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10/05/2017 | LUXEMBOURG | N°39479

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2017, 39479


Tribunal administratif N° 39479 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 avril 2017 Audience publique du 10 mai 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur … et Madame …, …, par rapport à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 39479 du rôle et déposée le 28 avril 2017 au greffe du tribunal administratif par la sociétÃ

© en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS S.C.S., établie et ayant son siège social à ...

Tribunal administratif N° 39479 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 avril 2017 Audience publique du 10 mai 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur … et Madame …, …, par rapport à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 39479 du rôle et déposée le 28 avril 2017 au greffe du tribunal administratif par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS S.C.S., établie et ayant son siège social à L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, inscrite à la liste V des tableaux de l’ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant commandité, la société à responsabilité limitée BSP S.à r.l., établie et ayant son siège social à L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, inscrite à la liste V des tableaux de l’ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, elle-

même représentée aux fins de la présente procédure par Maître Alain STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à …, tendant à voir instituer une mesure provisoire, à savoir principalement une mesure de sauvegarde tendant à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution du bulletin d’appel en garantie émis le 23 septembre 2016 par le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes à l’encontre de Monsieur …, ayant mis un montant de … euros à sa charge au titre de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2008 à 2015 et des intérêts de retard y relatifs, et subsidiairement une demande de sursis à exécution de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 avril 2017 portant rejet de la demande de remise gracieuse lui adressée, un recours au fond, inscrit sous le numéro 39478 du rôle, dirigé pour sa part contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 avril 2017 portant rejet de la demande de remise gracieuse lui adressée, ayant été déposé au greffe du tribunal administratif en date du même jour ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les différentes décisions invoquées ;

Maître Pol MELLINA, en remplacement de Maître Alain STEICHEN, pour les parties demanderesses, et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARRUCCIA entendus en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 5 et 9 mai 2017.

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Le 23 septembre 2016, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Monsieur … en sa qualité d’ancien gérant technique de la société à responsabilité limitée …, déclarée en faillite par jugement du 2 août 2016, ledit bulletin déclarant Monsieur … redevable d’un montant total de … euros, en principal et intérêts, dû au titre d’impôts sur les traitements et salaires des années 2008 à 2015.

Par courrier du 22 octobre 2016, réitéré en date du 24 février 2017 sur demande de l’administration des Contributions Directes, Monsieur … et son épouse Madame … adressèrent au directeur de l’administration des Contributions directes une demande tendant à obtenir une remise d’impôts par rapport au montant réclamé à Monsieur ….

Par décision directoriale du 7 avril 2017, référencée sous le n° …, le directeur de l’administration des Contributions directes rejeta la prédite demande en les termes suivants :

« Vu la demande présentée le 27 février 2017, faisant suite à la première demande présentée le 6 octobre 2016, par le sieur …, demeurant à …, ayant pour objet une remise d’impôts du bulletin d’appel en garantie émis en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 en date du 23 septembre 2016 par voie gracieuse ;

Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (A0), tel qu’il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant que d’après le paragraphe 131 AO une remise gracieuse n’est envisageable que dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant que la demande est motivée par une situation financière difficile ;

Considérant que le bureau d’imposition compétent, après avoir constaté que le demandeur était tenu en sa qualité de gérant technique de la société à responsabilité limitée … en faillite de payer sur les fonds administrés les impôts sur les salaires dont la société était redevable et qu’il avait négligé de remplir les obligations qui lui incombaient à cet égard, l’a déclaré responsable du non-paiement de l’impôt sur les salaires des années 2008 à 2015 ;

Considérant que le demandeur s’est abstenu d’affecter les sommes retenues au paiement de l’impôt dû pour compte des salariés, étant relevé qu’il s’agit de sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié ; or, en ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant de la société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs (CA 6.1.2011, n°27126C) ;

Force est de constater que le moyen invoqué dans la demande s’analyse en une contestation de la légalité de l’impôt, étrangère en tant que tel à la matière gracieuse (cf.

