Tribunal administratif N° 39660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2017 Audience publique du 27 juin 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mai 2017 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 mai 2017 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 juin 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le premier vice-président du tribunal administratif, président de la quatrième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives.
Le 9 mai 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Monsieur … fut entendu en date du 12 mai 2017 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 mai 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée en date du 18 mai 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2017, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 17 mai 2017 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prise dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître, dans le cadre de l’article 35, paragraphe (2) précité, des recours en réformation dirigés contre les trois décisions du ministre du 17 mai 2017, telles que déférées.
Lesdits recours en réformation sont encore à déclarer recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche tout d’abord au ministre d’avoir retenu que le Kosovo était à considérer comme pays d’origine sûr, en se référant plus particulièrement à la situation y existant en matière des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi qu’aux tensions inter-ethniques qui se solderaient auprès « parfois par graves violences ». Il estime qu’il serait « sans doute victime de cette situation » qui persisterait, sans qu’une solution n’y soit trouvée. Il estime ainsi que l’inscription du Kosovo sur la liste des pays d’origine sûr ne se justifierait pas, au vu des violations récurrentes des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui y pourraient être constatées.
En outre, le demandeur estime avoir soulevé des faits pertinents dans le cadre de sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, et ce, contrairement aux affirmations de la partie gouvernementale. Il conteste dans ce contexte formellement la position du ministre suivant laquelle sa demande de protection internationale ne remplirait pas les critères prévus par la Convention de Genève.
En deuxième lieu, le demandeur soutient que contrairement à l’appréciation du ministre, les actes de persécution subis par lui seraient de nature à justifier « une saine application de la loi du 18 décembre 2015 et de la Convention de Genève », en ce qu’il aurait fait l’objet d’une persécution psychologique « orchestrée par des agents administratifs », ayant entraîné qu’il se serait senti humilié et discriminé en raison de son appartenance ethnique. Il fait dans ce contexte état de ce qu’il aurait été humilié lorsqu’il se serait rendu auprès des services d’une administration communale située au Kosovo en vue de la délivrance d’une nouvelle carte d’identité.
Le demandeur fait également état de l’incarcération de son père au cours de l’année 2005, ainsi que d’actes d’agression subis par « les serbes », ce qui serait de nature à démontrer l’existence d’actes de violence dirigés contre la communauté serbe « sous le silence coupable des autorités kosovares ». Sur base des faits ainsi relevés par lui, il craint subir à nouveau des « violences » en cas de retour dans son pays d’origine, en relevant qu’il ne serait pas impossible que ces violences revêtiraient une gravité suffisante, en insistant dans ce contexte sur le fait qu’il craint « partager la même localité avec des albanais ».
Le demandeur estime encore remplir les conditions en vue de bénéficier du statut de la protection subsidiaire, en ce que les Albanais, qui seraient à l’origine des actes de persécutions subis par lui, seraient à considérer comme des acteurs, et ce, contrairement aux conclusions retenues par le ministre. Il souligne dans ce contexte que les Albanais représenteraient « 90 % de la population », de sorte à ce qu’ils auraient une influence importante sur la vie quotidienne, en relevant encore que les « institutions étatiques » resteraient en défaut d’assurer une protection adéquate « de la minorité », à cause de la corruption.
Enfin, le demandeur soutient que le ministre aurait à tort prononcé un ordre de quitter le territoire à son encontre.
Le délégué du gouvernement, après avoir constaté que le demandeur était de nationalité kosovare, d’ethnie serbe et de confession orthodoxe et qu’il provient du village de … au Kosovo, où il aurait habité avec ses parents, retient que le demandeur a déclaré avoir quitté le Kosovo en raison de problèmes qu’il aurait eus « avec des prétendus Albanais dans son village».
Le représentant gouvernemental estime que le recours introduit par le demandeur serait manifestement infondé, en ce que, d’une part, il proviendrait d’un pays d’origine sûr, et, d’autre part, qu’il n’aurait invoqué que des faits sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Il relève dans ce contexte que le demandeur se serait borné à invoquer des incidents avec des prétendus Albanais, d’ailleurs non autrement identifiés, et à faire état de prétendues discriminations, qui seraient prétendument liées à son origine ethnique. Le délégué du gouvernement soutient encore que des raisons d’ordre économique se trouveraient également à la base de la demande de protection internationale introduite par le demandeur.
