GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 37727C Inscrit le 25 mars 2016
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Audience publique du 14 juillet 2016 Appel formé par l’administration communale de la Ville de Luxembourg contre deux jugements du tribunal administratif des 3 juin 2015 et 15 février 2016 (nos 34610 et 34610a du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur … …, …, en présence de la Commission spéciale des pensions du secteur communal en matière de mise à la retraite
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 37727C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 25 mars 2016 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins en fonctions, établie à L-1648 Luxembourg, 42, Place Guillaume II, Hôtel de Ville, dirigé contre deux jugements des 3 juin 2015 et 15 février 2016 (nos 34610 et 34610a du rôle), par lesquels le tribunal administratif, après avoir ordonné une expertise judiciaire, a déclaré fondé le recours en réformation introduit contre une décision du 11 avril 2014 de la Commission spéciale des pensions du secteur communal décidant la mise à la retraite pour cause d’invalidité de Monsieur … …, demeurant à L-…, …, tout en renvoyant le dossier en prosécution de cause à l’administration communale de la Ville de Luxembourg et en accordant l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel, rejeté la demande en allocation d’une indemnité de procédure de Monsieur … et condamné l’administration communale de la Ville de Luxembourg aux frais de l’instance, y compris les frais d’expertise ;
Vu l’exploit du 29 mars 2016 de l’huissier de justice Martine LISÉ, demeurant à Luxembourg, portant signification de cette requête d’appel à Monsieur … …, préqualifié, et à la Commission spéciale des pensions du secteur communal, établie à L-2420 Luxembourg, 20, avenue Emile Reuter ;
1 Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 28 avril 2016 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 mai 2016 par Maître Jean KAUFFMAN au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2016 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de Monsieur … … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les jugements entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Jean KAUFFMAN et Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juillet 2016.
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Monsieur … …, né le …, inspecteur principal 1er en rang au service …, entra au service de la Ville de Luxembourg le 1er décembre 1977.
Par courrier du 9 juillet 2013, le collège échevinal de la Ville de Luxembourg saisit la Commission spéciale des pensions du secteur communal, ci-après « la Commission des pensions», en application de l’article 49.3 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après « la loi du 24 décembre 1985 », en raison des absences pour cause de maladie de Monsieur … pendant une durée de plus de six mois au cours d’une période de douze mois consécutifs.
Dans leur rapport médical du 2 décembre 2013 sur l’état de santé de Monsieur …, les médecins commis, les docteurs … … et … …, constatèrent entre autres une dépression chronique importante évoluant depuis 2008 s’accompagnant de fatigue extrême, somatisation importante, trouble gastrique avec reflux gastro-œsophagien, perte d’appétit, céphalées et névralgie du trijumeaux gauche intermittente, ainsi que des problèmes au niveau de la cheville du fait d’une rupture des ligaments. Ils conclurent que l’intéressé était incapable d’exercer ses fonctions, qu’il était incertain qu’il soit capable de les reprendre dans la suite et qu’il était capable d’exercer une autre fonction publique dans six mois, tout en retenant qu’il n’y avait pas lieu à réexamen de l’affaire et que l’intéressé n’était pas dans l’impossibilité de se déplacer pour des raisons de santé.
Après avoir entendu le représentant du collège échevinal ainsi que Monsieur … en leurs explications orales, la Commission des pensions décida, en sa séance du 11 avril 2014, que Monsieur … était atteint d’une invalidité telle que la mise à la retraite s’imposait, tout en précisant que l’intéressé avait dit vouloir être réexaminé par les médecins commis, sans toutefois invoquer des éléments justifiant un tel réexamen.
2 Le 30 mai 2014, Monsieur … saisit le tribunal administratif d’un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision prise par la Commission des pensions le 11 avril 2014.
