Tribunal administratif N° 38495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 septembre 2016 Audience publique du 18 octobre 2016 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38495 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 septembre 2016 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le …, tous les deux de nationalité albanaise, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 août 2016 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi que de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 octobre 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Laura URBANY, en remplacement de Maître Faisal QURAISHI, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 octobre 2016.
Le 8 décembre 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après dénommés « les époux … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
1Les déclarations des époux … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale en date du 28 juin 2016, tandis que son épouse, Madame … fut quant à elle entendue les 4 et 5 juillet 2016.
Par décision du 30 août 2016, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 31 août 2016, le ministre résuma les déclarations des époux … comme suit : « En mains le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 28 juin, 04 et 05 juillet 2016 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine parce que vous y auriez été menacé par votre beau-père. Vous expliquez que celui-ci se serait opposé à votre relation avec sa fille à cause des origines roms de votre mère. Après votre mariage en août 2015, votre épouse serait venue habiter dans la maison de vos parents à Shkodër. Vous dites que votre beau-père y serait par la suite une fois rentré de force et qu’il vous aurait agressé tout en proférant des menaces de mort envers vous et votre épouse. Vous auriez alors voulu dénoncer cet incident auprès d’un bureau de police mais vous dites qu’on ne vous aurait pas pris au sérieux. Ne sachant plus quoi faire, vous auriez décidé de déménager à Durres pour vous « cacher » dans la maison de votre tante. Lorsque votre belle-famille vous aurait informé que votre beau-père serait au courant de votre nouvelle adresse, vous auriez décidé de quitter l’Albanie et vous vous seriez installé quelque temps auprès d’une autre tante en Italie. Comme celle-ci aurait eu peur pour sa famille, elle vous aurait demandé de partir et vous auriez alors continué votre voyage vers l’Allemagne pour finalement venir au Luxembourg.
Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous déclarez qu’au début de votre relation « Nous nous sommes vus en cachette et nos familles n’étaient pas au courant. » (page 3/7), car d’après vos dires « la mentalité est très sévère là-bas » et que par conséquent « on n’accepte pas les relations des jeunes » (page 3/7).
En août 2015, votre époux … aurait demandé votre main auprès de votre père. Vous déclarez que « mon père répondait qu’il allait se renseigner sur … et sur sa famille, comme la tradition le souhaite » (page 3/7). Le soir même, votre père vous aurait « crié dessus » (page 3/7) et « il m’a frappé par la suite » (page 3/7).
Vous ajoutez que vous et votre frère auriez grandi dans des conditions de violences et que votre père, « nous a souvent frappé » (page 3/7). Vous expliquez que cette situation se serait encore aggravée lorsque votre père aurait appris les origines de la mère de votre époux. Vous affirmez également que votre père serait un jour rentré « ivre comme toujours » (page 4/7) et qu’il vous aurait frappées vous et votre mère avant de vous chasser toutes les deux hors de la maison.
2Enfin vous déclarez avoir renoncé au retour volontaire pour lequel vous et votre mari vous étiez inscrits, suite au décès de son père, parce qu’on vous aurait expliqué que vous ne pourriez alors plus revenir au Luxembourg.
Vous avez déposé par l’intermédiaire de votre avocat, Maître Laura URBANY, les documents suivants au Ministère :
- une copie de la traduction certifiée de 5 attestations testimoniales (ainsi qu’une copie des originaux) de la part de vos parents, de votre tante et de votre voisin, Monsieur, ainsi que de votre cousine, Madame, censées corroborer le rejet de votre relation par votre (beau-)père ;
- une copie de la traduction certifiée d’une ordonnance médicale (ainsi qu’une copie de l’original) et une copie de la traduction certifiée d’un acte de décès (ainsi qu’une copie de l’original) concernant votre père, Monsieur.
Enfin, il ressort des rapports d’entretien qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. » Le ministre informa ensuite les époux … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous b) et a) de la loi du 18 décembre 2015 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre estima que les époux …, ayant la nationalité albanaise, proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays où il n’y aurait, de manière générale et uniformément, pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et que ce constat ne serait pas contredit par l’examen individuel des demandes de protection internationale des époux ….
