Tribunal administratif N° 40436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2017 1re chambre Audience publique extraordinaire du 28 décembre 2017 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40436 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 novembre 2017 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie) et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, né le … à …, …, née le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à …, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 15 novembre 2017 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 décembre 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Bouchra Fahime, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2017.
Le 2 novembre 2017, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs, …, … et … ci-après désignés par « les consorts …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Le 7 novembre 2017, les consorts … furent entendus séparément par un agent du ministère sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 15 novembre 2017, notifiée aux intéressés en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des consorts … comme suit : « […] En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 7 novembre 2017 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes.
Monsieur, vous déclarez avoir vécu avec votre famille en Serbie auprès de vos beaux-
parents qui, à défaut de moyens financiers suffisants, vous auraient demandé de quitter leur domicile en mars 2014. Vous vous seriez par la suite installés dans une cabane en dessous d'un pont à ….
Vous faites également état de problèmes de santé dont souffrirait votre fille, et que vous n'auriez pas les moyens financiers pour la faire soigner en Serbie.
Vous faites ensuite état d'une tentative de viol qu'aurait subie votre épouse en 2014.
Suite à cette tentative de viol, vous vous seriez rendu avec votre épouse à une caserne de l'armée, où un des soldats aurait appelé la police qui serait arrivée un peu plus tard et aurait emmené votre épouse à l'hôpital. Vous déclarez avoir quitté la Serbie suite à cette tentative de viol, alors que mentalement, votre épouse « n'était pas bien » (p. 4/7).
Après des séjours dans différents pays où vous avez également introduit des demandes de protection internationale (Allemagne, Suède et Pays-Bas), vous êtes retournés en Serbie alors que vous avez eu « une interdiction d'entrée pour l'espace Schengen pendant 10 mois » (p. 4/7). Or, « pendant les 10 mois les problèmes étaient les mêmes, c.à.d. problèmes financiers, pas d'aide de l'Etat, etc. » (p. 4/7), de sorte que vous auriez pris la décision de repartir.
Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous déclarez qu'en tant que demandeurs de protection internationale, vous n'auriez plus eu droit à la sécurité sociale en Serbie : « Je pense qu'il faut attendre une période de deux années avant que cela reprend » (p. 5/7 de votre rapport d'entretien, Madame) et que vous viviez des allocations familiales et des revenus irréguliers de votre mari.
Vous précisez en outre que suite à la tentative de viol, la police serait arrivée sur les lieux et vous aurait interrogée sur le déroulement des faits.
Enfin, il ressort des rapports d'entretien du 7 novembre 2017 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire.
Le ministre estima, en substance, que les consorts … étant ressortissants serbes, ils proviendraient d’un pays d’origine sûr étant donné que la Serbie figurerait sur la liste des pays d’origine sûrs en vertu de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 et du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », constat qui n’aurait pas été contredit par l’examen individuel de leur demande de protection internationale. En s’appuyant sur un rapport de la Commission européenne, il constate que le cadre législatif et institutionnel mis en place en Serbie est de nature à garantir le respect des droits de l’homme et des libertés des citoyens, ainsi qu’en particulier, le respect des droits des minorités. Il relève que « cet aspect de sûreté [serait] d’autant plus conforté par le fait qu’en date du 1er mars 2012, la République Serbie a obtenu le statut de candidat officiel à l’Union européenne ». Il en conclut qu’il ne serait recouru en Serbie ni à la persécution ni aux atteintes graves au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève ».
Le ministre estima en outre que les motifs ayant amené les consorts … à quitter leur pays d’origine, à savoir notamment des motifs économiques et médicaux, ne seraient pas liés à l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève. Le ministre relève, à titre complémentaire, en se basant sur un tableau publié par le Conseil de l’Europe que le système social serbe prendrait en charge les coûts relatifs à des traitements médicaux, ainsi que les médicaments, pour tous les résidents serbes. En ce qui concerne la tentative de viol dont Madame … fait état, le ministre considère, en relevant que les identités des agresseurs seraient inconnues, que cette agression n’aurait aucun lien avec l’un des critères figurant dans la Convention de Genève, qu’il s’agirait, tout au plus, d’un acte émanant de personnes privées.
