Tribunal administratif N° 38843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2016 Audience publique du 23 décembre 2016 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par la société …, …, contre une décision du …, …, en présence de la société …, …, en matière de marchés publics
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 38843 du rôle et déposée le 12 décembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société en commandite de droit allemand …, établie et ayant son siège social à … inscrite au registre de commerce et des sociétés … sous le numéro …, représentée par son associé commandité actuellement en fonctions, la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social …, inscrite au registre de commerce et des sociétés … sous le numéro …, elle-même représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution à l’encontre d’une décision du … du 29 novembre 2016 ayant rejeté l’offre de la requérante introduite dans le cadre de la soumission publique relative aux « travaux de modernisation et d’agrandissement de la station d’épuration existante de … pour une capacité de … EH ;
travaux d’équipement électromécaniques phase 2 » ainsi que de la décision corrélative d’adjudication du marché à un tiers, pour autant qu’elle ait existé au moment du dépôt du recours, un recours au fond ayant été par ailleurs introduit contre lesdites décisions par requête introduite le même jour, inscrite sous le numéro 38842 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Georges WEBER, demeurant à Diekirch, du 13 décembre 2016, portant signification de la prédite requête en effet suspensif au …, en abrégé …, établi et ayant son siège social à …, représenté par son comité en fonctions ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 13 décembre 2016, portant signification en application de la Convention européenne sur la notification à l’étranger des documents en matière administrative du 24 novembre 1977 de la prédite requête en effet suspensif à la société de droit allemand …, établie et ayant son siège social à …, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maître Serge MARX, pour la partie requérante, ainsi que Maître Steve HELMINGER, pour le …, et Maître Marc THEWES, pour la société de droit allemand …, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 décembre 2016.
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Par avis de marché publié au Journal Officiel de l’Union Européenne en date du 27 août 2016, le …, ci-après « le … », annonça l’ouverture d’une procédure de soumission publique en vue de l’attribution du marché relatif à des travaux de modernisation et d’agrandissement de la station d’épuration existante de … pour une capacité de … EH et plus particulièrement relatif aux travaux d’équipement électromécaniques relevant de la phase 2.
La société en commandite de droit allemand …, ci-après « … », ayant participé à ladite soumission, il s’avéra lors de l’ouverture des offres en date du 7 octobre 2016 qu’elle s’était classée en seconde position parmi trois concurrents, la société de droit allemand … s’étant classée première.
Par courrier du 10 octobre 2016, la … intervint auprès du … et exigea le rejet de l’offre de la société … au motif que l’offre de cette dernière n’aurait pas été signée ; par courrier en retour daté du 11 octobre 2016, le … prit acte de cette réclamation.
Par courrier du 25 octobre 2016, le bureau d’ingénieurs mandaté par le … sollicita de la … la production d’un certain nombre de documents complémentaires, dont notamment une attestation du Centre commun de la Sécurité sociale relative à son sous-traitant …, un courrier similaire étant adressé le même jour à la société … afin de lui permettre de compléter également son dossier sur différents points.
La société … transmit les informations et documents complémentaires requis par courrier du 4 novembre 2016.
Par courriers des 7 et 8 novembre 2016 la … transmit de son côté au pouvoir adjudicateur les pièces demandées, hormis l’attestation du Centre commun de la Sécurité sociale ainsi que l’autorisation d’établissement de son sous-traitant …, la société soumissionnaire ayant toutefois communiqué une copie de sa demande afférente adressée au Centre commun de la Sécurité sociale ainsi qu’une copie de sa demande afférente au ministère compétent pour la délivrance d’autorisations d’établissement.
Par courrier du 29 novembre 2016, le … rejeta l’offre de la …, ladite missive étant libellée comme suit :
« (…) Conformément à l’article 90 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, respectivement 5 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, nous avons le regret de vous informer que le Bureau du … n’a pas pris en considération, votre offre relative au marché mentionné sous rubrique du fait qu’elle n’a pas constitué le dossier le plus favorable présenté.
Il s’y ajoute que la vérification de votre offre a fait ressortir que plusieurs documents an relation avec l’article 10 du règlement grand-ducal précité du 3 août 2009 font défaut, de sorte que votre offre a été écartée. Il s’agit notamment des attestations du sous-traitant … (attestation du Centre Commun de la Sécurité Sociale, attestation du Ministère des Classes 2 Moyennes et du Tourisme, (Handelsgenehmigung)), qui malgré demande afférente du 25/10/2016 ne furent pas remis endéans le délai imposé.
Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au Bureau.
Conformément à l’article 5 de la loi de 2010 précitée, la conclusion du contrat avec le soumissionnaire dont l’offre a été retenue aura lieu au plus tôt après l’expiration d’un délai de quinze jours à courir à partir du lendemain de la notification de la présente.
En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, nous vous informons que vous avez également la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication du 7 novembre 2016 (sic) par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.
Permettez-nous toutefois de vous remercier pour votre démarche et nous sommes confiants qu’à une prochaine occasion vous aurez plus de chance pour collaborer avec notre service. Nous restons enfin votre entière disposition pour tous renseignements complémentaires (…) ».
Parallèlement à ce courrier, le … informa la société … le même jour que le bureau du … avait, par délibération du 28 novembre 2016, décidé de lui adjuger le marché en question au montant total de 10.870.401,03 euros TTC.
Le 2 décembre 2016, la … introduisit une réclamation à l’encontre de la prédite décision, tout en communiquant au pouvoir adjudicateur l’attestation émise par le Centre commun de la Sécurité sociale en date du 28 novembre 2016, réclamation réitérée par son litismandataire en date du 5 décembre 2016.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2016, inscrite sous le numéro 38442 du rôle, elle a fait introduire un recours tendant à l’annulation tant de la décision de rejet de son offre que de l’éventuelle décision d’attribution du marché. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 38443 du rôle, elle sollicite encore le sursis à exécution de la décision attaquée en son double volet dans le cadre du recours au fond.
La … estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée sont remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision de rejet de son offre et d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
Pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, elle fait valoir qu’à défaut de suspension de la décision litigieuse, elle sera définitivement et irrémédiablement écartée du marché en cause, bien qu’elle ait présentée l’offre recevable au prix le plus bas.
La société requérante estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler la décision querellée et se prévaut au fond des moyens d’annulation suivants :
3 1.
La … conteste en premier lieu le reproche selon lequel elle n’aurait pas « constitué le dossier le plus favorable présenté », en relevant que l’offre à première vue la moins-disante, à savoir celle de la société …, n’aurait pas comporté de signature, de sorte à être irrecevable, le procès-verbal d’ouverture des offres ayant indubitablement indiqué l’absence de signature et l’absence de signature correspondant à la violation d’une formalité substantielle ; partant, l’offre de la société … devant être écartée, sa propre offre deviendrait la moins-disante.
2.
La société requérante conteste formellement l’affirmation du … suivant laquelle son offre aurait été incomplète dans la mesure où l’attestation du Centre commun de la Sécurité sociale ainsi que celle du « ministère des Classes Moyennes et du Tourisme » relatives à son sous-traitant … auraient fait défaut.
Dans ce contexte, elle fait plaider que les textes applicables ne prévoiraient pas que les attestations relatives aux sous-traitants soient également à verser, la société requérante, en substance, s’emparant de l’article 223, points e) et f) du règlement grand-ducal du 3 août 2009, pour exposer que cette obligation ne s’imposerait qu’aux opérateurs économiques, et non aux sous-traitants des opérateurs économiques.
En tout état de cause, le même article 223, points e) et f) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 prévoirait que le pouvoir adjudicateur ne pourrait exiger que des attestations délivrées par les autorités compétentes de l’Etat membre concerné, de sorte que le … n’aurait pas pu légalement exiger des attestations à la fois du pays d’établissement de l’opérateur économique et du Luxembourg, la société requérante estimant qu’une telle demande constituerait un obstacle illégal à la libre prestation de services.
Enfin, la … affirme remplir toutes les exigences formelles.
En ce qui concerne l’attestation du Centre commun de la Sécurité sociale, elle expose n’en avoir obtenu communication que le 1er décembre 2016 et l’avoir immédiatement transmise au pouvoir adjudicateur par courrier du 2 décembre 2016, la société requérante ayant de surcroît préalablement informé le … que la demande de l’attestation concernée était en cours ; de son côté le représentant du pouvoir adjudicateur aurait affirmé que la preuve de la demande de l’attestation serait suffisante. Elle en conclut que le pouvoir adjudicateur aurait dès lors eu parfaitement conscience que l’attestation du Centre commun de la Sécurité sociale relatif au sous-traitant … avait été demandée en date du 1er novembre 2016, tandis que son représentant, conscient du problème pour obtenir des administrations les attestations requises endéans des délais raisonnables, aurait indiqué se contenter de la preuve de la demande d’obtention des attestations concernées.
