Tribunal administratif N° 37411 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2016 Audience publique du 22 janvier 2016 Requête en sursis à exécution sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde introduite par la société anonyme …, … contre une décision du bureau d’imposition Société 5 et des décisions du directeur de l’administration des Contributions directes et des bulletins d’imposition en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal
___________________________________________________________________________
ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 37411 du rôle et déposée le 13 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Roby SCHONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés sous le numéro B…., représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport à 1) une décision du bureau d’imposition Société 5 de l’administration des Contributions directes du 6 juillet 2015 lui ayant refusé un sursis de paiement pour les impôts dus des années 2005 à 2011, 2) une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 octobre 2015, n° C 21240, portant rejet du recours hiérarchique formel introduit à l’encontre de la décision précitée du 6 juillet 2015, et 3) une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 décembre 2015, n° C21134, portant rejet de la réclamation introduite à l’encontre de divers bulletins d’imposition relatifs aux années 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011, tous émis le 28 mai 2015, ces décisions étant par ailleurs entreprises au fond par une requête en annulation sinon en réformation introduite le 13 janvier 2016, portant le numéro 37410 du rôle;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées au juge du fond ;
Maître Roby SCHONS et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou THILL entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du jeudi 21 janvier 2016.
___________________________________________________________________________
Par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 7 février 2013, prononcé notamment à charge de Monsieur …, propriétaire et administrateur avec pouvoir de signature de la société anonyme …, ayant exploité un établissement de boisson sous la dénomination « …» à …, la fermeture définitive de cet établissement fut ordonnée, ledit jugement contenant encore au niveau de ses motifs une analyse détaillée de la situation financière de Monsieur ….La société anonyme … se vit adresser en date du 28 mai 2015 des bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, ainsi que des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial des années 2010 et 2011, et ce suite à une révision fiscale effectuée sur base des « faits nouveaux contenus dans le jugement n° 510/2013 du 7 février 2013 et justifiés par les pièces mis à notre disposition par le procureur d’Etat ».
Par courrier du 30 juin 2016, la société anonyme … sollicita le bénéfice d’un sursis de paiement, lequel lui fut toutefois refusé en date du 6 juillet 2015 par le bureau d’imposition Société 5 de l’administration des Contributions directes.
Le recours hiérarchique formel introduit à l’encontre de la décision précitée du 30 juillet 2015 fut pareillement rejeté par décision du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », du 13 octobre 2015, référencée sous le n° C 21240.
La société anonyme … fit ensuite introduire en date du 30 juin 2015 une réclamation à l’encontre des susdits bulletins d’imposition, laquelle fut toutefois rejetée par décision directoriale du 3 décembre 2015, référencée sous le n° C21134, motivée comme suit :
« Vu la requête introduite le 1er juillet 2015 par Me Roby Schons, au nom de la société anonyme …, L- …, pour réclamer contre « les bulletins d’impositions des années 2005 à 2011 datés du 28/05/2015 » ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que la requête ne désigne pas les bulletins critiqués; que la réclamation est cependant à considérer comme étant dirigée contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, ainsi que contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial des années 2010 et 2011, tous émis le 28 mai 2015 ;
Considérant que l’introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n’est incompatible en l’espèce avec les exigences d’une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi; qu’il n’y a pas lieu de la refuser ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi; qu’elles sont partant recevables ;
Considérant que le réclamant fait grief au bureau d’imposition d’avoir procédé à des redressements basés «sur le jugement No 510/2013 du 07/02/2013 et justifiées par les pièces mises à notre disposition par le procureur d’Etat » ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause sans égard aux moyens et conclusions du requérant, la loi d’impôt étant d’ordre public ;
qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-
fondé ;
qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
Considérant que suivant ses statuts de constitution, la réclamante a pour objet social l’exploitation d’un débit de boissons alcooliques et non-alcooliques; qu’elle peut encore faire toutes opérations commerciales et financières, mobilières ou immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement, en tout ou en partie à son objet social ;
Considérant qu’il est constant que la réclamante a exploité un débit de boissons à … sous l’enseigne « …» ;