Or, aucun défaut de protection de la part des autorités locales ne ressortirait des déclarations des demandeurs. Il ne résulterait plus particulièrement pas des rapports d’audition que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire serbe ne pourraient ou ne voudraient pas leur accorder une protection. Le ministre constata, par ailleurs, en s’appuyant sur un certain nombre de rapports internationaux, qu’il existerait en Serbie, à côté de la police, qui serait d’ailleurs connue pour sa multiethnicité, d’autres institutions, tel que le « Bureau for complaints and grievances », qui constitue une instance d’inspection au sein de la police serbe, ainsi que l’Ombudsman, auxquelles les demandeurs auraient pu s’adresser pour faire valoir leurs droits. Enfin, le ministre évoqua la possibilité d’une fuite interne et estima que le récit des consorts … ne contiendrait pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2017, les consorts … ont fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 15 novembre 2017 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 15 novembre 2017, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui des trois volets de leur recours et en fait, les demandeurs renvoient, en substance, à leurs déclarations faites lors de leurs auditions respectives par un agent du ministère.
En droit, s’agissant en premier lieu du recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, les demandeurs reprochent d’abord au ministre d’avoir pris la décision déférée sur base de la seule considération qu’ils proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015, sans avoir autrement développé cette considération, de sorte qu’« il [serait] impossible de se rendre compte des problèmes concrets subis par [eux] et encore moins de déterminer qu’à une autre place ils se sentiraient davantage en sécurité », tout en indiquant qu’ils n’auraient pas les moyens financiers de s’installer dans une autre ville. Les demandeurs estiment qu’il ne suffirait pas de généraliser et d’affirmer qu’un pays est généralement sûr, alors qu’il faudrait encore vérifier qu’il le soit effectivement pour les demandeurs pris individuellement ; or, à cet égard, ils affirment, d’une part, qu’ils ne bénéficieraient d’aucune aide étatique et qu’ils n’auraient ainsi pas d’autre choix que de quitter leur pays d’origine et, d’autre part, que Madame … risquerait d’être confronté aux criminels qui auraient tenté de la violer.
Les demandeurs affirment encore que la Serbie serait réputée être corrompue, tandis que ses institutions seraient trop instables pour pouvoir assurer un respect strict des droits et libertés fondamentaux de leurs citoyens, et surtout, celui des minorités, tout en relevant que l’obtention de la Serbie d’un statut officiel de l’Union européenne ne serait qu’une appréciation politique et ne tiendrait pas compte de la situation réelle des minorités dans ce pays.
Les demandeurs critiquent enfin encore le fait que le ministre aurait estimé pour justifier le choix de la procédure accélérée qu’ils n’auraient soulevé en déposant leur demande et en exposant les faits à l’appui de cette demande que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, les demandeurs reprochant ici encore au ministre de s’être borné à citer l’article applicable sans préciser en quoi leur récit ne contiendrait que des questions sans pertinence. Ils reprochent au ministre d’avoir considéré que les motifs qui les auraient poussés à quitter leur pays d’origine ne seraient que d’ordre médical et économique, alors que Madame … aurait été victime d’une tentative de viol.
A l’appui de leur recours dirigé contre la décision de refus de leur accorder une protection internationale, les demandeurs invoquent, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, en contestant l’appréciation ministérielle de leur situation personnelle, les demandeurs affirmant que contrairement à cette appréciation, la tentative de viol dont aurait été victime Madame … constituerait une persécution. Cette tentative serait par ailleurs d’une gravité extrême et ne saurait être minimisée, d’autant plus qu’elle aurait été adressée à une personne vulnérable.
A cet égard, les demandeurs affirment qu’il résulterait du dossier que les dénonciations faites auprès de la police et des autorités seraient restées sans suites.