En ce qui concerne l’autorisation d’établissement requise, la … indique que comme son sous-traitant … n’aurait pas d’établissement au Luxembourg, il s’agirait d’une prestation de services de la part de cette entreprise. Or, à cet égard, le sous-traitant … se serait bien conformé aux dispositions de l’article 37 de la loi du 2 septembre 2011 règlementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, tel que cela résulterait du certificat du 21 avril 2016 transmis au pouvoir adjudicateur en date du 7 novembre 2016 ; aussi, exiger de surcroît du sous-traitant une autorisation d’établissement au Luxembourg serait contraire au droit européen et violerait le principe de la liberté de prestations de service, une telle exigence ne figurant d’ailleurs même pas au cahier des charges.
4 Enfin, elle pointe le fait que les attestations visées plus particulièrement aux articles 222 à 240 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 ne constitueraient pas des formalités substantielles justifiant le rejet d’office d’une offre qui ne serait pas complète.
Le …, de son côté, soulève d’abord l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt dans le chef de la société …. Elle donne ainsi à considérer que la société requérante ne serait ni la moins-disante, ni n’aurait présenté une offre conforme et complète, mais aurait au contraire été en défaut de communiquer les documents et informations requises endéans le délai imposé, le … soulevant, outre les points relevés dans le prédit courrier du 25 octobre 2016, encore le défaut de production des pré-contrats des sous-traitants, documents exigés par le cahier des charges.
Cette exception d’irrecevabilité ne vise cependant pas spécifiquement la mesure de sursis à exécution, mais le recours introduit au fond contre les décisions que la société … entend voir annuler.
Ce moyen touche partant le fond du droit ; il relève plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et il est à examiner sous ce rapport.
Ceci dit, il semble, au stade actuel de l’instruction du litige, et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, que ce moyen ne devrait pas être favorablement accueilli par les juges du fond. Le soussigné constate en effet, en application de la jurisprudence du juge du fond que l’intérêt mis implicitement en avant par la société … revêt les conditions requises relativement à son caractère personnel, né, actuel, suffisant et légitime pour justifier son action contentieuse dirigée à l’encontre des décisions attaquées. En effet, en tant que destinataire directe de la décision de rejet de sa soumission, la société requérante fait valoir un lien personnel avec l’acte attaqué, de même qu’une lésion individuelle par le fait de l’acte, étant relevé qu’un intérêt de concurrence est suffisant pour conférer à une entreprise ayant demandé à être admise à participer à un concours et qui s’en est vue écarter, un intérêt à agir devant le juge administratif en vue de faire contrôler le respect des dispositions légales et réglementaires régissant la matière et, partant, la décision relativement à sa mise à l’écart, fût-
ce dans le cadre particulier du dialogue compétitif. En effet, suivant une jurisprudence bien établie, que le juge du provisoire doit prendre en compte, le recours contentieux est ouvert au demandeur qui a un intérêt quelconque, dès que cet intérêt implique un lien personnel avec l’acte attaqué et une lésion individuelle par le fait de l’acte, un intérêt de concurrence étant à cet égard suffisant pour conférer à une entreprise voulant participer à une soumission publique un intérêt à voir respecter les dispositions légales et réglementaires régissant les adjudications publiques.
Le …, de concert avec la société …, estime en substance que les conditions légales ne sont pas remplies en cause, en contestant en particulier le caractère sérieux des moyens de la société requérante.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
5 Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
L’affaire au fond ayant été introduite le 12 décembre 2016 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne plus particulièrement le préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.
En l’espèce, l’exécution immédiate des décisions attaquées, respectivement de la décision déférée, prise en son double volet, et, plus particulièrement, de la décision d’adjudication moyennant la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et la société adjudicatrice avant que le tribunal administratif se soit prononcé par rapport au recours au fond, implique le risque tant définitif que grave pour la requérante de perdre toute chance de se voir attribuer un marché d’une importance certaine et de référence pour lequel elle estime avoir présenté l’offre régulière la moins-disante.
Il s’ensuit que la première exigence légale est remplie en cause.
