Tribunal administratif N° 36939 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 septembre 2015 Audience publique du 28 septembre 2015 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par les époux XXXet XXX, Luxembourg, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg en présence des époux XXX et XXX, Luxembourg, en matière de permis de construire
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 36939 du rôle et déposée le 15 septembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître David YURTMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX et de son épouse, Madame XXX, les deux demeurant ensemble à L-XXX, tendant à l’institution d’un sursis à exécution contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg prise le 10 juillet 2015, sous le numéro de référence 2015/1060 et en remplacement d’une décision antérieure en date du 5 février 2015, autorisant Monsieur YYY et Madame YYY, de modifier, respectivement agrandir leur maison sise à L-XXX, d’une part, et d’une décision du même bourgmestre en date du 15 juillet 2015, numéro de référence 9/2015/1 AB, d’autre part, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre ledit permis de construire et ladite décision par requête introduite le 15 septembre 2015, inscrite sous le numéro 36938 du rôle;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Maître David YURTMAN, pour les demandeurs, Maître Gilles DAUPHIN, en remplacement de Maître Christian POINT, pour l’administration communale de la Ville de Luxembourg, et Maître Luc JEITZ, pour Monsieur et Madame YYY, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 septembre 2015.
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Par décision du 5 février 2015, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg, ci-après dénommé le « bourgmestre », délivra, sous le numéro de référence 2015/18, une autorisation de bâtir à Monsieur YYY et Madame YYY, en vue de la modification, respectivement de l’agrandissement de leur maison sise à L-XXX.
Le 4 mai 2015, Monsieur XXX et, son épouse, Madame XXX, demeurant ensemble à L-XXX, saisirent le tribunal administratif d’un recours en annulation contre ledit permis de construire. Par ordonnance du 19 mai 2015, n° 36232 du rôle, le soussigné ordonna le sursis à exécution dudit permis de construire en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite du recours au fond.
Par la suite, le bourgmestre fut saisi par les époux YYY d’un projet de construction remanié.
Le 29 mai 2015, le bourgmestre en informa les époux XXX et il sollicita leur prise de position.
Les époux XXX, après consultation des nouveaux plans de construction, firent suite à cette invitation et, par courrier du 8 juin 2015, exposèrent les raisons du maintien de leur opposition au projet de leurs voisins.
Le 10 juillet 2015, le bourgmestre décida d’annuler sa décision du 5 février 2015 et de la remplacer par une nouvelle décision, portant le numéro de référence 2015/1060, autorisant le projet de modification, respectivement d’agrandissement remanié lui présenté par les époux YYY.
Par courrier du 15 juillet 2015, le bourgmestre informa les époux XXX du rejet de leur contestation et de l’émission d’un nouveau permis de bâtir en faveur des époux YYY.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2015, inscrite sous le numéro 36938 du rôle, les époux XXX ont fait introduire un recours devant le tribunal administratif tendant à l’annulation du permis de construire du bourgmestre du 10 juillet 2015, d’une part, et de la décision de rejet de leurs objections, d’autre part. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 36939 du rôle, les époux XXX sollicitent encore le sursis à exécution de ces deux décisions en attendant que le tribunal se soit prononcé sur ce deuxième recours au fond.
Ils estiment que les conditions légales requises pour justifier l’institution d’un sursis à exécution sont remplies en cause.
En premier lieu, l’exécution du permis de construire, moyennant la réalisation partielle ou totale des ouvrages projetés avant l’intervention du jugement au fond, leur causerait un préjudice grave et définitif.
Ensuite, ils font valoir que leur recours au fond présenterait de sérieuses chances de succès.
A l’appui de ce recours au fond, ils soulèvent un seul moyen d’annulation tiré de la violation de l'article A.0.2 a), paragraphe 3, du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg, ci-après dénommé le « PAG de Luxembourg », Ils exposent que le terrain des époux YYY constituerait indubitablement un terrain « à forte pente montante ou situé en bordure de parois rocheuses montantes tels que définis par l'article A.0.1 » du PAG de Luxembourg.
Ainsi, le projet d’agrandissement en profondeur de la construction existante rentrerait dans le cadre des dispositions de l'article A.0.2 a), paragraphe 3, du PAG de Luxembourg.
Sur ce, ils soutiennent qu’au regard de la situation actuelle du terrain, le premier étage de la construction existante constituerait le premier plancher hors-sol, d’une part, et que la distance moyenne d'au moins 4 mètres à respecter par la façade postérieure projetée, ne serait pas respectée par rapport au terrain ou à la paroi rocheuse tels qu'ils se présentent avant tout terrassement ou toute excavation.
