Tribunal administratif N° 39524 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2017 Audience publique du 9 mai 2017 Requête en obtention d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, …, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 39524 du rôle et déposée le 5 mai 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Iran), agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses enfants mineurs …, née le … à … (Iran), …, né le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité iranienne, demeurant ensemble à …, tendant à obtenir une mesure de sauvegarde par rapport à une décision prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en date du 11 avril 2017 ayant retiré le titre de séjour en qualité de membre de famille de Madame …, un recours en annulation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrit sous le numéro 39520 du rôle, introduit le 4 mai 2017, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Madame …, ressortissante iranienne, est arrivée au Grand-Duché de Luxembourg en date du 6 mars 2008 dans le cadre d’un regroupement familial avec son époux, Monsieur ….
Une procédure de divorce ayant été introduite en date du 12 décembre 2014 entre les époux, Madame … se vit accorder par ordonnance du 25 septembre 2015 du Président du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg la garde provisoire des enfants communs.
Par ordonnance du 14 janvier 2015 du Président du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, Monsieur … se vit encore expulsé du domicile conjugal avec interdiction d’y revenir jusqu’au mois d’avril 2015.
Par courrier du 4 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Madame … de ce qu’il envisageait de révoquer son droit de séjour en application de l’article 75, point 2. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 » et il invita Madame … à présenter ses observations y relativement, ledit courrier étant libellé comme suit :
« (…) Je constate que Monsieur … réside depuis le 3 mars 2016 à 48, rue Grande-
Duchesse Charlotte, L-7520 Mersch et que vous et vos enfants sont déclarés à une autre adresse.
Je tiens à vous informer que selon l’article 75, point 2. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, le titre de séjour en qualité de membre de famille peut être retiré si les conditions fixées à la sous-section 6 de la loi ne sont plus remplies et si le regroupant et les membres de sa famille n’entretiennent plus de vie conjugale ou familiale effective.
Au vu des développements qui précèdent j’envisage dès lors de retirer le titre de séjour en qualité de membre de famille dans votre chef et dans celui de vos enfants.
Dans ce contexte je vous saurais gré de bien vouloir me communiquer vos observations et toute pièce à l’appui jugée utile endéans un délai d’un mois après la notification de la présente, conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Je vous invite dans ce contexte de bien vouloir me faire parvenir une preuve que vous disposez de ressources personnelles suffisantes dont le montant mensuel équivaut au salaire social minimum d’un travailleur non-qualifié (p.ex. : un contrat de travail en bonne et due forme dont le salaire mensuel équivaut au moins à 922,96.-€) et que vous ne bénéficiez plus d’une indemnité octroyée par le Fonds national de solidarité. (…) » Suite à un échange de correspondance avec Madame …, dont un courrier du 19 août 2016 à travers lequel le ministre l’informa qu’il serait disposé à lui accorder un titre de séjour à d’autres fins, sous condition qu’elle lui fasse parvenir la preuve que les conditions afférentes sont remplies, le ministre prit en date du 11 avril 2017 la décision de retrait annoncée, libellée comme suit :
« Je me réfère à mes courriers des 4 juillet et 19 août 2016.
En date du 4 juillet 2016, je vous ai rendu attentive au fait que j’envisage de vous retirer le titre de séjour en qualité de membre de famille sur base de l’article 75, point 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration alors que vous ne menez plus vie conjugale effective avec Monsieur … qui réside à une autre adresse.
Je vous ai accordé un délai d’un mois afin de me communiquer vous observations et les pièces à l’appui y relatives. Par courrier me parvenu le 2 août 2016, vous sollicitez un délai supplémentaire pour régulariser votre situation et vous admettez que vous êtes séparée de votre époux.
En date du 19 août 2016 je vous ai invité à me faire parvenir, soit une preuve que vous remplissez les conditions fixées à l’article 78, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, c’est-à-dire que vous disposez de ressources suffisantes, soit un contrat de travail daté et signé dont le salaire à percevoir équivaut au moins au montant du salaire social minimum d’un travailleur non-qualifié.