Finalement, ils contestent l’argumentation ministérielle selon laquelle leur demande de protection internationale aurait été motivée uniquement par des raisons économiques et médicales, les consorts … soutenant qu’au contraire la tentative de viol dont Madame … aurait été victime constituerait une persécution au sens de la Convention de Genève et reflèterait de manière générale les problèmes de sécurité régnant en Serbie. Ils craindraient ainsi avec raison de subir à nouveau ces violences en cas de retour dans leur pays d’origine, sachant que par la suite il ne serait pas impossible que ces violences revêtent une gravité suffisante et aboutissent à une situation irrémédiable pour eux.
A l’appui de leur demande tendant à l’obtention de la protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié, en insistant sur le fait que, d’une part, les faits invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale « […] cadre[raient] avec les hypothèses retenues aux points a), b) et c) [de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015] […] » et, d’autre part, les auteurs des agissements dont ils auraient été victimes seraient à qualifier d’acteurs au sens de l’article 39 de la même loi.
En dernier lieu, les demandeurs sollicitent la réformation de l’ordre de quitter le territoire, en raison du fait qu’il serait impossible de procéder à leur éloignement forcé.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, et, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
A titre liminaire, s’agissant du reproche formulé par les demandeurs, à savoir que la décision déférée serait dépourvue de motivation, le ministre s’étant contenté de citer l’article applicable sans préciser en quoi le récit des demandeurs ne contiendraient que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, force est à la soussignée de constater que, contrairement à ce que les demandeurs soutiennent dans leur requête introductive d’instance, la décision déférée contient un résumé des motifs de la demande de protection internationale des demandeurs tels que ressortant de leurs auditions respectives et énonce de façon détaillée les raisons ayant amené le ministre à refuser ladite demande, se prononçant ainsi nécessairement sur la pertinence des motifs à la base de cette demande. Dès lors, l’argumentation afférente est à écarter pour manquer en fait.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par les demandeurs à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par les demandeurs ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Afin d’analyser si les demandeurs n’ont soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité – lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’ « atteinte grave » – et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, il ressort clairement des déclarations des demandeurs, telles qu’actées aux rapports d’audition, que leur demande en obtention d’une protection internationale est essentiellement basée sur des motifs économiques, en ce qu’ils n’auraient pas disposé des moyens financiers pour se loger et se faire soigner dans leur pays d’origine. Ils ne font en effet état d’aucun traitement discriminatoire dont ils auraient été victimes dans leur pays d’origine. Force est de constater que les faits ainsi invoqués ne sont pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, de sorte qu’ils ne peuvent pas justifier l’octroi du statut de réfugié. Il ressort d’ailleurs à cet égard des explications de la partie étatique que le système de santé public offre des soins de santé gratuits à toute personne résidant de manière habituelle en Serbie.
Les demandeurs affirment encore qu’au cours de l’année 2014 deux hommes inconnus auraient tenté de violer Madame …. Il y a toutefois lieu de constater qu’à défaut de toute précision quant aux auteurs dudit acte et les motifs de ces derniers et en l’absence de tout autre acte concret ayant précédé ou suivi cet incident, celui-ci est à considérer comme incident isolé, dont aucun élément concret ne permet d’établir qu’il aurait été motivé par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. Cet incident s’analyse dès lors plutôt en une infraction commise par des personnes non identifiées susceptible d’être le cas échéant poursuivie devant les juridictions du pays d’origine des demandeurs, sans pouvoir être rattachée à l’un des critères de persécution prévus à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, force est de constater qu’en l’espèce, les demandeurs n’allèguent pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumis à la torture au sens du point b) du même article, ni encore craindre des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article.
En ce qui concerne plus particulièrement l’analyse de la question de savoir si la tentative de viol est susceptible d’être qualifié d’atteinte grave, il y a lieu de rappeler, nonobstant la question de la gravité de l’incident, la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 40 de la même loi, étant précisé qu’il appartient aux demandeurs de fournir la preuve, que les autorités de leur pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à leur fournir une protection suffisante.
