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26/10/2017 | LUXEMBOURG | N°40206

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 octobre 2017, 40206


Tribunal administratif N° 40206 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2017 Audience publique du 26 octobre 2017 Recours formé par Madame …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40206 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 septembre 2017 par Maître Alexandre Chateaux, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …...

Tribunal administratif N° 40206 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2017 Audience publique du 26 octobre 2017 Recours formé par Madame …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40206 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 septembre 2017 par Maître Alexandre Chateaux, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 septembre 2017 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 octobre 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie Collmann, en remplacement de Maître Alexandre Chateaux, et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2017.

Le 5 septembre 2017, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 8 septembre 2017, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 septembre 2017, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », après avoir résumé les déclarations de Madame … comme suit : : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Albanie parce que vous auriez été «maltraitée » par des membres de votre famille. En 2015, vous auriez fait la connaissance de votre compagnon actuel, le dénommé …, un homme marié à cette époque et père d'un enfant. Vous auriez caché votre relation à votre famille puisque vous n'auriez pas droit d'entamer une relation avec un homme marié en Albanie et que « d'après la loi du Kanun, c'est la famille qui décide du futur de la fille et qui lui choisit le mari ». Ainsi, après avoir découvert votre relation en juin 2017, votre frère et votre père auraient essayé de vous séparer et vous auraient agressée et enfermée à la maison; de plus, ils auraient menacé de tuer Franc « car j'ai sali leur honneur ». Vous ajoutez qu'au cours de la dernière année, vous auriez entendu des conversations de membres de votre famille qui auraient essayé d'arranger votre mariage au plus vite avec un homme que vous ne connaitriez pas « pour remettre en place l'honneur de la famille ». Vous n'auriez jamais dénoncé ces faits à la police et n'auriez pas non plus recherché d'autres formes de protection. Vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine en date du 27 août 2017 sans en informer votre famille et seriez persuadée d'être tuée en cas d'un retour. Enfin, il ressort du rapport d’entretien qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. (…) », informa celle-ci qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2017, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 12 septembre 2017 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 12 septembre 2017, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Quant au volet du recours dirigé contre la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée, la demanderesse soutient que ce serait à tort que le ministre aurait estimé que l’Albanie serait un pays d'origine sûr dans son chef. Elle donne à considérer, sur base de différents rapports internationaux ainsi que d’articles de presse qu’elle verse en cause, que le Kanun serait toujours pratiqué en Albanie. En se basant encore sur le fait que le Conseil d’Etat belge aurait annulé l’arrêté royal du 11 mai 2015 plaçant l’Albanie sur la liste belge des pays d'origine sûr, et sur « divers dossiers et rapports publiés sur la toile », la demanderesse fait valoir que les autorités albanaises ne seraient pas en mesure d’assurer à ses ressortissants les garanties de protection et de sécurité suffisantes contre la pratique du Kanun, notamment, en raison de la corruption qui régnerait en Albanie.

Elle soutient encore que ce serait à tort que le ministre a considéré que ses déclarations seraient sans pertinence et qu’elle ne remplirait pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié. Les agressions dont elle aurait été victime ne s’inscriraient pas dans un contexte purement personnel, voire familial mais seraient liées aux motifs prévus dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », à savoir sa nationalité et son appartenance à un certain groupe social. Elle donne à considérer qu’en tant que femme, elle serait soumise aux ordres et avis des membres masculins de sa famille et qu’en raison de sa liaison avec un homme marié ayant un enfant d’un premier mariage, ce qui déshonorerait sa famille, le Kanun lui serait applicable. Elle rappelle à cet égard qu’elle ne pourrait réclamer une protection dans son pays d’origine, les autorités albanaises étant incapables, en raison de la corruption régnant en leur sein, d’offrir une protection adéquate face aux violences que les femmes subiraient en raison de l’application du Kanun à leur encontre. Elle cite à ce propos un article de journal de l’organisation « Reporters sans frontières » du 14 mars 2017, intitulé « Violente attaque contre un journaliste albanais spécialiste des affaires de corruption », pour démontrer que l’Etat albanais serait corrompu et ne pourrait ainsi lui offrir une protection adéquate.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

Il y a lieu de relever que la décision ministérielle déférée est fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27 (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».

Il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désigné par « le règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 », a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que la demanderesse a la nationalité albanaise et qu’elle a résidé à Lezhe, en Albanie, avant de venir au Luxembourg.

A cet égard, il y a de prime abord lieu de relever que le fait que l’Albanie aurait été retirée de la liste de pays d'origine sûrs du fait de l’annulation de l’arrêté royal du 11 mai 2015 par le Conseil d’Etat belge n’a pas d’incidence sur l’existence du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, et ce d’autant plus que les autorités belges ont pris un nouvel arrêté royal en date du 3 août 2016, incluant de nouveau l’Albanie sur leur liste de pays d'origine sûrs.

