Tribunal administratif N° 39160 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2017 Audience publique du 28 février 2017 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par les consorts …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 39160 du rôle et déposée le 27 février 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura URBANY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … né le … à … (Syrie) et de son épouse, Madame …, née le … à … (Syrie), agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur commun …, né le … à …, tous de nationalité syrienne, demeurant actuellement ensemble à …, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 février 2017 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de les transférer vers la République Fédérale d’Allemagne, Etat membre compétent pour connaître de leur demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la prédite décision ministérielle du 6 février 2017, inscrit sous le numéro 39140, introduit le 23 février 2017, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Laura URBANY et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 6 septembre 2016, Monsieur … et son épouse, Madame … introduisirent une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 26 septembre 2014, qui lui aurait été refusée le 17 octobre 2014, tandis que Madame … avait déposé une demande similaire en Allemagne le 2 février 2016.
Le 23 septembre 2016, Monsieur … et Madame … passèrent séparément un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».
Par décision du 6 février 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … et Madame …, ci-après « les consorts … », que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et à celles de l’article 25, paragraphe 2), du règlement Dublin III, au motif que ce serait l’Allemagne qui serait responsable du traitement de leur demande d’asile, du fait que Monsieur … y aurait introduit le 26 septembre 2014 une demande de protection internationale et que les autorités allemandes auraient accepté implicitement le 7 novembre 2016 de reprendre en charge l’examen de leur demande de protection internationale.
Par courrier du 10 février 2017, le ministre informa les consorts … que leur transfert vers l’Allemagne aura lieu le 1er mars 2017.
Le 14 février 2017, les consorts … firent introduire un recours gracieux tendant à l’obtention du bénéfice de la clause discrétionnaire telle que figurant à l’article 17, paragraphe 1er, du règlement Dublin III.
Par courrier du 15 février 2017, les autorités allemandes acceptèrent encore explicitement la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale des consorts … ainsi que leur transfert vers l’Allemagne.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2017, inscrite sous le numéro 39140 du rôle, les consorts … ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 6 février 2017. Par requête séparée déposée en date du 27 février 2017, inscrite sous le numéro 39160 du rôle, ils ont encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution du transfert vers l’Allemagne, respectivement à les autoriser à rester sur le territoire du Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.
Les demandeurs soutiennent qu’ils subiront du fait de la décision attaquée par le recours au fond un dommage grave et définitif.
A ce titre, ils font valoir que l’état de santé de Madame … ainsi que de l’enfant mineur s’opposeraient à leur transfert vers l’Allemagne, où ils risqueraient d’être logés dans un foyer d’accueil, alors que le logement de la famille dans un tel foyer risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif, les demandeurs donnant à cet égard encore à considérer qu’ils seraient actuellement hébergés par des tiers, résidents luxembourgeois, dans la maison familiale de ces derniers : or, cet hébergement aurait permis notamment à Madame … ainsi qu’à son fils de retrouver un encadrement familial, dont la perte, inhérente en cas de transfert vers l’Allemagne, risquerait de provoquer un état de détresse profond dans leur chef et en particulier dans celui de leur enfant qui risquerait d’être psychologiquement lésé à vie en raison de cet abrupte changement d’entourage familial.
Les demandeurs estiment encore que leurs moyens produits à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
Dans ce contexte, ils reprochent au ministre une mauvaise application de la loi du 29 août 2008 (sic) ainsi que du règlement Dublin III et donnent à considérer que si Monsieur … avait certes déposé auparavant une demande de protection internationale en Allemagne, cela n’aurait pas été le cas de Madame … ; ils affirment par ailleurs que Monsieur … aurait quasiment été forcé de déposer une demande en protection internationale, sans bénéficier de l’assistance d’un avocat ou conseil. Ils relèvent de surcroît que Monsieur … n’aurait jamais obtenu de réponse à sa demande de protection internationale, ce qui contreviendrait aux articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ainsi qu’aux « principes essentiels de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ».
