 2017 et qui ne mentionne pas de durée de séjour déterminée, ne peut pas être validé parce qu’il n’est pas conforme à l’article 4 de la loi du 29 août 2008 précitée. En effet, suivant le paragraphe (1) de l’article 4 de la loi, on entend par attestation de prise en charge l’engagement pris par une personne physique qui possède la nationalité luxembourgeoise ou qui est autorisée à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg pour une durée d’au moins un an, à l’égard d’un étranger et de l’Etat luxembourgeois de prendre en charge les frais de séjour, y compris les frais de santé et de retour de l’étranger pour une durée déterminée. Le texte du paragraphe 1er de l’article 4 de la prédite loi du 29 août 2008 sous revue cadre avec précision l’engagement pris à titre d’attestation de prise en charge comme étant opéré « pour une durée déterminée ». Par ailleurs, d’après l’article 4, paragraphe (2) de la loi le garant est solidairement responsable avec l’étranger à l’égard de l’Etat du remboursement des frais visés au paragraphe 1er du même article « pendant une durée de deux ans ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2018, inscrite sous le numéro 40665 du rôle, Monsieur … et Madame … ont fait introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 24 octobre 2017. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 40666 du rôle, ils ont encore introduit une demande tendant à voir prononcer un sursis à exécution et instituer une mesure de sauvegarde consistant à autoriser Madame … à séjourner provisoirement sur le territoire jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond.

Les parties requérantes exposent à cet égard que la décision ministérielle attaquée au fond leur causerai déjà de graves préjudices, dans la mesure où Madame … serait victime d’une profonde dépression du fait de vivre permanemment dans la peur d’être séparée de son partenaire, cette dépression ayant de surcroît des conséquences physiques puisque Madame … serait passée de 56 kg à 48 kg. Ils estiment partant que la décision ministérielle litigieuse lui infligerait un traitement inhumain et dégradant.

Quant à Monsieur …, les parties requérantes affirment que ce dernier serait atteint de la maladie de Lyme et devrait de ce fait pouvoir compter sur l’aide et l’assistance de sa compagne dans le cadre de sa lutte contre sa maladie.

Par ailleurs, ils donnent à considérer que l’éloignement de Madame … vers son pays d’origine occasionnerait dans son chef des gênes et des sacrifices disproportionnés - les parties requérantes ayant affirmé que le retour de Madame … au Sénégal en vue d’y introduire une demande d’autorisation pour raisons privées engendrerait un coût total de 7.500.- euros sans préjudice quant au montant exact reparti entre les frais de voyage, les frais de séjour, ainsi que les frais administratifs et de transports et que le retour dans son pays d’origine dans ces circonstances serait perçu par son entourage comme l’échec de la vie du couple et exposerait sans doute Madame …, mais aussi sa famille, à une situation de gêne voire une honte au sein de la société sénégalaise - et ce d’autant plus que cette situation aurait pu être évitée si l’administration communale avait procédé à l’enregistrement de la déclaration de partenariat conformément à la demande du couple, demande qui aurait prétendument été présentée 15 jours avant l’expiration du visa d’entrée sur le territoire de l’espace Schengen de Madame ….

Enfin, ils relèvent que leur vie commune serait inéluctablement impactée par le départ de Madame … pour le Sénégal en ce que le couple serait obligé de s’éloigner du fait de la distance géographique.

Monsieur … et Madame … se prévalent encore au fond de divers moyens dont ils soulignent le caractère sérieux.

A cet égard, ils critiquent d’abord la décision ministérielle pour avoir exclu la requérante du champ d’application de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 au motif que leur situation, telle exposée pourtant dans la demande d’autorisation, ne rentrerait pas dans les cas exceptionnels prévus par l’article précité.

