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16/07/2017 | LUXEMBOURG | N°41416

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2017, 41416


Tribunal administratif N° 41416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2018 Audience publique du 16 juillet 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 41416 du rôle et déposée le 12 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maî

tre Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 41416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2018 Audience publique du 16 juillet 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 41416 du rôle et déposée le 12 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Guinée) de nationalité guinéenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon en l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 juillet 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la France, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 2 juillet 2018, inscrit sous le numéro 41415, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Maître Catherine WARIN, en remplacement de Maître Françoise NSAN NWET, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 8 juin 2018, Monsieur …, de nationalité guinéenne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, qu’il avait précédemment franchi illégalement la frontière française en date du 9 avril 2017 et qu’il avait introduit une demande de protection internationale en France en date du 11 mai 2017.

Le même jour, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par décision datée du 2 juillet 2018, expédiée le 3 juillet 2018 par lettre recommandée, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 8 juin 2018.

Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en France en date du 11 mai 2017.

La France a accepté en date du 25 juin 2018 de prendre/reprendre en charge l'examen de votre demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers la France, qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41415 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 2 juillet 2018. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41416 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la France et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.

Monsieur … soutient que l’exécution de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de son recours au fond seraient sérieux.

Au titre du préjudice grave et définitif, le requérant fait valoir que son transfert en France entraînerait une violation de sa dignité humaine, telle que protégée par l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans la mesure où il serait probable qu’il va se retrouver à la rue, sans aucune garantie quant à la satisfaction de ses besoins élémentaires, tels que l’accès à l’eau, à la nourriture et aux sanitaires.

En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui de son recours, le demandeur renvoie à sa requête au fond. Il se prévaut plus particulièrement de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, de sorte qu’un retour en France l’exposerait à un risque de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et entraînerait par ailleurs une violation de l’article 3 de la Convention de européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ». En se prévalant de l’article 3, paragraphe (2) de la loi du règlement Dublin III, le demandeur conclut qu’il serait impossible de procéder à son transfert vers la France.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

En vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

En vertu de l’article 11 de la même loi un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond, sous son volet afférent, ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance. En effet, s’il est vrai qu’il existe en la matière une procédure rapide et que l’affaire au fond est d’ores et déjà fixée pour plaidoiries à une date rapprochée, à savoir le 8 août 2018, le jugement risque de ne plus avoir d’effet utile, dès lors que l’éloignement du demandeur peut être effectué à tout moment.

Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.

En l’espèce, force est à la soussignée de constater que la décision déférée du 2 juillet 2018, prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, a a priori un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent - en l’espèce la France -, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.

Or, à cet égard, le requérant reste en défaut de prouver en quoi la décision d’incompétence, respectivement de transfert, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, étant souligné qu’en la présente matière la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif est étroitement liée à celle du caractère sérieux des moyens avancés au fond.

En effet, la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le demandeur donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice.

Force est d’abord de constater que le requérant ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat français, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour examiner sa demande de protection internationale, mais elle reproche, en substance, au ministre de ne pas avoir fait usage de la clause discrétionnaire, telle qu’inscrite à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, et ce notamment sur base du risque qu’il courrait de subir des traitements inhumains et dégradants en France.

La soussignée relève à cet égard qu’il est de jurisprudence constante qu’en ce qui concerne la situation où, comme en l’espèce, un Etat membre a accepté la prise, respectivement la reprise en charge d’un demandeur d’asile, le demandeur ne peut mettre en cause cette décision qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que lesdits demandeurs courront un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Il y a, en effet, lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard.

Il est vrai qu’il ressort, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 CEDH, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable1.

Toutefois un tel risque n’est actuellement pas concrètement étayé.

En effet, en l’état actuel du dossier, aucun élément n’a été communiqué à la soussignée lui permettant de retenir qu’il existerait en France des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou des articles 1 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne : en effet, ce pays est signataire de cette Charte, de la CEDH, de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève du 28 1 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

juillet 1951 relative au statut des réfugiés - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, en applique les dispositions.

A cet égard, il convient encore de souligner que les pièces versées en cause ne sont pas susceptibles de laisser à conclure à un risque de préjudice grave et définitif dans le chef du demandeur, lesdites pièces ayant en effet trait à des situations datant de près d’un an, de sorte à manquer de pertinence en l’espèce.

Le requérant n’a pas non plus apporté la preuve que personnellement et concrètement ses droits n’auraient pas été respectés ou ne seraient pas garantis en France, que les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient eu en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.

Par ailleurs, le requérant n’a encore fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement et faillirait donc à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient sérieusement menacées, ou encore qu’il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays, sans avoir pu faire valoir ses droits.

Le demandeur est partant à débouter de sa demande en obtention d’une mesure de sauvegarde sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Par ces motifs, la soussignée, vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la requête en institution d’une mesure de sauvegarde en la forme ;

au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 juillet 2018 par Thessy Kuborn, vice-président, en présence d’Arny Schmit, greffier en chef.

Arny Schmit Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16.7.2018 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41416
Date de la décision : 16/07/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-07-16;41416 ?

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