Considérant que dans sa requête introductive, la réclamante fait valoir qu’elle contesterait les bulletins litigieux; qu’elle demande de lui « communiquer les « pièces mises à la disposition de l’Administration des Contributions Directes par le procureur d’Etat» et étant à la base de ces taxations » ;
Considérant qu’elle expose encore qu’il s’ « avère en effet que le passage du jugement 510/2013 du 07/0212013 à la page 10 conclut à un « montant de …EUR n’ayant pas été déclaré à l’Administration compétente ». Or ce montant est formellement contesté par mon mandant et n’a jamais été admis par Monsieur …. Il faut savoir que ce montant se trouve inscrit dans la partie « motifs du jugement» et que mon mandant n’a jamais été condamné pour ces faits et ne peut par conséquent pas subir un dommage fiscal pour un fait pour lequel il n’a pas été condamné » ;
Considérant qu’il résulte du dossier que le revenu imposable de la réclamante a été majoré des sommes respectives de … euros, de … euros, de … euros, de … euros et de … euros au titre des années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009 ;
Considérant qu’il ressort encore du dossier fiscal que les bases d’imposition des années 2010, 2011, 2012 et 2013 ont été établies par voie de taxation; que les bases d’imposition des années 2010 et 2011 ont été évaluées à respectivement … euros et à … euros ;
En ce qui concerne la comptabilité de la réclamante Considérant qu’il y a lieu de relever d’abord que la requérante a été soumise aux obligations de la tenue d’une comptabilité régulière au sens des articles 197 et 205 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, des articles 8 à 16 du Code de Commerce et du § 160 (1) de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que le paragraphe 162 AO détermine les conditions à respecter par les entreprises afin que leur comptabilité soit tenue de manière régulière ;
Considérant qu’une comptabilité régulière en la forme et au fond est la représentation des comptes d’une entreprise dans une stricte chronologie et d’après les faits réels; qu’elle est censée avoir enregistré de manière claire, précise et ordonnée toutes les opérations de cette entreprise ; qu’elle doit avoir pris en considération de façon exacte l’intégralité des faits comptables ;
Considérant que le § 208 (1) de la loi générale des impôts (AO) crée une présomption de régularité intégrale en faveur des comptabilités conformes aux règles énoncées au §162 AO ;
Considérant qu’il est constant que le sieur … est le propriétaire et l’administrateur avec pouvoir de signature de la réclamante; qu’il est en outre constant que le sieur … a reconnu avoir tenu une deuxième comptabilité pour la réclamante, tel un extrait du jugement prédit du 7 février 2013 :
« Confronté au fait que l’enquête a révélé qu’un montant de …euros n’a pas été déclaré à l’administration compétente, … a admis avoir tenu une double comptabilité. La raison en aurait été qu’il devait payer un certain nombre de dépenses en liquide, sans facture ;
Considérant que le paragraphe 208 alinéa 1 AO instaure la présomption de véracité au fond en faveur d’une comptabilité reconnue régulière en la forme ;
que cette présomption ne saurait être invoquée en faveur d’une comptabilité non régulière ;
En ce qui concerne les années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009 Considérant qu’il ressort du dossier fiscal que le bureau d’imposition a majoré le revenu en augmentant le revenu imposable des années 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 sur base de données lui soumises par le procureur d’Etat en relation avec une enquête menée envers le sieur … ;
Considérant d’abord qu’indépendamment « de la force probante au pénal d’un rapport du service de police judiciaire, limitée aux constatations faites par un officier de police judiciaire, et au vu du régime général de la libre appréciation des preuves consacré par la « Abgabenordnung », le bureau d’imposition peut valablement se baser sur les montants et faits renseignés dans un tel rapport pour y asseoir les bases d’imposition (Cour administrative du 27 juillet 2011, numéros 28150C et 28151 C du rôle) ;
Considérant qu’il ressort tant des rapports du 23 septembre 2011 et du 14 novembre 2011 de la police judiciaire que du rapport d’analyse établi en date du 24 janvier 2012 par la cellule d’analyse et d’appui de la police judiciaire qu’il est constant que la requérante a tenu deux comptabilités, notamment deux livres de caisse, dont un livre de caisse « offic iel » pour la fiduciaire établissant les déclarations fiscales ;
Considérant qu’en raison de l’objet social de la réclamante, i.e. la vente de boissons alcooliques et non alcooliques avec consommation sur place, la tenue journalière soignée, voire consciencieuse et exacte, du compte de caisse est indispensable ;
Considérant que le rapport d’analyse du 24 janvier 2012 de la police judiciaire a entre autres fait ressortir que sur base des documents comptables saisis par la police, la réclamante n’a pas déclaré toutes les recettes de son « débit de boissons» ;
que le tableau ci-après reprend les recettes en espèces déclarées, ainsi que les recettes non déclarées établies sur base des livres de caisse saisis, i.e. le livre de caisse officiel et le livre de caisse non officiel ;
