Tribunal administratif N° 38486 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 septembre 2016 Audience publique du 30 septembre 2016 Requête en sursis à exécution introduite par Madame …, …, contre une décision de « l’administration communale de … » en matière d’affectation d’employé communal
________________________________________________________________________
ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 38486 du rôle et déposée le 16 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, employée communale engagée auprès de 1’administration communale de …, demeurant à L-…, tendant à voir ordonner le sursis à exécution par rapport à une décision du 25 avril 2016 de « l’administration communale de … » ayant procédé à sa réaffectation au Centre sportif … à partir du 1er mai 2016, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en réformation sinon en annulation déposé au fond le même jour, inscrit sous le numéro 38485 du rôle, dirigé contre le même acte ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine LISE, demeurant à Luxembourg, du 21 septembre 2016, portant signification de ladite requête en institution d’un sursis à exécution à l’administration communale de … ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte déféré ;
Maître Jean-Marie BAULER, ainsi que Maître Sébastien COÏ, en remplacement de Maître Georges PIERRET, pour l’administration communale de …, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 2016.
___________________________________________________________________________
Il résulte des pièces versées en cause que Madame … a été engagée sous le statut de l’employée communale en qualité de réceptionniste-standardiste par contrat de travail à durée indéterminée conclu le 8 octobre 2004 avec le conseil communal de la commune de ….
Sur la toile de fond d’incidents et d’une procédure disciplinaires, Madame … fut convoquée à une réunion avec le collège échevinal en date du 25 avril 2016, à l’occasion de laquelle il lui fut annoncé qu’elle serait affectée au Centre sportif … à partir du 1er mai 2016, Madame … s’étant encore vue remettre à cette occasion un projet d’avenant à son contrat de travail.
Il résulte des explications fournies que Madame … aurait, durant les 2 premières semaines du mois de mai, travaillé de 7.30 heures à 15.30 heures, sans avoir eu à effectuer un 1quelconque travail administratif, les tâches lui confiées se limitant à l’accueil des classes et à des travaux manuels liés à la préparation des salles de sport. A partir de la troisième semaine de mai, Madame … aurait dû travailler de 14.45 heures à 22.45 heures, et ce pour prester tantôt des tâches relevant du statut d’ouvrier, tantôt des tâches de gardiennage, la demanderesse exposant avoir dû fermer les portes du Centre sportif et exercer des fonctions de surveillance en faisant notamment des rondes tard dans la soirée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2016, inscrite sous le numéro 38485 du rôle, Madame … a introduit un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre la décision de réaffectation du 25 avril 2016 et, par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 38486 du rôle, elle sollicite le sursis à exécution de cette décision jusqu’à ce que le recours au fond soit toisé par la composition collégiale du tribunal administratif.
La demanderesse estime que les conditions requises par la loi pour suspendre la mesure critiquée seraient remplies en l’espèce, à savoir que l’exécution de celle-ci risquerait de lui causer un préjudice grave et irréparable et que par ailleurs, les moyens invoqués contre la décision apparaîtraient comme sérieux, la demanderesse renvoyant dans ce contexte aux arguments développés dans son recours au fond, lesquels peuvent, en substance, être résumés comme suit :
Madame … critique d’abord la décision de réaffectation pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, en relevant que lors de la réunion du 25 avril 2016, le bourgmestre de la commune de … lui aurait annoncé sa réaffectation imminente sans respecter les modalités prescrites par cette disposition, à savoir l’obligation d’informer la partie concernée préalablement de son intention en lui communiquant, par lettre recommandée, les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir et en lui accordant un délai de huit jours au mois pour présenter ses observations.
Dans le même ordre d’idées, elle soulève encore une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 au motif que la décision de réaffectation, prise sous forme d’un avenant au contrat de travail, n’aurait pas été motivée ; elle invoque encore dans ce contexte l’article L.121-7 du Code du travail, relatif aux modifications de clauses essentielles du contrat de travail.
Par ailleurs, elle estime que la décision litigieuse devrait s’analyser en un excès sinon en un détournement de pouvoir de la part de l’administration communale dans la mesure où cette décision interviendrait dans le cadre d’une procédure disciplinaire en cours : dès lors, elle considère qu’il serait légitime qu’elle estime que le changement d’affectation en cause constituerait en fait une sanction disciplinaire déguisée qui aurait pour objet de punir ses manquements faisant l’objet de la procédure disciplinaire en question, la demanderesse soulignant l’atteinte portée à sa situation professionnelle notamment au travers des changements des horaires de travail et de la modification des tâches à effectuer.
