Tribunal administratif N° 38511 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2016 Audience publique du 13 octobre 2016 Recours formé par Madame …, Beaufort contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38511 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 août 2016 par Maître Olivier Unsen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant à L-… tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 septembre 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 septembre 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le premier juge remplaçant le vice-président de la deuxième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Unsen et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2016.
Le 23 mars 2016, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la Police Grand-ducale, Section Police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Madame … fut entendue en date du 11 juillet 2016 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Son compagnon, Monsieur … fut entendu quant à lui en date du 27 juillet 2016 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de la demande de protection internationale de Madame ….
Par décision du 9 septembre 2016, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le 12 septembre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 au regard du fait qu’il ressortirait à suffisance de son dossier administratif que les raisons qui l’ont amenée à quitter son pays d’origine n’aurait pas été motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ni par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015. Ainsi, le ministre releva que Madame …, ressortissante kosovare, ne saurait bénéficier du statut de réfugié dès lors que l’examen individuel de sa demande de protection internationale n’auraient pas contredit le constat établi par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », selon lequel le Kosovo doit être considéré comme pays d’origine sûr dans son chef. Le ministre, tout en formulant certains doutes sur la crédibilité de trois incidents relatés dans le cadre du récit de la demanderesse, constata que les raisons qui l’ont amenée à quitter son pays d’origine n’ont pas été motivées par un critère de fond défini par la Convention de Genève et la loi du 18 décembre 2015. Il estime que les faits dont Madame … déclare avoir été victime, à savoir une agression avec insultes suivie d’une lettre anonyme de menaces, sont à qualifier d’infraction de droit commun commise par des personnes privées du ressort des autorités kosovares, punissable en vertu de la loi kosovare et pour laquelle il ne fut pas établi que les autorités kosovares n’auraient pas été en mesure de lui accorder une protection. Le ministre constata encore la possibilité réservée à Madame … de bénéficier d’une fuite interne. Enfin le ministre conclut que les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas réunies en l’espèce.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 septembre 2016, Madame … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 9 septembre 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prise dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître, dans le cadre de l’article 35 paragraphe (2) précité, du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 27 juillet 2016 telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Quant aux faits et rétroactes La demanderesse dresse les faits et rétroactes de l’affaire.
Quant à la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, la demanderesse soutient que ce serait à tort que le ministre aurait retenu sa provenance depuis un pays d’origine sûr en raison du fait que sa crainte d'être persécutée en raison de son appartenance à la minorité serbe ne serait pas fondée. Elle estime, en effet, que les autorités gouvernementales kosovares ne seraient pas disposées à remettre à la justice de nombreux auteurs de crimes dirigés contre les minorités. Elle remet en cause l’existence pour la minorité serbe au Kosovo de critères permettant de garantir un système judiciaire indépendant et la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, en ce compris des mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés à leur égard. Elle relève que le pays serait réputé pour être gangréné par la corruption, de sorte à être classé à la 110e place pour l'indice de perception de la corruption en 2010. Elle conteste, en l’espèce, que les faits exposés auraient été sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer si elle remplit les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale dès lors qu’elle estime que l’appréciation du ministre ne reposerait sur aucun élément objectif. Elle objecte encore que dans le cadre de la procédure accélérée elle ne serait pas en mesure de réunir toutes les pièces afin d'établir les faits gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Quant à la décision de refus d’accorder une protection internationale A l’appui de son recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, la demanderesse estime que ce serait à tort que le ministre aurait décidé que les faits allégués ne peuvent, à eux seuls, établir dans son chef une crainte fondée d'être persécutée dans son pays d'origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses convictions politiques. Elle fait valoir que la nationalité ne se limiterait pas à la citoyenneté mais recouvrerait en particulier, l'appartenance à un groupe soudé par son identité culturelle, ethnique ou linguistique, ses origines géographiques ou politiques communes, ou sa relation avec la population d'un autre Etat. Elle donne à considérer qu’il serait incontestable qu’il existerait plusieurs « nationalités » au Kosovo et que la nationalité kosovare-albanaise y serait prédominante alors que les Serbes constitueraient la minorité la plus importante du Kosovo et qu'ils devraient affronter le harcèlement et parfois la violence physique pour pouvoir librement circuler, pour parler leur langue voire pour y vivre tout simplement. Elle indique que jusqu’à présent, les autorités gouvernementales du Kosovo, ainsi que la police des Nations Unies et les forces de maintien de la paix de l'OTAN auraient été incapables ou peu disposées à remettre à la justice de nombreux auteurs de crimes dirigés contre les minorités et que, dans son cas particulier, elle aurait été agressée physiquement et menacé de mort au Kosovo du fait de son appartenance à la minorité serbe, de sorte qu’elle craindrait avec raison d'être persécutée. Elle conclut encore que la manière dont elle serait traitée au Kosovo constituerait un traitement inhumain et dégradant, de sorte qu’il conviendrait de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.
