Tribunal administratif N° 37584 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2016 4e chambre Audience publique du 14 février 2017 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté du ministre des Finances en matière de stage
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37584 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 février 2016 par Maître Andrée Braun, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté pris en date du 18 février 2016 par le ministre des Finances résiliant le stage de préposé à l’administration des Douanes et Accises de Monsieur … pour motifs graves ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 8 mars 2016, inscrite sous le n° 37588 du rôle, ayant suspendu la décision du ministre des Finances du 18 février 2016 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 mai 2016 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 juin 2016 par Maître Andrée Braun au nom de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 juillet 2016 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Andrée Braun et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives.
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Par arrêté du ministre des Finances, ci-après désigné par « le ministre », du 23 juillet 2015, Monsieur … fut admis au stage comme préposé à l’administration des Douanes et Accises à partir du 1er août 2015.
Suite à un incident ayant eu lieu en date du 18 juillet 2015 lors d’une fête à laquelle Monsieur … avait assisté à titre privé, il fut auditionné en date du 2 septembre 2015 par un agent de la police grand-ducale sur les faits à la base de cet incident.
Par courrier du 3 septembre 2015, Monsieur … informa le directeur de l’administration des Douanes et Accises, ci-après désigné par « le directeur », de ce que le policier ayant mené l’interrogatoire aurait tenté de l’intimider, respectivement l’aurait menacé et aurait refusé de lui délivrer une copie du procès-verbal. Il exprima dans ce courrier son inquiétude par rapport à des éventuelles répercussions négatives que pourrait avoir cet événement sur sa carrière, étant donné que le premier brigadier ayant mené son interrogatoire lui aurait précisé « dat kënnt net esou gudd un als Stagiaire ! ».
Par courrier du 12 novembre 2015, Monsieur … s’adressa à travers son litismandataire au directeur et l’informa qu’il avait eu en date du 26 octobre 2015 une entrevue avec le directeur adjoint de l’administration des Douanes et Accises en présence du chef du personnel et du chef du personnel adjoint, lors de laquelle il lui aurait été recommandé de mettre fin à son stage et il n’aurait pas été en mesure de s’expliquer.
Par courrier du 16 novembre 2015, le directeur informa le litismandataire de Monsieur … que la direction de l’administration des Douanes et Accises aurait contacté le « fonctionnaire de la police judiciaire » afin de le confronter avec les allégations de Monsieur … « dans un souci de protéger le stagiaire fonctionnaire contre un agissement prétendument inacceptable ». Le directeur y précisa qu’ « En ce qui concerne les faits de l’affaire, tant Monsieur … que d’ailleurs le fonctionnaire de la Police judiciaire [l’auraient] laissé (…) dans l’ignorance » et que les reproches formulés par Monsieur … relatifs au comportement du fonctionnaire de la police judiciaire « plutôt que de se fonder sur la réalité des choses, semble[raie]nt relever d’une interprétation sinon malveillante au moins très subjective » tout en concluant que « Son attitude et son comportement incompréhensibles, se traduisant en l’espèce par un refus d’adopter une attitude coopérative dans le cadre d’une enquête judiciaire, provoque[raie]nt la perplexité et constitue[raie]nt un fait objectif qui [amènerait] – sans [se] laisser par ailleurs entraîner dans un jeu d’assertions impossibles à démontrer et d’affirmations gratuites – de constater l’existence d’un motif grave ».
Par courrier du 30 novembre 2015, le directeur informa le ministre que Monsieur … « a[urait] été auditionné par la Police judiciaire dans une affaire dont son implication exacte reste[rait] à clarifier par le Parquet et, le cas échéant, par les tribunaux » et qu’il lui aurait « été confirmé que Monsieur … a[urait] adopté à l’égard du fonctionnaire de la Police judiciaire en charge d’une enquête judiciaire, un comportement critiquable pour un futur fonctionnaire des douanes et accises » dans la mesure où il aurait « refusé (…) d’adopter une attitude coopérative dans le cadre de ladite enquête judiciaire ».
Par courrier du 18 décembre 2015, le ministre informa Monsieur … de son intention de révoquer son stage.
Par courrier de son litismandatire du 23 décembre 2015, Monsieur … demanda d’être entendu en personne au sujet de la décision envisagée en application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », et demanda la communication intégrale de son dossier administratif en vertu de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Par courrier du 14 janvier 2016, Monsieur … fut convoqué à un entretien fixé en date du 22 janvier 2016.