(Tableau) Considérant que la notion de fait nouveau englobe tout fait ou acte quelconque qui est susceptible de constituer isolément ou ensemble avec d’autres faits ou actes une base d’imposition de l’impôt en cause et dont le bureau d’imposition compétent n’a eu connaissance qu’après l’émission du bulletin d’impôt initial sans que le contenu des déclarations antérieures du contribuable n’ait été de nature à donner lieu à des doutes raisonnables dans le chef du bureau d’imposition (Tribunal administratif 17.02.2005, n° 18011 du rôle) ;
Considérant qu’en application du § 222 AO, l’administration est fondée à émettre des bulletins rectificatifs chaque fois que le contribuable a fourni, dans sa déclaration fiscale, des indications inexactes, insuffisantes ou incomplètes par rapport à la nature de l’impôt (Conseil d’État, 23.12.1964, n° 5684 du rôle) ;
Considérant qu’en ce qui concerne les années 2005 à 2009, le bureau d’imposition a majoré le revenu imposable de ces : années de la différence entre les recettes « cash » non déclarées et les recettes « cash» déclarées tout en tenant compte de « certaines dépenses d’exploitation» évaluées en vertu du § 217 AO ;
Considérant que ces dépenses d’exploitation déduites par le bureau d’imposition concernent, d’une part, un pourcentage de 10% des boissons vendues (recettes non déclarées) revenant au « barman» et, d’autre part, un pourcentage de 20% des boissons vendues revenant aux danseuses ;
Considérant qu’il ressort entre autres desdits rapports que l’associé de la réclamante, i.e. le sieur … a touché un salaire d’environ 156.000 euros en sa qualité d’informaticien auprès d’une société luxembourgeoise pendant une période de 39 mois (2006-2009) et qu’il a versé des dons d’un montant total de … euros endéans la même période ;
Considérant qu’il résulte du dossier fiscal que pour les années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, le bureau d’imposition a établi les bases d’imposition comme suit :
(Tableau) Considérant qu’il résulte clairement de ce tableau que le bureau d’imposition s’est borné à majorer le revenu imposable de la réclamante des recettes « cash» non déclarées sur base des livres de caisse saisis par la police judiciaire, tout en prenant en compte des dépenses d’exploitation ;
Considérant qu’il y a lieu de rappeler que le sieur … a reconnu avoir tenu une deuxième comptabilité et que la police judiciaire a saisi les livres de caisse tant officiels qu’inofficiels ;
Considérant qu’il résulte des rapports de la police judiciaire que la réclamante n’a pas déclaré toutes ses recettes de son « exploitation commerciale » ;
Considérant en plus qu’il est constant que l’associé de la réclamante a dépensé plus d’argent qu’il a tiré de son occupation salariée d’informaticien;
Considérant qu’il n’est pas non plus litigieux que l’initiative de ne pas déclarer toutes les recettes de « l’exploitation commerciale » a été prise par la réclamante, i.e. son associé … et non par une tierce personne;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a émis des bulletins rectificatifs sur base du paragraphe 222 AO et majoré de le revenu imposable des années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009 des recettes en espèces non déclarées;
Considérant que le paragraphe 217 AO prévoit le procédé de taxation, lorsque les bases d’imposition ne peuvent pas être déterminées autrement ;
qu’en l’espèce, les montants des ajoutes de recettes évaluées par le bureau d’imposition sont donc à confirmer ;
En ce qui concerne les années 2010 et 2011 Considérant que la réclamante n’ayant réservé aucune suite aux divers rappels l’invitant au dépôt des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal des années en cause, notamment aux sommations d ’astreintes et aux décisions liquidant les astreintes en question, le bureau d’imposition était fondé à procéder par voie de taxation conformément au § 217 AO ;
Considérant qu’au paragraphe 217 de la loi générale des impôts (AO), le législateur règle la procédure à suivre lorsque le contribuable ne peut pas - ou ne veut pas - éclairer ses revenus: "(1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschliesslich solcher Besteuerungsgrundlagen, für die eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind. ";
Considérant qu’il résulte du dossier fiscal que le bureau d’imposition a établi les bases d’imposition des années 2010 et 2011 comme suit :
(Tableau) Considérant qu’il résulte du dossier fiscal personnel de l’associé … que celui-ci a tiré des salaires nets annuels respectifs d’environ … euros et de … euros au cours des années 2010 et 2011 en raison de son activité salariée d’informaticien ;
qu’il a encore touché des loyers bruts respectifs de … euros et de … euros au cours des années 2010 et 2011 ;
Considérant qu’il n’est pas non plus litigieux que le sieur … a acquis un immeuble à Luxembourg-Ville pour un prix de … euros qui a été financé par un prêt bancaire ;
que le sieur … a engagé au cours de l’année 2010 des dépenses d’un montant total de … euros en tant que frais d’entretien et de réparation de cet immeuble, ainsi que des intérêts débiteurs d’un montant de … euros en relation avec le prêt bancaire ;
Considérant que le sieur … a engagé des dépenses totales d’un montant de … en relation avec trois autres immeubles loués, ainsi que des frais de refinancement y relatifs de … euros ;
