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11/05/2016 | LUXEMBOURG | N°37782

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2016, 37782


Tribunal administratif Numéro 37782 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2016 Audience publique du 11 mai 2016 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37782 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2016 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, ins

crit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Al...

Tribunal administratif Numéro 37782 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2016 Audience publique du 11 mai 2016 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37782 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2016 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Albanie), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …, née le … à … (Albanie), et …, né le … à …, tous les trois étant de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er avril 2016 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 avril 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en sa plaidoirie.

Le 27 mai 2015, Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs …et …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « la loi du 5 mai 2006 », entre-temps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame …sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un rapport du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, du même jour.

A une date non autrement précisée, Madame …fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Il ressort d’un rapport d’entretien portant sur la demande de protection internationale de Madame …du 12 février 2016 que celle-ci aurait dû être entendue en date du jour en question par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, mais que l’entretien avait été rendu impossible en raison « de grandes douleurs au niveau dorsal », au motif de ce que Madame …« ne peut pas rester assise sur une chaise pendant des heures », de sorte qu’il avait été « décidé qu’elle déposera ses motifs par écrit au plus tard 15 jours à partir d’aujourd’hui ».

Par un courrier recommandé expédié au bureau des postes de … en date du 22 février 2016 et adressé au ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, Madame …lui fit parvenir ses explications quant à ses motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, rédigées en langue albanaise, dont une traduction en langue française figure au dossier administratif tel que remis au tribunal.

Par décision du 1er avril 2016, notifiée par courrier recommandé expédié en date du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame …qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale ainsi que de celles de ses enfants mineurs …et …, dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2016, Madame …, agissant tant en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …et …, a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision précitée du ministre du 1er avril 2016 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur le refus d’une demande de protection internationale et sur l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître du recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours principal en réformation ainsi introduit.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre les mêmes décisions.

En ce qui concerne le recours en réformation qui a valablement pu être introduit contre les décisions sous examen, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité de la requête au motif que celle-ci ne contiendrait pas de moyens en droit quant au volet du recours dirigé contre le refus d’accorder aux demandeurs le statut de la protection subsidiaire.

Malgré le fait que le délégué du gouvernement n’indique pas de base légale à l’appui de ce moyen d’irrecevabilité, il échet de supposer qu’il a entendu faire référence à l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », qui dispose que « La requête (…) contient : (…) l’exposé sommaire (…) des moyens invoqués (…) ».

Abstraction faite de ce que suivant l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense », une telle atteinte aux droits de la défense du gouvernement ne pouvant toutefois être retenue en l’espèce du fait que le délégué du gouvernement a pu prendre position par rapport au recours sous examen dans un mémoire en réponse comportant 13 pages, par lequel il a pu prendre position de manière détaillée et circonstanciée quant aux différents moyens et arguments développés par les demandeurs dans leur requête introductive d’instance, il échet de relever que s’il est vrai que dans la requête sous examen, les demandeurs n’ont pas fourni de moyen à l’appui de leur demande figurant au dispositif de la requête tendant à voir réformer ou annuler le volet de la décision sous examen portant refus de leur accorder un statut de protection subsidiaire, il n’en demeure pas moins que la requête contient des moyens en droit et des argumentations en fait quant aux autres volets de la décision litigieuse du 1er avril 2016, de sorte que la seule considération qu’à l’appui d’un volet du recours des demandeurs, ceux-ci n’ont pas fourni de moyen en droit ne saurait être de nature à entraîner l’irrecevabilité de l’intégralité de la requête soumise au tribunal. Au-delà de cette conclusion, et à titre superfétatoire au niveau de la présente analyse quant à la recevabilité du recours en réformation, il échet de retenir que le fait de ne pas soumettre au tribunal des moyens en droit à l’appui d’un volet d’un recours ne peut qu’entraîner le rejet de la demande en question pour être non fondée, à défaut de critiques permettant de la soutenir.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le seul moyen d’irrecevabilité de la requête tel que soulevé par le délégué du gouvernement est à rejeter pour ne pas être fondé.

Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été soulevé en cause, il échet de déclarer recevable le recours principal en réformation pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond de leur recours, les demandeurs soutiennent être originaires de l’Albanie et avoir été obligés de quitter leur pays d’origine en raison des persécutions dont ils y auraient fait l’objet de la part de « personnes mafieuses » contre lesquelles la police de leur pays d’origine n’aurait pas voulu ou pu les protéger. Dans ce contexte, ils font état de ce que les enfants de la demanderesse auraient subi une tentative d’enlèvement et que des inconnus auraient proféré des menaces contre eux ainsi que contre leur père et mari et ce dans le contexte de leur refus de « rembourser un prêt d’argent ». Ils auraient ainsi été obligés de se cacher afin d’éviter les menaces en question.

En droit, les demandeurs critiquent tout d’abord le premier volet de la décision sous examen du fait pour le ministre d’avoir fait application de la procédure accélérée telle que réglementée par l’article 27, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, en soutenant qu’ils ne tomberaient sous les dispositions ni du point a) ni du point b) de ladite disposition législative. Ils reprochent partant au ministre d’avoir fait une fausse application de la loi sinon commis une appréciation erronée des faits lui soumis dans le cadre de leurs demandes de protection internationale. Ils estiment ainsi avoir soumis au ministre des raisons de nature à justifier la reconnaissance d’un statut de protection internationale au vu de la gravité des faits dont ils auraient fait état, de sorte que contrairement à la décision critiquée, ils auraient dû bénéficier d’une procédure « classique » d’examen de leurs demandes de protection internationale.

En ce qui concerne plus particulièrement l’application du point b) du 1er paragraphe de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs estiment que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que l’Albanie figure sur la liste des pays d’origine sûrs fixée par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, modifié par le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ».

Ils estiment à cet égard qu’au vu des faits exposés par eux, l’Albanie ne pourrait pas être considérée comme pays d’origine sûr dans leur chef.

Le délégué du gouvernement estime que dans la mesure où les demandeurs proviendraient d’un pays d’origine sûr, et qu’ils n’auraient invoqué que des faits sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, le recours introduit par eux à l’encontre de la décision de recourir à la procédure accélérée pour traiter leurs demandes de protection internationale devrait être considéré comme étant manifestement infondé. En effet, le représentant gouvernemental soutient que les demandeurs invoqueraient un différend d’ordre purement personnel en ce qu’ils feraient état de menaces et d’agressions dont ils auraient fait l’objet en raison de leur refus de rembourser d’importantes dettes contractées par l’époux de la demanderesse, sinon des motifs d’ordre économique, en ce qu’ils auraient souhaité s’installer en dehors de leur pays d’origine pour des raisons financières voire des motifs liés à l’état de santé de la demanderesse, en soutenant encore que les demandeurs estimeraient à tort ne pas pouvoir bénéficier de la protection des autorités de leur pays d’origine, en ce que les forces de l’ordre albanaises « se seraient déplacées » lors de la tentative d’enlèvement des enfants de la demanderesse et auraient conduit ceux-ci à l’hôpital.

Ils seraient partant malvenus d’invoquer une quelconque défaillance voire un quelconque défaut d’agir dans le chef desdites forces de l’ordre. En ce qui concerne le point b) du paragraphe (1) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement relève que les demandeurs se seraient bornés à affirmer que l’Albanie ne constituerait pas un pays d’origine sûr, sans cependant fournir un quelconque moyen à l’appui de leurs conclusions.

En application de l’article 35, paragraphe (2), deuxième alinéa, de la loi du 18 décembre 2015, le président de chambre ou le juge qui le remplace doit débouter le demandeur de sa demande de protection internationale au cas où il estime « que le recours est manifestement infondé ». Dans le cas contraire, et suivant la même disposition légale, il doit renvoyer « l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

Au vu de cette disposition légale, le soussigné doit partant, et dans une première phase, examiner si, en ce qui concerne le premier volet de la décision sous examen, à savoir celui qui a trait à l’application de la procédure accélérée pour traiter la demande de protection internationale du demandeur, le recours introduit par lui est, le cas échéant, manifestement infondé.

Il convient tout d’abord de relever que ni le texte législatif, ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « manifestement infondé », et ce, d’une part, contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait, en son article 9, la demande d’asile manifestement infondée, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 et, d’autre part, contrairement à l’article 32 (2) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lequel exige la définition par la législation nationale des demandes manifestement infondées.

