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03/10/2017 | LUXEMBOURG | N°38642

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2017, 38642


Tribunal administratif N° 38642 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2016 4e chambre Audience publique du 3 octobre 2017 Recours formé par l’administration communale de la Ville de Luxembourg contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires communaux en présence de Monsieur …, … en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38642 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2016 par Maître Jean Kauffman, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée ...

Tribunal administratif N° 38642 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2016 4e chambre Audience publique du 3 octobre 2017 Recours formé par l’administration communale de la Ville de Luxembourg contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires communaux en présence de Monsieur …, … en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38642 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2016 par Maître Jean Kauffman, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-2090 Luxembourg, 42, Place Guillaume II, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires communaux du 20 juillet 2016, ayant déclaré l’action disciplinaire introduite à l’encontre de Monsieur …, artisan mis à disposition de la société anonyme … S.A., demeurant à L-9632 …, éteinte par prescription ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine Lisé, demeurant à Luxembourg, du 2 novembre 2016, portant signification de ladite requête au Conseil de discipline des fonctionnaires communaux, ayant son adresse à L-2080 Luxembourg, Cité judiciaire, bâtiment de la Cour supérieure de Justice, représenté par son président ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine Lisé, préqualifiée, du 8 novembre 2016, portant signification de ladite requête à Monsieur …, préqualifié ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2016 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 7 février 2017 par Maître Daniel Baulisch, préqualifié, au nom de Monsieur …, lequel mémoire ayant été notifié le 6 février 2017 au litismandataire de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2017 par Maître Jean Kauffman, préqualifié, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, lequel mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2017 par Maître Daniel Baulisch, au nom de Monsieur …, lequel mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Jean Kauffman et Maître Daniel Baulisch en leurs plaidoiries respectives.

Monsieur … est entré le 1er avril 2008 au service de l’administration communale de la Ville de Luxembourg en tant qu’artisan.

Par une délibération du 16 novembre 2015, le collège échevinal de la Ville de Luxembourg décida d’entamer une procédure disciplinaire à l’encontre de Monsieur ….

Par courrier du 14 décembre 2015, le collège échevinal de la Ville de Luxembourg saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, dénommé ci-après « le commissaire du gouvernement », conformément à l’article 68, sub 2), alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après désignée par « la loi du 24 décembre 1985 », aux fins de procéder à une instruction à l’encontre de Monsieur … en raison du fait que ce dernier « [serait] présumé avoir manqué à ses obligations statutaires du fait : 1. D’avoir été inculpé dans l’affaire de vol de câbles électriques par le Parquet. La sanction retenue par le Parquet est la suivante : « classer l’affaire sans suites pénales sous condition de rembourser le montant de l’infraction commise à savoir 600 € » », comportement qui constituerait un manquement aux dispositions des articles 12 paragraphe 1 et 55 de la loi du 24 décembre 1985.

Le 15 avril 2016, le commissaire du gouvernement clôtura l’instruction disciplinaire engagée à l’encontre de Monsieur … en émettant son rapport d’instruction concluant à la transmission du dossier au Conseil de discipline des fonctionnaires communaux, désigné ci-

après par « le conseil de discipline », pour attribution.

Par lettre du 3 mai 2016, le commissaire du gouvernement transmit pour attribution au conseil de discipline, son rapport d’instruction précité du 15 avril 2016.

Lors de sa séance du 20 juillet 2016, le conseil de discipline se déclara régulièrement saisi et déclara l’action disciplinaire éteinte par prescription.

Le conseil de discipline retint notamment ce qui suit :

« (…) Vu le courrier du 14 décembre 2015 par lequel le collège des bourgmestre et échevins de la VILLE DE LUXEMBOURG a saisi le commissaire de gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire (ci-après le commissaire) aux fins de procéder à une instruction disciplinaire à l'encontre de …, artisan à l’époque mis à disposition de la société ….

Vu le dossier disciplinaire et notamment le rapport d'instruction du commissaire du 15 avril 2016, dossier transmis au conseil de discipline en date du 9 mai 2016.

…, régulièrement convoqué, a comparu à l'audience du conseil de discipline du 29 juin 2016, assisté de son mandataire Maître Daniel BAULISCH.

La VILLE DE LUXENBOURG a été représentée par son secrétaire général adjoint, Gilbert PROBST.

Le mandataire de … oppose principalement la prescription de l'action disciplinaire visant des faits qui auraient été commis pendant la période du 7 octobre 2009 au 18 novembre 2009, ce en application de l'article 88 du statut des fonctionnaires communaux qui stipule un délai de prescription de 3 ans à partir de la commission des faits.

Il soutient que la décision de classement sans suites de l'affaire pénale moyennant paiement d'une somme de 600 € n'établit en rien une infraction pénale, qu'il conteste. Par ailleurs il insiste sur le fait que son mandant n'a pas été condamné par une juridiction pénale, et que la qualification juridique d'un fait relève en droit pénal de la compétence exclusive du juge pénal, et non de la compétence du parquet ou du conseil de discipline. Partant en l'absence de constatation d'une infraction pénale, il n'y aurait pas lieu d'appliquer la prescription de l'action publique.

Subsidiairement il invoque l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme pour dire qu’il y eu en l’occurrence dépassement du délai raisonnable.

Quant au fond, … admet avoir touché de l'argent provenant de la vente de rebuts de câbles à plusieurs reprises. Il insiste sur le fait qu'il n’a joué qu’un rôle minime et qu’étant stagiaire dans l’équipe il n’a pas vu d’autre solution que de faire comme les autres et d’accepter l’argent. Il regrette les faits. Il conclut en conséquence à l'application d'une peine clémente à son égard à savoir celle de l’avertissement.