T.A. N°11196 du 27.02.99 et confirmé par C.A. N°11703C du 30.03.2000) ;

Considérant donc qu’une rigueur objective n’a pas pu être constatée en l’espèce ;

Considérant en plus, en l’occurrence il apparaît qu’il pourrait y avoir faute professionnelle de tiers intervenants; que dans ce contexte il n’appartient pas au Trésor, en cas de préjudice subi sur le plan fiscal par suite de faute des tiers intervenants, d’en dégager la société précitée de sa responsabilité à charge du budget public ;

Considérant qu’une remise pour rigueur subjective n’est justifiée que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive de moyens de subsistance indispensables ;

Considérant qu’une telle rigueur excessive au sens prévisé, incompatible avec le principe d’équité au sens du paragraphe 131 AO, pouvant être admise au vu de la motivation présentée ;

Considérant cependant, que malgré maints arrangements et accords accordés par le receveur et le directeur des contributions, le requérant n’a fait aucun effort d’apurement de la dette fiscale ;

Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ; (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2017, inscrite sous le numéro 39478 du rôle, Monsieur … et son épouse Madame …, ci-après « les consorts … », ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 7 avril 2017. Par requête déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 39479 du rôle, ils ont encore fait introduire une demande tendant à voir « ordonner qu’à titre de mesure de sauvegarde au sens de l’article 12 du Règlement de Procédure, il soit sursis à l’exécution du Bulletin ayant liquidé la Dette Fiscale dont la remise gracieuse a été refusée dans le cadre de la Décision attaquée au fond, en attendant le jugement à intervenir dans le cadre de l’Instance au Fond ; Subsidiairement, ordonner que, par application de l’article 11 du Règlement de Procédure, il soit sursis à l’exécution de la Décision, et, par voie de conséquence, du Bulletin ayant liquidé la Dette Fiscale dont la remise gracieuse a été refusée, en attendant le jugement à intervenir dans le cadre de l’Instance au Fond ».

Les demandeurs estiment que les deux conditions légalement posées par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », respectivement par l’article 12 de la même loi, seraient remplies en cause.

Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, les demandeurs soutiennent en substance qu’ils ne disposeraient pas des moyens personnels suffisants pour régler la somme leur réclamée, à savoir … euros, les demandeurs donnant à considérer que les seuls revenus de leur ménage, comprenant encore leur fille âgée de 21 ans, proviendraient actuellement de la pension invalidité d’un montant brut mensuel de …, euros touchée par Monsieur … suite à une incapacité de travail permanente due à un accident vasculaire cérébral, dont il subsisterait, après déduction des cotisations sociales et impôts, un montant net de … euros. Par ailleurs, leur patrimoine serait également très modeste et se limiterait à leur maison d’habitation, aux meubles meublants ainsi qu’à des avoirs en banque négligeables d’un montant cumulé de quelques … euros.

Ils soulignent ensuite leur fort endettement, résultant d’un emprunt hypothécaire en vue de l’acquisition de leur logement, dont les mensualités s’élèvent à … euros par mois actuellement, d’un plan d’épargne logement de … euros par mois, ainsi que de soldes débiteurs cumulés de plus de … euros, résultant de dettes contractées pour le financement des études supérieures de … de leur fille au sein d’un établissement privé, entraînant des mensualités de … euros, pour affirmer ne pas disposer de la somme réclamée au titre de la dette fiscale en liquide, les différents remboursements mensuels sur les dettes accumulées atteignant un niveau de presque 80 % des revenus nets du ménage, de sorte que la somme à leur disposition pour financer leur train de vie quotidien se limiterait à … euros par mois.