Dans ce contexte, ils réexposent leur affirmation selon laquelle l’exigence d’une autorisation de séjour pour des raisons privées imposée au couple par l’administration communale de la Ville de Luxembourg résulterait manifestement d’une interprétation erronée de la loi de 2004 précitée et les aurait induit en erreur de sorte qu’ils n’auraient pas pu déclarer leur partenariat avant l’expiration de la date de validité du visa de Madame ….

Ils réexposent encore leur argumentation basée sur le fait qu’une application stricte du paragraphe (1) de l’article 39 précité constituerait une charge inique dans le chef de leur couple qui, pour les besoins de l’introduction de la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées, à partir du Sénégal, serait obligé d’effectuer des dépenses énormes, l’éloignement de Madame … ayant encore des conséquences graves pour la requérante, pour Monsieur … du fait de son état de santé et pour leur vie de couple.

Partant, ils estiment que leur situation rentrerait dans le champ d’application de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008.

Les parties requérantes reprochent ensuite au ministre d’avoir mis en doute leur relation de couple, alors pourtant qu’il ressortirait des diverses attestations testimoniales versées en cause qu’ils entretiendraient des liens intenses, anciens et durables, et ce depuis novembre 2015.

Ils critiquent encore le ministre pour avoir exclu Madame … du bénéfice de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

A cet égard, ils soulignent que Madame … serait entrée sur le territoire de l’espace Schengen sur base d’un visa délivré par les autorités luxembourgeoises en réponse à une demande de visa formulée par le couple et ce pour pouvoir se marier sinon se pacser au Grand-Duché de Luxembourg : dès lors, il serait manifestement erroné de conclure à l’absence d’une vie familiale effective préexistante à l’entrée sur le territoire de Madame … dans leur chef.

Par ailleurs, ils rappellent que la situation irrégulière de Madame … ne serait que le résultat d’une interprétation erronée de la législation sur le partenariat, qui, contrairement aux affirmations de l’agent communal à l’origine du rejet de la demande de déclaration de partenariat du couple, qui lui aurait été prétendument soumise 15 jours avant l’expiration de la validité du visa de la requérante, n’exigerait nullement la possession d’une autorisation de séjour pour pouvoir déclarer un partenariat.

Les parties requérantes réaffirment le caractère intense, ancien et stable des liens entre Madame … et Monsieur …, de sorte que le refus d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de la requérante constituerait une atteinte manifeste et disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des parties requérantes tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Après avoir réitéré leur argument selon lequel comme le ministre ne contesterait pas que le visa d’entrée sur le territoire de l’espace Schengen délivré par ses services compétents à Madame … résulterait d’une demande de visa motivée exclusivement par des raisons privées lui adressée, il serait irréfutable qu’ils pourraient se prévaloir d’une vie privée et familiale effective.

Enfin, ils affirment que la décision ministérielle querellée entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en ce qu’elle serait à l’origine de la détresse et de la situation traumatisante dans laquelle ils se trouveraient actuellement, les parties requérantes insistant sur le fait que la décision ministérielle infligerait déjà à Madame … un traitement prohibé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui prohiberait la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le délégué du gouvernement conclut pour sa part au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 23 janvier 2018 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif, un sursis et partant une mesure de sauvegarde ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours : ainsi, le préjudice présuppose la détérioration d’une situation préexistante.

Il y a à ce sujet lieu de constater que si les parties requérantes affirment que l’exécution de la décision ministérielle déférée, à travers l’éloignement de Madame … vers le Sénégal, leur causerait un préjudice grave et définitif, le soussigné constate que ce préjudice ne trouve pas son origine initiale dans le refus actuellement opposé par le ministre à la demande en obtention d’un titre de séjour de Madame …, mais dans la décision de retour du 3 janvier 2017, contenant déjà explicitement l’ordre de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours, ordre auquel la requérante n’a pas donné de suites, sans toutefois contester ladite décision de retour en justice. Or, conformément à l’article 124 de la loi 29 août 2008, « (…).