Le commissaire a estimé dans son rapport (p. 3 et 4) que l'action disciplinaire n'est pas prescrite, qualifiant les faits de vol domestique perpétué par un fonctionnaire public à l'aide de ses fonctions (crime qui se prescrit par 10 ans), de participation à une organisation criminelle, de recel, de blanchiment (délits dont le délai de prescription aurait été interrompu par de nombreux actes d'instruction et de poursuite posés dans le cadre de l'enquête policière diligentée, actes plus précisément indiqués dans son rapport).

Le représentant de la VILLE DE LUXEMBOURG se réfère aux conclusions du commissaire.

Aux termes de l'article 88 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux « l'action disciplinaire résultant d'un manquement aux devoirs du présent statut se prescrit par trois ans. Au cas où la faute disciplinaire constitue en même temps une infraction à la loi pénale, la prescription de l'action disciplinaire n'en est acquise en aucun cas avant la prescription de l'action publique.

La prescription prend cours à partir du jour où le manquement a été commis; elle est interrompue par tout acte de poursuite ou d'instruction disciplinaire ».

En l'espèce les faits incriminés et renvoyés par le commissaire au conseil de discipline se situent pendant une période allant du 29 janvier 2009 au 18 novembre 2009.

Le 12 mai 2010 …, responsable du service électricité de la VILLE DE LUXEMBOURG, a dénoncé à la police grand-ducale le vol de 751 mètres de câbles de cuivre nouveaux d'une valeur de 8.674,05€ sur le site du service d'électricité à Luxembourg, rue de Bouillon. Cette plainte a fait l'objet d'un procès-verbal no10616 du 12 mai 2010. Il ressort de la copie de partie du dossier pénal, faisant partie intégrante du dossier disciplinaire, que dans la suite une enquête préliminaire a été menée et qu'au cours de cette enquête il s'est avéré qu'il y a eu d'autres soustractions commises par des membres du service d'électricité, ces soustractions ayant porté sur des anciens câbles de cuivre rassemblés sur divers chantiers sur lesquels travaillaient les fonctionnaires actuellement mis en cause, les rebuts ayant été vendus ensuite à la société Libaert. En date du 4 septembre 2015 le parquet de Luxembourg a décidé, en qualifiant provisoirement les faits d'infraction de vol domestique susceptible d'être sanctionnée d'une peine d'emprisonnement allant jusqu'à cinq ans et d'une amende de 251 à 5.000 €, donc d'une peine délictuelle, de classer l'affaire sans suites moyennant versement d'une somme de 600 € représentant le préjudice subi par la victime. Ce montant a été payé par le fonctionnaire.

Au vu de la décision de classement de l'affaire et du dossier pénal, la VILLE DE LUXEMBOURG a pris la décision de déclencher la procédure disciplinaire à l'encontre de 6 de ses fonctionnaires, dont …, et a saisi le commissaire en date du 14 décembre 2015.

Il ressort de la formulation claire de l'article 88 du statut que le délai de prescription de l'action publique s'applique dans l'hypothèse où le fait pénal constitue une infraction à la loi pénale.

La durée de la prescription pénale se règle d'après la qualification donnée au fait punissable par la décision définitive des juges, et non d'après les qualifications données par le ministère public ou les juridictions d'instruction (Enc. Dalloz, éd 1954, répertoire de droit criminel et de procédure pénale, tome II, verbo prescription, no 12) La question première qui se pose au conseil de discipline est celle de savoir s'il peut en tant qu'autorité administrative, dans l'analyse du moyen de la prescription, constater une infraction qui est contestée par le fonctionnaire et qui n'a pas fait l'objet d'une décision par le juge pénal, le parquet ayant classé l'affaire sans suite et n'ayant pas mis en mouvement l'action publique.

Il est rappelé que le classement sans suite est l'expression topique de l'opportunité des poursuites (Guinchart, Buisson, procédure pénale, Litec. éd. 2000, no 884 et suiv.). Un tel classement sans suite est encore l'expression de la décision du parquet de ne pas engager des poursuites. La décision constitue une simple mesure administrative.

En principe le juge administratif est incompétent pour retenir une qualification pénale d'un fait disciplinaire (TA 28 nov. 2007, no 22437).

Appréciant le moyen de prescription de l'action disciplinaire en présence de faits à qualifier d'infractions pénales, le tribunal administratif a encore décidé qu'en ce qui concerne l'application de l'alinéa 3 de l'article 46 de la loi du 16 avril 1979 concernant la discipline dans la force publique - cet article étant identique dans sa formulation à l'article 88 du statut des fonctionnaires communaux - « il échet de relever qu'il ne se dégage d'aucun élément ou document contenu au dossier tel que soumis au tribunal que le ministère public ait intenté des poursuites pénales à l'encontre de Monsieur

--- et à fortiori que ce dernier ait fait l'objet d'une quelconque condamnation pénale en raison des faits litigieux se trouvant à la base de l'action disciplinaire dirigée contre lui. A défaut de tel acte établi par les autorités compétentes en matière de poursuite des infractions pénales, il n'a pas été établi en l'espèce que les faits litigieux étaient susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale. En outre, il n'appartient pas au tribunal administratif de procéder lui-même à la qualification pénale de faits qui lui sont soumis dans le cadre d'une affaire disciplinaire, à défaut de disposer des compétences légales afférentes. Ainsi et contrairement aux développements du délégué du gouvernement, il ne peut pas être retenu que les faits se trouvant à la base de l'action disciplinaire sont également susceptibles d'être qualifiés de délit, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'alinéa 3 de l'article 46 précité »(TA 21 déc. 2003, no 15996 du rôle).

