Tribunal administratif N° 38522 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2016 Audience publique du 4 octobre 2016 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.28 (1), L. 18.12.2015)
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 38522 du rôle et déposée le 27 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Bouchra FAHIME-AYADI, avocat à la Cour, assistée de Maître Marcel MARIGO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention de Findel, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon en l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 septembre 2016 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Belgique, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, et comportant prétendument ordre de quitter le territoire, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 21 septembre 2016, inscrit sous le numéro 38521, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;
Maître Marcel MARIGO et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 29 août 2016, Monsieur …, ayant été condamné à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois dont neuf mois avec sursis pour avoir enfreint la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Il s’avéra à l’occasion de l’examen de cette demande de protection internationale que Monsieur … avait précédemment introduit en date du 20 février 2012 une demande de protection internationale en Belgique, en date du 1er septembre 2014 en Allemagne et à nouveau en date du 1er juillet 2015 en Belgique.
Par arrêté du 21 septembre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa l’intéressé que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et à celles de l’article 18, paragraphe 1d), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, au motif que ce serait la Belgique qui serait responsable du traitement de sa demande d’asile, du fait qu’il y aurait introduit le 20 février 2012 une demande de protection internationale et que les autorités belges auraient accepté le 20 septembre 2016 de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale.
Par décision du même jour, le ministre notifia encore à Monsieur … un arrêté ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2016, inscrite sous le numéro 38522 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée de transfert du 21 septembre 2016. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 38521 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la Belgique « notamment eu égard à l’ordre de quitter de le territoire » (sic) et à se voir autoriser à résider provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Le demandeur soutient que l’exécution de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de son recours au fond seraient sérieux.
Au titre du préjudice grave et définitif, il fait valoir avoir quitté le Nigéria à destination de la Belgique pour y introduire une demande de protection internationale. S’il admet avoir bénéficié dans un premier temps d’une protection temporaire de la part des autorités belges, notamment en raison de son état de santé très grave, les autorités belges seraient toutefois revenues sur leur décision d’octroi de la protection temporaire et lui auraient refusé la protection internationale, de sorte que pour « survivre de sa maladie », il se serait rendu en Allemagne afin d’y introduire également une demande de protection internationale, malheureusement sans succès. Gravement malade et dépourvu de ressources financières, il aurait décidé de retourner en Belgique sans aucun espoir d’y être médicalement pris en charge ; effectivement, à son retour en Belgique, il n’aurait pas été pris en charge par les autorités belges et aurait vécu dans la rue malgré son état de santé, de sorte qu’il aurait été contraint de se rendre au Grand-Duché du Luxembourg pour également y introduire une demande de protection internationale. Malheureusement, il aurait été amené à enfreindre au Luxembourg la législation sur les stupéfiants, circonstance que le demandeur regrette profondément.
Concrètement, il donne à considérer que son transfert vers la Belgique en l’état actuel de sa maladie risquerait de l’exposer à un risque de préjudice grave et irréversible, étant donné que la Belgique lui aurait retiré le bénéfice d’une prise en charge médicale malgré la persistance de sa maladie ; il craint dès lors de ne bénéficier d’aucune protection médicale en Belgique et de devoir dormir dans la rue.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
En l’espèce, force est au soussigné de constater que la décision déférée du 21 septembre 2016, prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, a a priori un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.
Or, à cet égard, le demandeur reste en défaut de prouver en quoi la décision d’incompétence, respectivement de transfert, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.
En effet, la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le demandeur donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice.
En l’espèce, la seule affirmation non autrement circonstanciée selon laquelle la décision lui porterait préjudice compte tenu de son état de santé, laisse manifestement de répondre aux exigences de la loi, étant souligné que les autorités belges ont explicitement accepté de reprendre le demandeur ; il convient d’ailleurs de relever que la Belgique respecte a priori - le demandeur ne fournissant aucun indice tangible permettant au soussigné d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Le soussigné relève encore que la seule possibilité légale pour le ministre de ne pas procéder au transfert du demandeur vers la Belgique, mais de décider d’examiner sa demande de protection internationale, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013, réside en l’article 3, paragraphe 2, 2e alinéa du règlement (UE) n° 604/2013, qui présuppose l’existence de graves déficiences ou défaillances dans la procédure d’asile du pays requis, respectivement en l’article 17 du même règlement (UE) n° 604/2013, qui prévoit diverses clauses discrétionnaires : or, force est de constater que le demandeur n’a pas articulé le moindre moyen relatif à ces possibilités.
Il n’appert en tout état de cause pas que le demandeur présente un état de santé tel que celui-ci s’opposerait à son transfert et sa reprise en charge par les autorités belges ; outre le fait que le demandeur, au-delà de l’affirmation d’une maladie grave, omet de fournir une quelconque précision quant à la nature de cette maladie, il résulte des pièces versées en cause que si le demandeur a certes fait l’objet d’une hospitalisation au Luxembourg en date du 29 janvier 2016, celle-ci n’avait pas été rendue nécessaire par l’état de santé intrinsèque du demandeur, mais par le fait qu’il avait volontairement ingéré 5 paquets de stupéfiants afin de soustraire ces stupéfiants à la police. A l’occasion de son hospitalisation, le demandeur fut soumis à un examen médical général qui révéla des « antécédents de tuberculose avec séquelles très importantes au niveau du poumon gauche avec des épisodes de surinfection répétées », le médecin ayant encore constaté que le demandeur avait fait l’objet pendant 6 mois d’un traitement de tuberculose en Belgique ; il ne résulte par ailleurs pas des pièces versées en cause que le demandeur doive encore actuellement impérativement suivre un traitement médical, lesdites pièces ne révélant que la prescription au Centre de rétention de Voltaren, d’Ibuprofen, de Pantomed et de Lysomucil, soit une médication légère et courante ne laissant pas transparaitre une affection grave.
Enfin, il résulte toujours de ces pièces que le demandeur a bien bénéficie de soins médicaux en Belgique, et ce pendant 6 mois.
Le demandeur est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 octobre 2016 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2016 Le greffier du tribunal administratif 4