Les consorts … exposent ensuite qu’en ces circonstances et en l’absence de mesure provisoire entraînant le sursis à l’exécution du « Bulletin », ils n’auraient d’autre choix que de tenter d’obtenir un financement bancaire, voire de céder leur maison d’habitation, ce qui perturberait de manière irrémédiable leur situation financière, de sorte que, même dans l’hypothèse où ils obtiendraient gain de cause devant le juge du fond et qu’ils se verraient restituer toutes sommes payées, leur situation initiale ne pourrait être rétablie.

Les consorts … estiment aussi que leur recours au fond présenterait de sérieuses chances de succès.

Dans ce contexte, ils considèrent que les conditions légales d’une remise gracieuse de la dette fiscale telles que prévues par le paragraphe 131 AO seraient remplies.

Ils exposent invoquer à ce titre devant les juges du fond une rigueur subjective, alors qu’au vu de leur situation financière et patrimoniale, il serait évident que le recouvrement de la dette fiscale compromettrait sérieusement leur existence économique, les demandeurs soulignant à nouveau que leur ménage se trouverait déjà en situation de surendettement et ne disposerait pas de revenus suffisants permettant de supporter en plus la dette fiscale : partant, toute dépense additionnelle engendrée par le recouvrement, même échelonné, de la dette fiscale les priverait incontestablement des moyens de subsistance indispensables.

Les demandeurs en concluent que devant les juges du fond, les conditions d’une rigueur subjective seraient remplies et que la remise gracieuse de la dette fiscale serait à accorder.

Ils relèvent encore que le directeur de l’administration des Contributions directes aurait d’ailleurs admis l’existence une telle rigueur excessive, mais aurait néanmoins rejeté la demande de remise gracieuse en raison d’un prétendu manque de collaboration et d’efforts dans leur chef. Or, à cet égard, les demandeurs estiment que le paragraphe 131 AO n’exclurait nullement du bénéfice de la remise gracieuse les contribuables ayant manqué à un éventuel accord ou arrangement avec le receveur de l’administration des Contributions directes. Bien au contraire, ils donnent à considérer que l’existence d’une rigueur subjective suffirait pour que la remise gracieuse soit à accorder, dans la mesure où le non-respect d’un arrangement ne serait pas nécessairement dû à un manque de collaboration du contribuable, mais pourrait tout aussi bien être le résultat d’une détérioration de sa situation financière, elle-même à son tour potentiellement inhérente à l’existence d’une rigueur subjective pouvant justifier une remise gracieuse.

Le délégué du gouvernement soutient quant à lui qu’aucune des conditions requises pour l’institution d’une mesure provisoire ne serait remplie en l’espèce. Il insiste plus particulièrement sur l’absence de préjudice grave et définitif en exposant l’état de fortune des demandeurs et, au niveau des moyens présentés au fond, il insiste sur le comportement des contribuables, lesquels ne seraient objectivement pas dignes de bénéficier de la remise gracieuse sollicitée.

En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 28 avril 2017 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme celle relative à l’existence d’un intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande en sursis à exécution.

En l’espèce, il appert toutefois que se pose directement la question de la recevabilité même de la requête telle que libellée, question soulevée et débattue contradictoirement lors de l’audience publique du 5 mai 2017.

Il ressort en effet de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée que la compétence au provisoire du président du tribunal administratif est conditionnée par l’existence d’un recours au fond dirigé contre la même décision au sujet de laquelle une mesure provisoire est sollicitée.

En l’espèce, si le recours au fond tend à voir réformer, sinon annuler la décision précitée du directeur du 7 avril 2017 refusant la remise gracieuse, le dispositif de la requête en obtention d’une mesure provisoire, pour sa part, tend formellement à titre principal à voir ordonner le sursis à exécution du bulletin d’appel en garantie du 23 septembre 2016, et ce dans le cadre d’une mesure de sauvegarde, la requête en obtention d’une mesure de sauvegarde réitérant cette demande de sursis à exécution du bulletin d’appel en garantie.

Il convient encore de rappeler que l’objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance, le juge n’étant pas habilité à faire droit à des demandes qui n’y sont pas formulées sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra petita.

