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14/04/2016 | LUXEMBOURG | N°37676

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2016, 37676


Tribunal administratif N° 37676 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2016 Audience publique du 14 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37676 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2016 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscr

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Tribunal administratif N° 37676 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2016 Audience publique du 14 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37676 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2016 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 avril 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, et Maître Olivier Lang, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 avril 2016.

Les 23 août 2012 et 10 janvier 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décisions des 30 janvier 2013 respectivement 19 mars 2014, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, respectivement, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informèrent Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, mais que le Royaume de Belgique était responsable pour traiter sa demande, dans la mesure où il y avait précédemment déposé des demandes de protection internationale en date des 10 décembre 2010, 2 mars 2012 et 25 février 2013.

Le 3 décembre 2015, Monsieur … introduisit de nouveau auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date du 11 décembre 2015, Monsieur … fit l’objet d’un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des états membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … fut encore entendu en date du 8 janvier 2016 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

A cette occasion, Monsieur …, déclara appartenir à l’ethnie albanaise de la Serbie et avoir vécu dans le village de …. Il expliqua avoir quitté son pays d’origine en 2010 en raison du fait que son homosexualité n’y serait pas acceptée. Il y aurait ainsi subi une agression physique et un acte de vandalisme aurait été exercé sur sa maison par des villageois.

Par décision du 26 février 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre estima que Monsieur …, ayant la nationalité serbe, proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 ayant modifié le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », c’est-à-

dire d’un pays où il n’y aurait, de manière générale et uniformément, pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et que ce constat ne serait pas contredit par l’examen individuel de la demande de protection internationale de Monsieur …. Le ministre estima ensuite que les faits ayant amené Monsieur … à quitter son pays d’origine pourraient a priori être considérés comme rentrant dans le champ d’application de la Convention de Genève, mais qu’ils ne seraient pas suffisamment graves pour pouvoir justifier l’octroi du statut de réfugié. Il fit valoir que les faits subis constituent des délits de droit commun commis par des personnes privées inconnues et que, surtout, aucun défaut de protection de la part des autorités serbes n’aurait été établi en l’espèce, notamment au regard du fait que le demandeur n’aurait déposé aucune plainte contre ses agresseurs. Le ministre précisa encore que le cadre légal serbe promouvrait les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes et contiendrait même des dispositions sanctionnant toute discrimination contre des personnes homosexuelles. Le ministre souligna encore les efforts du gouvernement serbe dans le but d’assurer un mélange ethnique équilibré au sein du corps de police. Il affirma encore ne pas pouvoir exclure que des raisons matérielles auraient motivé la demande de protection internationale de Monsieur …, tout en soulignant que des raisons économiques ne rentrent pas dans le cadre des motifs de persécution prévus par la Convention de Genève. Le ministre évoqua encore la possibilité d’une fuite interne, et estima enfin que le récit de Monsieur … ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 26 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une la demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître, du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 13 janvier 2016 telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A titre liminaire, le demandeur prend position quant au contrôle à exercer par le président de chambre ou le juge qui le remplace, siégeant dans le contexte de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015. Il fait valoir que ladite disposition, d’une part, ne préciserait pas lequel des trois recours y prévus devrait faire l’objet de l’examen au terme duquel le magistrat saisi décide si ce recours est manifestement infondé et, d’autre part, ne comporterait aucune définition de la notion de « manifestement infondé ». En ce qui concerne cette dernière notion, il se réfère aux amendements adoptés au projet de loi ayant abouti à la loi du 18 décembre 2015, par la Commission des affaires étrangères et européennes, de la défense, de la coopération et de l’immigration1. Il en déduit que seule la demande initiale de protection internationale introduite par le demandeur devrait faire l’objet de l’examen du magistrat à la lumière de la notion de « manifestement infondé ». Quant à la définition de la notion de « manifestement infondé », le demandeur renvoie à la loi entretemps abrogée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile qui aurait décrit la demande d’asile manifestement infondée et il invite le président de chambre ou le juge qui le remplace à se livrer à cet examen. Enfin, il conclut que sa demande ne serait pas manifestement infondée, de sorte qu’il y aurait lieu de renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale.