Le ministre estima ensuite que les faits invoqués par les époux …, à savoir les menaces et agressions de la part du père de Madame …, trouveraient leur origine dans un simple conflit familial et ne seraient partant pas liées à un des critères de fond de la Convention de Genève, mais seraient à qualifier d’infractions de droit commun, punissables en vertu de la législation albanaise. Le ministre estima par ailleurs qu’un défaut de protection par les autorités albanaises pour l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève ne serait pas établi en l’espèce. Il précisa plus particulièrement que d’après les déclarations de Monsieur …, la police ne l’aurait pas pris au sérieux au moment où il aurait décidé de dénoncer les agissements de son beau -père, tandis que Madame … aurait quant à elle déclaré que la police n’aurait pas pu prendre en compte les accusations contre son père et ce faute de preuves. Le ministre mit encore en exergue que ni Madame …, ni le frère de celle-ci n’auraient essayé de dénoncer le comportement violent de leur père. Par ailleurs, et si leur plainte n’aurait pas été accueillie avec le sérieux nécessaire, le ministre retint que les époux … auraient pu s’adresser à un autre commissariat de police. Dans ce 3même contexte, le ministre souligna encore l’existence d’instances d’inspections auxquelles les époux … aurait également pu s’adresser, de même que l’existence de l’Ombudsman auquel ils auraient pu s’adresser.
Le ministre releva ensuite qu’au vu de la majorité de Madame … il lui serait possible de mener une vie indépendante de son père, de quitter la maison familiale et de vivre avec Monsieur … sans le consentement de son père.
Le ministre évoqua encore la possibilité d’une fuite interne en soulignant que les époux … auraient eu la possibilité de s’installer loin de tout lien familial de sorte à minimiser les risques d’être retrouvés par le père de Madame …, et estima, enfin, que le récit des époux … ne contiendrait pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2016, les époux … ont fait déposer un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 30 août 2016 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à leurs demande en obtention d’une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 30 août 2016 telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
L’Etat se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire tel que déféré en donnant à considérer que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2015, un recours en réformation serait à introduire contre un tel ordre de quitter le territoire.
Il y a lieu de rappeler que l'objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d'instance, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d'instance.
4Or, comme la requête introductive d’instance se limite à solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sous analyse, le tribunal en déduit dès lors que les demandeurs ont uniquement entendu introduire un recours en annulation à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire et ce malgré le fait que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours au fond contre un tel ordre de quitter le territoire.
Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de rappeler que même si le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge du fond dans une matière, il est loisible au demandeur de conclure à la seule annulation de la décision déférée1, à condition de déférer au tribunal seulement des moyens de légalité.
Dans cette mesure, le recours en annulation, ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs critiquent la décision de recourir à la procédure accélérée en reprochant au ministre d’avoir retenu qu’ils n’auraient soulevé que des faits sans pertinence, alors qu’ils auraient non seulement exposé leur crainte vis-à-vis du père de Madame …, mais qu’ils auraient également relevé l’absence de protection de la part des autorités albanaises en raison des origines rom de Monsieur ….
Les demandeurs font ainsi plaider que même si le ministre devait avoir estimé qu’ils ne remplissent pas les conditions pour bénéficier de la protection internationale, cette cir constance à elle seule n’entrainerait pas ipso facto un défaut de pertinence des faits à la base de leurs demandes de protection internationale. Les demandeurs estiment en effet qu’un tel défaut de pertinence devrait nécessairement résulter de l’absence d’éléments à analyser par rapport aux conditions posées par la loi du 18 décembre 2015, respectivement par la Convention de Genève et non pas du seul fait qu’un demandeur de protection internationale ne remplit pas les conditions prévues par la loi pour prétendre à une telle protection.
Or, en l’espèce le ministre n’aurait pas spécifiquement motivé en quoi les questions soulevées par leurs soins seraient sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, mais se serait penché en détail sur les faits soulevés à la base de leurs demandes respectives et aurait en outre examiné la capacité, respectivement la volonté des autorités albanaises à les protéger, de sorte que son analyse aurait été nécessairement basée sur la pertinence des questions soulevées.