Il appartient à la seule juridiction répressive de procéder définitivement à la qualification pénale de faits et partant de constater l'existence d'une infraction.

En présence d'une décision du parquet de ne pas engager des poursuites, encore que ce dernier ait provisoirement qualifié les faits de délit de vol domestique, en l'absence d'une décision du juge pénal, et en application du principe que le conseil de discipline ne saurait procéder à une qualification pénale des faits disciplinaires lui soumis, il ne peut être retenu que les faits se trouvant à la base de l'action disciplinaire sont à qualifier de crimes ou de délits, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 88 du statut des fonctionnaires communaux en ce qu'il prévoit l'application du délai de prescription de l'action publique.

Par ailleurs il n'y a pas eu des actes de poursuite disciplinaire ou des actes d'instruction disciplinaire de nature à interrompre la prescription triennale ayant commencé à courir à partir de la commission supposée des faits (dernier fait commis le 18 novembre 2009) avant la décision du collège échevinal du 16 novembre 2015 d'entamer des poursuites disciplinaires, de sorte que la prescription de l'action disciplinaire est acquise (…) » Par requête déposée le 31 octobre 2016 au greffe du tribunal administratif, l’administration communale de la Ville de Luxembourg a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du 20 juillet 2016 du conseil de discipline, ayant déclaré l’action disciplinaire introduite à l’encontre de Monsieur … éteinte par prescription.

Malgré le fait que l’Etat n’a pas comparu pour assurer la défense du conseil de discipline, bien que la requête introductive d’instance ait été signifiée à ce dernier par voie d’huissier de justice en date du 2 novembre 2016, le tribunal est amené à statuer à l’égard de toutes les parties suivant un jugement ayant les effets d’une décision juridictionnelle contradictoire conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».

Aux termes de l’article 66, paragraphe 2, de la loi du 24 décembre 1985 : « En dehors des cas où le Conseil de discipline statue en appel, le fonctionnaire frappé d’une sanction disciplinaire prononcée par le Conseil de discipline ou suspendu conformément à l’article 59, paragraphe 1er, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, prendre recours au Tribunal administratif qui statue comme juge du fond. Le même droit de recours appartient au collège des bourgmestre et échevins, qui peut exercer ce droit par l’intermédiaire du délégué visé à l’article 70, alinéa 3. (…) ».

En l’espèce, la décision déférée du conseil de discipline décidant que l’action disciplinaire introduite à l’encontre de Monsieur … était éteinte par prescription fut adoptée suite à sa saisine par le commissaire du gouvernement, de sorte que le tribunal est a priori compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre ladite décision prise par le conseil de discipline.

Quant à l’étendue dudit recours en réformation, la Ville de Luxembourg sollicite par voie de dispositif du tribunal qu’il saisisse la Cour constitutionnelle de la question de la compatibilité de l’article 66, paragraphes 2 et 3 de la loi du 24 décembre 1985 avec l’article 10bis de la Constitution dès lors qu’elle estime que cet article prévoirait indirectement mais nécessairement une différence de traitement entre le fonctionnaire communal et l’administration communale de la Ville de Luxembourg (1) en ouvrant un recours en réformation au fonctionnaire en cas de décision défavorable au fonctionnaire sans pour autant ouvrir de recours en réformation de même nature à l'administration communale de la Ville de Luxembourg et (2) en ouvrant un recours en réformation au délégué du gouvernement en cas de décision défavorable du conseil de discipline des fonctionnaires de l'Etat rendue contre un fonctionnaire de l'Etat, sans lui ouvrir de recours de même nature. Etant donné que l’article 66, paragraphe 2 de la loi du 24 décembre 1985 prévoit notamment que le tribunal de céans est appelé à statuer comme juge du fond dans le cadre d’un recours introduit à l’encontre d’une décision du conseil de discipline frappant un fonctionnaire d’une sanction disciplinaire, il y a lieu de toiser cette question au stade de la recevabilité de la requête introductive d’instance.

Monsieur … n’a pas pris position sur cette question.

Aux termes de l’article 66, paragraphe 3, de la loi du 24 décembre 1985 : « L’autorité saisie du recours peut, soit confirmer la décision attaquée, soit prononcer une sanction moins sévère, soit acquitter le fonctionnaire ». En vertu de ladite disposition, la compétence de réformation du tribunal administratif, en matière de recours à l’encontre d’une sanction disciplinaire prononcée par le conseil de discipline à l’égard d’un fonctionnaire communal, est limitée à la possibilité de confirmer la décision attaquée, de prononcer une sanction moins sévère ou d’acquitter le fonctionnaire, sans pouvoir prononcer une sanction plus sévère.

Tel que l’a soulevé à juste titre l’administration communale de la Ville de Luxembourg, la formulation non équivoque de l’article 66, paragraphe 3 de la loi du 24 décembre 1985 est susceptible de donner lieu à une question de conformité dudit article à l’article 10bis de la Constitution disposant que : « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi », dans la mesure où, d’une part, ledit article 66, paragraphe 3, ouvre un recours en réformation, sans aucune limitation, au fonctionnaire communal, mais délimite le recours en réformation ouvert au collège des bourgmestre et échevins, et dans la mesure où, d’autre part, le tribunal administratif, saisi d’un recours contre une décision du conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ayant prononcé une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire de l’Etat dispose d’un pouvoir en réformation in pejus, tandis que le tribunal administratif, saisi d’un recours contre une décision du conseil de discipline des fonctionnaires communaux, ne dispose que d’un pouvoir en réformation in mejus.