Il appartient dès lors au soussigné de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il échet encore de relever que tandis que la loi précitée du 3 avril 1996 faisait référence à une « demande » d’asile considérée comme manifestement infondée, la loi du 18 décembre 2015 fait référence à un « recours » qui est considéré comme étant manifestement infondé, de sorte qu’il échet d’examiner la pertinence des faits, de l’argumentation et des moyens en droit développés dans le cadre du recours contentieux pour vérifier si ceux-ci sont de nature à mettre en doute la décision ministérielle entreprise, sans que dans le cadre de cet examen, le soussigné doive aboutir à la conclusion que les éléments en question soient suffisamment convaincants, en droit ou en fait, pour accorder un statut de protection internationale au demandeur.

Dans le cadre de son examen, le soussigné doit, au vu des termes mêmes employés par le législateur, faire une nette distinction entre les recours qui sont « manifestement infondés » et ceux qui ne sont pas manifestement fondés. C’est ainsi que même au cas où il devait être retenu qu’un recours n’est pas « manifestement infondé », une telle conclusion n’est pas de nature à entraîner ipso facto que le recours doit être considéré comme étant fondé.

Ainsi, et comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement aussi le récit du demandeur, tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande.

Il s’ensuit que le recours est à qualifier comme étant manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre de la décision déférée sont visiblement dénuées de tout fondement.

Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque, dans le cadre de son recours, un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève voire de la loi du 18 décembre 2015, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette dans le cadre de son recours des éléments suffisamment précis permettant au soussigné d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que le recours doit être déclaré manifestement infondé.

A l’appui de leur recours, et à titre liminaire, les demandeurs critiquent les décisions sous examen, en ce que le ministre n’aurait pas respecté les droits dont ils disposeraient en leur qualité de demandeurs d’un statut de protection internationale, du fait de ne pas leur avoir précisé que les déclarations écrites de la demanderesses constitueraient la seule base en vue de la prise des décisions sous examen, à la suite de son impossibilité de se présenter à deu x reprises à l’entretien auquel elle aurait été convoquée afin d’exposer sa situation personnelle ainsi que les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. A ce titre, la demanderesse fait état de « graves problèmes de maladie » qui l’auraient empêchée d’assister aux entretiens auxquels elle aurait été convoquée à deux reprises, en précisant que lors de sa présentation devant un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, chargé de procéder à son entretien, elle aurait été invitée à soumettre ses motifs par écrit, en soutenant toutefois que son litismandataire n’aurait pas été averti de cette procédure à laquelle elle aurait ainsi dû se soumettre et que du fait qu’elle aurait pu se méprendre sur la portée des récits qu’elle aurait par la suite transmis au ministère, elle estime que la procédure lui appliquée ne serait pas de nature à lui garantir « l’ensemble de ses droits dans l’analyse de sa demande en protection internationale ». Au vu de cette situation de fait, elle soutient que son litismandataire n’aurait pas pu l’assister dans le cadre de la procédure lui appliquée du fait notamment de ne pas avoir « reçu communication du récit déposé par [elle] », de sorte qu’elle n’aurait pas eu connaissance de ses droits voire bénéficiée d’une assistance dans le cadre de sa demande de protection internationale, en soutenant qu’elle était d’avis qu’elle serait convoquée à un entretien dès qu’elle serait « remise de ses problèmes médicaux qui ne lui permettent aucun répit des douleurs endurées et à endurer », qui l’auraient empêché d’assister à l’époque à un entretien personnel.

Le délégué du gouvernement soutient que la demanderesse aurait été convoquée à deux reprises à un entretien dans le but de connaître ses motifs l’ayant conduit à déposer une demande de protection internationale au Luxembourg, et qu’en raison de son état de santé, elle n’aurait pas été en mesure d’être auditionnée, de sorte qu’il aurait été retenu d’un commun accord en date du 12 février 2016 que la demanderesse soumettrait au ministre ses motifs par écrit et ce, au plus tard pour le 27 février 2016. C’est ainsi qu’en date du 22 février 2016, elle aurait fait parvenir ses motifs par écrit au ministre.