Considérant encore que le sieur … rembourse mensuellement des prêts se rapportant à trois immeubles, dont deux sis à Luxembourg et un immeuble sis à … (mensualités d’un montant total de … euros) ;
Considérant qu’il résulte des divers rapports de la police judiciaire, notamment du rapport d’analyse du 24 janvier 2012 que le sieur … a prélevé un montant total de … euros du compte de la réclamante pendant la période du 1er octobre 2010 et du 12 août 2011 (les relevés des comptes bancaires indiquent la mention « … … ») ;
Considérant qu’il ressort encore dudit rapport que le sieur … a retiré un montant total de … euros ( !) de son compte courant ;
Considérant qu’il y a lieu de constater que pour l’année 2010, le sieur … avait un revenu mensuel moyen de … euros (y compris les encaissements de loyers) à sa disposition pour payer ses mensualités d’un montant total de … euros pour ses prêts immobiliers, ainsi que les dépenses d’entretien en relation avec ses immeubles (montant total de …) et des frais de refinancement y relatifs d’un montant total de … euros ;
qu’en dehors de toutes ces dépenses, il y a lieu de citer encore les dépenses de train de vie, i.e. les frais de vêtements, de nourriture, d’électricité, de téléphone, de voiture, d’assurances etc. pour trois personnes, i.e. le sieur …, son épouse et son fils ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le sieur … a dépensé bien plus d’argent qu’il a gagné par son activité d’informaticien et tiré de ses loyers ;
que le sieur … a retiré des ressources financières de l’actif social de la réclamante ;
Considérant que le paragraphe 217 AO constitue la base légale de la taxation, c’est-
à-dire le moyen qui permet au bureau d’imposition qui a épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt, à laquelle les contribuables ne peuvent guère se soustraire (cf. Jean OLINGER, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, in études fiscales n° 81-85, novembre 1989, n°190, page 117 et trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2003, VO Impôts, n° 272 et autre référence y citée) ;
que la taxation ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d’imposition qui est appliqué même à l’égard des contribuables soigneux et diligents (cf. Jean OLINGER, ibidem et trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Impôts, n° 275) ;
Considérant qu’il y a dès lors lieu de confirmer également les bases d’imposition évaluées par le bureau d’imposition au titre des années 2010 et 2011 (…) ».
Par requête inscrite sous le numéro 37410 du rôle et déposée le 13 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif, la société anonyme … a fait introduire un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation des décisions de refus précitées et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 37411 du rôle, elle a encore introduit un recours tendant à voir ordonner par le tribunal le sursis à exécution, sinon à voir instaurer « toute mesure de sauvegarde qui s’impose » par rapport aux décisions en question.
Elle affirme que l’exécution des décisions déférées lui causerait un préjudice grave et définitif, alors que l’exécution de ces décisions causera sa faillite, tout en la soumettant à un impôt manifestement non dû, la société considérant encore que les moyens invoqués à l’appui du recours au fond seraient suffisamment sérieux pour justifier une mesure de sursis à exécution en attendant la solution du litige par les juges du fond.
Le délégué du gouvernement demande le rejet de la demande au motif que les conditions légales pour l’obtention d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde, à savoir des moyens sérieux et un risque de préjudice grave et définitif, ne seraient pas remplies en l’espèce.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 13 janvier 2016 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne ensuite la condition tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, telle que visée par l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999, il convient de rappeler que le risque du préjudice s’apprécie in concreto et qu’il appartient au demandeur d’apporter des éléments à cette fin.
En l’espèce, la demanderesse se borne à affirmer, sans donner aucune précision sur sa situation financière, que l’exécution des décisions querellées lui occasionnera un préjudice grave et définitif entraînant sa faillite.
Un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Si un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, pour être, en principe, compensable par l’allocation de dommages et intérêts, il en est différemment lorsque le demandeur établit l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable, ce qui implique que le demandeur donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice1.
S’il est incontestable que le paiement d’un montant important au titre d’impôts est susceptible de représenter une charge importante pour le contribuable visé, une telle charge ne saurait être admise comme entraînant ipso facto des conséquences irrémédiables, mais exige la production de précisions, le cas échéant étayées, sur la situation d’(in)fortune concrète du contribuable.
Or, en l’espèce, la demanderesse n’a pas produit la moindre pièce attestant des conséquences irrémédiables alléguées, le soussigné ignorant toute de l’activité de la société, de ses avoirs, de ses dettes, bref, de sa situation financière et patrimoniale.