Si, selon l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, une juridiction estimant qu’une question de constitutionnalité d’une loi se pose, est obligée de la soulever d’office, il échet toutefois de rappeler qu’en vertu du même article, la juridiction est dispensée de poser la question préjudicielle relative à la constitutionnalité d’une loi, si la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.

Or, la Cour constitutionnelle a décidé dans un arrêt du 22 mai 2009, inscrit sous le numéro 00049 du registre, que : « le paragraphe 3 de l’article 66 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, pris isolément, n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution ».

S’il est certes vrai que les arrêts de la Cour constitutionnelle n’ont qu’un effet relatif et n’agissent pas erga omnes, dans la mesure où ils ne s’imposent, en vertu de l’article 5 de la loi précitée du 27 juillet 1997, qu’à la juridiction ayant posé la question préjudicielle, ainsi qu’à toutes les autres juridictions amenées à statuer dans la même affaire, il n’en reste pas moins que ces arrêts ont un effet relatif élargi, dans la mesure où, en vertu de l’article 6 de la même loi, les juridictions ne sont plus tenues de saisir de nouveau la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle qui a déjà été toisée par celle-ci, si la juridiction entend se conformer à la décision de la Cour constitutionnelle1.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’étant donné que la Cour constitutionnelle s’est d’ores et déjà prononcée sur la question de la conformité de l’article 66, paragraphe 3 de la loi du 24 décembre 1985 à l’article 10bis de la Constitution, le tribunal administratif est dispensé en l’espèce de soulever ladite question de nouveau. Il y a partant lieu de retenir dans le cas d’espèce la non-applicabilité de l’article 66, paragraphe 3, de la loi du 27 juillet 1997, limitant les pouvoirs de réformation du tribunal de céans.

Dans la mesure où la Cour constitutionnelle, dans son arrêt précité du 22 mai 2009, a pris le soin de préciser expressément que le paragraphe 3 de l’article 66 de la loi du 24 décembre 1985 « pris isolément » ne serait pas conforme à l’article 10bis de la Constitution, seul ledit paragraphe de l’article 66 de la loi du 24 décembre 1985 ne sera pas appliqué par le tribunal.

En revanche, le paragraphe 2 de l’article 66 de la loi du 24 décembre 1985 disposant que le tribunal administratif statue comme juge du fond sur les recours introduits contre les décisions du conseil de discipline ne statuant pas en appel, prononçant une sanction disciplinaire à l’égard du fonctionnaire, reste applicable. Un recours en réformation à l’égard d’une sanction disciplinaire prononcée par le conseil de discipline, voire une décision, comme en l’espèce, retenant que l’action disciplinaire est éteinte par prescription, est dès lors prévu par la loi.

Au vu des considérations prises ci-avant, il y a lieu de rejeter le moyen de la partie tierce intéressée tendant à l’irrecevabilité du recours au motif que la demanderesse qui sollicite une aggravation de la décision prise à son égard serait forclose à exercer un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision prise par le conseil de discipline.

En effet, c’est à juste titre que la partie demanderesse se réfère aux développements opérés par la Cour Constitutionnelle dans son arrêt précité du 22 mai 2009 tels qu’énoncés plus en avant pour écarter le moyen d’irrecevabilité de sorte que ledit moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Le recours principal en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

En excipant du prescrit de l’article 88 de la loi du 24 décembre 1985, la demanderesse estime, en premier lieu, que s’il est exact que les actes frauduleux ont été commis entre le 29 février 2008 et le 7 juin 2010, il n’y aurait toutefois pas lieu de considérer, contrairement au conseil de discipline, que la prescription visée à l’article sus-visé serait acquise au motif, premièrement, que les actes commis constitueraient aussi bien un manquement à la loi pénale 1 Voir dans le même sens : Cour adm. 30 janvier 2007, n° 20688C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Lois et règlements, n° 28 et autre référence y citée, et plus récemment : trib. adm. 7 juillet 2010, n° 26168 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu qu'un manquement de loyauté vis-à-vis de l'employeur, de sorte à pouvoir faire l’objet d’une sanction tant pénale que disciplinaire, étant précisé, par ailleurs, que l'article 88 de la loi du 24 décembre 1985 disposerait que la prescription de l'action disciplinaire ne serait en aucun cas acquise avant celle de l'action publique. Or, elle estime qu’en l'espèce, le fait pénal dominant, voire caractérisé, qui serait reproché à Monsieur … et aux autres co-auteurs serait celui du vol domestique commis dans le cadre d'une participation à une organisation criminelle qui serait passible de la sanction prévue par les articles 467 et 324ter, voire, par les articles 505 et 506-1-

1, deuxième, huitième et dernier tiret et 506-3 respectivement 506-5 et 506-6 du Code pénal.

Elle rappelle que la prescription du vol domestique étant de dix ans, un fait commis en 2008 ne se trouverait pas prescrit en 2015, de sorte à en conclure que le conseil de discipline aurait tiré les mauvaises conséquences juridiques des faits de l’espèce. Elle donne à considérer que si le Parquet pouvait certes décider, pour des questions d'opportunité, de ne pas traduire les auteurs de l'infraction devant une juridiction répressive, il n’en demeurerait pas moins que ces derniers pourraient être poursuivis sur le plan civil ou disciplinaire, dans la mesure où les faits auraient été perpétrés pendant l'exercice de leur activité professionnelle, ce qui serait le cas en l'occurrence. Dans ce contexte, elle fait référence à un arrêt de la Cour administrative2 dans lequel celle-ci se serait livrée à une comparaison entre des dispositions d’un règlement général de la police de la Ville de Luxembourg et certaines dispositions du code pénal et estime qu’il conviendrait de procéder de la même façon dans la présente affaire.