A l’appui de son recours, il fit plaider en substance que la décision critiquée violerait les articles 49 et 54bis et suivants de la loi du 24 décembre 1985 en ce que la Commission des pensions a décidé qu’il était atteint d’une invalidité telle que sa mise à la retraite s’imposait, alors que les médecins commis auraient conclu qu’il serait encore capable d’exercer une autre fonction publique dans les six mois et qu’il existerait une incertitude quant à sa capacité de reprendre ses anciennes fonctions. Il reprocha également à la Commission des pensions de ne pas avoir commis un expert pour le réexaminer, à la suite de son opération de la cheville et du traitement voire de la guérison de sa dépression. A titre subsidiaire, il conclut à la nomination d’un expert judiciaire avec la mission de déterminer s’il était capable de continuer son service auprès de l’administration communale de la Ville de Luxembourg.
Par jugement avant dire droit du 3 juin 2015, le tribunal, après avoir écarté les mémoires en réplique et en duplique, tout en décidant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, déclara recevable en la forme le recours principal en réformation et, au fond, avant tout autre progrès en cause, ordonna une expertise médicale avec la mission de :
« vérifier, dans un rapport écrit et motivé, si Monsieur … … (…) est actuellement capable d’exercer un autre travail au sein de l’administration, avec des précisions quant à la nature et à l’envergure d’un tel travail, sinon de vérifier si, à l’heure actuelle, Monsieur … souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités d’exercer ses fonctions de telle sorte que sa mise à la retraite s’impose ». Les frais ainsi que la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur, de même que la demande tendant à bénéficier de l’effet suspensif en vertu de l’article 35, alinéa 1er, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, furent réservés.
Dans leur rapport d’expertise conjoint, non daté mais déposé au greffe du tribunal le 1er septembre 2015, les docteurs …, médecin spécialiste en psychiatrie, et …, médecin spécialiste en médecine générale, conclurent que « M. … ne présente pas de trouble dépressif majeur sévère qui le rendrait inapte à reprendre son ancien poste de travail. Il ne présente pas d’autre maladie psychiatrique selon les critères diagnostiques du DSM-IV-TR », et ils estimèrent que l’intéressé était « apte à reprendre dans les meilleurs délais son ancien poste de travail ou tout autre poste de travail administratif à mi-temps, le cas échéant sous le régime du mi-temps médical », alors qu’à leur avis, « une tâche à temps partiel serait indiquée vu problèmes d’hypersomnie de M. … et elle lui permettrait de s’adapter plus progressivement à une vie professionnelle active après une période d’arrêt de 2 ans ».
Dans son jugement du 15 février 2016, le tribunal vida le jugement du 3 juin 2015 et, au fond, en entérinant les conclusions des experts médicaux, déclara le recours en réformation fondé et, par réformation de la décision de la Commission des pensions du 11 avril 2014, dit que Monsieur … était apte à reprendre ses fonctions au sein de l’administration communale de la Ville de Luxembourg sous le régime d’un mi-temps et qu’il était apte à occuper tout autre poste de travail administratif auprès de ladite administration, et renvoya le dossier en prosécution de 3cause à l’administration communale de la Ville de Luxembourg. Le tribunal accorda encore l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel, conformément à l’article 35, paragraphe 1er, de la loi précitée du 21 juin 1999, tout en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure du demandeur et en condamnant l’administration communale de la Ville de Luxembourg aux frais, y compris les frais d’expertise.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 25 mars 2016, l’administration communale de la Ville de Luxembourg a fait relever appel des jugements des 3 juin 2015 et 15 février 2016.
L’appelante relève, à titre préliminaire, que Monsieur … n’aurait pas attaqué la décision prononçant sa démission en exécution de la décision de la Commission des pensions, de sorte que celle-ci aurait acquis autorité de chose jugée, faute d’avoir été contestée par le biais d’un recours. Elle conclut dès lors à l’irrecevabilité du recours de l’intimé, dès lors qu’elle ne saurait, en tant que partie tierce intéressée, à défaut de recours dirigé contre sa propre décision, subir les conséquences négatives du jugement prononcé par le tribunal à son encontre tant en ce qui concerne les condamnations pécuniaires prononcées, qu’en ce qui concerne la nomination à laquelle elle devrait nécessairement procéder, laquelle serait soumise aux articles 3 à 5 de la loi du 24 décembre 1985. Elle voit mal comment elle pourrait prendre une décision qui serait contraire à sa propre décision ayant acquis autorité de chose jugée.
