Tribunal administratif N° 39833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juillet 2017 Audience publique du 5 juillet 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 39833 du rôle et déposée le 5 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Mariame YAZBACK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né prétendument le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-… tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision, ainsi qualifiée, du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 juin 2017 par laquelle les autorités luxembourgeoises auraient pris la décision de transférer Monsieur … vers la République d’Italie, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre une décision d’incompétence ministérielle du 22 mai 2017, inscrit sous le numéro 39728, introduit le 13 juin 2017, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Mariame YAZBACK et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour à 17.00 heures.
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Monsieur … arriva sur le territoire luxembourgeois au courant du mois d’octobre 2016.
Par ordonnance du juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 7 novembre 2016, prise sur requête du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, Monsieur … se vit désigner en sa qualité de mineur non accompagné Maître Mariame YAZBACK, avocat à la Cour, en tant qu’administrateur ad hoc.
Le 14 décembre 2016, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Italie en date du 3 juillet 2015 où il aurait indiqué comme date de naissance le ….
Le 30 janvier 2017, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-
après « le règlement Dublin III ».
Par décision du 24 février 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … que les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la République d’Italie, au motif que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et à celles de l’article 18, paragraphe 1b), du règlement Dublin III, au motif que ce serait l’Italie qui serait responsable du traitement de sa demande d’asile, du fait qu’il y aurait introduit le 3 juillet 2015 une demande de protection internationale et que les autorités italiennes auraient accepté le 13 février 2017 de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2017, inscrite sous le numéro 39241 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 24 février 2017.
Par courrier du 20 mars 2017, le ministre informa Monsieur … que son transfert vers l’Italie aura lieu le 3 avril 2017.
Par requête déposée en date du 22 mars 2017, inscrite sous le numéro 39300 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution du transfert vers l’Italie prévu pour le 3 avril 2017 jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond.
Par ordonnance du soussigné du 28 mars 2017, la décision ministérielle précitée du 24 février 2017 fut suspendue et Monsieur … fut autorisé à séjourner provisoirement sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond introduit sous le numéro 39241 du rôle.
Par courriers des 13 et 14 avril 2017, les autorités ministérielles informèrent Maître Mariame YAZBACK que la décision de transfert du 24 février 2017 serait à considérer comme nulle et non avenue et que le recours au fond serait partant à considérer comme devenu sans objet Par courrier du 18 avril 2017, Monsieur … fut toutefois convié à subir un test osseux en vue de déterminer son âge ; le rapport afférent établi le 15 mai 2017 par le Dr U., médecin spécialiste en médecine légale, respectivement par le Dr R., médecin spécialiste en radio-
diagnostique conclut à ce qu’il résulte des examens médicaux réalisés sur l’intéressé, à savoir la main, le poignet, des dents, la clavicule qu’il est âgé de plus de 18 ans et que par conséquent, il est à considérer comme majeur.
Par décision du 22 mai 2017, notifiée le 29 mai 2017, le ministre informa à nouveau Monsieur … que le Grand-Duche de Luxembourg n’est pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale en se référant aux dispositions de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18§1 b du règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 au motif que Italie est l’Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, du fait qu’il y aurait précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 3 juillet 2015, cette même décision faisant encore état de ce que les autorités italiennes auraient accepté en date du 13 février 2017 de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2017, inscrite sous le numéro 39728 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 22 mai 2017.
Par courrier du 29 juin 2017, le ministre informa le mandataire de Monsieur… que son transfert vers Italie serait prévu pour le 6 juillet 2017 Par requête déposée en date du 13 juin 2017, inscrite sous le numéro 39833 du rôle, Monsieur… a introduit une demande en institution d’un sursis à exécution par rapport à la décision, ainsi qualifiée, du 29 juin 2017, le dispositif de ladite requête visant explicitement à assortir la décision, ainsi qualifiée, du 29 juin 2017 d’un sursis à exécution, le litismandataire du demandeur ayant toutefois précisé, tel que cela ressort également du corps de sa requête, viser en fait la décision ministérielle de transfert du 22 mai 2017.
Le demandeur soutient qu’il subira du fait de la décision attaquée par le recours au fond un dommage grave et définitif.