Elle est encore d’avis que la prescription aurait été valablement interrompue à plusieurs reprises par des procès-verbaux de police établis entre 2011 et 2013. Elle estime que le conseil de discipline aurait tiré une mauvaise conclusion dans la décision déférée en s’appuyant sur la jurisprudence du tribunal de céans qui ne saurait être transposée en tant que telle au cas d’espèce, au motif que dans le cas cité à titre de jurisprudence, il n’y aurait jamais eu un acte d’enquête, d’instruction ou de poursuite quelconque de la part des autorités compétentes en matière de poursuite des infractions pénales, ce qui ne serait pas le cas dans la présente affaire, étant donné que de multiples actes d'enquêtes auraient été posés par les autorités afin de procéder à la recherche des auteurs des faits ayant fait l'objet de la plainte, lesquels devraient être considérés comme des éléments interruptifs du délai de prescription, ainsi que la Cour d’appel aurait, par ailleurs, fait application de ce principe dans un arrêt du 30 mai 1975.

Ensuite, la demanderesse fait état de ce qu’il y aurait lieu d’avoir égard au principe général de droit qui disposerait que « contra non valentem prescriptio non currit » combiné au prescrit de l'article 68 paragraphe 2 de la loi du 24 décembre 1985 qui prévoirait que « [l]orsque des faits, faisant présumer que le fonctionnaire a manqué à ses devoirs, sont à sa connaissance, le collège des bourgmestre et échevins saisit le Commissaire du Gouvernement qui procède à l'instruction disciplinaire », en ce que la prescription d'une action ne commencerait à courir qu'à compter du jour où le demandeur bénéficie de la faculté d'exercer cette action. Or, elle rappelle qu’en l’espèce, pour pouvoir enclencher la procédure disciplinaire, elle devait avoir réuni tous les éléments du dossier, ce qu’elle n’aurait pas été en mesure de faire avant le 14 décembre 2015, étant, par ailleurs, relevé que les autorités communales se seraient adressées au Parquet le 19 septembre 2011, lequel, après une première réponse, le 29 septembre 2011, selon laquelle aucun renseignement ne pourrait leur être continué, se serait finalement adressé à elles, le 11 octobre 2013, pour les interroger quant à la question de savoir si une procédure disciplinaire avait été engagée à l’encontre de certains intéressés. Elle en conclut, qu’au regard de ces éléments et en tout état de cause, la prescription ne saurait être acquise principalement avant la fin de l'année 2020, à savoir bien après l’introduction de l'action disciplinaire.

2 du 7 mai 2012 portant le n°14197C du rôle disponible sous www.jurad.etat.lu A titre subsidiaire, elle renvoie au prescrit de l’article 2257 du Code civil dans la mesure où elle dresse un parallèle avec la prescription pénale en ce que ledit article exigerait la connaissance de l'identité de la personne visée, le fait qu'elle a commis, la circonstance qu’elle fasse partie du personnel et l'ensemble des reproches susceptibles de pouvoir lui être adressés.

Elle complète ensuite son argumentation en affirmant qu’en l'absence de règles spéciales d'interruption, les règles sur la prescription en matière civile devraient trouver application au cas d’espèce.

Elle ajoute, pour autant que de besoin, qu’aux termes de l'accord que la partie tierce intéressée aurait trouvé avec le Parquet en indemnisant le préjudice financier, elle serait en aveu de culpabilité voire elle reconnaîtrait « le droit de la créance de la partie [demanderesse] », de sorte que conformément à l'article 2248 du code civil, « la prescription [aurait été] interrompue par la reconnaissance du droit de celui contre lequel il prescrivait ».

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse indique que l’applicabilité de l’article 88 de la loi du 24 décembre 1985 ne serait pas contestable. Elle rappelle encore que les différents actes posés par la police auraient interrompu la prescription. Elle affirme ensuite que la prescription pénale absorberait la prescription disciplinaire.

Quant aux développements de la partie tierce intéressée sur la portée de la décision de classement contre paiement du montant de 600 euros, elle maintient son argumentation selon laquelle il y aurait eu aveu dans le chef de Monsieur … d'avoir touché les fonds litigieux et d’avoir ainsi commis l’infraction de vol domestique dans le cadre de son activité professionnelle.

Quant aux développements de la partie tierce intéressée sur l’étendue de l’examen susceptible d’être mené par le juge administratif, elle est d’avis qu'il appartiendrait à ce dernier « de qualifier le resp. les faits à la base de la poursuite disciplinaire » sans toutefois être habilitée à prononcer une sanction pénale. Elle fait valoir que l'examen du juge administratif serait identique à l'examen d'un juge civil qui, à titre d’exemple, dans une affaire de refus d'indemnisation opposée par un assureur à un assuré parce que l'assuré aurait circulé en état d'ivresse devrait vérifier si le fait « circulation en état d'ivresse » se trouverait ou non établi.

Elle soutient que dans le cas d’espèce, il ne serait rien demandé de plus au juge administratif que d’analyser si les faits de vol, vol domestique, recel ou encore association de malfaiteurs se trouveraient établis pour décider si ces derniers seraient prescrits. Elle précise encore, dans le cadre de la jurisprudence des juridictions administratives citée par la partie tierce intéressée, qu’elle ne conteste pas que la procédure disciplinaire poursuivrait une fonction différente de la procédure pénale, mais fait état de ce qu'un acquittement au pénal pourrait néanmoins entraîner une condamnation sur le plan disciplinaire en raison de l’obligation faite au fonctionnaire de respecter les devoirs énumérés aux articles 11 et 12 de la loi du 24 décembre 1985.