Elle donne ensuite à considérer, à titre subsidiaire, que les dispositions de la loi du 24 décembre 1985, de même que celles du règlement grand-ducal modifié du 4 avril 1964 portant assimilation des traitements des fonctionnaires des communes, syndicats de communes et établissements publics placés sous la surveillance des communes, à ceux des fonctionnaires de l’Etat, s’opposeraient à la nomination définitive d’une personne retraitée, tout en précisant qu’une nomination provisoire serait de toute façon exclue, puisque le titulaire à nommer toucherait le traitement minimum de computation de sa carrière, à savoir le grade 7, alors que l’intimé aurait été classé au grade 13 au moment de l’octroi de la pension d’invalidité.
L’appelante insiste encore sur le fait qu’elle aurait été obligée, conformément à l’article 49 de la loi du 24 décembre 1985, de saisir la Commission des pensions, les absences cumulées par Monsieur …, à la date de la prise de décision par la Commission des pensions, s’étant élevées à 303 jours pour la période allant de janvier 2013 à avril 2014. Elle aurait également déjà saisi la Commission des pensions en 2011 pour des absences dans le chef de Monsieur … de plus de 123 jours.
Quant au fond, l’appelante reproche essentiellement aux premiers juges d’avoir commis une erreur d’appréciation en concluant au caractère évolutif de l’état de santé de Monsieur …, alors que la Commission des pensions aurait clairement retenu que celui-ci n’était plus capable d’exercer ses fonctions. En plus, au moment de statuer, soit à la date du 11 avril 2014, la Commission des pensions n’aurait disposé d’aucun élément qui aurait permis de conclure à une amélioration de l’état de santé de l’intimé depuis l’établissement du rapport médical en date du 2 décembre 2013, de sorte que ladite commission n’aurait pas pu faire autrement que de décider la mise à la retraite de Monsieur … pour cause d’invalidité.
4Elle souligne que, dans leur rapport du 2 décembre 2013, les médecins commis auraient clairement conclu que Monsieur … n’était plus capable d’exercer ses fonctions et, à la question de savoir s’il était capable de les reprendre par la suite, ils auraient répondu par « incertain ». Ils auraient simplement relevé que l’intéressé pourrait, le cas échéant, dans un délai de six mois exercer une autre fonction publique, sans toutefois préciser laquelle. Ce serait cette réponse qui aurait amené les premiers juges à ordonner une expertise médicale. Or, au moment de la prise de la décision contestée par la Commission des pensions en date du 11 avril 2014, l’intimé aurait été absent pour raisons de santé pendant une période ininterrompue de 15 mois. Non seulement aurait-il rempli les conditions pour que la commune fût obligée de saisir la Commissions des pensions, mais encore cette dernière n’aurait disposé d’aucun élément sur l’évolution de son état de santé susceptible de justifier une reprise possible du travail dans un délai raisonnable.
L’appelante estime que les premiers juges auraient dû, à partir de ce constat, rejeter le recours en réformation.
En deuxième lieu, l’appelante soutient que les premiers juges auraient fait une mauvaise appréciation des circonstances de fait. Elle remet en cause le rapport d’expertise judiciaire des docteurs … et … qui aurait été établi près d’une année et huit mois après l’examen auquel ont procédé les docteurs … et …. En outre, en se plaçant à la date du dépôt de la requête d’appel, Monsieur … serait à deux mois d’atteindre ses 60 ans, date à laquelle il pourrait faire valoir ses droits normaux à la retraite et il n’aurait plus travaillé depuis le 9 janvier 2013, soit depuis plus de trois ans. Elle met ainsi en doute la capacité de Monsieur …, dont l’état de santé se serait certes amélioré mais resterait néanmoins fragile, de reprendre le travail, tout en exprimant l’avis que cette amélioration soit principalement imputable au fait de n’avoir plus travaillé depuis plus de trois ans. Elle considère encore que les experts médicaux auraient omis de prendre en considération le fait qu’ils se situaient plus de trois ans après les événements et qu’ils n’étaient dès lors pas en mesure d’apprécier à sa juste valeur la situation telle qu’elle se présentait au moment où la Commission des pensions s’est prononcée.