Enfin, elle argue devant les juges du fond d’une violation de l’article 8 alinéa 2 du statut général des fonctionnaires communaux au vu de la modification des tâches lui assignées.
En ce qui concerne le préjudice grave et définitif, Madame … relève avoir dû à partir de la troisième semaine de mai travailler de 14.45 heures à 22.45 heures sans savoir quelles 2tâches comportaient « ce travail de nuit », la demanderesse estimant par ailleurs qu’il s’agirait d’un travail relevant du statut des ouvriers communaux, et non pas de son statut d’employé communal de la carrière B1, voire qu’il s’agirait d’un travail de surveillance et de gardiennage, qui l’exposerait à un risque de sécurité, alors qu’elle aurait été seule à s’occuper de la fermeture du centre, et ce d’autant plus que le centre sportif serait situé « en pleine zone rurale ».
Elle estime encore que le préjudice serait également définitif dans la mesure où, même en cas d’annulation de la décision, elle aura dû travailler à des horaires incompatibles avec sa vie sociale et familiale.
Le mandataire de la commune de … estime que les conditions légalement prévues pour ordonner un sursis à exécution ne seraient pas remplies en l’espèce en contestant tant l’existence d’un préjudice grave et définitif que le sérieux des moyens invoqués.
En vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond a été introduite le 16 septembre 2016, de sorte que compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Cette introduction éminemment tardive par rapport à une décision datée du 25 avril 2016 et entrée manifestement en vigueur dès le 1er mai 2016 doit d’emblée amener le soussigné à relativiser le préjudice grave et définitif tel que mis en avant, la demanderesse ne pouvant raisonnablement être admise à affirmer actuellement l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif par rapport à une situation qu’elle a accepté, respectivement tolérée depuis mai 2016, alors qu’elle aurait pu saisir immédiatement le soussigné en obtention d’une mesure provisoire. En particulier, l’atteinte alléguée à sa vie sociale et familiale ainsi que les risques de sécurité prétendument encourus jusqu’à ce jour doivent être considérés comme très largement causés par ses propres choix procéduraux : or, un demandeur ne saurait invoquer à l’appui d’une demande en suspension un risque de préjudice qu’il a lui-même causé ou contribué à causer1.
En ce qui concerne la période future, à savoir celle allant de la saisine du soussigné jusqu’au jour où le recours au fond sera toisé par la composition collégiale du tribunal administratif, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou 1 Trib. adm. (prés.) 13 août 2009, n° 25975, Pas. adm. 2016, n° 524.
3sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.
Pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 19992.
En ce qui concerne les effets de la décision de réaffectation critiquée, Madame … relève, comme indiquée ci-avant, d’une part, devoir prester un travail relevant du statut des ouvriers communaux, et non pas de son statut d’employé communal de la carrière B1, voire d’un travail de surveillance et de gardiennage, et, d’autre part, du fait des horaires lui imposés et du lieu de prestation de ses nouvelles tâches, subir une atteinte à sa vie sociale et familiale et être indûment exposée à des risques pour sa sécurité.
Le soussigné ne saurait toutefois admettre ces faits, tant pris isolément que globalement, comme constitutifs d’un préjudice grave et définitif.
Le soussigné relève de prime abord que s’il résulte certes des pièces versées en cause que Madame … a bien travaillé durant les mois de mai et de juin 2016 pendant 10 jours de 14.45 à 22.45 heures, les autres jours prestés se terminant en règle générale à 15.30 heures, elle n’a depuis lors plus jamais travaillé aussi tardivement, ses journées se terminant au plus tard à 18 heures, et en règle générale à 15.30 heures, Madame … ayant ainsi, notamment, travaillé au courant du mois de septembre pendant 6 jours de 8.00 à 16.00 heures et 3 jours de 7.30 à 15.30 heures (le solde ayant été des jours de congé), et ce en dépit de plans de travail prévoyant différents jours où il était prévu qu’elle travaille de 14.45 à 22.45 heures.