Si l’étranger ne satisfait pas à l’obligation de quitter le territoire dans le délai lui imparti, l’ordre de quitter le territoire peut être exécuté d’office et l’étranger peut être éloigné du territoire par la contrainte ».

Il s’ensuit que le ministre, nonobstant la demande postérieure en obtention d’une autorisation de séjour pouvait et peut procéder à l’éloignement forcé de l’intéressée.

Il n’y a dès lors, comme soulevé par la partie gouvernementale, pas de détérioration d’une situation préexistante, la décision actuellement déférée ne contenant manifestement, contrairement à la lecture erronée en faite par les parties requérantes, plus d’ordre de quitter le territoire.

En ce qui concerne les autres préjudices mis en avant, à savoir ceux résultant de la séparation des parties requérantes, le soussigné rappelle que pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a a priori pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation, puisqu’admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999.

Or, le préjudice mis en avant, résultant de la séparation des deux parties requérantes, trouvera, à suivre la logique des parties requérantes, nécessairement une fin en cas d’annulation par les juges du fond de la décision déférée, de sorte que ce préjudice serait le cas échéant purement temporaire, encore que même une annulation ne remédiera pas immédiatement au constat de l’existence d’une décision de retour antérieure, coulée en autorité de chose jugée.

Force est encore de constater que le préjudice mis plus spécialement en avant par Monsieur …, à savoir découlant de la nécessité d’une présence et de soins au vu de son état de santé, constitue un risque de préjudice aisément résorbable jusqu’à ce que les juges du fond aient statué sur le fond de l’affaire par le recours aux structures de soins et d’aide à domicile couramment disponibles au Grand-Duché de Luxembourg : en tout état de cause, les pathologies mises en avant n’impliquent pas nécessairement la présence continue d’une personne déterminée, au choix du requérant. Le soussigné relève encore qu’en tout état de cause que si les dernières analyses sanguines semblent révéler la présence d’agents pathogènes dans le sang du requérant, aucune pièce ne vient établir un risque actuel de paralysie faciale qui empêcherait le requérant de s’exprimer ou de s’alimenter ; par ailleurs, un tel prétendu risque, qui se serait concrétisé en 2015, ne semble avoir manifestement pas empêché le requérant à se rendre prétendument régulièrement au Sénégal, les parties requérantes ayant affirmé - sans verser toutefois de pièce afférente - que Monsieur … se serait « régulièrement » rendu au Sénégal depuis 2015 où il aurait vécu en couple avec Madame ….

En ce qui concerne les frais, qualifiés d’« énormes », auxquels le couple devrait faire face en cas de retour de Madame … au Sénégal, chiffrés sans aucune pièce probante à un montant de 7.500 euros, il convient, outre le fait qu’un tel chiffre laisse d’être établi d’une quelconque façon, de souligner que Monsieur … a signé, en connaissance de cause, un engagement de prise en charge, lequel ne constitue pas un engagement symbolique ou moral, mais bien un engagement financier, l’article 4, alinéa 1er, de la loi du 29 août 2008 définissant un tel engagement comme étant « l’engagement pris par une personne physique qui possède la nationalité luxembourgeoise ou qui est autorisée à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg pour une durée d’au moins un an, à l’égard d’un étranger et de l’Etat luxembourgeois de prendre en charge les frais de séjour, y compris les frais de santé, et de retour de l’étranger pour une durée déterminée » : partant, il ne saurait actuellement se prévaloir d’un risque auquel il a consciemment consenti.

Quant au préjudice découlant d’une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale, un tel préjudice, outre d’être le cas échéant non pas irréversible mais essentiellement temporaire - les parties requérantes ayant de surcroît la possibilité d’abréger le temps de séparation en sollicitant une abréviation des délais devant les juges du fond - , le soussigné relève que l’existence même d’une telle vie privée et familiale susceptible d’être protégée est contestée par la partie étatique et fait l’objet des débats au fond : le soussigné ne saurait dès lors retenir péremptoirement l’existence d’une telle vie familiale au niveau du préjudice.