1 Doc parl. n° 67795, disponible sur : http://www.chd.lu/wps/PA_ArchiveSolR/MergeServlet?lot=J-2015-O-0044 A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche au ministre d’avoir appliqué les points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, en faisant, d’abord, valoir que les éléments invoqués à la base de sa demande de protection internationale ne pourraient pas être qualifiés comme étant sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante, dans la mesure où ils rentreraient dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015. Il conteste ensuite que la Serbie peut être qualifiée à son égard de pays d’origine sûr, en argumentant que sa réinstallation au village de … ne serait jamais admise par les habitants de ce dernier, qui l’auraient chassé de leur village. En effet, la société serbe en général considérerait les personnes homosexuelles comme dangereuses pour la société et comme transgressant des valeurs essentielles.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus d’accorder une protection internationale, le demandeur reproche au ministre de se contredire dans la décision déférée en retenant dans un premier temps que sa demande pourrait a priori rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève, mais que les faits invoqués ne seraient pas suffisamment graves pour justifier l’octroi d’une protection internationale et en retenant dans un second temps que les faits invoqués constitueraient des délits de droit commun ne répondant à aucun des critères de fond de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015. Il souligne que si des actes de persécution constitueraient toujours un délit ou un crime de droit commun, ce serait la motivation de leurs auteurs qui les caractériserait. Dans ce contexte, il explique qu’en l’espèce ses agresseurs auraient agi pour la seule raison de son orientation sexuelle, à savoir en raison de son appartenance à un certain groupe social en l’occurrence le groupe social des homosexuels serbes. Le demandeur conteste que les agressions subies ne seraient pas à considérer comme suffisamment graves au sens de la Convention de Genève ou de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015. Il donne à considérer qu’il aurait été violemment agressé une première fois par des villageois lorsqu’il se serait trouvé dans un magasin et que quelques semaines plus tard il aurait dû fuir sa maison et son village pour éviter d’être lynché par plus d’une centaine de personnes. Il explique par ailleurs qu’il ne se serait pas adressé aux autorités serbes pour requérir une protection en raison de sa crainte qu’une telle démarche pourrait aggraver le risque pesant d’ores et déjà sur lui. Il relève ainsi que le gouvernement serbe ne ferait des efforts pour essayer de promouvoir l’égalité et de combattre toute discrimination de personnes homosexuelles que depuis l’année 2010, année au cours de laquelle il aurait dû fuir son pays. Or, ce ne serait pas parce que la Serbie aurait adopté une telle législation qu’elle pourrait être considérée comme étant capable de lui apporter une protection. Ce ne serait ainsi pas tant la volonté que la capacité de protéger qui serait déterminante en l’espèce. Or, la société serbe serait toujours marquée par des sentiments profondément homophobes. Dans ce contexte il se réfère à un rapport de l’, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 11 mai 2015 intitulé « situation des minorités sexuelles et des minorités de genre » ainsi qu’à un rapport de l’organisation Amnesty International de l’année 2015/2016 concernant la Serbie. Enfin, le demandeur réfute toute possibilité de fuite interne.

Il conclut que les éléments de fait invoqués par lui justifieraient l’octroi d’une protection internationale.

S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir qu’il remplirait toute les conditions alors qu’il ferait état de motifs sérieux et avérés de croire qu’il court un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants dans son pays d’origine.

En dernier lieu le demandeur sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, en raison du caractère indissociable de la décision de refus de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Une lecture combinée des deux alinéas de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 conduit à réfuter le raisonnement du demandeur selon lequel il n’y aurait lieu d’analyser que si la seule demande initiale de protection internationale serait manifestement infondée.

Ainsi, l’alinéa 1er de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 énumère les trois décisions contre lesquelles un recours contentieux peut être introduit, à savoir la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, et finalement l’ordre de quitter le territoire. Le même alinéa prévoit ensuite expressément que le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive. La logique intrinsèque de l’article 35, paragraphe (2) impose dès lors que si le deuxième alinéa dudit article se réfère au recours, il vise le recours contre les trois décisions, tel que précisé plus amplement à l’alinéa qui précède. L’analyse du président de chambre ou du juge qui le remplace doit dès lors porter sur les trois volets du recours et non point sur la seule demande initiale de protection internationale.