Cependant, il est vrai que, au vu du libellé de l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

En l’espèce, le ministre a conclu que la demanderesse provient d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il y a lieu d’analyser si, conformément à l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, celle-ci a soumis des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie n’est pas un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Le soussigné constate, au vu du rapport d’audition précité et des autres éléments soumis à son appréciation à travers la requête introductive d’instance et les pièces versées en cause, que la demanderesse n’a fourni aucun élément de nature à ébranler le constat du ministre selon lequel, compte tenu de sa situation personnelle telle que décrite dans le cadre de sa demande de protection internationale, l’Albanie est à qualifier de pays d’origine sûr dans son chef, étant donné qu’il n’est manifestement pas établi, en l’espèce, que les autorités albanaises ne voudraient ou ne pourraient pas lui fournir une protection appropriée par rapport aux agissements dont elle fait état.

En effet, le soussigné est de prime abord amené à constater que dans le cadre de son audition, la demanderesse a admis n’avoir jamais déposé de plainte auprès de la police concernant le comportement des membres masculins de sa famille, de même qu’elle a admis n’avoir jamais requis la protection d’une autre autorité de son pays.

Or, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut1. Une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et d’actes de violence, communément la forme d’une plainte.

Si la demanderesse explique à ce propos qu’il n’aurait servi à rien de s’adresser à la police ou à une autre institution étatique alors que celles-ci ne seraient pas en mesure de fournir aux victimes de violences familiales et aux victimes de l’application du Kanun une protection efficace, cette affirmation n’est en tout état de cause pas de nature à justifier son inaction de recourir à leur aide. S’il peut être admis de manière générale, et cela étant d’ailleurs vrai dans tout pays, que des femmes victimes de violences domestiques puissent hésiter à requérir de l’aide, le soussigné est néanmoins amené à retenir qu’il se dégage des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, que des structures auxquelles les femmes victimes de telles violences peuvent s’adresser existent en Albanie. Il en ressort également que l’Albanie a fait des progrès en matière de prévention des violences domestiques en adoptant une série de mesures visant à améliorer la protection des victimes de violences conjugales et familiales.

Le soussigné relève encore que la référence faite par la partie demanderesse dans sa requête introductive d’instance à des problèmes généraux de corruption en Albanie n’infirme pas cette conclusion, étant donné que la demanderesse ne fait pas état d’un lien entre sa situation particulière et la problématique générale de corruption, ni que cette problématique aurait condamné toute tentative de recherche d’aide.

Dans ces conditions, le soussigné retient qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises ne voudraient ou ne pourraient pas fournir à la demanderesse une protection appropriée par rapport aux agissements des membres de sa famille.

Le soussigné est ainsi amené à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que la demanderesse n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’Albanie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.

Quant au recours dirigé contre la décision de refus d’accorder une protection internationale A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder une 1 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

protection internationale, la demanderesse invoque, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée. Pour le surplus, elle fait valoir que les faits dont elle aurait fait état seraient d’une gravité suffisante pour justifier sa demande de protection internationale et qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à de graves représailles physiques voire à un risque réel « d’être tôt ou tard assassinée », sinon à des traitements inhumains et/ou dégradants. En conclusion, elle soutient qu’elle prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié, sinon de la protection subsidiaire.

Le soussigné relève qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par la demanderesse, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

Or, le soussigné vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir à la demanderesse une protection appropriée par rapport aux agissements des membres de sa famille.

Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’un statut de protection internationale, le soussigné ne s’est pas vu soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, les agissements en question ne sauraient manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.

Dans ces circonstances, le soussigné conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que la demanderesse est à débouter de sa demande de protection internationale.

Quant à la décision portant ordre de quitter le territoire La demanderesse sollicite la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que son compagnon … serait titulaire d’une carte d’identité italienne valable jusqu’en 2019 lui autorisant le séjour sur le territoire italien. Elle demande à titre subsidiaire qu’il lui soit enjoint de quitter le Luxembourg à destination de l’Italie, et non pas de l’Albanie.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Le soussigné relève qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire luxembourgeois.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

En ce qui concerne le fait que son compagnon … soit autorisé à résider en Italie et que de ce fait elle devrait être enjointe à quitter le Luxembourg vers l’Italie, et non l’Albanie, il échet de relever que la décision enjoint la demanderesse à quitter le Luxembourg « (…) à destination de l’Albanie, ou de tout autre pays dans lequel [elle est] autorisée à séjourner », ce qui pourrait éventuellement inclure l’Italie si cette dernière démontre qu’elle dispose d’une autorisation d’y séjourner.

Or, la question de savoir si Madame … est effectivement autorisée à séjourner en Italie, de sorte à pouvoir, le cas échéant, être éloignée vers ce pays, relève de la pure exécution matérielle de l’ordre de quitter le territoire et est étrangère à la légalité et au bien-

fondé de celui-ci. L’argumentation afférente encourt, dès lors, le rejet.

Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 septembre 2017 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute la demanderesse de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 octobre 2017 par le soussigné, Daniel Weber, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 octobre 2017 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40206
Date de la décision : 26/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-10-26;40206 ?

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