Tribunal administratif N° 40443 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2017 Audience publique du 4 décembre 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par la société anonyme …, …, par rapport à des bulletins émis par l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 40443 du rôle et déposée le 28 novembre 2017 au greffe du tribunal administratif par la société LOYENS & LOEFF LUXEMBOURG SARL, inscrite à la liste V des tableaux de l’ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, ayant son siège social au L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen et immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg (RCS) sous le numéro B.174.248, agissant par son conseil de gérance actuellement en fonction, représentée par Maître Cécile HENLE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme …, ayant son siège social au …, immatriculée au RCS sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à voir instituer une mesure provisoire, à savoir principalement l’instauration du sursis par rapport à l’exécution des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2012 émis par le bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes le 29 juillet 2015, sinon subsidiairement l’instauration de toute mesure de sauvegarde nécessaire afin d’éviter que la requérante ne subisse un préjudice grave et irrémédiable à la suite d’une exécution des bulletins litigieux, un recours au fond, inscrit sous le numéro 40442 du rôle, dirigé pour sa part contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 24 août 2017 portant rejet de la réclamation lui adressée, ayant été déposé au greffe du tribunal administratif en date du même jour ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les différentes décisions invoquées ;
Maître Thomas HAMEN, en remplacement de Maître Cécile HENLE, pour la partie requérante, et Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er décembre 2017.
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Le 29 juillet 2015, le bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes émit concernant la société anonyme … respectivement un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités (ci-après « IRC ») ainsi qu’un bulletin de l’impôt commercial communal (ci-après « ICC »), les deux bulletins indiquant qu’à défaut de déclaration d’impôt le revenu afférent avait été taxé en vertu du paragraphe 217 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO ».
Par courrier du 28 octobre 2015 de son mandataire d’alors, la société anonyme … adressa au directeur de l’administration des Contributions directes une réclamation à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2012, tels qu’émis le 29 juillet 2015.
Par décision directoriale du 24 août 2017, référencée sous le n° …, le directeur de l’administration des Contributions directes rejeta la prédite réclamation en les termes suivants :
« Vu la requête introduite le 29 octobre 2015 par Me Tom Felgen, au nom de la société anonyme …, …, pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2012, émis le 29 juillet 2015 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu’elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir établi les bases d’imposition de l’année 2012 par voie de taxation ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens des réclamants, la loi d’impôt étant d’ordre public ; qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ;
qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
Considérant que la réclamante n’ayant réservé aucune suite aux divers rappels l’invitant au dépôt des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal de l’année en cause, notamment aux sommations d’astreintes et aux décisions liquidant les astreintes en question, le bureau d’imposition état fondé à procéder par voie de taxation conformément au § 217 AO ;
Considérant que les comptes annuels de l’année 2012 n’ont pas été déposés au registre de commerce et des sociétés, en violation des obligations légales des articles 72 et 75 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et de l’article 75 de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et modifiant certaines autres dispositions légales :
Considérant que la réclamante se borne à exposer que le montant imposé concernerait des dividendes provenant d’une société danoise et que ces dividendes tomberaient sous l’application des dispositions de l’article 166 L.I.R. ;
Considérant qu’à ce jour, la réclamante n’a fourni aucune preuve voire aucun élément de preuve que ses revenus réels s’écartent de manière significative des bases d’imposition retenues dans les bulletins litigieux (Cour administrative du 2 juin 2008, n° 25768C du rôle) ; que la taxation des bases d’imposition de l’année 2012 est dès lors à confirmer ;
Considérant que les contribuables ne doivent s’imputer qu’à eux-mêmes les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation, lorsque c’est par la suite de leur propre comportement fautif qu’il a été nécessaire de recourir à cette mesure (jugement tribunal administratif du 19 juin 2000, n° 11295 du rôle) ; (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2017, inscrite sous le numéro 40442 du rôle, la société anonyme … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 24 août 2017. Par requête déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 40443 du rôle, elle a encore fait introduire une demande tendant aux termes de son dispositif à voir « prononcer le sursis à exécution des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2012 émis par le bureau d’imposition Luxembourg - Sociétés 6 le 29 juillet 2015 à l’encontre de la Société ».