En troisième lieu, elle fait valoir que dans le cadre de sa requête introductive de première instance, Monsieur … aurait demandé à ce que, par réformation de la décision litigieuse de la Commission des pensions, il puisse reprendre son travail à mi-temps dans un back-office. Or, à cette époque, la possibilité d’un travail à mi-temps n’aurait pas été légalement prévue. Ce ne serait que par la modification législative du 25 mars 2015 que cette possibilité aurait été introduite. Elle estime que même si le juge de la réformation était appelé à toiser le litige par rapport à la situation de fait et de droit existant au jour où il statue, il faudrait toutefois ne pas oublier que la possibilité nouvelle d’un travail à mi-temps pour raison de santé est soumise à une procédure devant une commission étatique nouvelle et suivant une procédure spécifique applicable uniquement au fonctionnaire en service. Elle en déduit que le tribunal, même dans le cadre d’un recours en réformation, n’aurait pas été habilité à appliquer de suite les effets d’une nouvelle loi en substituant à une décision prise par la Commission des pensions sous l’empire de l’ancienne loi, une nouvelle décision fondée sur la nouvelle législation, au mépris des conditions procédurales prévues par la nouvelle législation.
En quatrième lieu, l’appelante estime que le jugement entrepris du 15 février 2016 serait équivoque en ce que les premiers juges auraient décidé que Monsieur … est apte à reprendre ses fonctions sous le régime d’un mi-temps et qu’il est apte à occuper tout autre poste de travail 5administratif auprès de l’administration communale. Il ne serait ainsi pas clair si Monsieur … devait reprendre ses anciennes fonctions ou un autre poste, mais à chaque fois sous le régime du travail à mi-temps. Cette imprécision la mettrait dans l’impossibilité d’exécuter le jugement, dès lors qu’il existerait différents cas de figure dans lesquels un fonctionnaire communal pourrait prétendre à un travail à mi-temps. Or, selon la Ville de Luxembourg, Monsieur … ne serait éligible pour aucune des trois options légalement prévues. Elle en déduit que les jugements entrepris ne pourraient pas lui imposer une solution qui serait en contradiction avec les textes en vigueur.
En dernier lieu, l’appelante critique encore les premiers juges pour l’avoir condamnée aux frais et dépens de l’instance, y compris les frais d’expertise. Se référant à l’article 49.3 de la loi du 24 décembre 1985, elle soutient qu’eu égard aux absences cumulées par l’intimé, elle aurait été obligée de saisir la Commission des pensions, de même qu’elle aurait été tenue d’exécuter la décision de cette dernière en procédant à la démission de Monsieur …. En sa qualité de partie tierce intéressée, elle aurait une compétence liée et ne pourrait dès lors pas être condamnée à des frais et dépens d’une procédure qui serait la conséquence, d’une part, de l’absence prolongée d’un fonctionnaire pour raison de santé et, d’autre part, d’une décision prise par une autre autorité publique.
Dans son mémoire en réponse, Monsieur … soulève l’irrecevabilité de la requête d’appel pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la Ville de Luxembourg. Il soutient que l’administration communale aurait une compétence liée en matière d’exécution des décisions de la Commission des pensions, de sorte qu’elle n’aurait aucun intérêt direct, personnel et certain à agir contre un jugement réformant une décision de ladite commission, puisque peu importe la solution retenue, elle serait tenue de l’appliquer.
Il conclut ensuite à la confirmation des jugements entrepris des 3 juin 2015 et 15 février 2016. En ordre subsidiaire, en ce qui concerne le jugement entrepris du 15 février 2016, il sollicite, par réformation dudit jugement, qu’il soit déclaré apte à reprendre ses fonctions à temps plein.
L’intimé précise qu’il n’aurait pas eu notification de la décision prise le 5 mai 2014 par l’administration communale de la Ville de Luxembourg prononçant sa démission. Il réfute également l’affirmation de l’appelante, selon laquelle la décision prononçant sa démission, à défaut d’avoir fait l’objet d’un recours, aurait acquis autorité de chose jugée. Selon Monsieur …, cette décision aurait tout au plus l’autorité de chose décidée. Il admet toutefois que selon la jurisprudence du tribunal administratif, la décision de la Commission des pensions s’imposerait au collège échevinal qui aurait partant une compétence liée en la matière. Il en déduit que la décision portant exécution de la décision de la Commission des pensions ne constituerait pas une manifestation de volonté de la part de la commune, de sorte que celle-ci ne serait pas une décision susceptible de recours. En effet, ce qui lui ferait grief en l’espèce, ce serait bien la décision de la Commission des pensions.