Cette première conclusion n’est ni énervée, ni relativisée par l’argumentation du … tirée de l’article 4 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics et exigeant une mise en balance des préjudices et intérêts respectifs en cause, le … s’étant en effet prévalu de cet article 4 pour souligner, d’une part, l’absence de préjudice dans le chef de la société requérante, découlant du fait qu’elle ne saurait en tout état de cause prétendre à l’attribution du marché, et, d’autre part, le préjudice important que risquerait le Grand-Duché de Luxembourg en cas de non-complétion de l’ouvrage visé par le marché.
En effet, l’article 4 invoqué, aux termes duquel « (1) Le président du tribunal administratif, en tenant compte des conséquences probables des mesures pour tous les intérêts susceptibles d’être lésés, ainsi que de l’intérêt public, peut décider de ne pas accorder ces mesures lorsque des conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages. Une décision de ne pas accorder des mesures ne porte pas préjudice aux autres droits revendiqués par la personne requérant ces mesures », outre de ne pas constituer la base légale invoquée par la partie requérante pour son recours tendant à l’obtention d’une mesure provisoire, s’inscrit dans un cadre bien déterminé, à savoir celui de l’instauration de mesures de sauvegarde telles que prévues par l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010 précité, lequel instaure la possibilité d’un contrôle préventif par le pré…t du tribunal administratif dans le 6 cadre d’une procédure appelée couramment « référé précontractuel », donc dans la procédure qui précède la décision d’adjudication1.
Au-delà de ce constat, il convient en tout état de cause de rappeler que le juge des référés refuse de procéder à une pondération du préjudice allégué par le requérant avec le préjudice qu’une mesure de suspension causerait à l’intérêt général ou au bénéficiaire de l’acte querellé2.
Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision déférée, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme l’intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant 1 Trib. adm. (prés.) 30 août 2012, n° 31142.
2 Trib. adm. (prés.) 20 février 2002, n° 14553 ; trib. adm. (prés.) 17 février 2004, n° 17201, et plus récemment trib. adm. (prés.) 23 septembre 2016, n° 38387.
7 au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie requérante apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.
Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
En ce qui concerne la question de l’absence de signature de l’offre déposée par la société …, il appert après analyse des pièces versées en cause que le bordereau de soumission (« Ausschreibungsdokument »), s’il porte le cachet de ladite société, ne comporte toutefois pas de signature sous la formule d’engagement.
Il appert en revanche que l’offre de la société … telle que comptabilisée en page 1415 du « Leistungsverzeichnis », portant notamment l’indication du montant total, comporte tant le cachet que la signature du soumissionnaire, la société … ayant encore dûment signé la déclaration écrite prévue par l’article 51, alinéa 2 du règlement grand-ducal modifié du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marches publics.
Enfin, il résulte des pièces versées en cause que la société …, suite au courrier du 25 octobre 2016 lui adressé par le représentant du pouvoir adjudicateur, a notifié à ce dernier en date du 4 novembre 2016 l’« Ausschreibungsdokument », comportant cette fois-ci, outre le cachet de l’entreprise, la signature de son représentant.
Il résulte certes de la jurisprudence des juges du fond3, par référence aux articles 51 (1) d) et 59 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, que l’absence de signature valable sur le bordereau de soumission, équivalant à une absence de signature dudit bordereau par le soumissionnaire, disqualifie d’office l’offre présentée, celle-ci n’engageant en effet pas l’opérateur économique.
Toutefois, une lecture sommaire de l’article 51 (1) en question ne relève a priori que l’obligation pour une offre de contenir, entre autres, « c) la formule d’engagement ; d) la signature du soumissionnaire », mais non, du moins pas de manière évidente, l’obligation de compléter ladite formule d’engagement d’une signature immédiatement y apposée, seule « l’offre » devant être signée, ce qui en l’espèce semble a priori être le cas, puisque si le bordereau de soumission initial ne semble pas comporter de telle signature, le « Leistungsverzeichnis », à savoir le récapitulatif exhaustif des prestations offertes, comportant tant les prix individuels que le prix global, a été signé par le soumissionnaire.