La partie requérante estime que les deux conditions légalement posées par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », respectivement par l’article 12 de la même loi, seraient remplies en cause.
Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, la société anonyme … soutient que l’exécution des bulletins litigieux attaqués lui causerait un préjudice grave et définitif, alors qu’elle devrait payer des montants de … euros au titre de l’IRC et de … euros au titre de l’ICC, ce qui risquerait de la mettre dans une situation de liquidité périlleuse entrainant sa mise en faillite. Partant, l’exécution des bulletins litigieux la placerait dans une situation qui lui serait irrémédiablement préjudiciable en ce sens que sa situation financière ne pourrait plus être rétablie, et ce même en cas de succès du recours au fond : en effet, le laps de temps nécessaire avant qu’une décision finale ne soit prise quant au litige au fond serait tel que la partie requérante se trouverait en situation de blocage pendant les mois de procédure en cause.
La société anonyme … estime aussi que son recours au fond présenterait de sérieuses chances de succès.
Dans ce contexte, la partie requérante expose que le bureau d’imposition compétent, faute d’avoir reçu une déclaration pour l’IRC et pour l’ICC pour l’année 2012, a émis, en conformité avec le paragraphe 217 AO les bulletins litigieux en établissant ses bases d’imposition par voie de taxation d’office.
La société anonyme … soutient à cet égard que le retard dans la préparation et le dépôt de ses comptes annuels ainsi que de ses déclarations fiscales ne résulterait pas d’un comportement fautif ni d’une quelconque volonté de s’affranchir de ses obligations déclaratives, mais s’expliquerait par le fait que des informations financières absolument nécessaires à l’établissement de ses comptes ne lui auraient été transmises que très difficilement et avec des retards très importants. Par ailleurs, dès qu’elle aurait été en possession de ces informations, les comptes et les déclarations fiscales auraient été finalisés et déposés endéans des délais très courts.
La société anonyme … fait ensuite plaider que la base imposable retenue par le bureau d’imposition pour le calcul de l’IRC et l’ICC pour l’année 2012 ne refléterait pas le traitement fiscal qui aurait dû être réservé aux revenus perçus par elle au cours de l’exercice 2012, la partie requérante reprochant au bureau d’imposition de s’être basé sur le montant des dividendes perçu de sa filiale, la société anonyme de droit danois …, et ce sur base d’un avis de contrôle de la division échange de renseignement de l’administration des Contributions directes afin de déterminer son bénéfice commercial pour l’année 2012 et que le bureau d’imposition aurait à tort considéré ces revenus de dividendes comme pleinement imposables, excluant l’application des dispositions de l’article 166 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, telle que modifiée (ci-après « LIR »).
Or, il résulterait de sa déclaration fiscale pour l’année 2012, déposée le 9 novembre 2017, elle-même basée sur les états financiers pour l’année 2012 déposés par elle au Registre de Commerce et des Sociétés en date du 26 octobre 2017, que le revenu à soumettre à l’impôt pour l’exercice 2012 aurait dû s’élever à … euros, la société requérante expliquant la différence quant à la base d’imposition pour l’IRC et l’ICC telle que déterminée dans sa déclaration et celle estimée par le bureau d’imposition résultant de la non-prise en compte du fait que les revenus de dividendes reçus par elle au cours de l’exercice 2012 devraient en fait être exonérés au titre de l’IRC et de CC.
Dans ce contexte, la société requérante donne encore à considérer que le bureau d’imposition avait admis pour l’année fiscale 2011 l’exonération de ces dividendes reçus de sa filiale d’après le bulletin d’imposition de l’année fiscale 2011 émis en date du 18 décembre 2013, pour soutenir que le traitement fiscal réservé en 2012 aux revenus de dividendes aurait également dû rester inchangé avec une exonération des dividendes reçus, la société requérante critiquant à ce propos l’incohérence du traitement fiscal des revenus de dividendes par le bureau d’imposition d’une année à l’autre.