En ce qui concerne le bien-fondé de la décision de rejet de la demande de protection internationale introduite par le demandeur, le délégué du gouvernement soutient qu’en ce qui concerne les prétendus événements qui auraient eu lieu au début de l’année 2000 et qui se seraient déroulés à …, à savoir le prétendu enlèvement de son oncle, la prétendue arrestation de son père suivie de la prétendue perquisition du domicile familial, le prétendu assassinat de trois Serbes, le fait qu’une bombe aurait explosé devant l’église orthodoxe du village du demandeur, ainsi que le fait que des pierres auraient été jetées sur une voiture de la KFOR, il y aurait lieu de constater que ces faits ne concerneraient pas le demandeur à titre personnel et qu’à défaut de preuve d’un lien concret entre ces faits et la situation personnelle du demandeur, ceux-ci ne pourraient pas être pris en compte dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la demande de protection internationale introduite par le demandeur. Pour le surplus, le représentant gouvernemental estime que ces incidents constitueraient des faits trop éloignés dans le temps pour pouvoir justifier son départ du Kosovo au cours de l’année 2017.
En ce qui concerne le prétendu incident que le demandeur aurait eu avec un employé communal au cours de l’année 2014, au cours duquel il se serait vu adresser une réflexion désobligeante, le délégué du gouvernement estime que ce fait ne serait pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève. Cela serait d’autant plus vrai que la carte d’identité, que le demandeur souhaitait se voir délivrer par ledit employé communal, lui aurait été finalement remise « après une dizaine de jours », de sorte qu’il y aurait lieu d’en conclure que le délai d’attente ne pourrait être considéré comme étant disproportionné.
Enfin, en ce qui concerne la troisième série de faits invoqués par le demandeur, à savoir une prétendue altercation verbale qu’il aurait eue avec un Albanais au cours de l’année 2016, à propos de la propriété d’un champ agricole appartenant à son grand-père, au cours de laquelle il aurait fait l’objet de menaces, voire d’actes discriminatoires de la part d’un ressortissant albanais en raison de ses origines ethniques, le délégué du gouvernement soutient que ces actes ne sauraient être assimilés à une persécution au sens de la Convention de Genève, alors qu’à eux seuls, ils ne seraient pas d’une gravité suffisante pour pouvoir fonder une demande de protection internationale. Il y aurait, par contre, lieu de qualifier lesdits incidents de « simples conflits d’ordre personnel » qui pourraient, au cas où ils étaient avérés, être qualifiés d’infractions de droit commun punissables en vertu de la législation kosovare. Le représentant gouvernemental estime dans ce contexte que les prétendus ressortissants albanais, d’ailleurs non autrement identifiés, seraient à considérer comme des personnes privées, en relevant dans ce contexte que le demandeur n’aurait pas établi ne pas pouvoir bénéficier d’une protection appropriée par les autorités de son pays d’origine. D’ailleurs, il y aurait lieu de relever qu’il n’aurait jamais porté plainte ou dénoncé les événements en question aux forces de l’ordre kosovares et qu’il n’aurait pas non plus recherché dans son pays d’origine une quelconque protection par rapport aux actes ainsi évoqués par lui. Il y aurait partant lieu de retenir que les autorités compétentes du Kosovo n’auraient pas été mises en mesure d’exécuter leur mission, de sorte qu’aucune défaillance voire inefficacité dans leur chef ne pourrait être valablement retenue. Enfin, en ce qui concerne la prétendue restriction à la liberté de circulation dont ferait l’objet le demandeur, le délégué du gouvernement soutient que dans la mesure où les autorités kosovares n’émettraient plus de plaques d’immatriculation différentes en fonction de l’ethnie du propriétaire, et ce, depuis le mois de décembre 2010, alors que depuis cette période, un seul type de plaques d’immatriculation serait émis pour l’intégralité de la population résidant au Kosovo, le demandeur ne pourrait plus se plaindre de faire l’objet d’une discrimination du fait d’avoir une autre plaque d’immatriculation sur sa voiture par rapport à celles figurant sur les voitures appartenant aux membres de l’ethnie albanaise résidant au Kosovo. Il y aurait partant lieu d’en conclure qu’aucune discrimination initiée par les autorités du Kosovo, voire tolérée par elle ne pourrait être retenue, le demandeur ne faisant d’ailleurs pas état du moindre incident le concernant dans ce contexte, voire d’une prétendue discrimination dont il aurait personnellement été la victime en raison de plaques d’immatriculation figurant sur son véhicule différentes de celles figurant sur les véhicules de membres de l’ethnie albanaise du Kosovo.