Quant à la décision portant ordre de quitter le territoire 4 5 La demanderesse estime « elle ne se trouve[rait] pas en séjour illégal au Grand-Duché de Luxembourg mais [aurait] le droit de bénéficier de la protection internationale, sinon subsidiairement, de la protection subsidiaire ».
Le délégué du gouvernement relève tout d’abord que la crédibilité du récit de la demanderesse serait sujette à caution en ce que la version qu’elle a donnée de plusieurs événements divergerait par rapport à celle fournie par son compagnon. Ensuite, il conclut au rejet du recours à l’encontre des trois décisions en invoquant le caractère manifestement infondé de la demande au sens de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 étant donné que (i) la demanderesse proviendrait d’un pays d’origine sûr et (ii) qu’elle n’aurait invoqué que des faits sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale n’ayant fait état que d’une seule agression par des personnes non autrement identifiées et pour un motif non déterminé, agression par ailleurs dénoncée aux autorités policières et de l’envoi d’une seule lettre anonyme. Etant donné que des raisons invoquées par la demanderesse n’entreraient pas dans le champ d’application ni de la Convention de Genève ni de la loi du 18 décembre 2015, il estime que c’est à juste titre que le ministre aurait eu recours à la procédure accélérée en l’espèce. Ainsi, par voie de conséquence, les conditions requises pour bénéficier du statut de la protection internationale ne seraient pas remplies en l’espèce et l’ordre de quitter le territoire serait justifié suite au rejet de la demande de protection internationale.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il découle de l’article sus-visé qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
Il y a tout d’abord lieu de constater que ni le texte législatif ni les travaux préparatoires afférents, ne contiennent de définition du « recours manifestement infondé » et ce, contrairement à la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, par ailleurs abrogée, qui définissait en son article 9 la demande d’asile manifestement infondée1, et non le 1 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur recours manifestement infondé. La définition de la demande d’asile manifestement infondée fut complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile en ses articles 32, 43, 54 et 65.
Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours pris sur pied de l’article 35 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, de définir le recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de relever que l’article 35 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif si le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier en rapport avec moyens présentés à l’appui du recours, renvoyant nécessairement au récit du demandeur tel qu’il ressort de sa demande.
Partant, le recours est manifestement infondé si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement de sorte que le rejet des différents moyens invoqués à son appui est de nature à s’imposer de manière évidente au magistrat, siégeant en tant que juge unique. Il convient cependant d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avérerait ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35(2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Quant à la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle est fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile […]. » 2 « Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée. » 3 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » 4 « 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution. 2) Le fait d’établir qu’un pays déterminé ne présente pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution, n’entraînera cependant pas automatiquement le rejet de toute demande d’asile introduite par un ressortissant de ce pays, le principe de l’examen individuel de la demande restant acquis. » 5 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
S’agissant plus particulièrement le point b) de l’article 27 paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a désigné le Kosovo, pays dont la demanderesse a la nationalité, comme pays d’origine sûr.
Au vu du libellé de l’article 30 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Il se dégage de la décision attaquée que le ministre a procédé à un examen individuel de la demande sans se limiter au seul constat que le demandeur proviendrait d’un pays d’origine désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal.
L’article 30 paragraphe (1) précité dispose que cet examen individuel que le ministre a l’obligation d’effectuer doit l’être « compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale ». Quant à la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 396 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 40 7de la même loi est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux moyens présentés par le demandeur tendant à établir que la condition requise pour prétendre à une protection internationale est remplie dans son chef.
6 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 7 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire.
Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il convient de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante.
Il échet de constater que les seules allégations que la demanderesse avance en l’espèce sont, d’une part, celle selon laquelle « [s]a crainte d’être persécuté[e] du fait de son appartenance à la minorité serbe [serait] fondée et qu’[elle] encou[rait] un risque réel de subir des atteintes graves » et, d’autre part, celle de « l’inaction ou l’impossibilité des autorités kosovares de donner une protection judiciaire aux Serbes du Kosovo ».