Le soussigné ne saurait non plus accepter le préjudice personnel tel que mis en avant par Madame … résultant de son état dépressif, causé prétendument par la crainte de d’être séparée de son partenaire. En effet, outre que cet état psychique et physique reste à l’état de pure allégation, le fait de devoir quitter le territoire luxembourgeois où la requérante aurait noué des liens plus ou moins étroits ne saurait être considéré comme de nature à justifier la mesure provisoire sollicitée, alors qu’il s’agit d’un aléa inhérent à l’application de la loi à la situation d’un étranger en situation a priori illégale, et non pas comme un préjudice grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999, c’est-à-dire qui dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et devant être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques : plus particulièrement, il s’agit d’un préjudice inhérent à la situation d’un grand nombre d’individus et de familles migrantes, inhérent au fait même de séjourner pendant un certain temps dans un pays, même si c’est à titre précaire, et devoir ensuite le quitter, sans que ces considérations ne présentent pour autant une particularité qui imposerait un traitement particulier.

Enfin, le soussigné se doit toutefois d’émettre des réserves quant au principe même de ce préjudice, alors qu’il résulte du dossier que les parties requérantes, prétendument empêchées de conclure un partenariat mais pour des motifs à leurs yeux non fondés et dilatoires, auraient accepté passivement cet état de chose, alors que leur déclaration de partenariat permettrait à Madame … de prétendre ipso facto à un titre de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne ; de même, s’il semble que le refus ayant prétendument été opposé au projet de mariage par l’officier de l’état civil tiendrait essentiellement au problème d’absence de résidence ou de domicile dans le chef de Madame …, il est incompréhensible que Madame … refuse manifestement de retourner en dépit de sa situation illégale dans son pays d’origine, alors qu’un tel retour lui permettrait, outre de se conformer à la loi et de résoudre leur problème administratif et de revenir au Luxembourg avec un visa touristique en vue de son mariage, son partenaire devant de son côté souscrire à un engagement de prise en charge en conformité à l’article 4 de la loi du 29 août 2008, surtout d’éviter le risque de se voir opposer une interdiction d’entrée.

Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Ce n’est qu’à titre tout à fait superfétatoire que le soussigné relève que par ailleurs aucun des moyens développés devant le juge du fond ne présente le sérieux nécessaire.

Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie requérante apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision critiquée.

Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Or, à cet égard, aucun des moyens développés devant le juge du fond ne présente le sérieux nécessaire.

En effet, aux termes d’une analyse sommaire, force est de constater que si le ministre dans la décision déférée, reproche à Madame … de ne pas avoir introduit de demande en obtention d’une autorisation de séjour et d’aval afférent avant l’entrée sur le territoire, en se basant sur l’article 39, paragraphe 1er de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 (…) doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. L’autorisation ministérielle doit être utilisée dans les quatre-vingt-dix jours de sa délivrance », l’article 38, point 1 h) y cité visant notamment l’autorisation de séjour « pour des raisons d’ordre privé ou particulier », à savoir notamment celle prévue plus particulièrement par l’article 78, 1c) de la loi du 29 août 2008, catégorie de séjour visée par la requérante, il n’est en l’espèce pas contesté que Madame … n’a pas présenté de telle demande avant son entrée sur le territoire luxembourgeois, mais seulement -

et ce encore tardivement en date du suite 22 août 2017 - après que le ministère ait manifesté son intention de l’éloigner.