La société anonyme … en conclut qu’il serait « incontestable » que les revenus de dividendes reçus par elle au cours de l’exercice 2012 devraient également être exonérés au titre de l’IRC et de l’ICC sur base des dispositions de l’article 166 LIR, puisque l’ensemble des conditions imposées par l’article 166 LIR serait en effet rempli, ce qui ne serait d’ailleurs pas contesté par le bureau d’imposition pour les années antérieures à l’année 2012. Enfin, et dans le même contexte, la société requérante se prévaut de surcroît de l’article 23, 2c) du traité contre la double imposition signé entre le Danemark et le Luxembourg relatif au régime mère-filiale pour l’impôt sur le revenu luxembourgeois et dont il résulterait que les dividendes distribués par une société résidente du Danemark à une société luxembourgeoise qui dispose depuis le début de son exercice social directement d’au moins 25% du capital de la première société seraient exonérés de l’impôt luxembourgeois.
Le délégué du gouvernement soutient quant à lui qu’aucune des conditions requises pour l’institution d’une mesure provisoire ne serait remplie en l’espèce. Il insiste plus particulièrement sur l’absence de préjudice grave et définitif au vu de l’absence de toute pièce documentant la situation financière de la société ; plus précisément, il conteste à cet égard tout risque de faillite dans le chef de l’intéressée qui disposerait par ailleurs de possibilité de financer le paiement de la dette fiscale, le délégué du gouvernement se prévalant à cet égard des actifs de la société, et plus particulièrement de ses liquidités, indiqués dans ses comptes annuels au 26 octobre 2017 comme respectivement de l’ordre de … euros et de … euros.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 28 novembre 2017 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme celle relative à l’existence d’un intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande en sursis à exécution.
En l’espèce, il appert toutefois que se pose directement la question de la recevabilité même de la requête telle que libellée, question soulevée et débattue contradictoirement lors de l’audience publique du 1er décembre 2017.
Il ressort en effet de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée que la compétence au provisoire du président du tribunal administratif est conditionnée par l’existence d’un recours au fond dirigé contre la même décision au sujet de laquelle une mesure provisoire est sollicitée. En effet, le but poursuivi par l’article 11 vise à conférer au recours au fond un effet suspensif jusqu’à ce qu’il ait été tranché par les juges du fond, la requête en obtention d’une mesure provisoire devant ainsi nécessairement s’inscrire dans le strict cadre du recours au fond.
En l’espèce, si le recours au fond tend à voir réformer, sinon annuler la décision précitée du directeur du 24 août 2017 portant rejet de la réclamation de la partie requérante, tant le libellé que le corps et le dispositif de la requête en obtention d’une mesure provisoire tendent formellement à voir ordonner le sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport aux « bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2012 émis par le bureau d’imposition Luxembourg - Sociétés 6 le 29 juillet 2015 ».
Or, il s’agit de décisions distinctes, puisque suite à la réclamation introduite par la société requérante, réclamation vidée par le directeur appelé à procéder à un réexamen intégral de la situation du contribuable, est interevenue la décision directoriale, laquelle constitue une décision nouvelle, ayant remplacé les bulletins critiqués : en aucun cas la décision directoriale ne peut être considérée comme décision purement confirmative ne faisant pas grief par elle-même1.
Il convient encore de rappeler que l’objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance, le juge n’étant pas habilité à faire droit à des demandes qui n’y sont pas formulées sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra petita.
Par ailleurs, l’indication d’une décision erronée en tant qu’objet du recours ne saurait être admise comme simple erreur matérielle, c’est-à-dire comme erreur qui résulte d’un défaut d’attention et qui n’est pas de nature à affecter la portée ou la nature du recours.
Force est partant de retenir que la société requérante, si elle a certes déposé un recours au fond devant la composition collégiale du tribunal administratif à l’encontre de la décision directoriale du 24 août 2017, a formellement déposé une requête sollicitant l’octroi d’une mesure provisoire par rapport à d’autres décisions, à savoir les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2012 émis par le bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes le 29 juillet 2015. Il convient par ailleurs de relever que le second bulletin déféré au juge du provisoire, à savoir le bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 2012, n’a pas fait l’objet de la réclamation, de sorte à ne pas pouvoir faire l’objet d’un recours contentieux, la réclamation ayant en effet porté sur le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités et celui de la base d’assiette de l’impôt commercial communal ; il convient à cet égard de rappeler qu’un bulletin de l’impôt commercial communal, se bornant à appliquer le tarif communal pour liquider la cote d’impôt, n’est pas susceptible d’être attaqué par des moyens relatifs à ce qui est tranché par le bulletin de la base d’assiette2.