Votre mandataire m’informe le 28 août 2016 que vous vous trouvez à l’étranger et que vous ne pourriez pas répondre à mon courrier endéans le délai susmentionné.
Je constate que vous n’avez réservé aucune suite à mon courrier précité.
Le titre de séjour en qualité de membre de famille vous est en conséquence retiré conformément à l’article 75, point 2 de la loi du 29 août 2008 précitée. Je vous saurais gré de bien vouloir vous rendre à la Direction de l’Immigration pour le restituer dans les meilleurs délais.
Votre séjour est considéré comme irrégulier en application de l’article 100, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée et vous êtes susceptible de faire l’objet d’une décision de retour sur base de l’article 111 de la loi.
Au cas où vous ne parviendrez pas à régulariser votre situation en me faisant parvenir les documents demandés en juillet et août 2016 endéans un délai de trente jours, une décision de retour sera prise à votre encontre. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2017, inscrite sous le numéro 39520 du rôle, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses enfants mineurs, a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 11 avril 2017 portant retrait de de son titre de séjour en qualité de membre de famille ainsi que contre « l’ordre de quitter le territoire ».
Par requête séparée déposée le 5 mai 2017, inscrite sous le numéro 39524 du rôle, Madame … a encore introduit une demande tendant à l’obtention d’une mesure de sauvegarde, la demanderesse exposant craindre d’être expulsée avec ses enfants mineurs ; par ailleurs elle affirme également perdre le bénéfice d’introduire une demande de naturalisation en cas d’interruption de son séjour sur le territoire luxembourgeois. La demanderesse fait ainsi plaider que si le retrait de l’autorisation de séjour était exécuté, respectivement si son séjour était qualifié d’irrégulier, elle subirait incontestablement un préjudice grave et irréparable, non seulement au regard d’un droit à un recours effectif mais encore en raison de son état particulier, de sorte qu’elle serait soumis à un risque de préjudice très sérieux et grave.
La demanderesse estime encore que les divers moyens, résumés comme suit dans sa requête en obtention d’une mesure provisoire : violation de l’article 76 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, méconnaissance de l’article 77 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, méconnaissance de l’article 78 (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, violation de l’article 100 (1) c) de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation et immigration, violation du principe de proportionnalité ainsi que violation de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, seraient suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond relative à la décision d’interdiction d’entrée ayant été introduite le 4 mai 2017 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif, un sursis ne saurait être ordonné que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution immédiate de l’acte attaqué, la condition légale n’étant pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de l’acte attaqué1, le risque dénoncé devant en effet découler de la mise en œuvre de l’acte attaqué et non d’autres actes étrangers au recours2.
Or, à cet égard, force est de constater que la condition d’un préjudice grave et définitif n’est en l’espèce pas remplie, cette conclusion résultant tant de la décision déférée que de la requête en obtention d’une mesure de sauvegarde même.
En effet, il résulte d’abord explicitement de la décision - le passage en question ayant d’ailleurs été souligné par le ministère - qu’un éloignement de la demanderesse n’est ni d’actualité, ni légalement possible, car nécessitant encore la prise d’une décision distincte de 1 J.-P. Lagasse, Le référé administratif, 1992, n° 46, p.60.
2 Ph. Coenraets, Le contentieux de la suspension devant le Conseil d’Etat, synthèses de jurisprudence, 1998, n° 92, p.41.
retour, le ministre ayant laissé un délai de 30 jours à la demanderesse en vue de régulariser sa situation ; la requête en obtention d’une mesure de sauvegarde elle-même ne situe d’ailleurs un risque de préjudice que dans l’hypothèse d’une « expulsion » ou d’une interruption du séjour de la demanderesse et de ses enfants, c’est-à-dire suite à la prise d’une décision de retour.
