Tribunal administratif N° 37721 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2016 Ire chambre Audience publique du 20 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37721 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2016 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant à L-…, tendant, suivant le dispositif de sa requête introductive d’instance, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 mars 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 avril 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, et Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.
Le 21 décembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date du 24 décembre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
A cette occasion, Monsieur … déclara avoir été victime de violences de la part de son père alcoolique et avoir quitté son pays d’origine suite à une menace de mort de la part de celui-ci. Il n’aurait pas déposé de plainte auprès de la police du fait que la police ne ferait rien au Monténégro. Il indique encore souffrir d’asthme et d’eczéma.
Par décision du 9 mars 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre estima que Monsieur …, ayant la nationalité monténégrine, proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », c’est-à-dire d’un pays où il n’y aurait, de manière générale et uniformément, pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et que ce constat ne serait pas contredit par l’examen individuel de la demande de protection internationale de Monsieur ….
Le ministre estima ensuite que les faits ayant amené Monsieur … à quitter son pays d’origine n’auraient pas été motivés par un des critères de fond tels qu’énumérés par la Convention de Genève et la loi du 18 décembre 2015. Il s’agirait en effet de délits de droit commun punissables par les lois de son pays d’origine. Le ministre ajouta qu’aucun défaut de protection de la part des autorités monténégrines n’aurait été établi en l’espèce. Le ministre évoqua encore la possibilité d’une fuite interne, et estima enfin que le récit de Monsieur … ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant, suivant le dispositif de sa requête introductive d’instance, à la réformation de la décision du ministre du 9 mars 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
A titre liminaire, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité des recours introduits contre la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et contre l’ordre de quitter, alors que la requête introductive d’instance serait incohérente quant au type de recours introduit. Ainsi, Monsieur … annoncerait, dans le corps de sa requête introductive d’instance, un recours en annulation contre les deux décisions précitées pour ensuite, au dispositif, conclure à leur réformation.
A l’audience des plaidoiries, sur question spéciale du soussigné, le litismandataire de Monsieur … a déclaré avoir eu l’intention d’introduire les recours prévus par la loi du 18 décembre 2015 et que la référence, dans le corps de sa requête introductive d’instance, à un recours en annulation constituerait une erreur matérielle.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, seul un recours en réformation peut être introduit contre les trois décisions déférées.
Force est au soussigné de relever que tant la page de garde de la requête introductive d’instance que le dispositif de cette dernière, auquel le tribunal est en principe seul tenu, font expressément référence à des recours en réformation dirigés contre la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi que contre l’ordre de quitter, de sorte que la référence à un recours en annulation relatif à ces deux décisions est à considérer comme relevant d’une erreur matérielle.
Il s’ensuit que le soussigné est compétent pour connaître, dans le cadre de l’article 35, paragraphe (2) précité, du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 9 mars 2016 telles que déférées.
Le recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche au ministre d’avoir appliqué les points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, en faisant d’abord valoir qu’il serait contestable de considérer le Monténégro comme un Etat respectueux des droits et libertés fondamentales au vu de la violation récurrente desdits droits par ce dernier. Il fait souligner que la circonstance que le Monténégro serait actuellement considéré comme étant un pays d’origine sûr ne saurait être intangible et devrait faire l’objet d’une évaluation régulière qui serait en l’espèce imposée par sa situation personnelle. Il cite un rapport non autrement spécifié de l’organisation Human Rights Watch qui mettrait en exergue l’attitude discriminatoire du système d’accès aux soins de santé et au marché de travail et le fait que les pays des Balkans de l’Ouest connaîtraient toujours des actes d’intimidation et des attaques contre les journalistes.
Il conteste ensuite l’affirmation du ministre selon laquelle les faits invoqués seraient insignifiants et dénués de pertinence.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus d’accorder une protection internationale, le demandeur reproche au ministre une interprétation erronée des faits. Il reproche au ministre d’avoir fait abstraction de la situation générale au Monténégro, alors qu’un examen sérieux d’une demande de protection internationale ne pourrait être réalisé qu’en prenant en compte la situation générale dans le pays d’origine du demandeur. Il met en exergue l’incapacité de l’appareil étatique monténégrin d’assurer sa protection. Il soutient encore remplir toutes les conditions légales requises pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, alors que les agressions et persécutions d’ordre physique et mentale dirigées contre sa personne et ses biens seraient manifestement motivées par son appartenance au groupe social des personnes d’ethnie serbe. Le demandeur estime craindre avec raison de subir à nouveau de telles violences en cas de retour dans son pays d’origine, sachant « qu’il n’est pas impossible que ces violences revêtent une gravité suffisante et aboutissent à une situation irrémédiable » en son chef.