1 A. Steichen, Manuel de droit fiscal, Droit fiscal général, T. 1, 2006, p. 853, n° 978.
2 Trib. adm. 20 mai 1998, n° 10163 et 10164, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 986, et autres références y citées.
La requête sous analyse doit dès lors encourir l’irrecevabilité.
A supposer toutefois dans le cadre d’une lecture extrêmement bienveillante de la requête que la société requérante ait entendu solliciter, dans le cadre d’une demande en obtention d’une mesure provisoire par rapport à la décision directoriale ayant rejeté sa réclamation, le sursis de cette décision directoriale dans la mesure où elle a confirmé les bulletins actuellement déférés au provisoire, il n’appert pas, en l’état actuel du dossier, que la société requérante soit concrètement et effectivement confrontée à un risque de préjudice grave et définitif.
Il convient en effet de rappeler à ce titre que le risque du préjudice s’apprécie in concreto et qu’il appartient au demandeur d’apporter des éléments à cette fin.
Un préjudice est grave lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif. Pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages-
intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999.
Un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable. En effet, pareil préjudice est, en principe, réparable puisqu’il peut être entièrement compensé par l’allocation de dommages et intérêts.
Il incombe partant au demandeur d’établir l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable.
S’il est incontestable que le paiement d’un montant important au titre d’impôts est susceptible de représenter une charge importante pour le contribuable visé, une telle charge ne saurait être admise comme entraînant ipso facto des conséquences irrémédiables, mais exige la production de précisions, le cas échéant étayées, sur la situation d’(in)fortune concrète du contribuable.
Or, si la société requérante s’empare des montants - objectivement certes importants -
d’impôts redûs, pour affirmer que le paiement de ces montants risquerait d’ébranler sa situation de liquidité et d’entraîner sa mise en faillite, le soussigné ne saurait toutefois retracer cette affirmation. En effet, l’argumentation de la partie requérante, telle que figurant dans la requête introductive d’instance, demeure essentiellement abstraite, la société requérante n’ayant ni précisé concrètement sa situation financière, ni procédé à une mise en perspective de ses dettes fiscales par rapport à sa situation patrimoniale : la seule allégation d’un préjudice étant insuffisante : en effet, l’exposé du préjudice grave et définitif ne saurait se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales. Le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience.
Faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice grave et définitif n’est en tout état de cause pas justifié à suffisance de droit.
Il appert encore, tel que mis en exergue par le délégué du gouvernement, que la société requérante dispose d’actifs conséquents, et en particulier de liquidités importantes, a priori suffisante pour apurer une aprtie de la dette fiscale. Or, à cet égard, force est encore de constater, tel que relevé par la partie étatique, que la société anonyme … a déposé en date du 28 novembre 2017 par rapport à l’imposition de l’année 2013 une demande de remise gracieuse pour rigueur objective, et non pour rigueur subjective, à savoir l’hypothèse, pourtant actuellement affirmée, où la situation personnelle du contribuable serait telle que le paiement de l’impôt comprometterait son existence.
Enfin, il convient encore de relever que la partie requérante, si elle avait voulu éviter l’exécution des bulletins, aurait pu - abstraction faite de la circonstance que le contribuable ne doit s’imputer qu’à lui-même les conséquences éventuellement désavantageuses d’une taxation d’office, lorsque c’est par suite de son propre comportement défaillant qu’il a été nécessaire de recourir à cette mesure3 - solliciter un sursis de paiement en application du paragraphe 251 AO.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il échet encore de conclure qu’il n’est pas établi, en l’état actuel du dossier, que le recouvrement de la dette d’impôt risque de causer à la société requérante un préjudice grave et définitif.
En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens tels que figurant dans les deux requêtes, le soussigné procèdera encore à titre superfétatoire à l’analyse superficielle de l’argumentation, étant rappelé que l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond : pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Or, à cet égard, il convient de relever que la partie requérante ne demande pas au soussigné de procéder à l’analyse superficielle de moyens opposés à une décision déterminée de l’administration, mais de procéder à une toute première analyse de la situation fiscale et comptable actuelle de la société requérante sur base d’éléments n’ayant jamais été auparavant soumis à l’administration des Contributions directes.