Par ailleurs, l’indication d’une décision erronée en tant qu’objet du recours ne saurait être admise comme simple erreur matérielle, c’est-à-dire comme erreur qui résulte d’un défaut d’attention et qui n’est pas de nature à affecter la portée ou la nature du recours.

Force est partant de retenir que les demandeurs, s’ils ont certes déposé un recours au fond devant la composition collégiale du tribunal administratif à l’encontre de la décision directoriale du 7 avril 2017, ont formellement et à titre principal déposé une requête sollicitant l’octroi d’une mesure provisoire par rapport à une autre décision, à savoir le bulletin d’appel en garantie du 23 septembre 2016, lequel doit toutefois être considéré comme coulé en autorité de chose décidée et partant comme exécutoire.

Si la compétence du président du tribunal lui permet d’ordonner au provisoire toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont un intérêt à la solution de l’affaire, cette compétence se heurte toutefois à deux limitations.

Ainsi, de telles mesures se limitent aux mesures provisoires et conservatoires destinées à sauvegarder les intérêts des parties en attendant la solution du litige par le juge du fond par rapport à la seule décision déférée au juge du fond, la compétence au provisoire du président du tribunal administratif étant en effet conditionnée par l’existence d’un recours au fond dirigée contre la décision au sujet de laquelle une mesure provisoire est sollicitée1 : or, en l’espèce, au stade de l’évolution de la situation administrative et fiscale des demandeurs, la seule décision déférée et déférable aux juges du fond est la décision directoriale du 7 avril 2017 ayant rejeté la demande en remise gracieuse.

La seconde limitation résulte directement de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 : le juge statuant au provisoire ne peut prendre des mesures ayant pour objet des droits civils.

1 Trib. adm. (prés.) 20 février 2001, n° 11940, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 462.

Or, en l’espèce, le bulletin d’appel en garantie étant coulé en autorité de chose décidée et étant par conséquent directement exécutoire, les actes posés en exécution de ce bulletin, relevant de la phase de recouvrement, échappent aux juridictions administratives pour relever, le cas échéant, des attributions des juridictions de l’ordre judiciaire2 : outre qu’une demande en remise gracieuse ne saurait servir à contourner la forclusion attachée au délai en matière contentieuse, le sursis à exécution tel que sollicité en l’espèce en tant que mesure de sauvegarde par rapport au bulletin d’appel en garantie, décision ni déférée, ni déférable aux juges du fond, équivaut dès lors à solliciter de la part du juge administratif statuant au provisoire de faire obstacle au recouvrement de l’impôt, compétence lui échappant.

La même conclusion s’impose relativement à la demande subsidiaire des consorts …, dans la mesure où ceux-ci demandent au soussigné, dans le cadre de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999, de sursoir à l’exécution de la décision directoriale, et, « par voie de conséquence, du Bulletin ayant liquidé la Dette Fiscale » ; il convient par ailleurs de relever, dans la mesure où la requête tend à titre subsidiaire à obtenir le sursis de la décision directoriale ayant rejeté la demande de remise gracieuse, qu’une décision négative, c’est-à-

dire qui dénie à un administré un droit, n’est pas susceptible d’un sursis à exécution en ce qu’une telle mesure ne serait pas de nature à lui reconnaître positivement le droit contesté.

La requête sous analyse devrait dès lors encourir l’irrecevabilité.

A supposer toutefois dans le cadre d’une lecture bienveillante de la requête que les demandeurs aient entendu solliciter, dans le cadre d’une demande en obtention d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision directoriale ayant rejeté la demande de remise gracieuse, une mesure de sauvegarde, consistant à leur accorder, à titre provisoire en attendant le jugement à intervenir dans le cadre de l’instance au fond enrôlée sous le n° 39478, la remise provisoire du montant réclamé de … euros, il n’appert pas, en l’état actuel du dossier, que les demandeurs soient concrètement et effectivement confrontés à un risque de préjudice grave et définitif.