Quant aux faits et rétroactes de l’affaire, l’intimé renvoie à l’exposé figurant dans les deux jugements entrepris. Il soutient ensuite que ce serait à tort que l’appelante remettrait en cause le caractère évolutif de son état de santé, alors qu’il se trouverait actuellement en bonne 6santé, ainsi que cela serait attesté par les experts et il souhaiterait retrouver son travail à temps plein. Quant à l’affirmation de l’appelante selon laquelle il n’aurait produit devant la Commission des pensions aucun élément qui aurait permis d’ordonner une nouvelle évaluation de son état de santé, il donne à considérer qu’il n’aurait été convoqué que trois jours ouvrables avant l’audience de la Commission des pensions et il aurait à peine eu le temps de consulter le dossier et encore moins d’obtenir une contre-expertise médicale, d’autant plus que, eu égard à la conclusion équivoque des médecins commis, il ne pensait pas que la Commission des pensions allait prononcer sa mise à la retraite pour invalidité.
L’intimé estime, au vu de la teneur équivoque du rapport médical du 2 décembre 2013, que ce serait à bon droit que les premiers juges ont ordonné une expertise judiciaire. Il souligne encore le fait que le nombre d’absences cumulées pour raison de santé ne serait pas décisif pour l’appréciation de la légalité de la décision de la Commission des pensions, cette question étant tout au plus décisive au niveau de la décision de saisir ladite commission, laquelle n’aurait pourtant pas été attaquée par le biais d’un recours. Quant aux critiques de l’appelante relatives au rapport d’expertise judiciaire, il estime que ces critiques ne s’appuieraient sur aucun élément objectif et que les raisons pour lesquelles son état de santé se serait amélioré seraient finalement sans pertinence.
Il se remet ensuite à la sagesse de la Cour quant à la question de savoir si le tribunal était en droit de réformer la décision de la Commission des pensions dans le sens d’une reprise des fonctions à mi-temps, tout en précisant qu’il ne serait pas opposé à reprendre son travail à temps plein.
Quant à l’impossibilité alléguée par la Ville de Luxembourg d’exécuter le jugement, l’intimé fait valoir que si à l’époque, un congé thérapeutique n’était effectivement pas prévu dans la fonction publique communale, des postes à mi-temps pour raisons thérapeutiques auraient néanmoins été accordés à plusieurs reprises afin de permettre aux bénéficiaires en cas d’amélioration de leur état de santé de pouvoir reprendre le service à temps plein. Il souligne qu’il aurait déjà en première instance exprimé le souhait de reprendre son travail à plein temps tout en précisant que le congé à mi-temps thérapeutique, une fois l’âge de 60 ans atteint, ne serait plus possible, hypothèse vérifiée dans son chef depuis le …. Il déclare ainsi ne pas s’opposer à ce que la Cour conclue à une reprise de ses fonctions à plein temps.
L’intimé ne s’oppose pas non plus à ce que, par réformation des jugements entrepris, l’Etat défaillant soit condamné aux frais de la première instance. Quant aux frais d’expertise, il soutient que selon la jurisprudence ces frais devraient être mis à la charge de la partie succombante qui, en l’espèce, serait l’Etat en tant qu’auteur de la décision contestée.
Dans son mémoire en réplique, l’appelante insiste sur les problèmes de santé qu’aurait connus Monsieur …, en précisant que celui-ci se serait trouvé en dépression chronique depuis 2008 et que déjà en février 2011, la Commission des pensions aurait dû être saisie en raison d’absences fréquentes dans son chef pour raison de santé. La décision de la Commission des pensions, eu égard aux problèmes de santé antérieurs de Monsieur …, ne serait dès lors pas entachée d’une erreur d’appréciation. Elle critique ensuite le rapport d’expertise des docteurs … et … pour être « fragmentaire et lapidaire », alors que ceux-ci auraient fait abstraction du fait que 7les problèmes de santé de Monsieur … remonteraient à 2008 et qu’ils préconisent une reprise du travail à mi-temps. En outre, ce rapport aurait été établi plus de deux ans après le dernier jour de travail de Monsieur ….