A cet égard, il critique les conclusions des tests osseux et les conséquences en déduites par le ministre, alors qu’il serait établi que les résultats des examens radiographiques en vue de déterminer l’âge osseux devraient être interprétés avec prudence et circonspection, la pratique du test osseux étant décriée par les associations de défense des droits des étranger ainsi que par des associations de pédiatres et des radiologistes. En effet, la maturité de la dentition et du squelette ne permettraient pas de déterminer l’âge exact d’un enfant, mais uniquement de procéder à son estimation, avec une marge d’erreur de deux à trois ans, et ce d’autant plus qu’à l’adolescence, l’âge osseux ne correspondrait pas toujours à l’âge réel lorsque des adolescents entre 16 et 18 ans.
Le demandeur en conclut que ce serait dès lors de manière erronée que le ministre remettrait en cause son âge sur base de ces tests osseux.
Considérant partant qu’il serait mineur d’âge, il met en exergue qu’il serait à considérer comme personne vulnérable au sens de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, et, d’autre part, que son intérêt supérieur en tant que mineur serait de demeurer au Luxembourg où il aurait été scolarisé et intégré avec succès, le demandeur mettant encore en exergue le fait qu’en cas de retour vers l’Italie il risquerait d’être livré à lui-même, plus précisément de ne pas disposer de foyer et de passer ses nuits dans la rue, de subir la faim, le froid, de sorte qu’il y serait susceptible d’être une victime de la traite des êtres humains sinon à la merci de toute sorte de trafiquants, tout en affirmant que l’Italie ne prévoirait aucune scolarisation des mineurs dans le cadre de l’accueil des demandeurs d’asile.
Le demandeur estime encore que ses moyens produit à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, lesquels, en substance, reposent sur l’invocation de l’article 8, paragraphe 4 du règlement Dublin III, duquel résulterait en ce qui le concerne la compétence de principe du Luxembourg.
Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause, en contestant, en substance la minorité d’âge du demandeur en insistant sur la fiabilité des tests osseux.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
En l’état actuel de l’instruction du dossier, force est au soussigné de constater, d’une part, que les moyens présentés par le demandeur afin de remettre en cause la fiabilité des tests osseux ne sont pas dénués de tout sérieux, encore que la partie étatique ait versé en cause un jugement qui tendrait plutôt à valider ces mêmes tests.
D’autre part, le soussigné constate que le demandeur a, en ce qui concerne la situation en Italie, limité son argumentation à la situation des mineurs, le litismandataire ayant crédiblement exposé avoir été pris de court par l’exécution du transfert de son mandant pour le lendemain 6 juillet 2017, et ce compte tenu de la teneur du courrier des services du ministère du 13 avril 2017 l’ayant informé que la décision de transfert du 24 février 2017 serait à considérer comme nulle et non avenue et que le recours au fond serait partant à considérer comme devenu sans objet, de sorte à ne pas être en mesure d’éclairer le soussigné sur la situation actuelle en Italie relativement non pas aux seuls mineurs, mais également aux hommes majeurs seuls.
De troisième part, le soussigné rappelle avoir suspendu la décision précédente de transfert au vu de la minorité d’âge du demandeur alors non sérieusement énervée, minorité actuellement re-contestée par l’Etat sur base de nouveaux éléments, le ministre, comme relaté ci-dessus, s’étant aménagé, par le biais d’une nouvelle décision, la possibilité d’adapter, respectivement de peaufiner son argumentation.
Or, l’instruction de ces différentes questions, en raison de l’extrême urgence, due au fait que le rapatriement est prévu pour demain à 6.45 heures, est essentiellement lacuneuse de la part des deux parties en cause.
Il y a partant lieu d’ordonner, compte tenu, d’une part, de l’éventuelle minorité d’âge du demandeur, et d’autre part, de la situation non suffisamment éclairée en Italie, le sursis à exécution par rapport à la décision de transfert telle qu’attaquée au fond. Il y a cependant lieu de refixer l’affaire pour continuation des débats au lundi, 10 juillet 2017, à 10 heures, et de limiter les effets du sursis à ordonner jusqu’à l’intervention d’une nouvelle ordonnance à rendre à la suite des débats lors de cette nouvelle audience.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la requête en institution d’une mesure provisoire en la forme ;
au fond, la déclare partiellement et provisoirement justifié, dit qu’il sera sursis à l’exécution de la décision ministérielle d’incompétence et de transfert du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 mai 2017, dit que cette mesure ne conservera ses effets que jusqu’à l’intervention d’une nouvelle ordonnance à rendre après continuation des débats sur le mérite du recours, refixe l’affaire à ces fins au lundi, 10 juillet 2017 à 10.00 heures à la salle d’audience du tribunal administratif, réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2017 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Marc Warken, greffier.
s. Warken s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 6