En outre, le délégué du gouvernement estime que les motifs économiques invoqués également par le demandeur ne seraient pas de nature à justifier la reconnaissance d’un statut de protection internationale du fait qu’ils ne rentreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement exclut également tout risque d’une persécution future dans le chef du demandeur, en soutenant qu’il existerait une possibilité pour lui de pouvoir bénéficier d’une fuite interne dans son pays d’origine.
Enfin, le représentant gouvernemental estime qu’un ordre de quitter le territoire aurait valablement pu être exprimé à l’encontre du demandeur.
En application de l’article 35, paragraphe (2), deuxième alinéa, de la loi du 18 décembre 2015, le président de chambre ou le juge qui le remplace doit débouter le demandeur de sa demande de protection internationale au cas où il estime « que le recours est manifestement infondé ». Dans le cas contraire, et suivant la même disposition légale, il doit renvoyer « l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
Au vu de cette disposition légale, le soussigné doit partant, et dans une première phase, examiner si, en ce qui concerne le premier volet de la décision sous examen, à savoir celui qui a trait à l’application de la procédure accélérée pour traiter la demande de protection internationale du demandeur, le recours introduit par lui est, le cas échéant, manifestement infondé.
Il convient tout d’abord de relever que ni le texte législatif, ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « manifestement infondé », et ce, contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait, en son article 9, la demande d’asile manifestement infondée, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996.
Il appartient dès lors au soussigné de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il échet encore de relever que tandis que la loi précitée du 3 avril 1996 faisait référence à une « demande » d’asile considérée comme manifestement infondée, la loi du 18 décembre 2015 fait référence à un « recours » qui est considéré comme étant manifestement infondé, de sorte qu’il échet d’examiner la pertinence des faits, de l’argumentation et des moyens en droit développés dans le cadre du recours contentieux pour vérifier si ceux-ci sont de nature à mettre en doute la décision ministérielle entreprise, sans que dans le cadre de cet examen, le soussigné doive aboutir à la conclusion que les éléments en question soient suffisamment convaincants, en droit ou en fait, pour accorder un statut de protection internationale au demandeur.
Dans le cadre de son examen, le soussigné doit, au vu des termes mêmes employés par le législateur, faire une nette distinction entre les recours qui sont « manifestement infondés » et ceux qui ne sont pas manifestement fondés. C’est ainsi que même au cas où il devait être retenu qu’un recours n’est pas « manifestement infondé », une telle conclusion n’est pas de nature à entraîner ipso facto que le recours doit être considéré comme étant fondé.
Ainsi, et comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement aussi le récit du demandeur, tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande.
Il s’ensuit que le recours est à qualifier comme étant manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre de la décision déférée sont visiblement dénuées de tout fondement.
Force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels :
« (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale ou si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015.
Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le point b) de l’article 27, paragraphe (1), précité, visant l’hypothèse dans laquelle le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes :
« (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres, du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommé ci-après le « règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », a désigné le Kosovo comme pays d’origine sûr et que le demandeur a la nationalité kosovare.
Au vu du libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
A ce titre, le demandeur soulève en substance la question de savoir s’il fait état, conformément à l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, de raisons sérieuses permettant de penser que le Kosovo n’est pas, malgré sa désignation comme pays d’origine sûr en vertu du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, un pays sûr compte tenu de sa situation individuelle et si ces raisons ont été appréciées par le ministre à leur juste mesure.
Comme l’article 30, paragraphe (1) précité dispose que cet examen individuel que le ministre a l’obligation d’effectuer doit l’être « compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale », et comme par rapport à la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, s’il fait, comme en l’espèce, état de faits subis par des personnes non étatiques, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 391 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 402 de la même loi est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » moyens présentés par le demandeur tendant à établir que cette condition requise pour prétendre à une protection internationale serait remplie dans son chef.
A cet égard, il échet de constater que le demandeur se prévaut tout d’abord de faits, d’ailleurs éloignés dans le temps, qui ne le visaient pas directement, mais qui étaient dirigés contre son oncle et son père, sans qu’il n’ait fourni le moindre élément permettant de conclure que des faits similaires seraient de nature à être également commis à son encontre et, d’autre part, de deux faits auxquels il était personnellement impliqué, à savoir une altercation avec un ressortissant albanais, au cours de l’automne de l’année 2016, au cours de laquelle ce dernier aurait mis en doute le titre de propriété d’un champ agricole appartenant à la famille du demandeur, tout en le menaçant, et un comportement humiliant adopté à son encontre par un agent municipal dans le cadre de la délivrance d’une carte d’identité à son profit, en soutenant que l’ensemble des faits ainsi invoqués l’auraient amené à la conclusion qu’il ne pourrait pas vivre en sécurité dans son pays d’origine et plus particulièrement dans son village.