Le soussigné rappelle à cet égard que l’attitude de la société requérante, caractérisée par le défaut non contesté du dépôt de déclaration d’impôts et des documents comptables, et 3 Trib. adm 19 juin 2000, n° 11295, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 714, et autres références y citées.
ce en dépit des demandes et rappels lui adressés, a imposé au bureau d’imposition de procéder par la voie de la taxation, étant encore rappelé à cet égard que la jurisprudence4 retient que le paragraphe 217 (2) AO prévoit l’hypothèse d’une impossibilité de présenter les documents comptables en tant que condition suffisante pour procéder à la taxation d’office, de sorte que les circonstances ayant conduit à cette impossibilité ne sauraient être utilement prises en considération dans ce contexte.
Toujours pour rappel, aux termes d’une jurisprudence constante, la taxation des revenus constitue le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt. Ainsi, en vertu du paragraphe 217 (2) AO, la taxation des revenus serait possible si le contribuable ne peut pas fournir d’explications suffisantes à l’appui de ses déclarations ou si le contribuable devant effectuer une comptabilité ne peut pas présenter sa comptabilité ou si cette dernière est incomplète respectivement formellement ou matériellement incorrecte : le paragraphe 217 AO consacre ainsi le principe de la taxation d’office par voie d’estimation du bénéfice d’après les éléments et circonstances d’exploitation dans l’hypothèse d’une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait.
Aussi, au cas où le contribuable met le bureau d’imposition dans l’impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable, la jurisprudence considère qu’il est censé se contenter de cette approximation, qu’elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d’impôt établi par voie de taxation, respectivement par après devant les juridictions administratives au seul motif que la cote d’impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt.
Force est encore de constater que la société requérante, en n’introduisant une réclamation des plus sommaires réclamation devant le directeur, sans fournir les moindres pièces et explications y afférente, sauf à renvoyer à des taxations favorables pour des années d’imposition antérieures, met celui-ci dans l’impossibilité de prendre une autre décision et lui ôte la plénitude de ses pouvoirs, notamment la possibilité de procéder à une réformation in peius, pouvoir dont ne disposent pas les juridictions administratives au niveau de la phase contentieuse5.
Or, ce faisant, la société requérante attend de la part du soussigné, statuant au provisoire et au terme d’une analyse nécessairement superficielle, qu’il procède unilatéralement et pour la première fois à une imposition - provisoire - sur base de ces nouveaux éléments, ce qui requiert toutefois essentiellement une analyse plus poussée et une discussion au fond devant le juge du fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait en l’état du dossier pas procéder.
Enfin, force est encore au soussigné de relever que la société requérante n’a en tout état de cause versé en l’état actuel du dossier aucune pièce permettant de retracer son argumentation, la seule communication des bulletins d’impôt de l’année 2011 ne pemettant pas au soussigné d’y déceler une quelconque exonération de quelconques dividendes ; par 4 Trib. adm. 31 mai 2006, n° 20705, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 706.
5 Cour adm. 30 avril 2009, n° 25231C, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 721.
ailleurs aucune pièce relative à la filiale danoise alléguée ou aux dividendes litigieux n’est versée en cause. Quant aux déclarations fiscales déposées en date du 9 novembre 2017, celles-ci ne bénéficient d’aucune présomption de véracité6, de sorte qu’elles ne sauraient servir ipso facto à elles seules de bases valables aux prétentions de la partie requérante au provisoire.
Les moyens ne présentent dès lors, en l’état actuel des débats et d’instruction de l’affaire, pas le sérieux requis.
Aussi, outre l’irrecevabilité de la requête telle que retenue ci-avant, il y a encore, à titre superfétatoire, de retenir que les deux principales conditions posées par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 ne sont pas remplies, de sorte qu’il y a lieu de débouter la société requérante de sa demande en institution d’une mesure provisoire.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne la société requérante aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 décembre 2017 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s.Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 décembre 2017 Le greffier du tribunal administratif 6 Trib. adm. 7 mai 2007, n° 21330, confirmé sur ce point par arrêt du 6 novembre 2007, n° 23068C, Pas. adm.
2017, V° Impôts, n° 727, et autres références y citées.