Dans un deuxième temps, et en ce qui concerne la qualification de l’Albanie comme pays d’origine sûr dans leur chef, les demandeurs font valoir qu’aucun règlement grand-ducal ne désignerait l’Albanie en tant que pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015. Ainsi, ils précisent que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 désignerait l’Albanie comme pays sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, loi qui aurait cependant été abrogée par la loi du 18 décembre 2015. Dans la mesure où l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 prévoirait cependant un règlement grand-ducal désignant les pays à qualifier de pays d’origine sûr et en l’absence de règlement grand-ducal désignant l’Albanie 1 Trib. adm. 22 mars 2006, n°20407 du rôle, Pas. adm. 2016, V° recours en réformation, n°4 5comme pays d’origine sûr au sens de ce même article, le ministre n’aurait pas pu valablement retenir qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr.
A titre subsidiaire, les demandeurs font plaider que même à admettre la qualification de l’Albanie comme pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 8 décembre 2015, la décision ministérielle sous analyse devrait néanmoins encourir la réformation étant donné que d’après l’article 27 paragraphe 2) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre devrait prendre sa décision dans un délai de deux mois à partir du jour où il apparait qu’un demandeur de protection internationale tombe sous un des cas prévus au paragraphe 1) de ce même article. Or, en l’espèce, la décision ministérielle n’aurait été prise que huit mois après le dépôt de leurs demandes de protection internationale, alors même que le ministre aurait été au courant de leur provenance d’Albanie dès l’introduction de leurs demandes de protection internationale.
A titre plus subsidiaire, les demandeurs contestent encore la qualification de l’Albanie de pays d’origine sûr dans leur chef, en affirmant que le ministre aurait omis de prendre en compte leur situation personnelle en les privant ainsi d’un examen approfondi de leurs demandes de protection internationale et du double degré de juridiction. Ainsi le ministre aurait omis de tenir compte du motif discriminatoire poussant le père de la demanderesse à les menacer et à les agresser, motif qui fonderait également le défaut de protection des autorités albanaises. De même, le ministre n’aurait en aucune façon analysé la situation du peuple Rom en Albanie, de sorte qu’il n’aurait pas vérifié s’ils ont fait état des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie n’est pas à qualifier de pays d’origine sûr dans leur chef.
A l’appui de leur recours dirigé contre le refus de leur accorder une protection internationale, les demandeurs reprennent en substance les mêmes moyens que ceux invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Ils précisent plus particulièrement que leur crainte de persécution serait liée aux origines rom du demandeur de sorte à tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, respectivement de celui de l’article 43 paragraphe 1) point c) de la loi du 18 décembre 2015.
Dans ce même contexte, ils insistent sur le fait que dans sa décision sous analyse, le ministre aurait fait abstraction des origines rom du demandeur et ils lui reprochent dès lors une analyse superficielle et erronée de leurs demandes de protection internationale.
En se basant sur l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs affirment ensuite que les autorités albanaises seraient incapables, respectivement non disposées à leur accorder une protection adéquate. Ils mettent plus particulièrement en exergue l’attitude des policiers auxquels ils se seraient adressés pour porter plainte contre le père de la demanderesse, lesquels se seraient moqués du demandeur, en exigeant même une preuve qu’il n’a pas enlevé son épouse et qui auraient ainsi refusé de les prendre aux sérieux et ceci en raison des origines ethniques du demandeur.
En se basant sur divers rapports de la Commission européenne, ainsi que d’Amnesty International, les demandeurs font encore plaider qu’en Albanie, les Rom feraient l’objet d’une 6discrimination ouverte et que la police serait récalcitrante à leur offrir une protection adéquate.
Ils donnent encore à considérer à cet égard qu’en Albanie, l’Ombudsman continuerait toujours à l’heure actuelle de promouvoir les droits de l’Homme et de recommander des changements législatifs afin de garantir une protection des minorités, en l’occurrence des Rom, de sorte que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’ils puissent bénéficier d’une protection adéquate dans leur pays d’origine.
Les demandeurs contestent ensuite toute possibilité de fuite interne, en rappelant qu’ils auraient déjà essayé sans succès d’échapper au père de la demanderesse en se réinstallant à Durrës chez la tante de Monsieur …. Ils estiment par ailleurs que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’ils pourraient s’installer à Tirana, alors que cette ville ne se trouverait qu’à 40 kilomètres de Durrës, de sorte que leur agresseur pourrait également les retrouver à cet endroit.
Finalement, ils font plaider que ce serait également à tort que le ministre leur a refusé le statut de la protection subsidiaire, alors qu’ils auraient fait l’objet d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs faisant à cet égard état des violences physiques dont la demanderesse aurait fait l’objet de façon répétée de la part de son père.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, et, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
7Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée, les époux … soulèvent une prétendue violation de l’article 27 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, en arguant en substance que le ministre aurait pris sa décision tardivement.