Au vu de cette situation de fait, le délégué du gouvernement conteste que les droits de la demanderesse auraient été violés, en soutenant qu’au vu des problèmes médicaux de celle-

ci, elle aurait été autorisée, d’un commun accord avec l’agent chargé de son audition, de faire parvenir ses motifs par écrit au ministre, ledit accord ressortant du procès-verbal d’entretien du 12 février 2016 signé par la demanderesse, de sorte qu’elle aurait ainsi acquiescé à cette procédure. Par ailleurs, la demanderesse serait malvenue de critiquer le fait qu’elle n’aurait pas pu bénéficier des conseils de son litismandataire, alors que celui-ci, malgré le fait qu’il aurait été convoqué à l’entretien précité du 12 février 2016, ne s’y serait pas présenté. Partant, le litismandataire de la demanderesse ne saurait pas se prévaloir de sa propre turpitude et aucun reproche dans ce contexte ne saurait être accepté, d’autant plus qu’il aurait été décidé de renoncer de procéder à un entretien de la demanderesse, non pas dans le but de léser ses droits, mais dans le seul but de lui épargner des souffrances inutiles du fait qu’elle ne pouvait pas rester assise sur une chaise pendant de longues heures. Le représentant gouvernemental rappelle encore que la présence du conseil d’un demandeur de protection internationale ne serait pas obligatoire, de sorte qu’il aurait parfaitement pu être procédé à l’entretien de la demanderesse sans la présence de son conseil qui aurait d’ailleurs pu solliciter une copie du procès-verbal de l’entretien auquel il a été procédé en date du 12 février 2016, ce qu’il n’aurait toutefois pas fait, étant par ailleurs relevé que ledit litismandataire n’aurait pas non plus fait usage de son droit de faire parvenir au ministre de plus amples explications voire des compléments d’informations.

Abstraction faite de ce que les demandeurs n’invoquent pas de disposition légale à l’appui de leur argumentation, qui aurait été violée en l’espèce, il échet de se référer à l’article 13, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose qu’en principe « le demandeur a le droit à un entretien personnel sur le fond de sa demande de protection internationale avec un agent du ministre » et en vertu duquel « l’absence d’un avocat [audit entretien] n’empêche pas les agents du ministre de mener un entretien personnel avec le demandeur ».

Par ailleurs, le paragraphe (4) du même article 13 prévoit des cas dans lesquels « l’entretien personnel sur le fond de la demande peut ne pas avoir lieu », notamment dans l’hypothèse visée au point b) du même paragraphe (4), suivant lequel un tel entretien ne doit pas avoir lieu au cas où « le demandeur n’est pas en état ou en mesure d’être interrogé en raison de circonstances durables indépendantes de sa volonté ». En outre, il échet de relever que suivant le paragraphe (5) du même article 13 « l’absence d’entretien personnel n’empêche pas le ministre de se prononcer sur une demande de protection internationale », étant donné que dans cette hypothèse « des efforts raisonnables sont déployés pour permettre au demandeur ou, le cas échéant, avec la personne à charge de fournir davantage d’informations ».

En l’espèce, il ressort du dossier administratif que le litismandataire des demandeurs s’est vu informer par des télécopies lui adressées en dates des 4 juin et 18 septembre 2015 et 13 janvier 2016 de convocations de la demanderesse à des entretiens auprès d’un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration. En outre, des convocations ont été adressées à la demanderesse en dates des 3 et 23 juillet, 17 septembre 2015 et 13 janvier 2016 en vue d’un entretien par un agent dudit ministère au sujet de sa demande de protection internationale. Il ressort encore du même dossier administratif qu’en date du 22 juillet 2015, le litismandataire de la demanderesse a informé le ministre de ce que celle-ci n’était pas en mesure d’assister à un entretien convoqué pour le 23 juillet 2015, en raison de ses problèmes médicaux, le litismandataire en question ayant encore prié le ministre de bien vouloir fixer un nouveau rendez-vous.

En outre, il échet de relever que suivant procès-verbal d’un entretien ayant eu lieu en date du 12 février 2016 entre un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes et la demanderesse, entretien auquel le litismandataire de celle-ci n’a pas assisté, qu’il n’a pas pu être procédé à l’entretien en question en raison « de grandes douleurs au niveau dorsal » dans le chef de la demanderesse, de sorte qu’il lui a été proposé de déposer « ses motifs par écrit au plus tard 15 jours à partir [de la date de l’entretien en question] ». C’est ainsi que la demanderesse a fait parvenir à l’agent chargé de son audition sa déclaration écrite par le courrier recommandé précité du 22 février 2016 dont une traduction française figure au dossier administratif.