Il convient en effet de rappeler à ce titre que le risque du préjudice s’apprécie in concreto et qu’il appartient au demandeur d’apporter des éléments à cette fin.

Un préjudice est grave lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif. Pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un 2 Trib. adm. 19 juillet 2000, n° 11533, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 92 ; Trib. adm. 2 avril 2001, n° 12490, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 93.

préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages-

intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999.

Un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable. En effet, pareil préjudice est, en principe, réparable puisqu’il peut être entièrement compensé par l’allocation de dommages et intérêts.

Il incombe partant au demandeur d’établir l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable.

Or, si les demandeurs affirment ne pas être à même de rembourser, même dans le cadre de paiements échelonnés, leur dette fiscale sans être privés de moyens de subsistance indispensables et devoir, le cas échéant, obtenir un financement bancaire, voire céder leur maison d’habitation pour faire face à la dette fiscale, de sorte que même s’ils obtenaient gain de cause devant les juge du fond et qu’ils se verraient restituer toutes sommes payées, leur situation initiale ne pourrait plus être rétablie, le soussigné ne saurait toutefois retracer cette affirmation.

S’il est vraisemblable qu’un recouvrement immédiat de la somme en son intégralité porterait irrémédiablement préjudice à la situation des demandeurs, il résulte toutefois des explications de la partie étatique que tel ne serait pas l’intention de l’administration des Contributions directes, laquelle insiste toutefois sur l’absence, dans le chef des demandeurs, de toute volonté d’apurer, ne serait-ce que par des paiements échelonnés, la dette fiscale en question.

Il résulte ensuite des débats menés à l’audience que les demandeurs ont, d’une part, minimisé leur moyens de subsistance, en n’indiquant notamment pas le complément pour pension d’invalidité perçu par Monsieur …, tout comme ils ont indiqué un revenu montant brut mensuel de … euros, alors qu’il résulte des pièces versées en cause qu’il a touché pour 2016 une rémunération brute mensuelle de … euros (… euros pour l’année 2016) et 2015 une rémunération brute mensuelle de … euros (… euros pour l’année 2015).

D’autre, il appert que les demandeurs ont surévalué leurs dépenses, en prétextant un emprunt hypothécaire d’un montant de … euros contracté en 2015 pour l’acquisition de leur logement, alors qu’il s’agit en fait de la restructuration de deux dettes contractées antérieurement en vue notamment de l’apurement de dettes diverses et de travaux d’aménagement ou de rénovation de la maison familiale.

Toujours est-il qu’il n’appert pas, concrètement, que la capacité des demandeurs à procéder à des versements, même minimes, en faveur de l’administration des Contributions directes en vue de l’apurement progressif de leur dette fiscale, soit inexistante : le fait de ne pas accorder la mesure de sauvegarde envisagée, sous la forme d’une remise provisoire de la dette fiscale, ne paraît dès lors pas devoir exposer les demandeurs à un préjudice grave et définitif compromettant leur existence économique même.

Bien au contraire, si les demandeurs semblent plutôt tabler exclusivement sur leur libération pure et simple de la dette fiscale sans devoir aucunement y contribuer par le biais de l’obtention d’une remise gracieuse, il convient de relever que des efforts, même modestes de leur part, auraient été de nature à incliner davantage l’administration des Contributions directes ainsi que vraisemblablement les juges du fond, statuant en tant que juges de la réformation, à leur accorder la remise sollicitée, La condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif étant en la présente matière étroitement liée à celle du caractère sérieux des moyens avancés au fond, relatifs à l’existence d’une rigueur subjective, le soussigné procèdera encore à l’analyse superficielle de cette argumentation, étant rappelé que l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond :

pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire. En revanche, si notamment au vu des solutions jurisprudentielles dégagées par le juge du fond, il paraît, en l’état de l’instruction, que les moyens sont de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée - les moyens devant offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte, il doit accorder la mesure de sauvegarde3 -, étant rappelé que comme le sursis à exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