Quant à l’argumentation de la partie tierce intéressée relative à la présomption d’innocence et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dénommée ci-

après la « CEDH », qu’elle cite, la demanderesse fait valoir que la CEDH serait arrivée à la conclusion selon laquelle en vertu de l’arrêt définitif d’acquittement, il ne pourrait plus y avoir de doute sur l’innocence du requérant, de sorte à en conclure que seule une décision définitive d’acquittement pourrait rendre la présomption d’innocence inébranlable.

Elle insiste encore sur le fait que la procédure disciplinaire aurait été lancée dès qu’elle aurait pu obtenir la communication du dossier à la fin de l’année 2015.

La partie tierce intéressée conteste tout d’abord formellement avoir commis un vol domestique étant donné que les conditions de l’infraction ne seraient pas remplies en l’espèce et réfute l’interprétation de la partie demanderesse selon laquelle le remboursement de la somme de 600 euros serait à qualifier d’aveu de la commission de l’infraction.

Ensuite, elle rétorque, en substance, qu’en application de l’article 88 de la loi du 24 décembre 1985, la prescription disciplinaire serait de trois ans et qu’étant donné qu’aucun acte interruptif de prescription n’aurait été posé par la Ville de Luxembourg, les faits seraient actuellement prescrits le 19 novembre 2012 en tout état de cause avant même que la Ville de Luxembourg ait pris la décision de déclencher l’action disciplinaire, à savoir le 16 novembre, voire le 14 décembre 2015.

Elle réfute encore l’argument de la demanderesse selon lequel les articles 2248 et 2257 du Code Civil seraient applicables en l’espèce.

Les parties sont manifestement en désaccord sur la question de savoir quel type de prescription a vocation à s’appliquer en l’espèce, à savoir soit la prescription triennale soit la prescription décennale et, dans le cas où il conviendrait de retenir que la première s’applique, si des actes interruptifs de prescription ont été posés.

Préalablement à l’examen de cette question, il appartient au tribunal de rappeler les principes généraux applicables en matière de prescription de l’action disciplinaire à l’égard des fonctionnaires communaux et de situer, ainsi, le litige dans le cadre de la matière qui a vocation à régir ce type de litiges.

Il y a tout d’abord lieu de rappeler que les règles et les usages déontologiques ont une vie autonome, aux côtés du droit civil et du droit pénal, comme du droit administratif, mais en lien avec eux, ainsi les procédures disciplinaires suivent-elles un cours autonome, à l’écart des procédures civiles, pénales ou administratives, mais en s’inspirant d’elles3.

S’agissant de la présomption d’innocence dont peut se prévaloir un agent de la fonction publique, la CEDH a énoncé le principe selon lequel « la présomption d’innocence (…) ne se limite pas à une simple garantie procédurale en matière pénale. Sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’Etat ou d’une autorité publique ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un « tribunal » »4.

Enfin, en droit interne, la doctrine s’accorde pour reconnaître que si la prescription de l’action disciplinaire et des peines disciplinaires relève de la même idée qu’en droit pénal, à savoir que les fautes doivent être punies dans un temps proche de leur commission, elle introduit néanmoins une nuance supplémentaire, à savoir celle du principe suivant lequel le fonctionnaire sanctionné doit pouvoir poursuivre sa carrière sans que celle-ci ne soit indéfiniment entachée d’un stigmate dû à un manquement lointain à la discipline5.

3 Actualités du droit disciplinaire, sous la direction de Georges-Albert Dal, cup volume 167, ULg, Larcier 2016, préface 4 Ibidem, p. 44 5 Le droit de la fonction publique au Luxembourg, Jean-Marie Bauler et François Moyse, Bruylant Bruxelles 1998, p. 251 n° 381 L’article 88 de la loi du 24 décembre 1985 dispose que « L’action disciplinaire résultant du manquement aux devoirs du présent statut se prescrit par trois ans. Au cas où la faute disciplinaire constitue en même temps une infraction à la loi pénale, la prescription de l’action disciplinaire n’en est en aucun cas acquise avant la prescription de l’action publique.

La prescription prend cours à partir du jour où le manquement a été commis ; elle est interrompue par tout acte de poursuite ou d’instruction disciplinaire ».

Ainsi, cet article consacre le principe selon lequel les instructions disciplinaires à l’instar des instructions pénales sont susceptibles d’être prescrites.

La durée de la prescription de l’action disciplinaire dépend de la nature de la faute disciplinaire : si celle-ci constitue un seul manquement aux devoirs du statut général des fonctionnaires communaux, la prescription sera acquise au bout de trois ans. Si, en revanche, la faute disciplinaire constitue en même temps une infraction à la loi pénale, la prescription de l’action disciplinaire n’est en aucun cas acquise avant la prescription de l’action publique, en d’autres termes, la prescription de l’action disciplinaire ne peut intervenir avant la prescription de l’action publique et ce, afin d’éviter qu’un individu condamné à une peine pénale puisse échapper à une action disciplinaire par le fait de la prescription due à l’écoulement du temps.

Dans les deux cas, la prescription prend cours à partir du jour où le manquement a été commis et est interrompue par tout acte de poursuite ou d’instruction disciplinaire.