Aux termes de l’article 27 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 : « Le ministre prend sa décision au plus tard dans un délai de deux mois à partir du jour où il apparaît que le demandeur tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1) qui précède. Sans préjudice des délais prévus à l’article 26, ce délai peut être dépassé lorsque cela est nécessaire pour assurer un examen approprié et exhaustif de la demande de protection internationale ».
Il résulte de la disposition légale qui précède que le délai imparti au ministre pour prendre une décision dans le cadre d’une procédure accélérée est de deux mois à compter du jour où il devient manifeste qu’un demandeur de protection internationale tombe dans un des cas prévus à l’article 27 paragraphe (1). Dès lors, à partir du moment où ce délai de deux mois a expiré, le ministre n’est plus en mesure d’accélérer la procédure d’asile, sauf si un tel dépassement devait s’avérer nécessaire pour assurer un examen exhaustif de ladite demande de protection internationale.
En l’espèce, il est constant en cause que les époux … ont déposé leurs demandes de protection internationale en date du 8 décembre 2015 et qu’ils ont été entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Les demandeurs en concluent que dans la mesure où le ministre aurait dès lors été au courant de leur pays de provenance depuis cette même date, il aurait dû prendre une décision au plus tard deux mois après, c’est-à-dire le 8 février 2015.
Or, et même à supposer que le ministre ait effectivement eu connaissance du pays d’origine du demandeur dès le dépôt de sa demande de protection internationale, il y a lieu de retenir, comme relevé à juste titre par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, que le délai de deux mois tel que prévu à l’article 27 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 ne commence pas à courir à partir de la date où le ministre a connaissance du pays d’origine d’un demandeur d’asile, mais à partir du moment où il devient manifeste que ce dernier tombe dans un des cas de figure prévus à l’article 27 paragraphe (1) de la même loi. Pour savoir si un demandeur de protection internationale tombe effectivement dans un de ces cas de figur e, il est cependant nécessaire d’avoir connaissance de l’ensemble des éléments à la base de la demande de celui-ci et non pas de son seul pays d’origine. Ce n’est cependant que lors de l’entretien auprès de la direction de l’Immigration, tel que prévu à l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015, que le demandeur d’asile a la possibilité et même l’obligation d’exposer 8l’ensemble des faits à la base de sa demande, étant rappelé que le service de police judiciaire se limite d’après l’article 6 de la même loi de procéder à toute vérification de l’identité et de l’itinéraire d’un demandeur de protection internationale.
En l’espèce il résulte des pièces du dossier administratif, ainsi que des explications non contestées du délégué du gouvernement que les époux … ont été auditionnés par un agent de la direction de l’Immigration en date du 28 juin 2016, respectivement en date des 4 et 5 juillet 2015, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que ce n’est qu’après ce dernier entretien qu’il est devenu manifeste pour le ministre que les demandeurs tombent dans un des cas de figure prévus à l’article 27 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, en l’occurrence les cas de figure sous a) et sous b) du même article.
Force est dès lors de retenir que conformément à l’article 27 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et à l’article 3 de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984, ci-après « la Convention de Bâle », le délai imparti au ministre pour prendre une décision dans le cadre de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 a en l’espèce commencé à courir au plus tôt le 5 juillet 2016 à minuit, c’est-à-
dire le 6 juillet 2016, pour expirer le 6 septembre 2016 et dès lors postérieurement à la prise de décision litigieuse.
Au vu de ce qui précède, le moyen relatif à une violation de l’article 27 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il y a ensuite lieu de relever que la décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ;
[…] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
9 Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité albanaise.
En l’espèce, les demandeurs contestent cependant l’applicabilité du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 2007, au motif qu’il désignerait les pays d’origine sûr au sens de loi modifiée du 5 mai 2006, loi entretemps abrogée, et non pas au sens de la loi du 18 décembre 2015, loi qui s’applique en l’espèce.
Il est est constant en cause et d’ailleurs non contesté par la partie étatique que le règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 2007 prémentionné a été pris en application des dispositions de l’article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
10Il est encore constant en cause que la loi du 5 mai 2006 a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015. L’article 21 de la loi du 5 mai 2006 se retrouve remplacé par l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 suivant un libellé sinon identique, du moins sensiblement analogue, sauf certaines adaptations non pertinentes pour le cas d’espèce.