Il résulte encore de la jurisprudence des juges du fond1 que « si l’exigence imposée par l’article 39 de la loi du 29 août 2008 précitée peut sembler […] éventuellement inopportune, […], il n’en demeure pas moins, d’une part, comme constaté ci-avant, que [le demandeur] se trouvait à la date du dépôt de sa demande en autorisation de séjour en situation illégale et que, d’autre part, ledit article reflète la volonté du législateur d’établir le principe selon lequel le ressortissant d’un pays tiers qui a l’intention de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois, doit disposer d’une autorisation de séjour avant son entrée au Grand-Duché de Luxembourg, un ressortissant de pays tiers qui se trouve déjà sur le territoire seul ne pouvant que dans certains cas exceptionnels, indiqués à l’alinéa 3 de cet article, solliciter une autorisation de séjour, le souci du législateur ayant précisément été d’éviter, comme en l’espèce, que le ministre soit placé devant le fait accompli ».

Le soussigné relève encore que la Cour administrative, ayant été appelée à se prononcer sur la question de savoir si le seul non-respect de la condition inscrite à l’article 39 de la loi du 29 août 2008, est de nature à justifier une décision d’irrecevabilité, a retenu dans l’arrêt précité que : « En ce qui concerne la sanction pour le non-respect, par un ressortissant de pays tiers, de la condition posée par l’article 39 de la loi du 29 août 2008, la Cour se rallie à la position du tribunal retenant à partir des travaux préparatoires à ladite loi du 29 août 2008 que la disposition sous analyse reflète la volonté du législateur d’établir le principe selon lequel le ressortissant d’un pays tiers qui a l’intention de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois doit disposer d’une autorisation de séjour avant son entrée au Grand-Duché de Luxembourg et de limiter à certains cas exceptionnels, définis à l’alinéa 2 de l’article 39, les hypothèses dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve déjà sur le territoire peut solliciter une autorisation de séjour (projet de loi portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, doc. parl. 5802, commentaire des articles, ad art. 39, p.67) ».

1 Voir notamment trib. adm.15 mai 2013, n° 30762 ainsi que Cour adm.16 décembre 2010, n° 27247C du rôle.

Si la loi prévoit certes une exception à ce principe, puisqu’elle en exclut explicitement les demandes en obtention d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité2 ou pour des motifs exceptionnels3, tout comme elle prévoit une possibilité de dérogation « dans des cas exceptionnels » et sous certaines conditions au profit du ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois - le paragraphe 2 de l’article 39 prévoyant que « Dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique » - il ne résulte pas en l’espèce d’une analyse sommaire que la requérante ait formulé de telle demande tendant à se voir autoriser à introduire endéans le délai légal auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois endéans le délai prescrit de trois mois, la demande formulée pour la première fois in tempore suspecto le 22 août 2017 l’ayant manifestement été à une date où Madame … non seulement résidait illégalement sur le territoire luxembourgeois, mais s’était encore consciemment soustraite à son éloignement.

Le fait allégué que les parties requérantes auraient été induites en erreur par un officier de l’état civil 15 jours avant l'expiration de la validité du visa de la requérante, c’est-

à-dire alors qu’elle se trouvait encore régulièrement sur le territoire luxembourgeois, ne parait à première vue, outre qu’il ne s’agit en l’état que d’une affirmation nullement établie, pas pertinente, les parties requérantes ayant en effet, à admettre cette affirmation, encore largement disposé du temps nécessaire afin d’introduire dans le délai légal une demande dérogatoire sur base de l’article 39, paragraphe 2, précité, demande qu’ils n’ont toutefois jamais introduite dans le délai prescrit.

Le moyen tiré d’une violation de l’article 78 1c) de la loi du 29 août 2008, moyen analysé uniquement à titre superfétatoire, puisque l’irrecevabilité opposée par le ministre à la demande en obtention d’un titre de séjour ne paraît actuellement, au vu des éléments du dossier, pas sérieusement critiquable, la jurisprudence ayant retenu comme relevé ci-avant une application stricte de l’article 39 précité et de la sanction de l’irrecevabilité résultant de son non-respect, ne paraît également, en l’état actuel d’instruction du dossier, pas comme étant suffisamment sérieux.