Si la demanderesse entend certes échapper à la charge de la preuve lui incombant en faisant plaider que l’intégralité de ses documents sociaux et comptables auraient été confisqués puis ultérieurement détruits, il n’en demeure pas moins que la situation de fortune de la société devrait, a priori, être reconstituable, ne serait-ce par la production des comptes sociaux publiés, tel que prescrit notamment par la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, ou par la délivrance de duplicata fournis par les établissements bancaires concernés.
Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas établi que l’exécution immédiate de la décision litigieuse risque de lui causer un préjudice grave et définitif.
Cette conclusion devrait nécessairement amener le soussigné à rejeter la demande en obtention d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde, sans examiner davantage la question du sérieux des moyens avancés au fond, les conditions afférentes devant en effet 1 Trib. adm. prés. 10 juillet 2013, n° 32820 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 521.
être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne l’échec de la demande.
Aussi, ce n’est qu’à titre superfétatoire que le soussigné procède ci-après à l’analyse sommaire des moyens invoqués à l’appui du recours.
Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre les décisions déférées, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée. Le président du tribunal doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme l’intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire, c’est-à-dire que les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte2 -, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
2 Jean-Paul Lagasse, Le référé administratif, 1992, p.48.
A cet égard, la société anonyme … soutient, en substance, que son recours au fond serait justifié par l’excès sinon le détournement de pouvoir en ce sens que l’administration des Contributions directes n’aurait pas respecté les règles relatives à l’établissement des bulletins d’impôts, sinon aurait fait fi des règles gouvernant la matière ; elle critique encore l’administration des Contributions directes pour avoir commis un détournement de la loi, sinon une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, en ce sens que l’administration des Contributions directes n’aurait pas respecté le principe du contradictoire lors de l’établissement des bulletins d’impôts rectificatifs, tout en trompant la croyance légitime que l’administré pouvait avoir dans les services de l’Etat. Enfin, elle excipe d’une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), lequel serait « applicable en la matière dans son volet pénal ».
Plus précisément, en ce qui concerne la décision du bureau d’imposition Société 5 de l’administration des Contributions directes du 6 juillet 2015 lui ayant refusé un sursis de paiement pour les impôts dus des années 2005 à 2011, la société anonyme … critique ladite décision pour ne pas avoir été prise par un tribunal, mais par « l’organe preneur de la décision précitée », la société estimant par ailleurs que le paragraphe 251 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », serait contraire à l’article 6 CEDH, puisque à travers le paragraphe 251 AO, l’administration serait érigée en contrôleur de sa propre décision, « en d’autres termes elle devient juge et partie dans la même cause ce qui ne saurait valoir dans un Etat de Droit », la société anonyme … critiquant encore que l’administration des Contributions directes aurait été peu encline à faire droit à sa demande.
Dans la mesure où ce moyen est intelligible et tendrait à contester la compétence du préposé du bureau d’imposition pour répondre à une décision lui adressée et relevant à première vue légalement de sa compétence (« Die Behörde, die den Bescheid erlassen hat, kann die Vollziehung aussetzen, geeignetenfalls gegen Sicherheitsleistung »), le soussigné se soit de lui dénier tout caractère sérieux, alors qu’il semble évident que l’administration compétente pour ce faire soit également l’organe qui prend la décision sollicitée, le soussigné ne voyant pas quel autre organe serait valablement appelé à prendre une telle décision. Il ne paraît par ailleurs pas sérieusement critiquable qu’un organe ayant pris une décision soit également compétent pour connaître au niveau administratif d’une éventuelle faveur à accorder à l’administré, consistant en une exécution différée de la même décision. Dans la mesure où la société tend toutefois à considérer que le fait que l’organe administratif compétent, saisi d’une demande, y réponde également, et plus particulièrement que l’organe ayant émis des bulletins d’imposition décide d’accorder ou non un sursis à exécution y relatif, constituerait une violation de l’article 6 CEDH, le soussigné constate qu’il résulte de la jurisprudence établie que si l’article 6 CEDH impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure.
En d’autres termes, selon cette jurisprudence la CEDH ne s’oppose manifestement pas à ce qu’une décision soit prise par une autorité ne satisfaisant pas aux exigences de l’article 6 pourvue que la personne concernée puisse introduire un recours contre celle-ci devant un tribunal offrant toutes les garanties de l’article 63.
Il s’ensuit que le moyen avancé par la demanderesse, basé sur une violation alléguée de l’article 6 CEDH au niveau de la procédure administrative ayant précédé la décision déférée sous examen, laisse en tout état de cause de présenter un caractère sérieux suffisant.
