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29/02/2016 | LUXEMBOURG | N°37463

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 février 2016, 37463


Tribunal administratif N° 37463 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2016 Audience publique du 29 février 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37463 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 février 2016 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria)...

Tribunal administratif N° 37463 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2016 Audience publique du 29 février 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37463 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 février 2016 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 janvier 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 février 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le vice-président, présidant la 2e chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 février 2016.

Le 26 juin 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 8 juillet 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … fut entendu en date du 13 novembre 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Lors de cet entretien, Monsieur …, exposant être de nationalité nigériane, d’ethnie igbo et de confession chrétienne expliqua s’être retrouvé seul après la mort de son père. Un ami, …, lui aurait demandé à plusieurs reprises de l’accompagner aux réunions du groupe « Black Axe », ce qu’il aurait finalement accepté et il aurait ainsi accompagné … à … dans un camp en janvier 2015.

Monsieur … expliqua qu’il y aurait appris que les principales activités du groupe « Black Axe » seraient d’enlever des personnes pour réclamer des rançons et de tuer ces personnes au cas où la rançon ne serait pas payée. Il expliqua ensuite qu’il n’aurait pas voulu faire partie d’un tel groupe et qu’il aurait ainsi déclaré ne pas rejoindre le groupe « Black Axe ». En février 2015 cinq membres dudit groupe seraient venus à son domicile pour le menacer de mort en cas de refus de les rejoindre, ce qu’il aurait finalement promis. Dès leur départ, il se serait réfugié auprès d’un prêtre qui lui aurait conseillé de quitter le pays. Il aurait vécu en cachette chez le prêtre, le temps de préparer sa fuite, ensuite, le prêtre l’aurait accompagné au Senégal où il aurait embarqué dans un bateau vers l’Espagne. De l’Espagne il aurait rejoint le Luxembourg en bus avec le prêtre, qui aurait ensuite disparu en emmenant son passeport. Le demandeur ajouta ne pas avoir contacté la police au Nigéria en vue de solliciter une protection contre les membres du groupe « Black Axe » l’ayant menacé de mort puisque la police nigériane ne serait pas digne de confiance (« trustworthy »).

Par décision du 13 janvier 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre estima en substance que les raisons ayant amené Monsieur … à quitter son pays d’origine, le Nigéria, ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », sinon par la loi du 18 décembre 2015. Il ajouta qu’il ne serait pas démontré en l’espèce que les autorités nigérianes n’auraient pas pu ou n’auraient pas voulu accorder une protection à Monsieur … contre les agissements du groupe « Black Axe », puisque Monsieur … n’aurait même pas requis la protection de la police dans son pays d’origine. D’ailleurs, au sein de la police nigériane il y aurait des mécanismes de contrôle afin d’éviter toute méconduite des agents policiers et il existerait plusieurs acteurs de protection au Nigéria et non pas uniquement la police. Le ministre retint encore qu’il ne pourrait pas être exclu que la demande de Monsieur … serait basée sur des raisons économiques, qui ne pourraient pas justifier l’obtention du statut de réfugié. Il émit, par ailleurs, des doutes quant à la véracité du récit du demandeur. Il estima, par ailleurs, que les problèmes invoqués par Monsieur … n’auraient qu’un caractère local et qu’il aurait pu s’installer dans une autre partie du Nigéria pour se soustraire aux agissements du groupe « Black Axe ». Enfin, il conclut que le récit de Monsieur … ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 13 janvier 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une la demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître, du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 13 janvier 2016 telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur reproche de prime abord au ministre d’avoir retenu qu’il n’aurait soulevé que des faits sans pertinence, alors que depuis son refus de rejoindre le groupe « Black Axe », il serait devenu la cible de menaces de mort. Le fait qu’il aurait décrit la police nigériane comme « not trustworthy » et qu’il n’aurait pas requis sa protection ne permettrait pas de minimiser l’existence et l’envergure des menaces dont il aurait fait l’objet.

Il conclut qu’il aurait appartenu au ministre d’analyser sa demande dans le cadre de l’article 26 de la loi du 18 décembre 2015 et non point dans le cadre de l’article 27 de la même loi et ainsi selon une procédure accélérée.