Ils affirment encore que Monsieur … aurait rencontré de graves problèmes en Allemagne avec les autorités de police - non autrement précisés -, ce qui établirait l’existence de graves problèmes systémiques dans le cadre de la demande en protection internationale, les demandeurs estimant que les autorités allemandes ne seraient pas à même de pouvoir traiter dans un temps raisonnable le nombre important de demandeurs d’asile par rapport à leurs capacités d’accueil de sorte que les conditions d’hébergement et d’analyse n’y seraient pas garanties : à cet égard, ils affirment que tant Madame … que leur enfant auraient connu des problèmes de santé du fait des conditions hygiéniques ayant existé dans le foyer en Allemagne , les demandeurs mettant encore en exergue le fait que les violences dans les foyers d’hébergements allemand seraient très fréquentes.
Enfin, ils estiment que les renvoyer en Allemagne et les priver de l’encadrement similaire à un encadrement familial dont ils bénéficieraient actuellement auprès de leurs hôtes serait tant contraire au respect de leur vie privée et familiale qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer aux demandeurs un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance. Par ailleurs, une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
L’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 23 février 2017, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », endéans 2 mois de l’introduction de la requête et est d’ailleurs fixée pour plaidoiries au 14 mars 2017, de sorte qu’elle devrait a priori être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.
Toutefois, le transfert des consorts … étant prévu pour le 1er mars 2017, l’échéance du 14 mars 2017 doit être considérée comme tardive compte tenu de ces circonstances particulières En l’espèce, force est au soussigné de constater que la décision déférée du 6 février 2017, prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, a a priori un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer les personnes concernées vers l’Etat membre compétent, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision, tandis que le courrier du ministre du 10 février 2017 informant les consorts … de la date et de l’heure de leur transfert vers l’Allemagne ne constitue manifestement pas une décision administrative susceptible de recours, mais un simple courrier d’information concernant les modalités d’exécution de la décision du 6 février 2017.
A cet égard, les demandeurs restent toutefois en défaut de prouver en quoi la décision d’incompétence, respectivement de transfert, risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif, alors que pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait en effet à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 19991.
Or, en cas d’annulation éventuelle de la décision déférée par les juges du fond, la séparation des demandeurs n’aura duré au maximum que 2 semaines - du 1er mars au 14 mars 2017 - de sorte à ne pouvoir être considérée comme ayant entraîné ni des conséquences graves ni surtout des conséquences irréversibles.
1 Trib. adm. prés. 8 février 2006, n° 20973 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 538.
Le soussigné relève par ailleurs que si les demandeurs mettent en avant la santé de Madame … et l’enfant mineur en tant qu’obstacle au transfert imminent, aucune pièce ne vient documenter une raison médicale justifiant soit un report du transfert, soit une suspension de ce dernier, les pièces versées en cause, à savoir un certificat médical du 27 novembre 2016 attestant du fait que Madame … a dû interrompre l’allaitement de son fils pour des raisons médicales et une ordonnance de la même date prescrivant une échographie, ne véhiculant aucune contre-indication, tandis qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que Madame … et leur enfant ne puissent pas bénéficier en Allemagne des soins éventuellement nécessaires.
Quant au préjudice résultant de l’atteinte alléguée à la vie privée et familiale ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant, outre qu’aucune atteinte à la vie familiale ne soit discernable - le couple suédois hébergeant les demandeurs ne constituant pas des membres de la famille des demandeurs - le préjudice allégué, outre d’être le cas échéant essentiellement bref, ne saurait être considéré comme grave, les demandeurs n’ayant été accueilli que depuis novembre 2016 par des personnes de surcroît étrangères ; le fait qu’ils doivent le cas échéant quitter ces personnes ainsi que l’entourage humain et matériel auquel ils se sont habitués, et ce même pour retourner le cas échéant dans un foyer allemand au confort certainement moindre - étant toutefois relevé que toute leur famille syrienne restante réside en Allemagne -
ne saurait être considéré comme de nature à justifier la mesure provisoire sollicitée, alors qu’il s’agit d’un aléa inhérent à l’application du règlement Dublin III, et non pas comme un préjudice grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999, c’est-à-dire qui dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et devant être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Enfin, en ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, il convient de relever que le fait pour un enfant de 5 mois de quitter un environnement donné pour un autre, sans être privé de ses père et mère, ne saurait être considéré comme susceptible d’engendrer un traumatisme irréversible.
Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde, en l’occurrence la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 février 2017 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 février 2017 Le greffier du tribunal administratif 6