En ce qui concerne la décision subséquente du directeur du 13 octobre 2015 portant rejet du recours hiérarchique formel introduit à l’encontre de la décision précitée du 6 juillet 2015, la demanderesse, outre de rechercher l’annulation de cette décision pour les mêmes motifs que ceux analysés ci-avant - la demanderesse critiquant ainsi également de manière saugrenue que le directeur ne serait pas un tribunal - reproche au directeur d’avoir confirmé l’analyse du bureau d’imposition, tout en « soumettant le refus du sursis à exécution au sort de la réclamation encore pendante devant lui et portant sur les éléments essentiels relatif(s) à l’établissement et au calcul de l’impôt ».
Or, il semble, au terme d’un examen nécessairement sommaire, que la demanderesse ce faisant, opère une confusion entre les pouvoirs - limités - du directeur statuant dans le cadre d’un recours hiérarchique formel, décision pouvant faire ultérieurement l’objet d’un simple recours en annulation, et les pouvoirs étendus du directeur statuant sur une réclamation, susceptible de faire l’objet en phase contentieuse d’un recours en réformation.
Il n’appert dès lors pas que ce moyen présente le caractère sérieux nécessaire.
En ce qui concerne la décision directoriale intervenue sur réclamation, la société demanderesse critique en substance que le directeur n’aurait pas respecté les exigences légales prévues par l’article 256 AO ainsi que celles prévues par l’article 6.3 b CEDH, la société anonyme … soutenant qu’aucun document servant de base au redressement fiscal ne lui aurait été communiqué, de sorte qu’elle n’aurait pas disposé des facilités pour préparer sa défense, alors qu’elle se serait vue imposer sur des sommes notoires, la société en concluant que le principe du contradictoire aurait été inexistant pendant toute la procédure entreprise par l’administration des Contributions directes.
La société anonyme … considère ensuite que les faits à la base de la décision ne seraient pas établis et que la décision ne serait pas proportionnelle par rapport aux faits établis, en soulignant que tous ses documents sociaux et sa comptabilité auraient été détruits, de sorte que le fisc n’aurait pas pu se baser sur les documents communiqués par le Procureur d’Etat pour procéder à la rectification des bulletins de l’impôt sur le revenus des collectivités, puisque suivant l’information du procureur d’Etat au médiateur du 13 janvier 2015 tous les documents sociaux et la comptabilité de la société … auraient été détruits, de sorte qu’elle conteste le montant de …euro « retenu dans le jugement de condamnation du 7 février 2013 », base retenue pour procéder aux opérations d’imposition, la demanderesse estimant que ce serait à tort que l’administration des Contributions directes a retenu ce montant comme étant acquis sans procéder à tout autre examen.
En l’espèce, force est de constater que la société anonyme … produit au fond essentiellement un double moyen, à savoir une violation du principe du contradictoire, d’une 3 Trib. adm. 16 décembre 2015, n° 35846.
part, et une violation du principe de proportionnalité, mélangée à la question de la motivation des décisions, d’autre part.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 6 CEDH, celle-ci ne saurait être considérée à ce stade précoce d’instruction de l’affaire comme présentant une sérieuse chance de succès, de sorte que ce moyen ne paraît comme suffisamment sérieux au stade actuel de la procédure. En effet, il appert, au terme d’un examen nécessairement sommaire et tel que constaté d’ores et déjà ci-avant, que les juges du fond considèrent que les garanties prévues par l’article 6 CEDH n’ont pas vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure4, la CEDH ne s’opposant en effet pas à ce qu’une décision soit prise par une autorité ne satisfaisant pas aux exigences de l’article 6 pourvue que la personne concernée puisse introduire un recours contre celle-ci devant un tribunal offrant toutes les garanties de l’article 6.
Il semble encore que l’application de l’article 6 en question soit exclue en matière purement fiscale5. Si son application semble en revanche admise en matière des pénalités fiscales, il appert, d’une part, que l’arrêt de la CEDH6 cité par la demanderesse ne semble pas ipso facto transposable au cas d’espèce, s’agissant dans le cas soumis à la CEDH non pas comme en l’espèce d’une taxation, mais d’une « majoration d’impôt [à savoir] une mesure administrative à caractère punitif infligée aux contribuables ayant contrevenu aux règles du droit fiscal » prévue spécifiquement par l’article 182 de la loi finlandaise relative à la taxe sur la valeur ajoutée, et d’autre part, que la jurisprudence luxembourgeoise7 ne considère pas la taxation comme une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais comme un procédé de détermination des bases d’imposition qui est appliqué même à l’égard des contribuables soigneux et diligents.