En considération des faits énoncés ci-avant, aucune violation des dispositions de l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être retenue, étant donné que le ministre a valablement pu décider de ne pas procéder à un entretien oral avec la demanderesse en raison de la situation médicale de celle-ci, et ce, en application de l’article 13, paragraphe (4), point b) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse ayant été mise en mesure de faire valoir ses motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, par l’invitation lui faite de déposer ceux-ci par écrit au ministre, possibilité dont elle a d’ailleurs profité comme il ressort de ce qui précède. Le fait que le litismandataire de la demanderesse n’était pas présent lors de l’entretien du 12 février 2016 ne peut que lui être imputé, alors que par télécopie du 13 janvier 2016, il avait été expressément convoqué par le ministre d’assister à l’entretien en question. Il ne saurait partant se prévaloir de sa propre turpitude. En outre, et malgré le fait qu’il n’a pas assisté à l’entretien en question, il aurait pu solliciter une copie du procès-verbal de l’entretien en question et, par la suite, au cas où il l’estimait nécessaire, faire parvenir un complément d’informations au ministre, ce qu’il n’a toutefois pas fait. Enfin, il échet de constater qu’il ne ressort pas des explications figurant dans la requête introductive d’instance en quoi les droits des demandeurs auraient été lésés du fait qu’il n’a pas pu être procédé à un entretien oral de la demanderesse, étant entendu qu’au plus tard lors de l’introduction de la requête en question, le litismandataire de la demanderesse aurait eu la possibilité de relever les éléments dont celle-ci aurait oublié de faire état lors de sa déclaration écrite envoyée au ministre.

Il suit partant des considérations qui précèdent que ce premier moyen est à rejeter pour être manifestement infondé.

Quant au fond, force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels :

« (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale ou si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015.

Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

En l’espèce, et sans qu’il soit nécessaire de pousser plus loin l’examen du recours quant au premier volet de la décision litigieuse, il échet de confirmer le délégué du gouvernement dans son constat suivant lequel les demandeurs n’ont soumis au tribunal la moindre argumentation en droit ou en fait de nature à contredire le constat du ministre suivant lequel l’Albanie serait à considérer comme étant un pays d’origine sûr dans leur chef. Il suit partant de la position ainsi adoptée par les demandeurs dans le cadre de leur requête sous examen que l’Albanie est à retenir comme constituant un pays d’origine sûr au sens de l’article 27, paragraphe (1), point b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le soussigné est dès lors amené à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce que les demandeurs n’ont manifestement fourni aucune raison permettant de retenir que compte tenu de leur situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’Albanie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûrs conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans leur chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens et argumentations fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.

S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs une protection internationale, il échet de relever qu’aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

En l’espèce, il échet de constater, sur base des déclarations soumises par la demanderesse au ministre qu’elle déclare avoir subi, ensemble avec ses enfants, des agressions voire des menaces de la part de personnes, d’ailleurs inconnues, qui souhaiteraient ainsi faire pression sur eux afin que son mari respectivement le père de ses enfants rembourse « une somme considérable d’argent » qu’il avait empruntée « pour éviter la faillite du magasin ». Etant donné que ces actes ne sont pas motivés par l’un des critères prévus par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 sur base desquels un demandeur de protection internationale peut se voir reconnaître le statut de réfugié, il échet d’en conclure que les demandeurs ne tombent pas dans le champ d’application de la disposition légale précitée, de sorte que le recours est à déclarer manifestement infondé en ce qu’il vise à voir reconnaître aux demandeurs le statut de réfugié.

Par ailleurs, en ce qui concerne le volet du recours dirigé contre le refus de conférer aux demandeurs le statut de la protection subsidiaire, tel que réglementé par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, il échet de constater, comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, que malgré le fait que, suivant le dispositif de la requête sous examen, le recours est également dirigé contre ce volet de la décision litigieuse, aucun moyen en droit y afférent n’a été formulé par les demandeurs, de sorte qu’également en ce qui concerne ce volet du recours, celui-ci est à déclarer comme étant manifestement infondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandeurs sont à débouter de leurs demandes de protection internationale.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs font valoir que l’ordre de quitter le territoire devrait être annulé comme conséquence de la réformation du refus de leur accorder une protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le soussigné, premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la première chambre du tribunal, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er avril 2016 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute les demandeurs de leurs demandes de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre les trois décisions ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2016, par Carlo Schockweiler, premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11/05/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Siégeant en sa qualité de président de la première chambre du tribunal
Numéro d'arrêt : 37782
Date de la décision : 11/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-05-11;37782 ?

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