Tribunal administratif N° 39431 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2017 3e chambre Audience publique extraordinaire du 5 mai 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39431 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 2017 par Maître Sarah MOINEAUX, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L- …, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 mars 2017 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 avril 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah MOINEAUX et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2017.
Le 21 novembre 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date des 6 et 24 février 2017, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 30 mars 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 3 avril 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] Il résulte de vos déclarations que vous n’auriez pas pu obtenir votre diplôme universitaire à l’Université de Tirana alors que votre professeur de physique vous aurait réclamé de l’argent pour pouvoir passer son examen, et vous auriez ainsi continué vos études sans avoir réussi l’examen de physique. En total, vous auriez essayé à cinq reprises de passer cet examen, en vain. Vous n’auriez cependant pas dénoncé votre professeur à la direction de l’Université alors que vous auriez craint d’être exclu de l’Université.
En octobre 2015, vous auriez abandonné vos études et vous auriez décidé de retourner dans votre ville natale de … afin d’y chercher du travail. Vous auriez postulé auprès de la société «… ».
Au cours de l’entretien d’embauche, le directeur de cette société, un prétendu «…», vous aurait expliqué qu’il n’aurait pas de poste pour vous dans l’immédiat, mais vous aurait dit qu’avant de pouvoir vous embaucher, vous devriez adhérer à son parti politique « LSI – Levizja Socialiste per Interim », ce que vous auriez fait en mars 2016. Après vous avoir fait patienter plusieurs semaines, il vous aurait demandé de participer à des réunions organisées par le parti LSI, en vue de préparer des élections internes au sein du parti, ce que vous auriez accepté de faire. En juin 2016, Monsieur … vous aurait de nouveau dit qu’il n’aurait pas de poste pour vous dans l’immédiat, mais vous aurait proposé de travailler en tant que bénévole pour le LSI. Vous auriez alors conclu que ce dernier n’allait pas vous embaucher et vous auriez arrêté de le voir.
Vous auriez par la suite accepté un emploi en tant que serveur, tout en préparant déjà votre départ vers le Luxembourg, alors que vous auriez appris que là, « le potentiel économique est très élevé » (p.9/13 du rapport de votre entretien).
Vous remettez, à part votre carte d’identité, des documents non traduits.
Rappelons qu’en application de l’article 10(5) de la loi du 18 décembre 2015, tout document remis au ministre, à l’exception de documents d’identité, rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une traduction dans une de ces trois langues pour être pris en considération dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale. Par conséquent, seuls les documents présentés munis d’une traduction seront pris en considération dans le cadre de l’examen de votre demande de protection internationale.
Enfin, il ressort du rapport d'entretien des 6 et 24 février 2017 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.
Le ministre estima en substance que le pays d’origine de Monsieur …, en l’occurrence l’Albanie, serait à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef. Par ailleurs, les raisons qui l’auraient amené à quitter son pays d’origine ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève ». En effet, les faits relatés constitueraient des délits de droit commun, commis par des personnes privées du ressort des autorités de son pays d’origine et punissables en vertu de la législation albanaise. Ainsi, et en ce qui concerne les agissements de son professeur, le ministre donna à considérer que Monsieur … aurait certes déclaré que celui-ci lui aurait réclamé de l’argent, mais qu’il aurait également affirmé ignorer la raison à la base de ces agissements. Il ajouta que Monsieur … n’aurait pas dénoncé le comportement de ce même professeur aux dirigeants de l’Université de Tirana ou encore à la police de Tirana. Il mit encore en exergue que dès 2013, le ministère de la Justice albanais aurait mis en place un site internet pour dénoncer les cas de corruption et que le taux d’enquêtes et de condamnations pour cause de corruption contre les représentants politiques et fonctionnaires aurait évolué positivement depuis 2010.
Le ministre estima ainsi qu’il ne ressortirait pas des éléments lui soumis, que les autorités albanaises ne seraient pas disposées ou ne pourraient pas accorder une protection adéquate à Monsieur ….
Il retint encore que des motifs économiques sous-tendraient la demande de protection internationale de Monsieur … dans la mesure où ce dernier aurait déclaré lui-même qu’il n’aurait jamais quitté son pays d’origine s’il avait pu y trouver un travail. Dans ce même contexte, le ministre retint qu’en ce qui concerne les déclarations de Monsieur … relatives à sa mauvaise expérience avec le directeur de la société «…», celui-ci n’aurait pas fait état d’une quelconque persécution, mais qu’il aurait plutôt fait état de difficultés générales pour trouver un emploi en Albanie.
Enfin, le ministre évoqua la possibilité d’une fuite interne, en donnant plus particulièrement à considérer que Monsieur … se serait limité de rechercher un emploi dans sa ville natale au lieu de chercher un emploi à Tirana ou dans une autre grande ville en Albanie, et estima que le récit de Monsieur … ne contiendrait pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2017, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 mars 2017 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre les trois décisions du ministre ainsi visées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre les trois décisions critiquées.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir renvoyé à ses déclarations au cours de ses entretiens auprès de la direction de l’Immigration, fait plaider à titre liminaire, qu’il se limite à critiquer la décision de refus de lui reconnaître un statut de protection internationale que dans la mesure où elle lui refuserait la reconnaissance d’une protection subsidiaire, de sorte à renoncer à solliciter la reconnaissance du statut de réfugié.