Force est d’ailleurs de constater qu’il semble au terme d’une lecture superficielle que la CEDH aurait elle-même, dans l’arrêt précité, sous son point 29, retenu que « l’article 6 n’[est] pas applicable, sous son angle civil, à l’établissement de l’imposition et aux majorations d’impôt ».
Le soussigné relève enfin que dans une affaire similaire, la Cour administrative a retenu que « contrairement à l’argumentation afférente [du contribuable], l’article 6 CEDH trouve application dans le cadre de contestations sur des droits et obligations de caractère civil et d’accusations en matière pénale qui sont traitées devant une instance judiciaire, mais non pas dans le cadre d’une procédure administrative de rectification de bulletin d’impôt dont l’objet est confiné à la fixation correcte de la dette d’impôt redue par une personne sur base des revenus effectivement réalisés, aucun élément d’accusation pénale n’étant sous-
jacent à une telle procédure qui, de plus, est de nature purement administrative et ne porte pas sur un droit civil8 ».
4 Trib. adm. 9 décembre 2013, n° 29910, V° Droits de l’homme et libertés fondamentales, n°18.
5 CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/Italie, aff. 44759/98, pt.31, ainsi que 13 janvier 2005, Emesa Sugar NV c/ Pays-Bas, aff. 62023/00 ; trib. adm. 13 août 2015, n° 36452.
6 CEDH, 23 novembre 2006, Jussilia c/ Finlande.
7 Trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n° 587.
8 Cour adm. 29 juillet 2009, n° 25356C.
Il s’ensuit dès lors que la violation alléguée de l’article 6 CEDH au niveau pré-
contentieux - la société anonyme … admettant elle-même que le directeur n’est pas une instance judiciaire - ne paraît pas, au vu de ces jurisprudences, devoir entraîner ipso facto la sanction par les juges du fond des décisions déférées ; le moyen afférent, tablant tant sur l’applicabilité de l’article 6 CEDH au niveau pré-contentieux que sur son applicabilité en matière fiscale pure, ne semble dès lors pas présenter de sérieuses chances d’être entériné par les juges du fond.
La même conclusion semble s’imposer en ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 256 AO, lequel prévoit la communication sur demande ou d’office au contribuable des documents à la base de la taxation litigieuse, la société anonyme … ayant en effet eu connaissance des éléments du dossier pénal justifiant la taxation litigieuse, circonstance explicitement admise par son avocat lors des plaidoiries.
Si le litismandataire de la société a certes nuancé ce constat lors des plaidoiries, en affirmant que si la société, respectivement lui-même avaient certes eu connaissance de tous les éléments du dossier dans le cadre de la procédure pénale ayant abouti au jugement du 7 février 2013, ils auraient néanmoins ignoré, malgré d’itératives demandes en ce sens, qu’il s’agirait de ces éléments précis qui auraient motivé la taxation, de sorte à ne pas pouvoir assurer la défense du contribuable devant les instances fiscales, cet argument ne paraît toutefois pas sérieusement devoir être retenu par les juges du fond.
En effet, la révision fiscale effectuée est explicitement justifiée par les « faits nouveaux contenus dans le jugement n° 510/2013 du 7 février 2013 et justifiés par les pièces mis à notre disposition par le procureur d’Etat », tandis que ce jugement, prononcé contradictoirement à l’égard de Monsieur …, propriétaire et administrateur de la société anonyme …, contient des analyses détaillées de la situation financière de Monsieur … ainsi que de la société anonyme …, analyses s’appuyant sur des rapports de la police judiciaire, dûment identifiés dans ledit jugement, dont notamment le rapport SPJ/CAA/2010/10145/269 HACA du 24 janvier 2012 et le rapport JDA 10145-20/2010 du 7 décembre 2010. Il apparaît dès lors sommairement qu’encore que les divers bulletins n’aient pas précisément identifié les pièces communiquées par les services du Parquet et ayant servi à procéder à la taxation, la référence explicite au prédit du jugement et les indications précises contenues dans ledit jugement à des rapports dont le contribuable avait eu communication dans le cadre de la procédure pénale auraient a priori dû permettre à ce dernier, ainsi qu’à son avocat, à cerner les bases précises retenues pour la taxation, et ce d’autant plus que lesdits rapports de police contiennent à première vue une analyse détaillée et précise des flux financiers de Monsieur … et de la société anonyme ….
Le soussigné constate par ailleurs qu’au plus tard au niveau de la décision directoriale intervenue sur réclamation, les bases d’imposition devraient à première vue être claires, le directeur y ayant visiblement indiqué les bases d’imposition précises, tout en indiquant encore les rapports de police consultés.
