Tribunal administratif N° 40156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 septembre 2017 Audience publique du 12 septembre 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, Luxembourg contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 40156 du rôle et déposée le 8 septembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Denise Parisi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Arménie), de nationalité arménienne, ayant demeuré à …, tendant à voir ordonner un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 août 2017 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Allemagne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 23 août 2017, inscrit sous le numéro 40155, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Denise Parisi et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 26 juillet 2017, Monsieur … introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, que ses empreintes digitales avaient été précédemment enregistrées en Allemagne en date du 20 avril 2016.
Le même jour, Monsieur … fit l’objet d’un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Par arrêté du 26 juillet 2017, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre assigna Monsieur … à résidence en application des articles 22, paragraphe (2), point d) et 22, paragraphe (3), point a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015.
En date du 9 août 2017, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge de Monsieur … sur base de la considération selon laquelle la consultation de la banque de données EURODAC aurait révélé que l’intéressé aurait introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 20 avril 2016. Cette demande de prise, respectivement de reprise en charge fut explicitement acceptée par les autorités allemandes le 14 août 2017.
Par décision datée du 23 août 2017, expédiée le 24 août 2017 par lettre recommandée, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 26 juillet 2017.
Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 20 avril 2016.
L’Allemagne a accepté en date du 14 août 2017 de prendre/reprendre en charge l’examen de votre demande de protection internationale.
Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 20§5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de 15 jours à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d’aucun appel.
Une procédure de référé en vue de l’obtention d’un sursis à l’exécution ou d’une mesure de sauvegarde peut être introduite auprès du Président du Tribunal administratif par requête signée d’un avocat à la Cour.» Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 septembre 2017, inscrite sous le numéro 40155 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 23 août 2017. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 40156 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Allemagne jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme celle relative à l’existence d’un intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande en sursis à exécution.
Le demandeur fait valoir qu’il serait arrivé au Luxembourg avec son frère après avoir quitté son pays d’origine, l’Arménie, dans lequel il aurait subi un traumatisme psychique l’ayant amené à avoir des difficultés à vivre seul, état de santé qui serait, par ailleurs, corroboré par plusieurs certificats médicaux. Il fait valoir que le transfert vers l’Allemagne aurait pour conséquence (i) d’entraîner une séparation avec son frère dont il serait dépendant et (ii) de mettre fin à la thérapie qu’il aurait entamée au Luxembourg. Enfin, il estime qu’il existerait un « danger réel pour [lui] de devoir retourner dans sa région d’origine ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de la requête sous analyse en contestant tant l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens avancés au fond.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999», un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 8 septembre 2017, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, dans les deux mois de l’introduction de la requête et il échet de constater qu’elle est, par ailleurs, fixée pour plaidoiries à la date du 17 octobre 2017, de sorte qu’elle devrait a priori être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.
Toutefois, et bien qu’aucune date ne soit prévue pour le transfert du demandeur d’après les éléments figurant au dossier administratif, lequel ne saurait être organisé avant le 12 septembre 2017 en application de l’article 27§2 du règlement Dublin III, il y a lieu de retenir que l’échéance du 17 octobre 2017 doit être considérée comme tardive compte tenu de ces circonstances particulières de l’espèce.
A titre liminaire, il y a lieu de constater que la soussignée a relevé à l’audience des plaidoiries la circonstance suivant laquelle il ressort des pièces et éléments du dossier administratif que le demandeur, nonobstant son assignation à domicile, a disparu depuis le 9 septembre 2017 de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, de sorte à introduire certains doutes quant à la persistance de l’intérêt à agir dans son chef dans le cadre de sa requête au fond déposée à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 août 2017, élément qui est de nature à avoir une incidence sur la recevabilité du présent recours.
Le litismandataire du demandeur a affirmé avoir ignoré cet état de fait et s’est rapporté à la prudence de la soussignée tandis que le délégué du gouvernement en a conclu aux moyens peu sérieux invoqués par le demandeur à l’appui du présent recours de nature à entraîner son rejet.
S’il est manifeste que l’absence de présentation d’un demandeur d’asile assigné à résidence dans une structure d’hébergement d’urgence - qui constitue une mesure moins coercitive qu’une mesure de placement au Centre de rétention au sens de l’article 22, (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015 - pendant plusieurs jours consécutifs, amène la soussignée à s’interroger sur la question de savoir si ce dernier se serait éventuellement désintéressé de la procédure introduite au fond à l’encontre de la décision ministérielle du 23 août 2017 et, aurait, par le seul fait de son comportement tendant à refuser de se présenter à ladite structure d’hébergement d’urgence, implicitement renoncé à ce recours, de sorte à entraîner son irrecevabilité, il y a néanmoins lieu de relever nonobstant le fait (i) que les raisons de la disparition du demandeur sont inconnues et (ii) qu’il peut se présenter à nouveau à tout moment à la structure d’hébergement d’urgence, que cette question relève à l’évidence de l’appréciation du caractère sérieux des moyens avancés par le demandeur dans le cadre de son recours au fond constituant la deuxième condition visée à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 que la soussignée sera éventuellement amenée à examiner par la suite dans le cadre du présent recours.