Par arrêté du 18 février 2016, le ministre résilia le stage de Monsieur …. Cet arrêté est basé sur les motifs suivants :
« Vu l’arrêté ministériel du 23 juillet 2015 portant admission au stage de préposé à l’administration des douanes et accises de Monsieur … avec effet au 1er août 2015 ;
Vu la lettre du 30 novembre 2015 de Monsieur le Directeur des Douanes et Accises proposant la résiliation du stage de Monsieur … pour motifs graves ;
Considérant que Monsieur … a adopté à l’égard d’un fonctionnaire de la Police judiciaire en charge d’une enquête judiciaire, un comportement inadmissible pour un futur fonctionnaire des douanes et accises, qu’il a en outre refusé d’adopter une attitude coopérative dans le cadre de ladite enquête judiciaire ;
Qu’il en résulte un manque de probité et une inadaptation de l’intéressé à ses futures fonctions ;
Considérant que la fonction de douanier a une fonction d’exemple accentuée par le port d’uniforme dont il doit se montrer digne ;
Vu l’article 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, telle qu’elle a été modifiée ;
Vu l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;
La partie concernée entendue en personne (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2016, inscrite sous le numéro 37584 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation de l’arrêté du ministre du 18 février 2016.
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 février 2016, inscrite sous le numéro 37588 du rôle, Monsieur … a encore introduit une demande tendant à l’institution d’un sursis à exécution à l’encontre de l’arrêté précité, qui fut déclarée justifiée par le président du tribunal administratif par une ordonnance rendue en date du 8 mars 2016.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur soulève de prime abord l’illégalité de la décision déférée pour violation des articles 9 et 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en ce que la lettre recommandée du ministre du 18 décembre 2015 se référerait à une lettre du 30 novembre 2015 émanant du directeur sans en dévoiler le contenu ou annexer ce courrier ou d’autres éléments du dossier. Il soutient que, malgré son courrier du 23 décembre 2015, il n’aurait jusqu’à l’introduction de la requête introductive d’instance pas eu communication du dossier administratif. Il donne ensuite à considérer qu’il ne lui aurait pas été permis de présenter ses observations, respectivement d’être entendu en personne avant la prise de la décision lui causant tort. Il précise encore qu’il découlerait de la lettre du ministre du 18 décembre 2015 que ce dernier aurait déjà à cette époque eu l’intention de faire droit à la demande du directeur de révoquer son stage et ceci avant même de connaître ses observations.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, en affirmant que le ministre aurait respecté la procédure administrative non contentieuse, dans la mesure où la lettre du directeur du 30 novembre 2015 serait la requête formelle de ce dernier de procéder à la révocation du stage de Monsieur …, intention qui se serait trouvée déjà annoncée dans le courrier du 16 novembre 2015 adressé au litismandataire du demandeur.
Le directeur aurait procédé à la transmission de la demande de révocation seulement après une entrevue avec Monsieur … ayant eu lieu le 30 novembre 2015.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur rappelle que la procédure aurait été déclenchée par un courrier qu’il aurait adressé lui-même au directeur en date du 3 septembre 2015 et dans lequel il aurait cherché à être soutenu à l’encontre de l’agent de la police grand-ducale dont il jugeait le comportement comme étant inadéquat. Il souligne que le seul reproche qui aurait été formulé à son encontre concernerait son comportement à l’égard de l’agent verbalisant duquel il n’existerait aucune prise de position à part un prétendu appel téléphonique. Il affirme qu’en date du 26 octobre 2015 aurait eu lieu une entrevue avec le directeur, le chef du personnel des Douanes et Accises, ainsi que Monsieur …, fonctionnaire de l’administration des Douanes et Accises et président de la représentation du personnel de la « Lëtzebuerger Douanes Gewerkschaft LDG » lors de laquelle il aurait été informé qu’entre-temps l’agent verbalisant aurait été contacté par le directeur qui l’aurait par la suite invité à présenter sa démission sans que le moindre reproche concret n’ait été formulé à son encontre. Le demandeur verse dans ce contexte une attestation testimoniale rédigée par Monsieur ….
Le délégué du gouvernement affirme dans son mémoire en duplique que Monsieur … n’aurait pas souhaité s’exprimer au sujet des faits lui reprochés lors de l’entrevue du 30 novembre 2015 et que son annonce de vouloir porter plainte contre l’agent de la police grand-ducale aurait mis fin à l’entrevue. Il soutient que le fait d’avoir reçu Monsieur … ne changerait rien au fait que le commencement de la procédure administrative non contentieuse se situerait au 18 décembre 2015, moment où le ministre aurait informé le demandeur de son intention de révoquer son stage. Le délégué du gouvernement demande à ce que les dires exprimés par Monsieur … dans son attestation testimoniale soient relativisés, étant donné qu’il se serait adonné à une interprétation subjective du déroulement de l’entrevue du 30 novembre 2015.
Aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».
En l’espèce, il est constant en cause que l’administration est intervenue d’office, sans qu’une décision ait été sollicitée par Monsieur … et que la décision porte gravement atteinte à sa situation individuelle, de sorte que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable.
La finalité essentielle de cette disposition est d’éviter de provoquer la surprise de l’administré en le mettant devant le fait accompli en lui ménageant un délai d’au moins huit jours entre l’annonce d’une décision envisagée et la date de prise de celle-ci dans le but de lui permettre de présenter ses arguments et d’éviter, le cas échéant, que la décision pressentie soit prise.