Le soussigné relève enfin que dans l’affaire similaire citée ci-dessus, la Cour administrative a retenu que « même si les informations contenues dans ledit rapport n’avaient pas été acquises dans le cadre d’une procédure en matière d’impôt sur le revenu, mais dans le cadre d’une enquête pénale, l’origine des informations et l’implication [du contribuable] dans le cadre de l’enquête pénale permettaient au bureau d’imposition d’admettre même dans cette hypothèse que l’intimé était à considérer même pour les besoins de la procédure de rectification de bulletins d’impôt comme ayant à ce moment déjà connaissance des éléments contenus dans le rapport du service de Police judiciaire9 en ce qu’ils provenaient de sa propre sphère d’action sans comporter des éléments complémentaires dont il ne pouvait pas avoir connaissance. Ainsi, dans les circonstances particulières de la cause, exiger de la part du bureau d’imposition de communiquer le rapport litigieux [au contribuable], préalablement à l’émission des bulletins rectificatifs (…), s’analyse en l’exigence d’un excès de formalisme consistant à obliger l’administration à informer un contribuable d’éléments qu’il connaît déjà »10.
Enfin, il semble que le moyen afférent de la demanderesse, encore que formulé de manière confuse, tendrait plutôt à critiquer la décision directoriale du 3 décembre 2015 en ce que celle-ci aurait validé sa taxation d’office sur base d’une comptabilité inexistante, la société demanderesse critiquant encore plus avant le directeur pour ne pas avoir de ce fait justifié les montants retenus.
Ces moyens, pris globalement, semblent toutefois, au terme d’un examen nécessairement superficiel, faire fi des règles présidant à la taxation des revenus.
En effet, pour rappel, aux termes d’une jurisprudence constante, la taxation des revenus constitue le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt. Ainsi, en vertu du paragraphe 217 (2) AO, la taxation des revenus serait possible si le contribuable ne peut pas fournir d’explications suffisantes à l’appui de ses déclarations ou si le contribuable devant effectuer une comptabilité ne peut pas présenter sa comptabilité ou si cette dernière est incomplète respectivement formellement ou matériellement incorrecte : le paragraphe 217 AO consacre ainsi le principe de la taxation d’office par voie d’estimation du bénéfice d’après les éléments et circonstances d’exploitation dans l’hypothèse d’une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait.
Aussi, au cas où le contribuable met le bureau d’imposition dans l’impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable, la jurisprudence considère qu’il est censé se contenter de cette approximation, qu’elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d’impôt établi par voie de taxation, respectivement par après devant les juridictions administratives au seul motif que la cote d’impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt.
Dans le cadre de la preuve à rapporter ainsi, ses déclarations ne bénéficient en effet d’aucune présomption de véracité. Aussi, le contribuable qui veut renverser la présomption découlant d’une taxation d’office doit se ménager des preuves.
Or, en l’espèce, le soussigné ne décèle, en l’état actuel d’instruction nécessairement sommaire du dossier, aucun élément susceptible d’énerver le recours par le fisc à la procédure de taxation et, plus particulièrement, de remettre en cause les montants retenus, la société demanderesse n’ayant produit aucun document ou pièce quelconque permettant de soupçonner une taxation erronée ou disproportionnée, ni même formulé aucun moyen concret et précis afférent. Bien au contraire, il résulte des propres requêtes de la société demanderesse 9 Souligné par le soussigné.
10 Cour adm. 29 juillet 2009, n° 25356C.
que celle-ci admet avoir eu recours à une comptabilité frauduleuse, à savoir une double comptabilité. Par ailleurs, il résulte encore des explications fournies en cause que le directeur s’est basé sur le jugement correctionnel du 7 février 2013, et du dossier pénal afférent, dont résulterait le montant taxé retenu. Or, il est admis qu’indépendamment de la force probante au pénal d’un rapport du service de police judiciaire, limitée aux constatations faites par un officier de police judiciaire, et au vu du régime général de la libre appréciation des preuves consacré par la AO, le bureau d’imposition peut valablement se baser sur les montants et faits renseignés dans un tel rapport pour y asseoir les bases d’imposition. Pareillement, un jugement pénal ayant condamné le contribuable du chef de diverses infractions pénales peut être pris en compte11.
Aussi, les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissant dès lors pas non plus, au stade actuel de la procédure, comme suffisamment sérieux et pour justifier une mesure provisoire, de sorte qu’il y a lieu de débouter la société anonyme … de sa demande en son intégralité.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire, condamne la société anonyme … aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 janvier 2016 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22/1/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 11 Cour adm. 27 juillet 2011, n° 28150C ; Cour adm. 27 juillet 2011, n° 28151C, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n° 593.