A cet égard, il se dégage d’un récent jugement des juges du fond4, reprenant à ce titre la jurisprudence établie, qu’une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale, l’idée fondamentale de la remise gracieuse est celle de l’iniquité dans la perception de l’impôt qui pourra résulter de la situation matérielle du contribuable. Ainsi, d’après les juges du fond, tel sera le cas lorsque le paiement de 3 Jean-Paul Lagasse, Le référé administratif, 1992, p.48.

4 Trib. adm. 31 janvier 2017, n° 36657 du rôle.

l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables, le contribuable devant par ailleurs, outre son état d’indigence, être digne de la remise gracieuse, ce qui suppose que sa situation économique ne lui soit pas imputable.

Or, à cet égard, outre que le soussigné n’a pas pu dégager de risque de préjudice grave et définitif résultant d’un remboursement échelonné de la dette fiscale tel que préconisé par la partie étatique, il ne paraît pas, en l’état actuel du dossier, que les contribuables doivent indubitablement être considérés comme dignes de la mesure sollicitée. A ce titre, il convient de rappeler que la dette fiscale trouve son origine dans un bulletin d’appel en garantie à charge de Monsieur …, coulé en autorité de chose décidée, lequel repose en application du paragraphe 109 (1) AO sur une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations de Monsieur … en sa qualité de représentant de la société envers l’administration fiscale, inexécution fautive allant au-delà du simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO.

Il n’est dès lors pas certain, mais à tout le moins discutable, qu’un représentant d’une société auquel on oppose un bulletin d’appel en garantie reposant sur une inexécution fautive dans son chef - bulletin d’appel en garantie dont la légalité n’est d’ailleurs pas contestée -

puisse prétendre au bénéfice d’une remise gracieuse.

Le soussigné constate ensuite, de concert avec le délégué du gouvernement, que la situation économique actuelle des demandeurs résulte notamment de dépenses effectuées nonobstant la toile de fond d’une situation financière précaire de la société à responsabilité limitée … et de problèmes familiaux et de santé du demandeur, dépenses qui doivent être considérées comme, au vu de ces circonstances, somptuaires, ou à tout le moins mal avisées, telles qu’entre autres l’acquisition d’un chalet de jardin pour … euros, l’acquisition de nouveau mobilier pour une somme quasi-équivalente, ainsi que des travaux de rénovation ou d’aménagement de la maison familiale pour près de … euros, dépenses qui donnent l’impression d’un contribuable qui, d’un côté, a systématiquement omis, en sa qualité de dirigeant de la société à responsabilité limitée …, de continuer les retenues d’impôts opérées à l’administration des Contributions directes, et, d’un autre côté, a continué, en dépit des difficultés financières et personnelles telles que relatées dans sa demande en obtention d’une remise gracieuse, à effectuer des dépenses qui doivent, compte tenu des circonstances, être considérées comme importantes, pour actuellement solliciter la remise totale de sa dette fiscale, de sorte à laisser, in fine, financer ses dépenses par la communauté.

Il ne paraît dès lors pas certain qu’un tel comportement, étranger à celui du comportement du bon père de famille, doive être considéré par les juges du fond comme digne du bénéfice d’une remise gracieuse ; en tout état de cause, il s’agit d’une pure question d’appréciation, laquelle, à défaut de toute jurisprudence préexistante, applicable par analogie, requiert une analyse plus poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait pas procéder.

Or, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui de la demande de réformation de la décision entreprise au fond n’est pas non plus remplie en cause.

Les deux principales conditions posées par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 n’étant par conséquent pas remplies, il y a partant lieu de débouter les demandeurs de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 2017 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 39479
Date de la décision : 10/05/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-05-10;39479 ?

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