Tribunal administratif N° 37518 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2016 Audience publique du 15 mars 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37518 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 février 2016 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bosnie-
Herzégovine), demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 février 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le vice-président, présidant la deuxième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 mars 2016.
Le 24 septembre 2015, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Monsieur … fut entendu en date du 16 décembre 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Lors de cet entretien, Monsieur …, de nationalité bosnienne et de confession orthodoxe, relata d’abord qu’une attaque terroriste avait eu lieu sur le poste de police de son village en Bosnie-Herzégovine. Il n’aurait pas été concerné par ladite attaque, mais elle aurait néanmoins contribué à renforcer son sentiment d’insécurité générale. Il expliqua par ailleurs que pendant cinq ans il aurait loué et exploité un café. Durant cette époque il aurait connu sa compagne, et ils auraient eu une fille. Le demandeur déclara qu’il aurait dû fermer le café en 2010 et que sa copine aurait été licenciée au neuvième mois de grossesse. Ils auraient intenté une procédure judi ciaire à l’encontre de l’employeur de sa copine et ils auraient eu gain de cause, mais l’employeur n’aurait pas payé l’indemnité à laquelle il aurait été condamné. Le demandeur expliqua avoir « pris n’importe quel petit travail à gauche et à droite » pour subvenir aux besoins de sa famille. Il serait finalement retourné avec sa famille dans son village natal à … où il aurait essayé de rénover sa maison natale qui aurait été complètement détruite. Il expliqua qu’il s’agirait d’une région où n’habitent que des musulmans. Le demandeur relata encore qu’en 2011 ou 2012, à la fin d’une fête du village du 1er mai à …, lorsque sa femme et leur fille ainsi que quelques invités seraient rentrés à la maison, il se serait retrouvé seul entouré de musulmans, avec lesquels il aurait d’abord fait des jeux et des compétitions pour déterminer le plus fort. Le demandeur relata que les personnes à la fête étaient alcoolisées et qu’elles auraient commencé à le provoquer, de sorte qu’un conflit se serait développé qui se serait transformé en bagarre. Finalement le demandeur serait rentré avec des vêtements déchirés et il aurait perdu ses souliers. Etant donné que sa femme aurait insisté, il aurait déclaré l’incident à la police quatre jours plus tard, cette dernière lui aurait assuré qu’elle s’en occuperait, mais il expliqua avoir eu l’impression qu’elle lui aurait menti. Quinze jours plus tard, les fenêtres de la maison auraient été cassées et les pneus de sa voiture auraient été crevés. Le demandeur expliqua qu’à la même époque il aurait eu des problèmes dans son couple, sa femme n’ayant plus voulu rester dans le village de … aurait aurait menacé de retourner chez ses parents. Le demandeur déclara être parti en Russie pendant trois mois pour participer aux travaux de préparation de l’Olympiade. Il n’aurait cependant pas été payé de sorte qu’il serait retourné à …, où il aurait recommencé à chercher du travail. Finalement il serait retourné avec sa famille à Zvornik où il n’aurait pas non plus réussi à gagner de l’argent. Après que sa femme l’aurait quitté pour retourner chez ses parents, il aurait vu un reportage à la télévision concernant des personnes demandant l’asile au Luxembourg. Il ajouta encore regretter ne pas avoir rejoint le Luxembourg plus tôt, puisqu’il y serait facile de trouver un emploi, alors qu’en Bosnie-
Herzégovine 80% des personnes travailleraient en noir. Enfin, il précisa que dans son pays d’origine il se serait régulièrement adressé à l’administration de l’emploi, mais sans succès.
Par décision du 5 février 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre estima que Monsieur …, ayant la nationalité bosnienne, proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi du 18 décembre 2015, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », c’est-à-dire d’un pays où il n’y aurait, de manière générale et uniformément, pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et que ce constat ne serait pas contredit par l’examen individuel de la demande de protection internationale de Monsieur ….
Le ministre estima ensuite que les raisons ayant amené Monsieur … à quitter son pays d’origine ne seraient pas liées à un des critères de fond de la Convention de Genève. Il souleva que la demande de protection internationale de Monsieur … serait basée principalement sur sa situation économique, tiré du défaut de travail et de revenu et du manque de perspectives en Bosnie-Herzégovine. Il estima encore que l’attaque terroriste sur le poste de police de Zvornik constituerait un fait non personnel et que les actes de vandalisme en 2011 ou 2012 constitueraient des délits de droit commun commis par des personnes inconnues ne relevant pas du champ d’application de la Convention de Genève.
