Tribunal administratif N° 38254 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2016 Audience publique du 3 octobre 2016 Recours formé par Monsieur … et consorts, Luxembourg contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38254 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juillet 2016 par Maître Hakima Gouni, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Bosnie-Herzégovine) et de son épouse, Madame …-…, née le … à … (Bosnie-
Herzégovine) agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour le compte de leur fille mineure … …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), tous de nationalité bosnienne et demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juillet 2016 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le vice-président du tribunal administratif, président de la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima Gouni et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2016.
Le 13 novembre 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …-…, agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour le compte de leur fille mineure …a …, désignés ci-après par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … et de son épouse, Madame …-… sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-
ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Le 15 avril 2016, respectivement 12 mai 2016, Monsieur …, respectivement Madame …-… furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 12 juillet 2016, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 14 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des consorts … comme suit :
« En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 15 avril et 12 mai 2016 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez venu au Luxembourg « pour des raisons économiques » et pour que « notre enfant ait un futur » (page 3/7 du rapport d'entretien).
De plus, vous indiquez que les mauvaises relations que vous entretiendriez avec vos parents vous auraient contraint de quitter leur maison et de vous installer seul ce qui aurait engendré des frais à votre charge que vous auriez eu du mal à assumer alors que vous déclarez « chez nous c'est difficile pour trouver un travail » (page 4/7 du rapport d'entretien).
Vous mentionnez également avoir uniquement pu vivre grâce à des travaux occasionnels.
Vous concluez votre entretien en indiquant que « je veux juste qu'on me donne la permission de travailler. Et que j'aie un toit sur la tête » (page 4/7 du rapport d'entretien).
Madame, vous confirmez les dires de votre époux et précisez néanmoins que l'insécurité vous aurait également motivée à quitter votre pays d'origine. Vous présentez un document attestant que vous avez été menacée par votre mari. A la question quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez introduit une demande de protection internationale avec votre mari, vous rétorquez qu'« on voulait encore essayer une fois pour nous donner une chance » (page 4/8 du rapport d'entretien).
Madame, vous évoquez également que votre beau-père serait une personne alcoolique et violente qui « quand il rentre le soir, il s'en prenait à tout le monde » (page 4/8 du rapport d'entretien).
Enfin, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. (…) ».
Le ministre informa ensuite les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre estima en substance que les raisons ayant amené les consorts … à quitter leur pays d’origine, en l’occurrence la Bosnie-Herzégovine, ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », sinon par la loi du 18 décembre 2015. En effet, des motifs économiques ne rentreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève. Le ministre rejeta encore les arguments de Madame …-… relatifs au défaut de bénéfice d’une sécurité sociale, au motif que le régime de sécurité social bosnien couvrirait tous les risques selon ses informations. Enfin, il précisa que le fait que Madame …-… aurait été menacée en Bosnie-Herzégovine par son mari relèverait d’un conflit d’ordre privé qui ne saurait être pris en considération dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale. Enfin, il conclut que le récit des consorts … ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, tout en leur ordonnant de quitter le territoire.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2016, les consorts … ont fait déposer un recours tendant à la réformation, de la décision du ministre du 12 juillet 2016 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus de la demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 12 juillet 2016 telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs estiment en substance que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’ils n’auraient soulevé que des faits sans pertinence et qu’il aurait partant décidé d’examiner leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. Ils font valoir qu’ils auraient été « harcelés, menacés et violentés en raison de leur statut social mais aussi par le père » de Monsieur …. A l’encontre de la décision de refus du ministre de leur accorder une protection internationale, ils argumentent que la situation en Bosnie-Herzégovine serait bien connue pour ne pas être suffisamment sûre et pour ne pas remplir les critères de respect des droits et libertés fondamentaux. Ils ajoutent que la crainte de subir des persécutions serait à qualifier de raisonnable lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile, ce qui serait le cas en l’espèce. Enfin, les demandeurs estiment qu’ils auraient démontré à suffisance de droit des motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves, de sorte qu’ils mériteraient en tout état de cause le droit de la protection subsidiaire et ils concluent à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision déférée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, et, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de la notion de « manifestement infondé », il appartient à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de cette analyse.