Il critique la décision du ministre de faire application de la procédure accélérée en faisant valoir, en ce qui concerne le constat ministériel qu’il proviendrait d’un pays d’origine sûr, qu’au regard de de la corruption profondément endiguée dans tous les strates du système albanais, corruption dont il aurait lui-même été victime, il aurait soumis des raisons valables permettant de renverser la présomption selon laquelle il proviendrait d’un pays d’origine sûr.
Il soutient encore que les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale seraient pertinents dans la mesure où il remplirait de manière cumulative les conditions pour se voir reconnaître le statut conféré par la protection subsidiaire. Il conclut en conséquence à la réformation de la décision ministérielle déférée ayant statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Par rapport à la demande en réformation dirigée contre le refus d’octroi d’une protection internationale, le demandeur estime remplir les conditions d’octroi d’une protection subsidiaire, en raison des atteintes graves qu’il aurait subies, à savoir le fait de ne pas avoir pu passer son examen en raison de son refus de se soumettre aux sollicitations malveillantes de son professeur et le défaut de protection adéquate des autorités albanaises.
S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, le demandeur sollicite sa réformation comme conséquence de la réformation de la décision de refus d’une protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tel que modifié par la suite, a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité albanaise.
Au vu du libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Pour l’examen de la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, s’il fait, comme en l’espèce, état de faits subis par des personnes non étatiques, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 391 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 402 de la même loi est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux moyens présentés par le demandeur tendant à établir que cette condition requise pour prétendre à une protection internationale est remplie dans son chef.
Il convient de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, étant relevé que les faits dont le demandeur se prévaut en l’espèce proviennent de personnes privées, en l’occurrence son professeur d’université qu’il accuse d’être corrompu.
L'analyse de la situation décrite par le demandeur lors de ses auditions ainsi qu’au cours de la présente instance, telle qu’elle aurait existé en Albanie, ne permet cependant pas à la soussignée d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision déférée.
En effet, force est de constater que le demandeur n’a apporté aucune raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de son pays d’origine ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée.
La soussignée est de prime abord amenée à constater qu’il ressort des déclarations du demandeur qu’il n’a, dans un premier temps, jamais dénoncé les agissements de son professeur aux responsables de l’Université, respectivement aux autorités policières albanaises, et ce sans avancer une quelconque explication plausible quant à son inaction, mise 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire.
Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » à part son affirmation vague et non autrement circonstanciée quant à la corruption qui caractériserait les autorités albanaises et sa crainte purement hypothétique de se faire expulser de l’Université.
Force est à cet égard de constater qu’en ce qui concerne les reproches selon lesquels les autorités policières albanaises ne seraient pas capables de lui accorder une protection adéquate en raison de problèmes de corruption au sein de la police albanaise, il ne ressort pas des déclarations du demandeur qu’il aurait été confronté personnellement à un tel problème de corruption, respectivement de fonctionnement défectueux de la police albanaise empêchant la poursuite de l’auteur des faits.
Par ailleurs, il se dégage des explications circonstanciées fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, que si le demandeur avait eu l’impression que sa plainte contre son professeur ne serait pas accueillie avec le sérieux nécessaire, il aurait pu s’adresser à des autorités supérieures, tel que par exemple la Direction régionale de la police, la Direction nationale de la police ou encore le ministère de l’Intérieur, respectivement l’Ombudsmann, étant encore relevé à cet égard que des plaintes pour corruption peuvent également être déposées en ligne à travers un service online offert par le gouvernement albanais. Il s’ensuit que le demandeur n’est pas fondé à soutenir qu’il n’aurait aucune possibilité de requérir une aide contre les actes dont il a été victime, pour ainsi justifier le défaut d’avoir recherché plus activement la protection des autorités de son pays d’origine.
A ce titre, il y a encore lieu de rappeler qu’une protection n’exige pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. En toute hypothèse, il faut cependant que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte.
Il suit de ce qui précède qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations du demandeur, ni des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée à travers la requête introductive d’instance, ni des pièces du dossier que les autorités albanaises compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements dont le demandeur déclare avoir été victime.
Dans ces conditions, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’Albanie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale En considération de ce que le demandeur déclare limiter le recours sous examen au seul volet de la décision litigieuse ayant trait au refus de lui reconnaître un statut de protection subsidiaire, il échet de se référer exclusivement aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, suivant lequel est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions ainsi que de celles des articles 39 et 40 de la même loi cités plus en avant que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Par ailleurs, l’article 2 g) précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse de la soussignée devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des moyens et faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Force est de constater que le demandeur n’allègue pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumis à la torture au sens du point b) du même article, ni encore craindre des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article.
En ce qui concerne un éventuel risque de subir un traitement inhumain ou dégradant, il échet de constater, tel que cela a été retenu ci-avant, que le demandeur n’a manifestement pas établi que les autorités de son pays d’origine ne soient pas disposées ou capables de lui fournir une protection, de sorte qu’au moins une des conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire ne se trouve manifestement pas remplie.
Pour être tout à fait complet et en ce qui concerne les motifs économiques à la base de la demande de protection internationale de Monsieur …, et plus particulièrement ses difficultés à trouver un emploi, il y a lieu de relever que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours est à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 30 mars 2017 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la décision ministérielle du 30 mars 2017 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 5 mai 2017, par la soussignée, Thessy Kuborn, vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 11