Or, ces seules allégations ne sont pas suffisantes pour remettre en cause le constat de pays d’origine sûr dans son chef mais constitue des simples affirmations qui ne sont étayées par aucun élément concret, et ceci d’autant plus qu’il ressort sans aucune équivoque du rapport d’entretien de la demanderesse que les forces de police sont arrivées promptement sur les lieux de l’agression, agression dont le motif demeure par ailleurs inconnu et qu’elle verse au dossier un document émanant du tribunal d’instance de Pristina, signé par le juge d’instruction, qui reprend ses déclarations auprès des agents de police, de sorte qu’il y a raisonnablement lieu de concevoir que sa plainte a été enregistrée et que la procédure d’enquête suit son cours, de sorte qu’elle a manifestement pu disposer d’une protection suffisante des autorités nationales. Ainsi, les moyens développés par la demanderesse au titre de l’article 27 paragraphe (1) b) de la loi du 18 décembre 2015 sont manifestement infondés.
La soussignée est dès lors amenée à conclure que le recours est à déclarer manifestement infondé en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée au motif que la demanderesse n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir qu’en raison de sa situation personnelle et eu égard aux conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, le Kosovo, pays inscrit sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-
ducal modifiée du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens développés au titre de l’article 27 paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Quant à la décision de refus d’accorder une protection internationale S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder à la demanderesse une protection internationale, aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2016, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est donc soumis notamment à la condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que si le délégué du gouvernement a certes mis en doute la crédibilité du récit de la demanderesse en ce que la version qu’elle a donnée de plusieurs événements divergerait par rapport à celle fournie par son compagnon, force est au tribunal de constater que les incidents dont il est question ne concernent que des éléments marginaux et non essentiels comme le soutient, à tort le délégué du gouvernement. En effet, ils se rapportent à la question de la poursuite des activités professionnelles de la demanderesse dans une des deux écoles dans lesquelles elle aurait enseigné après l’agression et la date de réception de la lettre anonyme. Or la version des intéressés n’est que marginalement différente sur ces points et il n’est pas exclu de conclure que la contradiction apparente entre lesdites versions ne résulte que de la formulation de la question. En tout état de cause, il y a lieu de constater que les variations quant au récit des événements concernés n’est pas de nature à entacher la crédibilité globale du récit de la demanderesse.
La soussignée constate que les moyens développés par la demanderesse à l’égard de la décision de refus de lui accorder le statut de réfugié sont manifestement infondés, dans la mesure où, à l’évidence, les motivations qui l’ont conduite à introduire une demande de protection internationale, à savoir une agression par des personnes inconnues, d’ethnie albanaise, pour un motif inconnu, alors qu’elle a bénéficié de l’intervention prompte des forces de police et que ladite agression fut consignée dans un rapport du juge d’instruction du tribunal de Pristina, le jour même de l’agression, de sorte qu’il y a lieu de considérer que des poursuites contre les auteurs des faits ont été engagées et la réception d’une lettre de menaces anonyme informant la demanderesse et son compagnon amenés à comparaître devant le tribunal de première instance à Pristina le 13 avril 2016 en les termes suivants : « je vous avertis que si je serais condamner et emprisonné en prison, pour vous et votre famille ça va être pire » alors que la demanderesse n’a manifestement pas informé les autorités kosovares de la réception de ladite lettre, ne sont pas de nature à remplir les conditions énumérées dans la Convention de Genève et à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2016. En effet, la demanderesse qui fut, en toute hypothèse, victime d’une agression à qualifier d’infraction de droit commun a manifestement pu bénéficier d’une protection idoine de la part des autorités nationales.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions ainsi que celles des articles 39 et 40 de la même loi cités plus en avant que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Par ailleurs, l’article 2 g) précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse de la soussignée devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des moyens et faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Force est de constater que la demanderesse n’allègue pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumise à la torture au sens du point b) du même article, ni encore craindre des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article, l’agression légère dont il rapporte avoir été victime n’entrant dans aucune des hypothèses alternatives sus-visées.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre le refus d’accorder à la demanderesse une protection internationale est à déclarer manifestement infondé, de sorte qu’elle est à débouter de sa demande.
Quant à la décision portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé de sorte que c’est, à juste titre, que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de la demanderesse dès lors qu’un retour dans leur pays d’origine ne l’exposerait ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter pour être manifestement infondé.
Par ces motifs, le premier juge remplaçant le président de la deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 septembre 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre la décision ministérielle 9 septembre 2016 portant refus d’une protection internationale et contre la décision ministérielle du 9 septembre 2016 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute la demanderesse de sa demande de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre les trois décisions déférées ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 octobre 2016 par la soussignée, Anne Gosset, premier juge remplaçant le président de la deuxième chambre en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 octobre 2016 Le greffier du tribunal administratif 11