En effet, contrairement aux affirmations des parties requérantes, aucune pièce ne permet en l’état actuel du dossier d’établir l’existence de relations effectives entre Madame … et Monsieur … depuis 2015, les attestations versées en cause ne se rapportant qu’à la période débutant avec l’arrivée de la requérante sur le territoire luxembourgeois, soit à partir du 29 octobre 2016. Or, il ne paraît pas que la requérante puisse se prévaloir de son séjour irrégulier au Luxembourg, la durée de ce séjour ne résultant que du refus délibéré de la requérante de se plier à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 3 janvier 2 Art. 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

3 Art. 89 de la loi du 29 août 2008.

2017. Ainsi, il ne paraît pas avec suffisamment de sérieux que ce moyen puisse amener le juge du fond à annuler une décision de refus présentant autrement toutes les apparences de légalité, alors qu’il n’appert pas avec suffisamment de sérieux que le ministre, en insistant sur une application stricte du prescrit de l’article 39, ait dépassé sa marge d’appréciation.

Admettre en tout état de cause que le seul fait d’avoir entretenu des relations d’une certaine durée sur le territoire luxembourgeois soit de nature, à lui seul, à mettre en échec l’application de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 et à justifier une mesure provisoire constituerait ni plus ni moins à accorder une prime aux personnes parvenant à se maintenir durant une certaine durée illégalement sur le territoire luxembourgeois.

Le soussigné ne saurait non plus suivre le raisonnement de l’avocat selon lequel la délivrance d’un visa court séjour pour « raisons privées » équivaudrait à l’admission par le ministre de l’existence d’une « vie privée ». En effet, outre qu’aucune indication sur le visa en question ne permet en l’état de corroborer l’affirmation selon laquelle le visa en question aurait été délivré en vue d’un mariage ou d’un partenariat ou d’une quelconque autre relation, il apparaît que l’argumentation avancée repose sur une mauvaise compréhension du régime de délivrance des visa de courte durée, ceux-ci pouvant en effet être délivrés soit pour des raisons privées, telles que visite touristique ou familiale, soit pour des raisons professionnelles, telles que voyage d’affaires, participation à des manifestations (conférences, salons, expositions, etc.), participation à des conseils d’administration et des assemblées générales ou prestations de services au sein du même groupe d’entreprises : de ce point de vue, il n’appert pas que l’on puisse sérieusement soutenir que la délivrance d’un visa pour des raisons privées, par opposition à des raisons professionnelles, implique la reconnaissance d’une vie privée entre les parties requérantes.

Quant à l’invocation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), force est au soussigné de constater qu’il résulte de la jurisprudence des juges du fond que cette disposition ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, alors qu’il faut au contraire que l’intéressé puisse invoquer l’existence d’une vie familiale effective et stable, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites, préexistantes à l’entrée sur le territoire national ou créées sur ledit territoire. Les juges du fond ont ainsi plus spécifiquement retenu que le seul fait d’être marié à une personne résidant au Luxembourg n’est même pas de nature à satisfaire aux conditions posées par l’article 8 CEDH pour pouvoir bénéficier d’une protection de la vie privée et familiale, à défaut de preuve de l’existence d’une vie familiale effective et stable, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites, préexistantes à l’entrée sur le territoire national ou crées sur ledit territoire.

La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi posé dans un arrêt4 les principes régissant l’étendue de l’obligation de l’Etat d’admettre les conjoints, principes pouvant se résumer comme suit : l’Etat n’a pas l’obligation générale de respecter le choix, par des 4 CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c/ Royaume-Uni, requête n° 9214/80, 9473/81 et 9474/81.

couples mariés, de leur domicile commun, l’Etat jouissant d’une ample marge d’appréciation dans ce domaine. Par ailleurs, il importe de connaître l’existence d’obstacles ayant empêché le requérant ou son conjoint de mener une vie familiale dans leur propre pays ou de raisons spéciales de ne pas s’attendre à les voir opter pour une telle solution. Enfin, il importe de savoir si les conjoints au moment de leur mariage étaient conscients des problèmes liés à leur entrée et à la durée de leur séjour.