Quant au point de départ de la prescription en l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ressort du rapport disciplinaire que les faits reprochés à Monsieur … se sont produits de manière continue du 29 janvier 2009 au 18 novembre 2009. Ainsi, cette dernière date constitue le point de départ de la prescription qui est aussi celle où le manquement a été commis pour la dernière fois. Partant, c’est à tort que la partie demanderesse fait valoir que la prescription de son action disciplinaire n’aurait commencé à courir qu'à compter du jour où elle aurait bénéficié de la faculté de l'exercer, à savoir à partir de la date à laquelle elle aurait réuni tous les éléments du dossier, ce qu’elle n’aurait pas été en mesure de faire avant le 14 décembre 2015, date à laquelle le collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg aurait saisi le commissaire du gouvernement, dès lors que, d’une part, le texte clair de l’article 88 précité fait référence au manquement aux devoirs du statut général des fonctionnaires communaux comme point de départ de la prescription et, d’autre part, le procès-verbal précité relève de manière non équivoque les faits reprochés à la partie tierce intéressée, de sorte qu’il aurait été loisible à la demanderesse de conduire l’instruction administrative avec toute la diligence requise et d’entreprendre toutes les mesures nécessaires menant à la découverte des responsables de manière à statuer avant la décision définitive au pénal afin de ne pas laisser l’agent menacé d’une action disciplinaire trop longtemps dans l’incertitude sur son sort6. Le moyen afférent de la demanderesse est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Il s’ensuit que la prescription de l’action disciplinaire triennale, soit l’action disciplinaire relative à une faute disciplinaire relative aux faits litigieux, à condition de viser uniquement un manquement au statut général des fonctionnaires communaux, s’est, en principe, éteinte par prescription en date du 18 novembre 2012 à condition toutefois qu’aucun 6 Actualités du droit disciplinaire dans la fonction publique, Eric Lemmens, op. cit. in Actualités du droit disciplinaire, p. 90 acte de poursuite ou d’instruction disciplinaire ne soit intervenu dans l’intervalle ce qu’il appartient au tribunal de déterminer à ce stade-ci des développements.

Force est au tribunal de constater qu’aucun acte de poursuite disciplinaire ou d’instruction disciplinaire au sens de l’article 88 précité n’est intervenu avant le 14 décembre 2015, date à laquelle le collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg a posé son premier acte de poursuite ou d’instruction disciplinaire par la saisine du commissaire du gouvernement à l’encontre de la partie tierce intéressée, de sorte que c’est à bon droit que tant le conseil de discipline que la partie tierce intéressée ont conclu que la prescription triennale n’ayant pas été interrompue, elle est acquise depuis le 18 novembre 2012. Le moyen de la demanderesse visant à démontrer que des actes auraient été posés en vue d’interrompre la prescription triennale est à rejeter dans son ensemble, étant précisé, par ailleurs, que la demanderesse fait un amalgame entre l’acte ayant vocation à interrompre la procédure pénale, et celui de nature à interrompre la procédure disciplinaire, les procès-verbaux de police cités par la partie demanderesse ayant tout au plus interrompu la prescription de l’action pénale mais non celle de l’action disciplinaire ainsi que la partie tierce intéressée le relève à juste titre. Dans le même ordre d’idées, le moyen de la demanderesse tiré d’un raisonnement par analogie au prescrit des articles 2248 et 2257 du Code civil tel qu’elle l’a développé plus en avant pour justifier l’existence d’un acte ayant interrompu la prescription est également inopérant au regard de la conclusion retenue par le tribunal ci-avant à laquelle il convient d’ajouter la considération selon laquelle le libellé clair de l’article 88 précité n’appelle pas d’avoir recours à l’interprétation par voie d’analogie avec des dispositions invoquées du Code civil, étant rappelé l’existence du principe de l’autonomie des procédures disciplinaires dégagé plus en avant par le tribunal.

Il demeure, à ce stade, au tribunal de toiser la question de savoir si, en l’espèce, la prescription a pu être prolongée en raison du fait que la faute disciplinaire reprochée constitue en même temps une infraction à la loi pénale qui se prescrit par dix ans, de sorte que ladite action disciplinaire ne se prescrirait que le 18 novembre 2019.

Force est au tribunal de constater que par le truchement d'un avertissement daté du 4 septembre 2015, le Parquet a décidé de classer l'affaire « des vols et la revente de câbles électriques au préjudice de la Ville de Luxembourg respectivement de la société … » sans suite dans le chef de la partie tierce intéressée « [a]u vu des circonstances de l'affaire et de l'absence d'antécédents judiciaires au Luxembourg ». Il s'y ajoute, qu'à titre informatif, le Parquet indique dans ledit avertissement que « [1]’infraction de vol respectivement de vol domestique est susceptible d'être sanctionnée d'une peine d’emprisonnement allant jusqu'à cinq ans et d'une amende de 251 euros à 5.000 euros » et qu'il enjoint la partie tierce intéressée à « [faire] les démarches nécessaires afin de rembourser à la victime de [ses] agissements (en principe la société …) les sommes obtenues par la commission de l'infraction à savoir le montant de 600 € jusqu'au 1er janvier 2015 au plus tard (…) ».

C'est d’abord à tort que la partie demanderesse estime que, par l'effet du paiement du montant de 600 euros, la partie tierce intéressée aurait été en aveu d'avoir participé au fait qualifié de vol domestique sinon de vol simple, alors que ce paiement n’est que la contrepartie du classement sans suite de l’affaire, de sorte qu’aucun acquiescement de quelque nature que ce soit ne peut en être déduit. En effet, le Parquet décide de l'opportunité des poursuites, c'est-

à-dire qu'il détermine librement s'il poursuit ou non et ce, même si l'existence de l'infraction est indiscutable et s'il existe des charges suffisantes contre une ou plusieurs personnes, de sorte qu’il détient, par voie de conséquence, le pouvoir de classer sans suite une affaire, ce dont il a fait usage en l'espèce, notamment sous la condition du règlement à la victime du montant de 600 euros.