Elle souligne ensuite que, dans sa requête introductive de première instance, Monsieur … aurait demandé à pouvoir continuer son service actuel à mi-temps dans un back-office, mais que cette possibilité n’aurait pas existé au moment de lancer la procédure de la mise à la retraite.
Quant à la demande de reprise du travail à temps plein, l’appelante demande acte qu’elle s’oppose formellement à la reprise du travail par Monsieur … sous le régime du plein temps, dès lors qu’une telle demande n’aurait pas été formulée dans le cadre de son recours introductif d’instance et constituerait partant une demande nouvelle irrecevable en appel. En ordre subsidiaire, elle conclut au rejet de cette demande.
Dans son mémoire en duplique, l’intimé précise encore que ses absences pour raison de santé auraient principalement été provoquées par deux accidents du travail dont il aurait été victime respectivement en février 2010 et en juin 2013. Le dernier accident en date aurait été une chute qu’il aurait faite en quittant le bâtiment du Contrôle médical ayant causé une fracture de la cheville qui aurait été reconnue comme accident du travail et aurait requis une intervention chirurgicale en décembre 2013, entraînant un arrêt de travail d’environ quatre mois. Ainsi, les absences pendant la période allant du 28 juin 2013 au 11 avril 2014 auraient pour la majeure partie résulté d’un accident du travail. C’est aussi pour cette raison que les docteurs … et … auraient indiqué dans leur rapport médical du 2 décembre 2013 qu’il devrait faire l’objet d’une réévaluation dans six mois, c’est-à-dire après la rééducation orthopédique.
Il conteste ensuite l’argumentation de l’appelante selon laquelle il faudrait également tenir compte de ses problèmes de santé passés et de son âge, en faisant valoir que l’administration communale ne serait pas médecin et ne serait partant pas en mesure d’apprécier son aptitude à reprendre le travail. Il considère qu’il se dégagerait des conclusions de l’appelante que les motifs pour faire appel ne résideraient pas dans la contestation médicale de ses capacités à travailler, mais en réalité l’administration communale ne souhaiterait plus voir l’ancien …, de surcroît …, reprendre son travail. Il conteste également que sa volonté de reprendre son service à temps plein puisse être qualifiée de demande nouvelle.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen d’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’intérêt dans le chef de la Ville de Luxembourg, tel que soulevé par l’intimé, ce moyen est à rejeter comme non fondé, étant donné que le tribunal a, par réformation de la décision litigieuse de la Commission des pensions, dit que Monsieur … était apte à reprendre ses fonctions au sein de l’administration communale de la Ville de Luxembourg sous le régime d’un mi-temps, alors que l’appelante est d’avis que l’intéressé n’est plus apte à reprendre le travail. De plus, la Ville de Luxembourg a été condamnée aux frais de l’instance, y compris les frais d’expertise.
L’appel ayant par ailleurs été interjeté dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Il convient ensuite d’examiner la question de la recevabilité de la requête introductive de première instance, telle que soulevée par la Ville de Luxembourg, qui s’analyse en question de fond en appel. D’après l’appelante, le recours de Monsieur … serait irrecevable dans la mesure 8où il serait dirigé uniquement contre la décision de la Commission des pensions du 11 avril 2014 et non pas contre la décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 5 mai 2014 portant exécution de cette décision en prononçant la démission de Monsieur ….
La Cour rappelle qu’en application du dernier alinéa de l’article 54quinquies de la loi du 24 décembre 1985, disposition entre-temps abrogée mais applicable au moment de l’introduction de la requête introductive de première instance, les décisions de la Commission des pensions sont susceptibles du recours prévu par l’article 41 de la même loi, à savoir un recours devant le tribunal administratif statuant comme juge du fond. L’article 49.3, alinéa 3, de la loi du 24 décembre 1985, également abrogé mais applicable à la date de la décision litigieuse, prévoit encore que si la Commission des pensions constate une invalidité telle que la mise à la retraite s’impose, l’autorité investie du droit de nomination doit prononcer la démission du fonctionnaire en cause dans les deux mois de la notification de la décision de la Commission des pensions. La loi prévoyant expressément que le recours est à diriger contre la décision de la Commission des pensions et non contre la décision prononçant la démission du fonctionnaire, c’est à bon droit que Monsieur … a dirigé son recours contre la seule décision de la Commission des pensions.