A l’appui de son recours dirigé contre le refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur reproche d’abord au ministre d’avoir retenu à tort que les raisons l’ayant amené à quitter le Nigéria ne seraient pas motivées par des critères énumérées à la Convention de Genève. Il explique le fait de ne pas s’être adressé aux autorités nigérianes afin d’obtenir une protection contre les agissements du groupe « Black Axe » par la circonstance qu’il n’aurait pas pu faire confiance à la police nigériane. Il se réfère dans ce contexte plus concrètement à un rapport de l’organisation « Human Rights Watch » de janvier 2014 intitulé « Nigeria », relatant le fait que la police nigériane serait régulièrement impliquée dans des violations des droits de l’homme tels que des arrestations arbitraires, la torture, voire même des mises à mort extrajudiciaires, ainsi que dans des affaires de corruption, dans la mesure où des policiers solliciteraient régulièrement de l’argent de la part de victimes pour enquêter ou, à l’inverse, de la part de suspects pour abandonner les enquêtes. Il conteste qu’il aurait pu s’adresser aux autres autorités énumérées par le ministre dans la décision déférée afin d’obtenir une protection idoine, dans la mesures où il serait discutable que la « National Drug Law Enforcement Agency », la « Economic and Financial crimes Commission » ou la « Federal Road Safety Commission » seraient à considérer comme les autorités adéquates pour lui assurer une protection contre le groupe « Black Axe ». Enfin, il se réfère à un rapport de l’« Immigration and Refugee Board of Canada » pour expliquer qu’il aurait eu raison de ne pas faire confiance aux autorités nigérianes, puisque, selon ledit rapport, le groupe « Black Axe » détiendrait le soutien de personnes « in high places ». Le demandeur affirme que d’après le même rapport, le groupe « Black Axe » serait répandu à travers tout le Nigéria de sorte que le ministre n’aurait pas pu lui reprocher de ne pas s’être installé dans une autre région du Nigéria et plus particulièrement à Lagos, où le rapport du « Immigration and Refugee Board of Canada » relaterait expressément la présence du groupe « Black Axe » et préciserait même le nombre de personnes qui y auraient été tuées par ledit groupe « Black Axe ». Le demandeur signale encore la présence du groupe terroriste « Boko Haram » au Nord du Nigéria. Enfin, il conclut qu’une fuite à l’intérieur du Nigéria n’aurait pas pu lui apporter une quelconque protection contre les agissements du groupe « Black Axe » qu’il qualifie de groupe terroriste bien établi sur une grande partie du territoire du Nigéria.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance les motifs de refus à la base des décisions déférées, et en estimant que les faits dont le demandeur ferait état à savoir de simples menaces de la part de membres du groupe « Black Axe » ne pourraient pas rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015 puisqu’elles ne seraient pas motivées par des critères y énoncés à savoir, la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. Le délégué du gouvernement émet encore des doutes quant à la crédibilité du récit du demandeur et plus particulièrement quant à l’initiation qu’il aurait suivi au groupe « Black Axe ». Il argumente par ailleurs que la demande de protection internationale du demandeur serait également fondée sur des raisons économiques lesquelles ne pourraient pas justifier l’octroi d’une protection internationale. Il conclut que le ministre aurait à bon droit décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que le délégué du gouvernement émet des doutes quant à la véracité des déclarations du demandeur. Toutefois, les incohérences soulevés par le délégué du gouvernement ne sont pas de nature à ébranler la crédibilité du récit du demandeur dans son intégralité, de sorte qu’il est à considérer comme crédible dans sa globalité.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

La soussignée constate de prime abord que ni le texte législatif ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents, ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé », et ce contrairement à l’ancienne loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, laquelle définissait en son article 9 la demande d’asile manifestement infondée1, définition complétée par le règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile en ses articles 32, 43, 54 et 65.

Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, respectivement à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

La décision ministérielle est en l’espèce fondée sur les dispositions du seul point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel : « Sous réserve 1 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile […]. » 2 « Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée. » 3 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » 4 « 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution. 2) Le fait d’établir qu’un pays déterminé ne présente pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution, n’entraînera cependant pas automatiquement le rejet de toute demande d’asile introduite par un ressortissant de ce pays, le principe de l’examen individuel de la demande restant acquis. » 5 « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par le demandeur ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi, anciennement l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi, anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité – lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’ « atteinte grave » – et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur ne fait état, ni dans le cadre de son audition ni de son recours, par rapport à sa situation personnelle, d’une crainte de persécution basée sur un des motifs visés par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, il ressort des déclarations et du recours du demandeur qu’il n’a pas été menacé par les membres du groupe « Black Axe » en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son opinion politique ou de son appartenance à un groupe social, mais uniquement en raison du fait qu’il aurait refusé de les rejoindre en tant que membre. Les agissements et les menaces des membres du groupe « Black Axe », s’ils peuvent, le cas échéant être poursuivis pénalement ou conduire à une procédure en responsabilité civile devant les tribunaux de droit commun du pays d’origine du demandeur, ne peuvent de ce fait pas pour autant être rattachés à l’un des critères de persécution prévus à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. Il s’ensuit que la demande ainsi que les moyens du recours du demandeur en ce qu’ils tendent à l’obtention du statut du réfugié au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 sont à rejeter pour être manifestement infondés.