De même, en procédant au classement sans suite de l'affaire à l'encontre de la partie tierce intéressée, le Parquet a décidé, au moins provisoirement, qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'action publique. Par voie de conséquence, aucune juridiction pénale n’a été saisie des faits litigieux, lesquels n’ont, dès lors, pas pu être pénalement qualifiés en dernier ressort.

En effet, si le Parquet procède certes, dans son avertissement du 4 septembre 2015, à une qualification pénale des faits litigieux, une telle qualification, à défaut d’avoir été confirmée en dernier ressort par une juridiction pénale, celle-ci n’est pas de nature à établir définitivement que la faute disciplinaire litigieuse « constitue » en même temps une infraction à la loi pénale.

Il est à noter, dans ce contexte, qu’en tout état de cause la qualification pénale donnée par le Parquet vise l’infraction de vol respectivement de vol domestique susceptible d’être sanctionné d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans et d’une amende de 251 à 5.000,- euros, de sorte que, s’agissant d’un délit, la prescription ne serait de toute façon que de cinq ans aux vœux de l’article 638 du code de procédure pénale, de sorte qu’il ne saurait a priori être tiré une prescription pénale décennale de la qualification opérée par le Parquet, tel que veut le sous-entendre la demanderesse.

Par voie de conséquence, aucune juridiction pénale n’ayant eu l’occasion de qualifier les faits en dernier ressort, le tribunal de céans ne saurait se prononcer sur cette question en l'absence de toute base légale l'autorisant à le faire7.

De plus, l'extension de la prescription triennale à dix ans ne se conçoit que lorsque l'action publique est engagée voire toujours en cours au moment où elle est invoquée au motif que le texte clair de l'article 88 de la loi du 24 décembre 1985 précise expressément qu’« [a]u cas où la faute disciplinaire constitue en même temps une infraction à la loi pénale, la prescription de l'action disciplinaire n'en est en aucun cas acquise avant la prescription de l'action publique ». Ainsi, la condition même de l'extension de la prescription de droit commun de trois ans en matière disciplinaire, qui a pour objet de sanctionner l'agent public dans un temps proche de la commission du manquement à son statut afin que le risque de remettre en cause la persistance du lien de confiance nécessaire à la poursuite de la relation de travail soit réduit au temps strictement minimum et nécessaire, n'a de raison d'être que lorsqu'au-delà du délai de trois ans, une action publique est toujours en cours afin d'éviter qu'une personne condamnée par une juridiction pénale puisse échapper aux poursuites disciplinaires. Il en est autrement lorsque l'action publique est arrêtée par le Parquet. En effet, cette décision met, au moins provisoirement, un terme au lien établi par l'article 88 précité entre les deux prescriptions, faisant obstacle à la remise en cause par le tribunal de cette décision et l'empêchant de se prononcer lui-même sur la question de savoir si les faits litigieux constituent une infraction.

La partie demanderesse part de la prémisse erronée, en s’appuyant sur une jurisprudence qui n'est aucunement transposable en l'espèce que le tribunal devrait procéder lui-même à la qualification des faits en vol domestique voire en vol simple. Or, la question de la qualification pénale en l'espèce « des vols et [de] la revente de câbles électriques au préjudice de la Ville de 7 trib. adm. 28 novembre 2007, n° 22437 du rôle, Pas. adm. 2017. V° Fonction publique, n° 298 voir également par analogie trib. adm. 31 décembre 2003, n° 15996 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

Luxembourg respectivement de la société … » tels que visés dans l'avertissement du Parquet est provisoire puisque non vérifiée par une juridiction répressive.

En la cause, la prescription triennale fut acquise le 18 novembre 2012 et par l'effet même du classement sans suite, la demanderesse ne saurait actuellement se prévaloir du bénéfice d’une prescription décennale, faute de qualification définitive afférente retenue par une juridiction répressive, ce nonobstant les considérations développées de part et d'autre relatives à la présomption d'innocence qui sont superfétatoires en l'espèce.

Partant, c'est à juste titre que tant le conseil de discipline que la partie tierce intéressée ont conclu que l'action disciplinaire était éteinte dans la présente affaire. Il s'ensuit que tous les moyens afférents de la demanderesse tirés de l'extension du délai de prescription triennale à dix ans et de la requête faite au tribunal de se prononcer sur la qualification pénale des faits en vol domestique voire en vol simple sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Etant donné que le tribunal confirme la solution retenue par le conseil de discipline quant à la prescription de l'action disciplinaire sur pied de l'article 88 de la loi du 24 décembre 1985, il n'y a pas lieu d'avoir égard aux moyens et arguments développés par les parties quant au fond de l'affaire.

Le recours est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Force est de constater que la partie tierce intéressée ne justifie ni la nature ni les motifs de sa demande d’allocation d’une indemnité de procédure de 3.250 euros. Or, une demande d’allocation d’une indemnité de procédure qui omet de spécifier concrètement la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise pas concrètement en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante est à rejeter, la simple référence à l’article de loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard8.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation ;

rejette la demande tendant à allocation d’une indemnité de procédure formulée par la partie tierce intéressée ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, 8 voir Cour adm. 1er juillet 1997, n° 9891C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, Frais, n° 1029 et les autres références y citées.

Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge et lu à l’audience publique du 3 octobre 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 octobre 2017 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 38642
Date de la décision : 03/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-10-03;38642 ?

Source

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