Or, il ressort des déclarations du demandeur que celui-ci a fait état, d’une part, comme il vient d’être relevé ci-avant, de faits qui n’ont pas été dirigés contre lui et, d’autre part, de comportements adoptés à son égard tant par un ressortissant albanais dont il ignore l’identité l’ayant menacé sur un champ agricole appartenant à son grand-père pendant qu’il y travaillait que par un agent municipal qui se serait moqué de lui. Sur questions afférentes, le demandeur a indiqué au sujet des deux derniers événements qu’il n’aurait à aucun moment déposé une plainte devant une quelconque autorité de son pays d’origine, et ce, au motif qu’il ne croirait « plus aux administrations là-bas ».
Le soussigné relève qu’il ne se dégage ni du rapport d’audition précité, ni des éléments soumis à l’appréciation du soussigné à travers la requête introductive d’instance, un quelconque élément de nature à ébranler le constat du ministre selon lequel, compte tenu de sa situation personnelle, telle que décrite dans le cadre de sa demande de protection internationale, le Kosovo est à qualifier de pays d’origine sûr dans le chef du demandeur, étant donné qu’il n’est manifestement pas établi, en l’espèce, que les autorités kosovares ne voudraient ou ne pourraient pas lui fournir une protection appropriée par rapport aux agissements dont il fait état.
Il convient à cet égard en effet de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, étant relevé que les agissements dont le demandeur déclare avoir été victime constituent des faits isolés dont la gravité ne ressort pas des explications fournies par le demandeur.
Le soussigné est de prime abord amené à constater que dans le cadre de son audition, le demandeur a admis n’avoir jamais déposé de plainte auprès de la police à la suite des deux incidents dont il déclare avoir été la victime, de même qu’il a admis n’avoir jamais requis la protection d’une autre autorité de son pays.
Or, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut3 : une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et d’actes de violence, communément la forme d’une plainte.
Par ailleurs, le soussigné constate encore que le demandeur est resté en défaut de fournir des raisons valables permettant de justifier son inaction.
Dans ces conditions, le soussigné retient qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités kosovares ne voudraient ou ne pourraient pas fournir au demandeur une protection appropriée par rapport aux agissements dont il déclare avoir fait l’objet. Dans ces circonstances, le soussigné est amené à conclure que le recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, le Kosovo, inscrit sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner le moyen fondé sur l’article 27, paragraphe (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est dès lors à rejeter comme étant manifestement non fondé.
S’agissant de son recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur soutient qu’il aurait subi des menaces par un ressortissant d’origine albanaise dans le cadre d’une altercation qui aurait eue lieu sur le champ agricole où il aurait travaillé et qui appartiendrait à son grand-père, et ce, au sujet du titre de propriété du champ en question, et qu’il aurait été la victime d’un comportement humiliant adopté à son égard par un agent municipal dans le cadre de la délivrance à son profit d’une carte d’identité, en relevant dans ce contexte l’incapacité du Kosovo à permettre à ses citoyens de bénéficier d’une protection effective, et qu’il n’aurait pas déposé de plainte auprès des forces de l’ordre du Kosovo en raison de ce qu’il n’aurait plus confiance dans les autorités de son pays d’origine.
Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.
Or, tel que cela a été retenu ci-avant, le demandeur n’a manifestement pas établi que les autorités de son pays d’origine ne sont pas disposées ou capables de lui fournir une protection, de sorte qu’au moins une des conditions d’octroi du statut de réfugié respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire ne se trouve manifestement pas remplie, de sorte que le recours est à déclarer comme manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
S’agissant du recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 17 mai 2017, le demandeur fait valoir que la décision serait à réformer à cet égard en tant que conséquence du droit à la protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le soussigné, premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 mai 2017 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre la décision ministérielle du 17 mai 2017 portant refus d’une protection internationale et contre la décision ministérielle du 17 mai 2017 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre les trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 juin 2017, par Carlo Schockweiler, premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2017 Le greffier du tribunal administratif 11