D’ailleurs, un défaut de protection par les autorités bosniennes pour l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève ne serait pas établi en l’espèce. Le ministre évoqua encore la possibilité d’une fuite interne.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 février 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 5 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une la demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître, du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 5 février 2016 telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre les décisions précitées du ministre.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche de prime abord au ministre d’avoir retenu qu’il n’aurait soulevé que des faits sans pertinence. Il explique dans ce contexte qu’il ne se serait plus rendu à la police pour déclarer la destruction des fenêtres de sa maison et des pneus de sa voiture puisque deux semaines auparavant, la police aurait manqué de donner une suite utile à la plainte déposée contre des agressions subies par des musulmans. Il ajoute que les faits déclarés revêtiraient un degré de gravité tel qu’ils justifieraient l’obtention d’une protection internationale. Il conteste encore que la Bosnie-Herzégovine puisse être considérée comme pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015. D’ailleurs, l’analyse de sa situation personnelle démontrerait à suffisance que la Bosnie-Herzégovine ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef. Quant au recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte de sa situation individuelle, mais d’avoir examiné sa demande de protection internationale au regard de la situation générale en Bosnie-
Herzégovine. Il explique avoir dû fuir son pays d’origine puisqu’il n’y aurait plus été en sécurité et qu’il y aurait dû craindre pour sa vie. Enfin, il soutient que l’ordre de quitter le territoire serait à réformer puisqu’il devrait pouvoir bénéficier d’une protection et, sinon, en tout état de cause en raison du principe de précaution.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour être manifestement infondé au sens de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015. Il fait valoir qu’une demande serait manifestement infondée s’il serait incontesté qu’un ou plusieurs cas de figure énumérés à l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 seraient avérés dans le chef du demandeur. En l’espèce, le recours serait manifestement infondé puisque le demandeur proviendrait d’un pays d’origine sûr et puisqu’il n’aurait invoqué que des faits sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Il souligne que la Bosnie-Herzégovine serait à considérer comme pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 et que la demande de protection internationale du demandeur serait essentiellement basée sur des motifs économiques et personnels ainsi que sur des motifs d’ordre médical.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
La soussignée constate de prime abord que ni le texte législatif ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents, ne contiennent de définition de la notion de « recours manifestement infondé », et ce contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait en son article 9 la demande d’asile manifestement infondée1, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile en ses articles 32, 43, 54 et 65.
1 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile […]. » 2 « Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels : « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée. » 3 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » 4 « 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution. 2) Le fait d’établir qu’un pays déterminé ne présente pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution, n’entraînera cependant pas automatiquement le rejet de toute demande d’asile introduite par un ressortissant de ce pays, le principe de l’examen individuel de la demande restant acquis. » 5 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par le demandeur ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi, anciennement l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi, anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité – lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’ « atteinte grave » – et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, il ressort clairement des déclarations du demandeur, telles qu’actées au rapport d’audition, que sa demande en obtention d’une protection internationale est essentiellement basée sur des motifs économiques. En effet, le demandeur a relaté de manière détaillée les difficultés financières auxquelles il a été confronté avec sa compagne en Bosnie-
Herzégovine pour subvenir aux besoins de leur famille. Il a exposé le fait que sa compagne a été licenciée au neuvième mois de grossesse et que, par après, l’employeur n’a jamais payé l’indemnité à laquelle il a été condamné. Il a ensuite relaté les difficultés qu’il a rencontrées pour trouver un travail à Zvornik et ensuite à …, sa ville natale, qu’il a rejoint avec sa famille, dans l’unique but de trouver du travail. Il a encore relaté que sa recherche de travail l’a même mené jusqu’en Russie où il s’est fait embaucher pour participer aux travaux préparatifs de l’Olympiade, sans qu’il n’ait pourtant été payé. Le demandeur a clairement fait état de son désespoir face à sa situation financière désastreuse en affirmant que : « Je n’avais jamais été payé régulièrement et je ne voyais plus de sens en cherchant des petits travails. Tout cela a commencé à m’étouffer, je n’arrivais plus à dormir pendant la nuit ». Il a ensuite relaté que leur retour à Zvornik n’a rien changé à leur situation et qu’après que sa femme l’avait quitté il a vu un reportage à la télévision concernant des personnes demandant l’asile au Luxembourg.