En l’espèce, force est à la soussignée de constater que la décision déférée du 23 août 2017, prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, revêt a priori un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent, et, d’autre part, de ne pas examiner la demande de protection internationale de l’intéressé, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.
A cet égard, le demandeur reste toutefois en défaut de prouver dans quelle mesure la décision d’incompétence, respectivement de transfert, serait de nature à lui causer un préjudice grave et définitif.
En effet, s’il verse certes en l’espèce un certificat médical du 6 septembre 2017 du Docteur …. établissant qu’il souffrirait de « PTSD », qu’il serait dans la crainte de retourner dans son pays d’origine et qu’il redouterait de vivre seul, ayant besoin de la compagnie de son frère aîné, il omet néanmoins d’établir dans quelle mesure le transfert vers l’Allemagne serait de nature à lui causer un préjudice grave et définitif par rapport à l’état de santé ainsi décrit.
A ce titre, il y a lieu de relever que le demandeur reste en défaut de rapporter la preuve que le traitement médical qu’il vient juste d’entamer avec le Docteur …. - étant donné qu’il n’est entré sur le territoire luxembourgeois qu’en date du 26 juillet 2017 - ne pourrait pas être poursuivi avec succès en Allemagne auprès d’un médecin spécialisé dans le traitement des troubles psychiques pendant toute la durée de l’examen de sa demande de protection internationale, laquelle ressort, par ailleurs, de la compétence des autorités allemandes.
Il s’y ajoute qu’il y a encore lieu d’observer que si le transfert du demandeur vers l’Allemagne entraîne certes une séparation de son frère aîné, tous les deux ayant été momentanément hébergés dans la même structure d’hébergement d’urgence au Luxembourg, cette circonstance est cependant inhérente à l’historique des demandes de protection internationales introduites dans des pays différents de l’Union européenne par la fratrie …, tel que cet historique ressort des pièces et éléments versés au dossier administratif. En effet, il s’avère que le frère aîné du demandeur, Monsieur… a introduit pas moins de quatre demandes de protection internationale depuis 2010 dans différents pays de l’Union européenne, et ce, préalablement à celle introduite conjointement avec le demandeur auprès des autorités allemandes en date du 20 avril 2016, de sorte qu’une séparation de la fratrie s’est nécessairement déjà produite dans le passé et n’est pas de nature à entraîner, à ce jour, un préjudice grave et définitif dans le chef du demandeur.
Si le demandeur met encore en avant le risque d’être expulsé par les autorités allemandes vers l’Arménie - risque non concrètement étayé en l’état actuel du dossier - il convient de rappeler qu’un sursis à exécution ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant en effet pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué1, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours2 . Toutefois, l’éloignement redouté du demandeur vers l’Arménie ne fait pas l’objet de la décision présentement déférée, laquelle ne porte que sur le transfert du demandeur vers l’Allemagne, pays responsable du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de sa reprise en charge, un éloignement vers l’Arménie ou tout autre pays devant de surcroît être considéré comme hypothétique, alors que l’Allemagne respecte a priori - le demandeur ne fournissant aucun indice tangible permettant à la soussignée d’en douter - le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Dès lors, le demandeur pourra encore le cas échéant se prévaloir de risques éventuellement encourus en Arménie devant la justice allemande afin d’éviter son éloignement.
Le demandeur ne faisant pas état d’un préjudice grave et définitif lui causé par la décision déférée, il est à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner davantage la question de savoir s’il présente des moyens sérieux à l’appui de son recours – tel que celui soulevé plus en avant tenant à la recevabilité de la requête au fond - , les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, la soussignée, premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 août 2017 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Allemagne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais.
1 J.-P. Lagasse, Le référé administratif, 1992, n° 46, p.60.
2 Ph. Coenraets, Le contentieux de la suspension devant le Conseil d’Etat, synthèses de jurisprudence, 1998, n° 92, p.41.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 septembre 2017 par Anne Gosset, premier juge au tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.
s. Xavier Drebenstedt s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 septembre 2017 Le greffier du tribunal administratif 6