Quant à l’atteinte à son droit à un recours effectif, ce préjudice n’est pas en l’état retraçable, la demanderesse ayant pu introduire tant un recours contentieux tendant à l’obtention d’une mesure de sauvegarde qu’un recours en annulation.
Le préjudice allégué par la demanderesse ne trouve partant pas son origine dans la décision de retrait lui opposée par le ministre, mais dans la décision de retour que le ministre serait le cas échéant amené à prendre, mais qui n’a pas encore été prise à la date de la présente ordonnance, décision de retour pouvant par ailleurs en tout état de cause faire également l’objet d’un recours contentieux, en ce compris d’un recours tendant à l’obtention d’une mesure provisoire.
Par ailleurs, toujours en ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif, un demandeur ne saurait invoquer à l’appui d’une demande en suspension un risque de préjudice qu’il a lui-même causé ou contribué à causer3.
Or, le risque d’éloignement tel que mis en avant par la demanderesse trouve son origine factuelle dans l’inertie de la demanderesse elle-même, qui a omis de régulariser sa situation nonobstant les courriers lui adressés les 4 juillet et 19 août 2016 et qui finalement n’a pas veillé à donner valablement suite à l’invitation du ministre de régulariser sa situation endéans un délai d’un mois.
Il s’ensuit que l’état actuel de la demanderesse, caractérisé par le risque, non encore concrétisé de se voir opposer une décision de retour, - abstraction faite que celle-ci pourra en tout état de cause faire l’objet à son tour d’un recours contentieux -, doit être considéré comme très largement causé par sa propre indolence.
Le soussigné constate ensuite, toujours en ce qui concerne le préjudice allégué, qu’il résulte des explications de la partie étatique, que Madame … dispose depuis le 3 mai 2017 officiellement de la nationalité luxembourgeoise, de sorte qu’elle ne saurait plus, en tout état de cause, être considérée comme en situation irrégulière et potentiellement sujette à une décision de retour ; il résulte encore des explications étatiques que la décision déférée devrait faire l’objet d’un retrait alors que devenue sans objet, la demanderesse, naturalisée, ne devant plus entamer de procédure de régularisation en vue de l’obtention d’un titre de séjour.
Il suit de toutes les considérations qui précèdent que la demande est à rejeter.
Néanmoins, à titre tout à fait superfétatoire et aux seules fins de permettre à la demanderesse d’analyser la pertinence et l’opportunité de maintenir son recours devant les juges du fond, au-delà du constat de l’accession de Madame … à la nationalité luxembourgeoise, le soussigné procède à l’examen du caractère sérieux des moyens avancés 3 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, 2004, p.789.
devant les juges du fond, lesquels doivent être considérés comme dépourvus de tout caractère sérieux.
En effet, lesdits moyens, dans la mesure où ils s’appuient sur une violation alléguée des articles 76 et 78 (3) de la loi modifiée du 29 août 2008, ne constituent a priori pas des moyens pouvant utilement être produits dans le cadre d’un recours en annulation par rapport à une décision de retrait d’un titre de séjour, alors que visant respectivement l’attribution d’un titre de séjour à des personnes ne remplissant plus la qualité de membre de famille et l’attribution d’un titre de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, la demanderesse, encore qu’invitée itérativement à régulariser sa situation, n’ayant pas formulé de demande en obtention de tels titres de séjour et ne s’étant dès lors pas non plus vue opposer de refus afférent.
Quant à l’invocation de l’article 100 (1) c) de la loi modifiée du 29 août 2008, tant ledit article que l’argumentation de la partie demanderesse visent une décision de retour, inexistante à l’heure actuelle et déférée ni au juge du provisoire, ni aux juges du fond.
La même conclusion s’impose en ce qui concerne les moyens basés sur de prétendues violations du principe de proportionnalité et de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, ces moyens reposant sur la présomption erronée d’une décision de retour, seule décision susceptible d’entraîner l’éloignement de Madame … et de ses enfants mineurs.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure de sauvegarde, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 mai 2017 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 6