S’agissant de la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de vérifier s’ il existe des motifs sérieux et avérés de croire que si Monsieur …, était renvoyé au Nigéria, il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, de la loi du 18 décembre 2015 et s’il ne peut ou n’est pas disposé à se prévaloir de la protection des autorités nigérianes. Il échet, à cet égard, de relever que le demandeur ne fait pas état d’un risque de subir la peine de mort ou l’exécution des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. En ce qui concerne le risque de subir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, il échet certes de constater que le demandeur n’a été menacé de mort qu’à une seule reprise par des membres du groupe « Black Axe », lorsque ces derniers se sont rendus à son domicile pour le convaincre de devenir membre de leur groupe. Il ressort toutefois du rapport précité du « Immigration and Refugee Board of Canada » que ledit groupe forme une secte qui n’hésite pas à recourir à la violence pour imposer ses principes, notamment à l’égard de membres d’autres groupes ou en vue de recruter de nouveaux membres. En outre, il convient de relever que les menaces de mort ont été proférées à l’égard du demandeur par des personnes privées sans lien avec l’Etat, de sorte que ces personnes ne peuvent être considérées comme acteurs d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 205 que sous la condition que les autorités nigérianes, y compris les organisations internationales présentes au Nigéria n’ont pas pu ou voulu lui accorder une protection contre les agissements desdites personnes. Si lors de son entretien par un agent ministériel, le demandeur s’est limité à expliquer qu’il ne se serait pas adressé à la police nigériane puisque celle-ci ne serait pas « trustworthy », il a expliqué dans le cadre de son recours que la police nigériane serait régulièrement impliquée dans des affaires de corruption, voire de violations des droits de l’homme. A l’appui de ses affirmations, le demandeur a versé en cause le rapport précité de l’organisation « Human Rights Watch » selon lequel : « (…) The Nigerian police have also been involved in frequent human rights violations, including extrajudicial killings, torture, arbitrary arrests, and extortion-related abuses. Despite the dismantling of many “road blocks” by the inspector general of police, corruption in the police force remains a serious problem. The police routinely solicit bribes from victims to investigate crimes and from suspects to drop investigations. Senior police officials embezzle or mismanage police funds, often demanding monetary “returns” that their subordinates extort from the public. (…) ».

Tant le ministre dans le cadre de la décision déférée que le délégué du gouvernement dans le cadre de son mémoire en réponse affirment que le demandeur aurait pu s’adresser à d’autres autorités que la police nigériane en vue d’obtenir une protection contre les agissements du groupe « Black Axe », tels que la « National Drug Law Enforcement Agency », la « Economic and Financial crimes Commission » ou la « Federal Road Safety Commission ». A défaut de précisions quant aux missions exactes des autorités ainsi énumérées par la partie étatique, la soussignée n’est pas en mesure d’apprécier dans l’état actuel du dossier si c’est à juste titre que le demandeur affirme dans le cadre de son mémoire en réponse, qu’elles ne seraient pas à considérer comme les autorités adéquates pour lui assurer une protection contre les agissements du groupe « Black Axe ».

Enfin, la partie étatique reproche au demandeur de ne pas s’être installé dans une autre partie du Nigéria, notamment à Lagos, pour échapper à l’emprise du groupe « Black Axe ». Il ressort cependant du rapport précité du « Immigration and Refugee Board of Canada », versé en cause par le demandeur que le groupe « Black Axe » est actif à travers tout le Nigéria et plus particulièrement dans les grandes villes, telle que Lagos de sorte que la possibilité d’une fuite interne au Nigéria s’avère compromise dans le chef du demandeur. Il s’y ajoute que le demandeur, de confession chrétienne, signale, à juste titre, la présence du groupe terroriste islamiste « Boko Haram » au Nord du Nigéria, de sorte qu’une réinstallation au Nord de son pays d’origine peut être exclue.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en ce qu’il reproche au ministre d’avoir recouru à la procédure accélérée n’est pas manifestement infondé au sens de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, les moyens du demandeur tendant à établir qu’il n’aurait pas soulevé de moyens sans pertinence, dans la mesure où il aurait couru le risque de subir des atteintes graves, revêtant un certain degré de gravité et contre lesquelles les autorités nigérianes n’auraient pas pu ou voulu lui assurer une protection, ne sont pas à considérer comme visiblement dénués de tout fondement. Il y a partant lieu de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale du tribunal administratif pour y statuer, sans qu’il y ait lieu d’examiner le recours quant aux deux autres volets de la décision.

Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la deuxième chambre du tribunal, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 janvier 2016 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

dit que ledit recours n’est pas manifestement infondé et renvoie l’affaire à la deuxième chambre du tribunal administratif pour y statuer ;

fixe l’affaire à l’audience publique de la deuxième chambre du lundi 21 mars 2016 à 15.00 heures pour fixation ;

réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 février 2016 par la soussignée, Françoise Eberhard, vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 février 2016 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Siégeant en sa qualité de président de la deuxième chambre du tribunal
Numéro d'arrêt : 37463
Date de la décision : 29/02/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-02-29;37463 ?

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