Pour le surplus, dans la mesure où la décision du conseil communal du 5 mai 2014 ne fait qu’exécuter la décision de la Commission des pensions, elle dépend entièrement du sort de cette première décision à laquelle elle se rattache et est appelée à tomber dans l’hypothèse d’une réformation de la décision de la Commission des pensions.
Le moyen d’irrecevabilité du recours introductif de première instance est partant à rejeter comme non fondé.
L’appelante reproche en substance aux premiers juges d’avoir pris en considération le caractère évolutif de l’état de santé de Monsieur …, alors que la Commission des pensions aurait pourtant clairement dit que son invalidité était telle que la mise à la retraite s’imposait.
Le tribunal a rappelé à bon droit que dans le cadre d’un recours en réformation, le juge administratif est amené à apprécier la décision déférée par rapport à la situation de droit et de fait existant au jour où il se prononce, en lieu et place de l’administration, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant nécessairement qu’il tienne compte des changements intervenus depuis la prise de la décision litigieuse.
Il s’ensuit que le tribunal, afin d’apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé, était en droit de prendre également en compte les changements en fait qui étaient intervenus depuis la prise de la décision litigieuse par la Commission des pensions.
La Cour partage ainsi l’analyse des premiers juges que le rapport médical des docteurs … et … du 2 décembre 2013, sur lequel la Commission des pensions s’est basée pour prendre la décision critiquée, présente une certaine ambiguïté dans la mesure où ces médecins, d’une part, ont conclu que Monsieur … n’était plus capable d’exercer ses fonctions et ont retenu une incertitude quant à sa capacité de les reprendre par la suite et, d’autre part, ont conclu qu’il serait capable d’exercer une autre fonction publique dans six mois sans pour autant préciser laquelle, tout en se prononçant contre une réévaluation de l’état de santé de l’intéressé.
9Au vu des interrogations ainsi soulevées par le rapport médical précité du 2 décembre 2013 et eu égard au temps écoulé depuis l’établissement de ce rapport, aucun reproche ne saurait être retenu à l’encontre des premiers juges d’avoir ordonné une expertise médicale afin de se prononcer sur l’évolution de l’état de santé de Monsieur ….
Quant aux développements de l’appelante relatifs au nombre de jours d’incapacité de travail accumulés par l’intimé, la Cour se doit de relever qu’elle n’est pas saisie de la décision de l’administration communale de saisir la Commission des pensions, de sorte que ces développements sont à rejeter, la question de savoir si la Ville de Luxembourg était en droit de saisir la Commission des pensions pour voir statuer sur une éventuelle invalidité de Monsieur … n’ayant pas été contestée par ce dernier.
Dans leur rapport d’expertise déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2015, les docteurs … et … ont conclu que « M. … [est] apte à reprendre dans les meilleurs délais son ancien poste de travail ou tout autre poste de travail administratif à mi-temps, le cas échéant sous le régime du mi-temps médical », avec la précision qu’une telle « tâche à temps-partiel serait indiquée vu problèmes d’hypersomnie de M. … et elle lui permettrait de s’adapter plus progressivement à une vie professionnelle active après une période d’arrêt de 2 ans ».
Les premiers juges, à défaut d’éléments invalidant cette conclusion, ont entériné les conclusions des experts médicaux et ont retenu que Monsieur … était apte à reprendre son ancien poste de travail ou tout autre poste de travail administratif à mi-temps. S’ils ont certes relevé que Monsieur … avait exprimé, dans le cadre de son mémoire supplémentaire après expertise, le souhait de vouloir reprendre ses fonctions à temps plein, ils ont néanmoins écarté cette prétention pour n’être étayée par un quelconque avis médical.