Le seul défaut de signature du « Ausschreibungsdokument » comportant la formule d’engagement, alors que l’offre a à première vue été formellement signée dans le cadre du « Leistungsverzeichnis », ne paraît dès lors pas suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire sollicitée, alors qu’il ne paraît pas avec suffisamment de certitude que les juges du fond déduisent de cette seule absence de signature une irrégularité substantielle viciant la soumission de la société … indépendamment de la signature apposée sous le « Leistungsverzeichnis », la formalité de la signature ne constituant à première vue, selon la jurisprudence4, pas une fin en soi, mais une formalité visant à conférer au pouvoir 3 Trib. adm. 14 janvier 2015, n° 33594, confirmé en ce point par arrêt du 14 juillet 2015, n° 35887C.
4 Trib. adm. 14 janvier 2015, n° 33594.
8 adjudicateur la certitude, avant de retenir une offre, et a fortiori d’écarter les offres concurrentes, que le soumissionnaire retenu se soit effectivement valablement engagé.
La jurisprudence luxembourgeoise citée par la société … ne paraît à cet égard pas être applicable telle quelle au cas sous analyse, alors que relative à un cas d’espèce où une seule signature non valable figurait sur l’offre - le tribunal en ayant déduit l’absence de toute signature -, et non comme en l’espèce où une signature fait certes défaut sur l’« Ausschreibungsdokument » tout en figurant néanmoins sous le « Leistungsverzeichnis ».
Le soussigné relève par ailleurs que le jugement du tribunal en question a été reformé par la Cour administrative, qui a admis la possibilité, voire la nécessité pour le pouvoir adjudicateur de prendre contact avec le soumissionnaire, et ce afin de couvrir une signature irrégulière par la production ultérieure d’une procuration afférente, à condition qu’une telle régularisation n’affecte ni l’offre ni le principe de l’égalité des soumissionnaires ni enfin la décision finale et que l’omission critiquée ne soit pas de nature à conférer un quelconque avantage au soumissionnaire : or, une telle régularisation a été opérée le 4 novembre 2016 par la société ….
Si la société … a certes encore versé de la jurisprudence française excluant, en cas d’absence de signature de la formule d’engagement, toute régularisation ultérieure, du moins intervenue après la date limite de remise de l’offre, il n’apparaît pas de manière convaincante que ces décisions de justice françaises puissent être appliquées au cas d’espèce et amènent les juges du fond à annuler les décisions déférées.
En effet, l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 décembre 1993 a trait à une offre ne comportant aucune signature, tandis que les arrêts du Conseil d’Etat du 3 novembre 1997 et du 7 novembre 2014 reposent sur une disposition française a priori sans équivalence en droit luxembourgeois, à savoir l’exigence explicite d’un acte d’engagement formellement souscrit, le cas échéant électroniquement, par les candidats au marché, l’arrêt de la Cour administrative de Bordeaux du 4 mars 2010 reposant pour sa part sur une disposition similaire prescrivant également un acte d’engagement formellement signé par les candidats.
Les critiques de la … relatives à la recevabilité de l’offre telle que déposée par la société … et les conséquences en résultant sur le classement de sa propre offre ne présentent dès lors pas un caractère suffisamment sérieux justifiant la mesure provisoire sollicitée.
Cette première conclusion en amène une seconde, à savoir que les autres moyens opposés par la société requérante à la décision litigieuse du … de rejet de son offre ne paraissent a fortiori pas non plus, en leur globalité, présenter le sérieux nécessaire, leur admissibilité dépendant en effet en premier lieu de la probabilité suffisante que l’offre de la société …, classée initialement première, soit écartée pour cause d’irrégularité substantielle par les juges du fond.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser plus avant la pertinence, respectivement le caractère sérieux de tous les autres moyens opposés par la société requérante à la décision litigieuse du …, leur éventuelle pertinence ne permettant pas, à elles seules, de justifier la mesure provisoire au profit d’un soumissionnaire dont le classement en seconde position ne paraît guère contestable.
Il n’y a par ailleurs pas non plus lieu d’analyser l’argumentaire qui ne se trouve actuellement pas libellé dans l’affaire au fond, étant rappelé que le magistrat appelé à prendre 9 une mesure provisoire ne peut avoir égard, au niveau de l’analyse du sérieux des moyens présentés qu’aux seuls moyens présentés par la partie demanderesse en question dans l’instance au fond au jour où le juge du provisoire est appelé à statuer.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit le recours en sursis à exécution en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne la société requérante aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 décembre 2016 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 décembre 2016 Le greffier du tribunal administratif 10