Enfin, il exclut toute possibilité de fuite interne au motif que la situation au Monténégro serait « insoutenable ».
Il conclut que les éléments de fait invoqués par lui justifieraient l’octroi d’une protection internationale.
S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir que sa demande rentrerait dans le champ d’application de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
En dernier lieu, le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire, en raison du caractère indissociable de la décision de refus de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
Il convient tout d’abord de relever que ni le texte législatif, ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé », et ce, contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait en son article 9 la demande d’asile manifestement infondée1, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 1 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile […]. » portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile en ses articles 32, 43, 54 et 65.
Il appartient dès lors au soussigné, saisi d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient ensuite de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou 2 « Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée. » 3 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » 4 « 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution. 2) Le fait d’établir qu’un pays déterminé ne présente pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution, n’entraînera cependant pas automatiquement le rejet de toute demande d’asile introduite par un ressortissant de ce pays, le principe de l’examen individuel de la demande restant acquis. » 5 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il échet de relever qu’un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tel que modifié par la suite, a désigné le Monténégro comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité monténégrine.
Au vu du libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En l’espèce, le ministre a conclu que le demandeur provient d’un pays qui dans son chef est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il y a lieu d’analyser si, conformément à l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur a soumis des raisons sérieuses permettant de penser que le Monténégro n’est pas un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
Or, le demandeur omet d’établir l’existence, dans son chef, de pareilles raisons. En effet, l’analyse de la situation personnelle décrite par lui ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants impliquant que le constat du ministre s’en trouve ébranlé.
Ainsi, par rapport au constat du ministre que son pays d’origine est à considérer comme pays d’origine sûr, le demandeur se réfère à un rapport non autrement spécifié de l’organisation Human Rights Watch pour en conclure que le Monténégro ne présenterait pas les garanties requises pour être considéré comme Etat respectueux des droits et libertés fondamentaux ou comme pays d’origine sûr. Force est néanmoins de constater que les renseignements que le demandeur entend en tirer n’ont aucun rapport avec sa situation personnelle, étant donné qu’il déclare avoir fui les violences de son père alcoolique et que les critiques de l’organisation Human Rights Watch ne concernent que l’accès discriminatoire aux soins et au marché de l’emploi, respectivement l’intimidation des journalistes dans « les pays des Balkans Ouest ». Le demandeur ne fournit, par ailleurs, aucun autre élément concret permettant de retenir que compte tenu de sa situation individuelle, le Monténégro ne puisse pas être considéré comme un pays d’origine sûr dans son chef. Par ailleurs, le demandeur n’a fourni aucune explication ou pièce de nature à contredire les explications fournies par la partie étatique sur les différentes instances susceptibles de lui apporter une protection dans son pays d’origine.
De plus, le récit tel que présenté par le demandeur ne contient aucun élément de nature à conclure que, compte tenu de sa situation personnelle, le Monténégro ne puisse pas être considéré comme pays d’origine sûr dans son chef et plus particulièrement qu’il ne puisse obtenir aucune protection dans son pays d’origine. Il ressort du récit acté dans le rapport d’audition que le demandeur s’est volontairement abstenu de saisir la police de ses problèmes avec son père, sans pour autant valablement justifier un tel choix. En effet, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut6.
6 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
Ainsi, à défaut par le demandeur d’avoir au moins tenté de requérir une protection de la part des autorités de son pays d’origine et à défaut d’explication justifiant ce défaut, force est de conclure qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations du demandeur, ni des pièces du dossier, que les autorités monténégrines compétentes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements dont il déclare avoir été victime.
Il s’ensuit que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, le Monténégro, inscrit sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2016, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pa s valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.
Or, tel que cela a été retenu ci-avant, le demandeur n’a manifestement pas établi que les autorités de son pays d’origine ne sont pas disposées ou capables de lui fournir une protection, de sorte qu’au moins une des conditions d’octroi du statut de réfugié respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire ne se trouve manifestement pas remplie. Il s’ensuit que le recours est à déclarer comme manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur fait valoir qu’il serait à réformer comme conséquence de la réformation du refus d’accorder une protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 mars 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2016, par le soussigné, Olivier Poos, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20/04/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 10