Il résulte en effet de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

Le demandeur soulève à juste titre que ni le texte législatif ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents, ne contiennent de définition de la notion de « recours manifestement infondé », et ce contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait en son article 9 la demande d’asile manifestement infondée2, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile en ses articles 33, 44, 55 et 66.

Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, prise en ses trois volets et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous 2 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile […]. » 3 « Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée. » 4 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » 5 « 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution. 2) Le fait d’établir qu’un pays déterminé ne présente pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution, n’entraînera cependant pas automatiquement le rejet de toute demande d’asile introduite par un ressortissant de ce pays, le principe de l’examen individuel de la demande restant acquis. » 6 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».

Il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tel que modifié par la suite, a désigné la Serbie comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité serbe.

Au vu du libellé de l’article 30, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

En l’espèce, le ministre a conclu que le demandeur provient d’un pays qui dans son chef est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il y a lieu d’analyser si, conformément à l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015 le demandeur a soumis des raisons sérieuses permettant de penser que la Serbie n’est pas un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Or, il ne se dégage ni des rapports d’audition précités, ni des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée à travers la requête introductive d’instance un quelconque élément de nature à ébranler le constat du ministre. En effet, s’il ressort certes des extraits du rapport de l’OFPRA, ainsi que du rapport de l’organisation Amnesty International cités par le demandeur que l’homosexualité n’est pas admise de manière générale par la population serbe, il n’en ressort toutefois pas que toute personne homosexuelle y est persécutée en raison de son orientation sexuelle. Il s’y ajoute que les parties au litige s’accordent à dire que depuis l’année 2010 le gouvernement serbe lutte contre la discrimination des personnes homosexuelles et a adopté diverses mesures en ce sens.

En ce qui concerne la situation particulière du demandeur qui fut agressé physiquement une première fois par des personnes inconnues et qui, une seconde fois a fui son domicile avant l’arrivée de villageois ayant ensuite saccagé sa maison, il y a lieu de constater qu’il n’a pas tenté d’obtenir une protection de la part des autorités de son pays d'origine. Or, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut.7 Une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’actes de violence, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, le demandeur est resté en défaut de fournir des raisons valables justifiant le fait qu’il n’ait pas tenté de rechercher la protection des autorités de son pays d’origine. Son affirmation selon laquelle il aurait eu peur d’augmenter le risque d’être persécuté en 7 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

s’adressant aux forces de l’ordre reste à l’état de pure hypothèse, surtout face aux explications non contestées de la part de la partie étatique, suivant lesquelles le gouvernement serbe aurait adopté des mesures sanctionnant toute discrimination de personnes homosexuelles, notamment en garantissant au niveau constitutionnel le principe de l’égalité et l’interdiction de discriminations et en adoptant la stratégie anti-discrimination pour 2013 – 2018 en vue d’harmoniser le cadre légal serbe avec les standards internationaux.

A défaut par le demandeur d’avoir sollicité une protection de la part des autorités de son pays d’origine et à défaut d’explication justifiant ce défaut, la soussignée est amené à conclure qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations du demandeur, ni des pièces du dossier, que les autorités serbes compétentes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements dont il déclare avoir été victime.

Dans ces conditions, la soussignée est amenée à conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, la Serbie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.

S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2016, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

Or, tel que cela a été retenu ci-avant, le demandeur n’a manifestement pas établi que les autorités de son pays d’origine ne sont pas disposées ou capables de lui fournir une protection, de sorte qu’au moins une des conditions d’octroi du statut de réfugié respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire ne se trouve manifestement pas remplie, et que le recours est à déclarer comme manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur fait valoir qu’il serait à annuler comme conséquence de la réformation du refus d’accorder une protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur et il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le vice-président, présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 avril 2016, par la soussignée, Françoise Eberhard, vice-président, présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 avril 2016 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 37676
Date de la décision : 14/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-04-14;37676 ?

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