La Cour constate que Monsieur … formule en appel à nouveau la demande de pouvoir reprendre son service à plein temps. Indépendamment de la question de savoir si cette demande doit être considérée comme une demande nouvelle irrecevable en appel, la Cour considère que l’intimé, au-delà d’affirmer qu’il serait physiquement apte à travailler à plein temps, ne produit, pas plus qu’en première instance, un quelconque élément probant de nature à établir qu’il soit véritablement en état d’exercer ses fonctions à plein temps, de sorte que cette demande doit en tout état de cause être rejetée comme non fondée.
Quant à la question du service à mi-temps pour raison de santé, il n’est pas contesté que cette possibilité d’un service à temps partiel pour raison de santé n’existait pas encore au moment de l’introduction du recours introductif de première instance, mais elle a été introduite pour les fonctionnaires du secteur communal par la réforme du 25 mars 2015, et plus précisément par la loi du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l'Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2015, de sorte que ces dispositions étaient applicables au moment où les premiers juges ont statué.
Il s’ensuit que lorsque les premiers juges ont statué le 15 février 2016, la possibilité d’un service à temps partiel pour raison de santé existait bel et bien, même si son octroi est 10subordonné à une procédure spéciale et qu’une nouvelle commission est compétente pour se prononcer à cet égard.
Toutefois, il est constant en cause que Monsieur … a atteint le …, soit postérieurement au jugement entrepris du 15 février 2016, l’âge de 60 ans et qu’il peut depuis faire valoir ses droits normaux à la retraite.
La Cour se doit ainsi de relever qu’en vertu de l’article 51, paragraphe 2, sous c), de la loi précitée du 25 mars 2015, le fonctionnaire qui peut prétendre à sa pension de vieillesse est exclu du bénéfice du service à temps partiel pour raison de santé.
Si dès lors, au moment où l’intimé a formulé sa demande afférente, la possibilité légale d’un travail à mi-temps pour raison de santé n’existait pas, cette possibilité a bien existé au moment où le tribunal a statué, mais ne se trouve plus vérifiée au moment où la Cour est appelée à statuer, en raison de la limite d’âge atteinte par l’intéressé.
Il s’ensuit que, la Cour statuant au jour des présentes, ne saurait confirmer les premiers juges en ce qu’ils ont, par réformation de la décision critiquée de la Commission des pensions, dit que Monsieur … était apte à reprendre ses fonctions à mi-temps, ce dernier ne rentrant pas dans les prévisions actuellement en vigueur régissant le service à temps partiel pour raisons de santé.
Quant aux autres possibilités de congé pour travail à mi-temps ou de service à temps partiel qui existent actuellement pour les fonctionnaires communaux, telles que prévues par les articles 32 et 34 de la loi du 24 décembre 1985, au-delà du fait que l’intimé déclare actuellement vouloir travailler à plein temps, la Cour est amenée à constater que l’intimé n’apporte pas d’éléments permettant de retenir, eu égard également aux contestations afférentes de la Ville de Luxembourg, qu’il rentre dans les prévisions de l’un de ces cas de figure.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu, par réformation des jugements entrepris, de déclarer le recours en réformation introduit par Monsieur … non fondé.
Eu égard aux circonstances spécifiques de l’espèce, il ne paraît pas équitable de laisser à charge de la partie succombante, en l’occurrence Monsieur …, l’intégralité des dépens des deux instances, de sorte qu’il convient de faire masse des dépens des deux instances, y compris les frais d’expertise, et de les imposer pour moitié à Monsieur … et pour l’autre moitié à l’Etat, la Commission des pensions étant un organe étatique.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel en la forme ;
au fond, le déclare justifié, 11partant, par réformation des jugements entrepris, rejette le recours tendant à la réformation, sinon à l'annulation de la décision de la Commission des pensions du 11 avril 201 4 décidant la mise à la retraite de Monsieur … pour cause d’invalidité ;
fait masse des dépens des deux instances, y compris les frais d’expertise, et les impose pour moitié à Monsieur … et pour l’autre moitié à l’Etat.
Ainsi délibéré et jugé par:
Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
s. WILTZIUS s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier en chef de la Cour administrative 12