Le soussigné relève plus particulièrement que dans cet arrêt de principe, la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu à l’absence de manque de respect pour la vie familiale, et donc écarté une infraction à l’article 8 CEDH, après avoir souligné que « l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un État contractant l’obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d’accepter l’installation de conjoints non nationaux dans le pays » et au vu du constat que la requérante, ressortissante d’un Etat tiers et cherchant à se voir autorisée à séjourner sur le territoire d’un Etat membre, n’avait pas prouvé l’existence d’obstacles qui l’aurait empêché de mener une vie familiale dans son propre pays, ni de raisons spéciales de ne pas s’attendre à voir opter le couple pour une telle solution. La Cour avait de surcroît relevé que le ressortissant de l’Etat membre savait que le ressortissant d’un Etat-tiers - en cette espèce son mari - accueilli dans l’Etat membre « à titre de simple visiteur et pour une période limitée », devrait présenter une demande pour y rester en permanence et ne pouvait pas ignorer, « que son mari se trouvait en situation irrégulière [sur le territoire de l’Etat membre] depuis l’arrivée à échéance du permis de séjour temporaire obtenu par lui, ni qu’aux termes des règles alors en vigueur, on ne pouvait escompter une décision favorable à son établissement ».

Cette motivation peut, a priori, être appliquée mutatis mutandis à la situation des parties requérantes.

Enfin, le soussigné constate encore les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ayant retenu qu’une décision d’éloignement d’un étranger serait, eu égard aux garanties édictées par l’article 8 CEDH, disproportionnée au but poursuivi par sa déportation, concernent essentiellement des requérants ayant passé la plus grande partie de leur vie dans l’Etat expulseur, y ayant noué des liens familiaux et sociaux profonds et n’ayant que peu de contacts avec le pays de destination , ce qui n’est a priori pas le cas de la requérante.

Enfin, si la requérante soutient que la décision ministérielle, dans la mesure où celle-

ci lui refuse une autorisation de séjour, serait contraire à l’article 3 CEDH, il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il, aux termes de la jurisprudence, que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité. Par ailleurs, pour déterminer si une peine ou un traitement est « dégradant » au sens de l’article 3, il faut considérer s’il a pour objet d’humilier et d’avilir la personne concernée, et si, en termes de conséquences, ce traitement a négativement affecté sa personnalité d’une manière incompatible avec l’article 35.

Or, il n’appert pas en l’espèce, que le ministre, en constatant le séjour irrégulier d’une personne et en rejetant une demande en obtention d’une autorisation de séjour qui à première vue ne répond pas aux conditions d’octroi, ait pris une décision destinée à avilir la personne concernée. Par ailleurs, si le refus de séjour est éventuellement une source de détresse et d’humiliation pour chacune des parties requérantes, il n’appert toutefois pas eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, et en l’absence de tout élément probant contraire, que la décision de refus et ses conséquences aient atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 CEDH.

Il suit de ce qui précède que les moyens invoqués tant à l’appui du présent recours qu’à l’appui de la demande au fond par les parties requérantes relativement à la décision de refus ne présentent pas, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, le caractère sérieux nécessaire pour justifier le bénéfice de la mesure provisoire sollicitée.

Les parties requérantes sont partant à débouter de leur demande en institution d’une mesure provisoire, aucune des conditions afférentes n’étant actuellement remplies.

.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en institution d’une mesure provisoire, condamne les parties requérantes aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 janvier 2018 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 janvier 2018 Le greffier du tribunal administratif 5 CEDH, arrêt du 16 décembre 1997, Raninen c/ Finlande.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40666
Date de la décision : 29/01/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-01-29;40666 ?

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