Ainsi, l’article 9 ne prévoit non seulement une communication par lettre recommandée destinée à assurer d’atteindre l’administré par écrit de manière vérifiée, mais encore oblige l’administration agissant de la sorte à informer l’administré des éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir pour qu’une discussion utile puisse s’engager entre parties.1 En effet, par hypothèse, l’administré s’était vu accorder antérieurement des droits pour lesquels l’administration prévoit pour l’avenir, pour le moins, une modification sinon, pour le plus, une révocation, c’est-à-dire une mise à néant des droits précédemment créés. Si dès lors, dans le contexte de l’échange de vues préalable à la décision à prendre d’office par l’administration, le fait pour l’administré d’être entendu en personne est important, celui de se voir soumettre de manière vérifiée, par écrit, les 1 Cour adm. 27 novembre 2014, n°35045C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu éléments d’information, tant en fait qu’en droit, qui amènent l’administration à agir de la sorte ne l’est pas moins2.
Dans une approche d’effet utile, il y a lieu de vérifier si les éléments de fait et de droit ayant amené l’administration à agir avaient été utilement communiqués à l’intéressé de manière à le mettre en mesure de faire valoir utilement son point de vue.
Il est constant en cause qu’aucune prise de position du premier brigadier … quant au prétendu comportement inapproprié de Monsieur … lors de son audition par ledit agent de police se trouve matérialisée au dossier administratif. La seule référence à ce sujet se dégage du courrier du directeur du 16 novembre 2015, suivant lequel il y a « eu contact avec le fonctionnaire de la Police judiciaire », et dans lequel le directeur admet qu’ « En ce qui concerne les faits de l’affaire (…) [il serait toujours] dans l’ignorance », ainsi que d’une attestation testimoniale de Monsieur … rédigée en date du 10 juin 2016, selon laquelle le directeur aurait déclaré après la réunion du 30 novembre 2015, après avoir été demandé pour quelles raisons il se fierait plutôt aux déclarations de l’agent de police qu’à celles du demandeur, « qu’il connaît[rait] bien le policier … ». Force est ainsi au tribunal de constater que les éléments de fait qui ont amené le ministre à résilier le stage de Monsieur … ne se sont pas trouvés documentés à suffisance pour que l’intéressé ait pu utilement prendre position.
Dans une optique d’« open end »3, par hypothèse inhérente au mécanisme prévu par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, il aurait fallu que concrètement, en présence du courrier du demandeur du 3 septembre 2015 suivant lequel, contrairement aux allégations du directeur, le comportement du premier brigadier … lors de l’audition du 2 septembre 2015 semble avoir été critiquable, des éléments concrets aient pu être communiqués à l’intéressé au titre des éléments de fait ayant amené l’autorité administrative à agir. De même, la prise de position de l’agent de police donnée par voie téléphonique, non autrement concrétisée au dossier jusqu’à ce jour, laisse ouverte jusqu’à aujourd’hui la question de savoir en quoi Monsieur … aurait adopté à l’égard de l’agent de police en charge de dresser un procès-verbal « un comportement inadmissible pour un futur fonctionnaire des douanes et accises » en refusant « d’adopter une attitude coopérative » ayant amené le ministre à conclure à un « manque de probité et [à] une inadaptation » à ses futures fonctions, comportement qui, tout comme par ailleurs son implication dans l’incident du 18 juillet 2015, ne découle en tout état de cause ni du procès-verbal de l’audition de Monsieur … du 2 septembre 2015, ni du rapport du 18 juillet 2015 dressé à la suite de cet incident, ni encore d’un quelconque autre élément figurant au dossier administratif.
Dans les conditions données, force est au tribunal de retenir qu’une carence subsiste à ce jour concernant le caractère documenté des éléments de fait à communiquer à l’époque de manière préalable à Monsieur … avant l’échange de vues du 22 janvier 2016 ayant précédé la décision ministérielle critiquée du 18 février 2016, de sorte qu’une 2 Ibidem 3 Ibidem insuffisance des éléments de participation préalables indispensables pour la défense des intérêts de l’administré concerné doit être retenue.
Or, il échet de rappeler qu’en procédant ainsi, une garantie essentielle des droits de l’administré, à savoir celle de ne pas être pris par surprise en cas de décision affectant ses droits, a été violée par le ministre, de sorte qu’il échet de retenir une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 de nature à entraîner l’annulation de la décision de résiliation du stage de préposé de Monsieur ….
Au vu des conclusions qui précèdent, il n’y a pas lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments développés par les parties à l’instance cet examen devenant surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié, partant annule la décision ministérielle attaquée et renvoie l’affaire devant le ministre des Finances en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge et lu à l’audience publique du 14 février 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14/02/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 7