Il échet de rappeler qu’en règle générale un règlement légalement pris survit à la loi dont il procède en cas d’abrogation de celle-ci, dès lors qu’il trouve un support suffisant dans la législation postérieure qui témoigne de la volonté persistante du législateur à régir selon des options similaires la matière dans le cadre de laquelle est intervenu le règlement en question et que le règlement n’est pas inconciliable avec les dispositions de la nouvelle loi2.
Dans l’hypothèse particulière de l’espèce où l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 se retrouve remplacé par des dispositions similaires correspondantes figurant à l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015, la subsistance du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 se trouve être acquise à plus forte raison, dans la mesure où aucune modification substantielle du texte légal de base n’est intervenue, de sorte que le moyen relatif à une prétendue non-applicabilité dudit règlement grand-ducal laisse manifestement d’être fondé.
En ce qui concerne les développements des demandeurs que l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef, vu leur situation particulière, il échet de souligner qu’au vu du libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est effectivement pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Force est de constater qu’à l’appui de leur requête introductive d’instance, les demandeurs critiquent la décision du ministre d’appliquer le point b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 au motif qu’en raisons des origines rom du demandeur, le époux … seraient menacés par le père de la demanderesse lequel aurait par ailleurs porté gravement atteinte à l’intégrité physique de cette dernière, les demandeurs soulignant encore que les autorités en place resteraient en défaut de leur accorder une quelconque protection.
Il y a dès lors lieu de vérifier si les demandeurs font état, conformément à l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, de raisons sérieuses permettant de penser qu e l’Albanie n’est, malgré sa désignation comme pays d’origine sûr en vertu du règlement grand-
ducal du 21 décembre 2007, pas un pays sûr compte tenu de leur situation individuelle et si ces raisons ont été appréciées par le ministre à leur juste mesure.
2 Cour adm. 10 avril 2008 n° 23737C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Lois et règlements, n° 70, et autres références y citées ;
11 Comme l’article 30, paragraphe (1) précité dispose que cet examen individuel que le ministre a l’obligation d’effectuer doit l’être « compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale », et comme par rapport à la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, s’il fait, comme en l’espèce, état de faits subis par des personnes non étatiques, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 393 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 404de la même loi est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux moyens présentés par les demandeurs tendant à établir que cette condition requise pour prétendre à une protection internationale est remplie dans leur chef.
Or, il ne se dégage ni des rapports d’audition précités, ni des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée à travers la requête introductive d’instance un quelconque élément de nature à ébranler le constat du ministre que les demandeurs sont originaires d’un pays d’origine sûr et plus particulièrement qu’ils ne peuvent obtenir une protection adéquate de la part des autorités de leur pays d’origine.
En effet, il convient en premier lieu de souligner que contrairement aux développements des demandeurs dans leur requête introductive d’instance, le ministre n’a pas fait abstraction des origines rom de Monsieur …, le ministre ayant en effet relevé dans sa décision sous analyse qu’il ressortirait des déclarations des demandeurs que le père de la demanderesse serait opposé à leur relation en raison de l’origine ethnique du demandeur et que la police aurait refusé de les prendre au sérieux. Malgré ce constat, le ministre est néanmoins venu à la conclusion que les demandeurs 3 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 4 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 12puissent être considérés comme étant originaires d’un pays d’origine sûr, le ministre ayant en effet retenu qu’ils peuvent bénéficier d’une protection adéquate des autorités albanaises.
A cet égard, il échet de rappeler qu’il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut.5 Une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et d’actes de violence, communément la forme d’une plainte.