L’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel : « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par les demandeurs à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par les demandeurs ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Afin d’analyser si les demandeurs n’ont soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), comme étant la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond de la Convention de Genève où sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, force est à la soussignée de constater que les demandeurs avancent comme seul motif à l’appui de leur demande de protection internationale la situation économique en en Bosnie-Herzégovine, qui, d’une part, les empêcheraient, de trouver des postes de travail convenablement rémunérés et corrélativement de payer le loyer pour un logement, dans la mesure où le père de Monsieur … n’aurait plus voulu les héberger et, d’autre part, priverait leur fille de son avenir. D’ailleurs, il ressort des déclarations du demandeur telle qu’actées au rapport d’entretien qu’ils ont quitté leur pays d’origine exclusivement pour des raisons d’ordre économiques1. Madame … a ajouté lors de son entretien auprès d’un agent du ministère, qu’elle aurait travaillé pendant trois mois en Bosnie-Herzégovine sans avoir été affiliée à la sécurité sociale et, que son mari l’aurait menacée. Les faits ainsi déclarés par les demandeurs ne peuvent pas être rattachés à l’un des critères de persécution définis par la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, étant donné qu’ils s’inscrivent dans un contexte économique et d’ordre privé. En effet, les arguments des demandeurs relatifs à leur situation financière dans leur pays d’origine et les difficultés en découlant constituent des motifs économiques qui ne font pas partie des critères énumérés par la Convention de Genève ou la loi du 18 décembre 2015 et qui ne sont partant manifestement pas susceptibles de justifier l’octroi d’une protection internationale. Par ailleurs, les faits énoncés par la demanderesse à savoir de ne pas avoir été affiliée à la sécurité sociale en Bosnie-Herzégovine et d’y avoir été menacée par son mari constituent des motifs économiques et d’ordre privé, voire familial, ne rentrant pas non plus parmi les critères énoncés par la Convention de Genève et la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne l’analyse de savoir si ces actes, de par leur nature, sont susceptibles d’être qualifiés d’atteintes graves, force est à la soussignée de constater que les demandeurs restent en défaut d’exposer une quelconque atteinte qu’ils auraient subie ou dont ils auraient été victime. En effet, les demandeurs se limitent à décrire la situation économique générale dans leur pays d’origine, la Bosnie-Herzégovine, ainsi que leur situation familiale, sans faire état d’un quelconque incident concret qui aurait permis au tribunal d’en apprécier la nature concrète, voire la gravité. Quant aux menaces subies de la part de son beau-père et de son mari, il échet de constater que les déclarations de la demanderesse restent vagues et ne fournissent aucun élément concret permettant de retenir qu’outre les seules menaces orales elle aurait subi une quelconque atteinte.
Par voie de conséquence, la soussignée est amené à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, est à déclarer manifestement infondé dans la mesure où les demandeurs n’ont pas étayé le caractère pertinent des faits soumis à l’appréciation de la soussignée au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et plus particulièrement en ce qui concerne la gravité des actes 1 Voir audition de M. … du 15 avril 2016 p.3 : « Pour quelles raisons avez-vous déposé une demande de protection internationale au Luxembourg ? – A cause de notre enfant. Pour que notre enfant ait un future. (…) Quant je vois ma situation, je me dis que mon enfant n’aura pas de futur. En principe c’est cela. Un futur pour mon enfant. Je ne veux pas mentir. Je viens pour des raisons économiques. » subis.
S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs une protection internationale, force est à la soussignée de retenir, pour les mêmes motifs exposés dans le cadre du volet du recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par les demandeurs ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et qu’ils sont pas non plus susceptibles d’être qualifiés d’atteintes graves, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs une protection internationale.
Dès lors, le volet du recours dirigé contre la décision du ministre portant refus d’accorder aux demandeurs une protection internationale est à déclarer comme étant manifestement infondé.
Il s’ensuit que les demandeurs sont à débouter de leur demande de protection internationale.
Quant au recours dirigé contre la décision portant ordre de quitter le territoire, il échet de préciser qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, les demandeurs n’ayant en effet pas établi qu’ils sont susceptibles d’être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d’origine.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, président de la deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute les demandeurs de leur demande de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre les trois décisions ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 octobre 2016, par la soussignée, Françoise Eberhard, vice-président du tribunal administratif, président de la deuxième chambre, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2016 Le greffier du tribunal administratif 9