En l’espèce, la tentative de viol dont la demanderesse se prévaut provient de personnes privées, en l’occurrence de personnes inconnues que la demanderesse n’a pas pu identifier.
Or, il ressort des déclarations des demandeurs qu’ils ont pu bénéficier d’une protection étatique puisqu’ils se sont rendus à une caserne de l’armée se trouvant à proximité du lieu de l’agression, qu’un des soldats a ensuite informé la police de l’incident qui venait de se produire, et que les policiers se sont immédiatement rendus sur place afin de recueillir la déposition de Madame …. Les policiers ont ensuite escorté Madame … à l’hôpital pour un examen médical, cette dernière se trouvant dans un état de stress1. La soussignée constate ainsi qu’il se dégage des déclarations des demandeurs qu’ils ont pu dénoncer à la police serbe 1 Page 4 du rapport d’audition de Monsieur Goran Stanic du 7 novembre 2017 et page 3 du rapport d’audition de Madame Marijana Stanic-Stefanovic du 7 novembre 2017.
l’agression subie par Madame … et que, contrairement à ce qu’ils suggèrent dans leur requête introductive d’instance, les policiers ne sont pas restés inactifs. Si ces démarches sont finalement restées infructueuses, cette seule circonstance ne permet pas de conclure à un défaut de protection, étant précisé, dans ce contexte, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation non autrement étayée des demandeurs selon laquelle la Serbie serait « » corrompue et que ses institutions seraient trop instables pour pouvoir assurer un respect strict des droits et libertés fondamentaux des minorités en particulier, une telle affirmation étant manifestement insuffisante à cet égard puisqu’en l’absence d’éléments pertinents relatifs à la situation personnelle des demandeurs, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption ou d’instabilité pour discréditer la protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions.
La soussignée est encore amené à conclure, dans la mesure où les demandeurs indiquent lors de leurs entretiens respectifs auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes qu’ils n’auraient pas de ressources dans leur pays d’origine pour se loger convenablement et se faire soigner, que les raisons ayant incitées les demandeurs à quitter leur pays d’origine sont essentiellement de nature économique. Or, des motifs économiques ne sont manifestement pas susceptibles de justifier l’octroi d’une protection internationale. Il y a en effet lieu de relever que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours des demandeurs dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’ils ont présentés pour établir que les faits soulevés à la base de leur demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point b) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
Par voie de conséquence, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, est à déclarer manifestement infondé dans la mesure où les demandeurs n’ont pas étayé le caractère pertinent des faits soumis à l’appréciation du tribunal au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et plus particulièrement en ce qui concerne l’absence de protection de la part des autorités serbes.
2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale En ce qui concerne le recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs une protection internationale, il convient de constater que, tel que retenu ci-avant dans le cadre de l’analyse du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer par la voie d’une procédure accélérée sur la demande de protection internationale, que les raisons ayant amené les demandeurs à quitter leur pays d’origine et à solliciter une protection internationale au Luxembourg, d’une part, ne peuvent pas être rattachées à l’un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social et, d’autre part, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités serbes seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir aux demandeurs une protection appropriée par rapport aux agissements dont ils ont fait état, respectivement, pour que ce qui est des motifs économiques, ne sont pas le résultat d’une intervention humaine, de sorte à ne pas pouvoir être considérées comme actes de persécution au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, ni comme atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi.
Dès lors, le recours dirigé contre le refus d’accorder aux demandeurs une protection internationale est à déclarer manifestement infondé et les demandeurs sont à débouter de leur demande de protection internationale.
3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs font valoir que cette décision devrait être réformée comme conséquence de la réformation du refus d’accorder une protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, l’affirmation par ailleurs ni précisée ni étayée selon laquelle il serait impossible de procéder à l’éloignement forcé des consorts … n’étant en tout état de cause pas de nature à énerver la légalité de l’ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, Le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 novembre 2017 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute les demandeurs de leur demande de protection internationale ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 décembre 2017, par la soussignée, Hélène Steichen, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 décembre 2017 Le greffier du tribunal administratif 12