En l’espèce, les demandeurs affirment certes qu’ils se seraient adressés au commissariat de police de Skhodër afin de déposer une plainte contre les agissements du père de la demanderesse, mais que les policiers y auraient refusé d’enregistrer leur plainte et ce seraient moqués d’eux en raison des origines rom du demandeur. Toutefois, il ne ressort d’aucun élément du dossier pour quelle raison les demandeurs n’ont pas tenté de s’adresser à un autre commissariat de police, respectivement pour quelle raison ils n’ont pas tenté de porter plainte contre les agissements fortement condamnables des policiers du commissariat de Skhodër. L’affirmation des demandeurs que d’une façon générale, les autorités albanaises ne seraient pas disposées à accorder une protection adéquate aux personnes avec des origines rom est insuffisante à cet égard, surtout, face aux explications circonstanciées, de la part de la partie étatique, suivant lesquelles il existerait 12 directions générales et 43 commissariats de police en Albanie, dont trois dans le district de Shkodër et selon lesquelles il existerait différentes instances pour porter plainte contre des policiers en cas de comportement abusif, tel que le « Internal control service » ou encore l’Ombudsman, lequel a précisément comme mission de défendre les minorités, dont les Rom.
Quant aux pièces versées par les demandeurs tendant à démontrer la corruption régnant apparemment en Albanie, il convient de retenir que s’il y a certes, dans ce pays comme dans certaines vieilles démocraties d'ailleurs, un certain degré de corruption hautement déplorable, la police n'y est pas inefficace à telle enseigne qu'elle ne serait ni capable ni disposée à instruire une plainte. Il faut souligner, dans ce contexte, que l'Albanie range parmi les Etats ayant un indice de développement humain élevé et qu’elle est candidate officielle à l'adhésion à l'Union européenne6.
Dès lors, et à défaut par les demandeurs d’avoir épuisé toutes les possibilités qui leur étaient accessibles pour solliciter une protection de la part des autorités de leur pays d’origine et à défaut d’explications justifiant ce défaut, la soussignée est amenée à conclure qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations des demandeurs, ni des pièces du dossier, que les autorités albanaises compétentes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de leur fournir une protection quelconque contre les agissements dont ils déclarent avoir été victimes.
Dans ces conditions, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à 5 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
6 Cour adm. 6 mai 2014, n°34141C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu 13déclarer manifestement infondé, en ce sens que les demandeurs n’ont manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de leur situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’Albanie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans leur chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs une protection internationale, aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2016, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
En l’espèce, force est au tribunal de conclure que si les menaces et agressions physiques dont les demandeurs affirment avoir été victimes de la part du père de Madame … ont certes eu lieu sur une toile de fond ethnique, à savoir les origines rom de Monsieur …, et si ces faits sont encore d’une certaine gravité, il n’en reste moins que le dernier élément nécessaire afin de qualifier un acte de persécution, en l’occurrence le refus ou l’incapacité des autorités du pays d’origine des demandeurs de protection internationale de leur accorder une protection adéquate, n’est pas, tel que relevé dans le cadre de l’analyse du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale sous analyse dans le cadre d’une procédure accélérée, établi en l’espèce.
Il s’ensuit que les moyens dirigés par les demandeurs à l’encontre de la décision ministérielle déférée de leur refuser l’octroi du statut de réfugié sont manifestement infondés.
14S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-
avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Par ailleurs, l’article 2 g) précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse de la soussignée devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des moyens et faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Force est de constater que les demandeurs n’allèguent pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumis à la torture au sens du point b) du même article, ni encore craindre des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article.
En revanche, ils soutiennent qu’ils risqueraient des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants dans leur pays d’origine de la part du père de Madame ….
Or, tel que cela a été retenu ci-avant, les demandeurs n’ont manifestement pas établi un défaut de protection de la part des autorités étatiques de leur pays d’origine, de sorte qu’au moins 15l’une des conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire ne se trouve manifestement pas remplie.
Le recours pour autant qu’il est dirigé contre le refus d’une protection internationale est partant encore à rejeter comme étant manifestement non fondé et les demandeurs sont à débouter de leur demande.
Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs font valoir que l’ordre de quitter le territoire devrait être annulé sur le fondement du principe de précaution puisqu’il serait préférable de ne pas les reconduire dans un pays où ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet de la requête introductive d’instance.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale a fférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs et que, par conséquent, un retour dans leur pays d’origine ne les expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution invoqué par les demandeurs.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 août 2016 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée et sur celle portant refus d’une protection internationale ;
16 au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre ces deux décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute les demandeurs de leurs demandes de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre les deux décisions ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare manifestement infondé et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2016, par la soussignée, Thessy Kuborn, vice-président du tribunal administratif, président de la troisième chambre, en présence du greffier Arny Schmit.
Arny Schmit Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18.10.2016 Le greffier du tribunal administratif 17