Dans ce contexte, le demandeur a admis sans équivoque avoir quitté son pays d’origine et déposé une demande de protection internationale au Luxembourg pour des raisons d’ordre économique en déclarant que : « Je regrette ne pas être parti plus tôt. Pendant toute ma vie, j’avais des problèmes. Ici il est plus facile de trouver un travail. En BIH, 80% des gens travaillent en noir… Je suis régulièrement retourné à l’ADEM pour y demander un travail, mais sans succès (…) ». Force est dès lors de constater que les raisons ayant amené le demandeur à quitter la Bosnie-Herzégovine, ne sont pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, de sorte qu’elles ne peuvent pas justifier l’octroi du statut de réfugié.
Le demandeur affirme encore, premièrement, avoir été agressé par des musulmans au cours d’une bagarre qui se serait déroulée à la fin d’une fête du village à Zvornik le 1er mai 2011 ou 2012, lorsque sa femme et ses amis auraient déjà été rentrés et que les seules personnes encore présentes auraient été alcoolisées et deuxièmement que quinze jours après la bagarre précitée les fenêtres de sa maison auraient été cassées et les pneus de sa voiture auraient été crevés. Il y a toutefois lieu de constater qu’à défaut de toute précision quant aux auteurs desdits actes et en l’absence de tout autre acte concret ayant précédé ou succédé ces deux faits, ces derniers sont à considérés comme deux incidents isolés, dont aucun élément ne permet d’établir qu’ils auraient été motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. Ces incidents s’analysent plutôt en des infractions de droit commun une bagarre entre personnes alcoolisées ainsi qu’en actes de vandalisme susceptibles d’être le cas échéant poursuivis devant les juridictions du pays d’origine du demandeur, mais ne pouvant de ce fait pas être rattachés à l’un des critères de persécution prévus à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. Il s’y ajoute que ces deux incidents isolés ne revêtent, ni de par leur nature, ni de par leur caractère répété le degré de gravité tel que requis par l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme et ainsi être considérés comme actes de persécution.
En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, il se dégage des dispositions légales précitées que l’octroi statut conféré par la protection subsidiaire, tout comme l’octroi du statut de réfugié, suppose, entre autres, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité – lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’ « atteinte grave ».
Force est de constater qu’en l’espèce le demandeur n’allègue pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumis à la torture au sens du point b) du même article, ni encore craindre des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article. Concernant le risque de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants dans son pays d’origine, il échet de constater que les faits relatés par le demandeur s’analysent en deux incidents isolés, n’ayant été précédés et succédé d’aucun autre incident. Par ailleurs, le premier incident dont a fait état le demandeur consiste en une bagarre entre personnes alcoolisées ayant eu comme seule conséquence pour le demandeur que ses vêtements auraient été déchirés et le second incidents s’analyse en des actes de vandalismes commis par des personnes inconnues sur sa maison et sa voiture. Ces faits en l’absence de toute autre précision ne revêtent pas le degré de gravité requis pour pouvoir être considérés comme atteintes graves au sens des articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevé à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1), point b) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
En ce qui concerne le recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, il convient de constater que, tel que retenu ci -avant dans le cadre de l’analyse du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer par la voie d’une procédure accélérée sur la demande de procédure internationale, que les raisons ayant amené le demandeur à quitter son pays d’origine et à solliciter une protection internationale au Luxembourg, d’une part ne peuvent pas être rattachées à un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social et, d’autre part, ne revêtent pas un degré de gravité de sorte à pouvoir être considérées comme actes de persécution au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, ou comme atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi.
Dès lors, le recours dirigé contre le refus d’accorder au demandeur une protection internationale est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur fait valoir que l’ordre de quitter le territoire devrait être annulé comme conséquence de la réformation du refus d’accorder une protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que c’est partant à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la deuxième chambre du tribunal, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation contre la décision ministérielle du 5 février 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2016 par la soussignée, Françoise Eberhard, vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.
Goreti Pinto Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14/03/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 10