Dès lors, outre que le préjudice allégué résultant du fait de devoir travailler jusqu’à une heure tardive doit être considéré au vu des circonstances concrètes ci-avant partiellement consommé, le soussigné retient que le fait de devoir travailler certains jours jusqu’à 22.45 heures ne paraît pas constituer un préjudice dépassant par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants que peut imposer une fonction donnée. S’il est vrai que la nécessité de travailler éventuellement quelques jours par mois jusqu’à 22.45 heures peut être ressentie comme une charge causant une gêne et un sacrifice surfaits pour une personne qui bénéficiait jusque lors de l’avantage d’heures de travail régulières et constantes, il n’en reste pas moins qu’objectivement une telle nécessité ne peut être considérée comme une gêne excessive pour la vie privée et familiale par rapport à celle incombant à ses collègues astreints aux mêmes horaires, et ce d’autant plus que la fin de travail tardive est compensée par un début de travail également tardif, offrant à l’intéressée de larges plages de temps libre, ainsi que par le paiement d’un supplément salarial. Enfin, la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le demandeur donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable 2 Trib. adm. prés. 8 février 2006, n° 20973 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 584.
4du préjudice : la seule allégation d’une atteinte à une vie sociale et familiale, non autrement précisée et étayée, est de ce point de vue insuffisante.
La même conclusion s’impose en ce qui concerne le risque sécuritaire mis en avant, l’emploi du temps de la demanderesse devant amener le soussigné à rejeter ce risque comme étant également partiellement consommé, à supposer par ailleurs l’existence d’un tel risque.
Le fait de devoir fermer, en tant qu’agent affecté notamment à la réception du centre sportif, les différentes portes d’accès, respectivement de s’assurer de la fermeture des portes et fenêtres ne saurait être considéré comme de nature à exposer la demanderesse à un risque sécuritaire grave, étant par ailleurs relevé qu’il résulte des explications de l’administration communale qu’une société de gardiennage sera à l’avenir présente au moment de la fermeture des locaux, un membre du service d’incendie devant à titre provisoire, jusqu’à conclusion du contrat de gardiennage, être présent lors de la fermeture des locaux.
Enfin, il n’est pas exclu que la crainte actuellement mise en avant par la demanderesse ne constitue en fait qu’un prétexte, étant donné qu’il résulte d’une attestation testimoniale établie par un fonctionnaire de l’administration communale que Madame … a initialement justifié son refus de prester des heures de travail tardives par le fait qu’un ouvrier communal affecté aux mêmes tâches toucherait un supplément salarial de l’ordre de 50 %, tandis qu’un employé communal tel qu’elle-même ne toucherait qu’une indemnité de 20 %, le témoin attestant que Madame … aurait refusé de travailler de nuit « puisqu’elle ne se voit pas faire le même travail à un taux inférieur que les ouvriers ».
Il en va de même du préjudice non autrement caractérisé et précisé qui résulterait du fait que la demanderesse presterait prétendument un travail d’ouvrier, le préjudice allégué, représentant en effet le cas échéant plutôt un préjudice dans le chef de son employeur, la demanderesse devant alors en effet être considérée comme surpayée, respectivement sous-
employée ; dans la mesure toutefois où la demanderesse s’estimerait dévalorisée par le fait de devoir prester, outre des tâches administratives, des tâches manuelles jugées dégradantes, préjudice non allégué par la demanderesse, il s’agirait-là, en tout état de cause, d’un préjudice subjectif ni grave, ni surtout définitif, sa réaffectation étant susceptible d’être annulée par les juges du fond, de sorte que l’inconvénient ressenti prendra immédiatement fin ; par ailleurs, il résulte là encore des explications de l’administration communale que la demanderesse n’est pas tenue d’accomplir un quelconque travail salissant, tel que par exemple vider les poubelles.
Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas établi que l’exécution largement entamée de la décision litigieuse risque de lui causer un préjudice grave, étant par ailleurs relevé que le préjudice tel qu’allégué, essentiellement subjectif, est encore par essence non définitif, mais au contraire temporaire, puisqu’un éventuel jugement d’annulation des juges du fond aura pour effet de mettre un terme aux incommodités ressenties par la demanderesse et que celle-ci n’a ni allégué, ni établi que la situation actuelle critiquée aurait éventuellement des incidences définitives sur sa situation personnelle.
La demanderesse est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
5 Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la demande de sursis à exécution, la déclare non justifiée et en déboute, laisse les frais à charge de la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 septembre 2016 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 septembre 2016 Le greffier du tribunal administratif 6