L’administration communale de la Ville de Luxembourg et les parties tierces intéressées soutiennent que le recours au fond ne présenterait pas de sérieuses chances de succès.
Pour l’administration communale la thèse des demandeurs tablerait sur la prémisse de base erronée qu’en l’espèce, pour calculer la distance moyenne de recul à observer en application de l'article A.0.2 a), paragraphe 3, du PAG de Luxembourg, il conviendrait de considérer le premier étage hors sol de la construction existante, alors que le premier plancher hors-sol à considérer serait le premier étage de la construction projetée, le premier étage actuel s’analysant comme un étage sous-sol.
Selon les parties tierces intéressées le raisonnement des demandeurs serait faux, alors qu’ils se focaliseraient sur la situation actuelle du terrain, alors qu’il conviendrait de se référer au terrain naturel tel qu’il a existé avant toute construction, c’est-à-dire avant même la construction de la bâtisse existante.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999», un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 15 septembre 2015 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi précitée du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Au niveau de l’appréciation du sérieux des moyens avancés au fond, le juge du référé est appelé, d'une part, à procéder à une appréciation de l'instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l'instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l'instruction de l'affaire et, d'autre part, non pas à se prononcer sur le bien-
fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante la réformation ou l'annulation de la décision critiquée.
L'article A.0.2 a), paragraphe 3, du PAG de Luxembourg dispose que :
« Pour les terrains à forte pente montante ou situés en bordure de parois rocheuses montantes, tels que définis par l'article. A.0.1 de la présente partie écrite, une diminution de la profondeur de la bande de construction sera imposée par dérogation aux dispositions normales de la zone de façon à ce que la façade postérieure de la construction projetée, y compris saillies, observe une distance horizontale moyenne d'au moins quatre mètres par rapport au terrain ou à la paroi rocheuse tels qu'ils se présentent avant tout terrassement ou toute excavation. Cette distance moyenne est mesurée sur la largeur de la façade postérieure par une ligne horizontale fictive qui prend son départ à un mètre au-dessus du niveau fini du premier plancher hors-sol ».
En l’espèce, il est constant que le terrain des époux YYY est à considérer comme terrain « à forte pente montante ou situé en bordure de parois rocheuses montantes tels que définis par l'article A.0.1 » du PAG de Luxembourg.
L’article A.0.2 a), paragraphe 3, du PAG de Luxembourg, requiert, au niveau de la façade postérieure d’une construction projetée, un recul d’au moins 4 mètres par rapport au terrain ou à la paroi rocheuse « tels qu'ils se présentent avant tout terrassement ou toute excavation ».
Il appert, sur base d’un examen nécessairement sommaire des éléments de la cause, que si les argumentaires développés par la partie défenderesse et les parties tierces intéressées ne sont certainement pas dénués de sens, la thèse développée par les demandeurs présente suffisamment de chances de succès pour justifier l’institution d’une mesure provisoire.
En effet, il est tout à fait possible que les juges du fond entérineront leur vision des choses et leur lecture du texte règlementaire en question pour retenir que par « terrain ou paroi rocheuse tels qu’ils se présentent avant tout terrassement ou toutes excavation », il convient de considérer le terrain et/ou la paroi rocheuse tels qu’ils existent en fait au moment où l’autorité administrative est appelée à statuer et non pas le terrain naturel, tel qu’il a pu exister avant la construction -apparemment dans les années 50 ou 60- de la maison existante.
Or, dans pareil cas de figure, le premier plancher hors-sol paraît effectivement être constitué par l’actuel premier étage hors sol de la construction existante et non pas par le premier étage hors sol de la construction projetée, lequel requiert pour sa réalisation la démolition d’un mur de soutènement et le déblayement d’une partie du terrain naturel existant, c’est-à-dire une excavation préalable à sa réalisation.
Par ailleurs, même à supposer que par « terrain ou paroi rocheuse tels qu’ils se présentent avant tout terrassement ou toutes excavation », il faille considérer le terrain et/ou la paroi rocheuse naturels originaires, c’est-à-dire en l’occurrence le terrain naturel comme il a existé avant toute construction, il semble que la bande de construction théorique visée par l'article A.0.2 a), paragraphe 3, du PAG de Luxembourg soit celle qui est réalisable sans terrassement ou excavation préalable.
Il s’ensuit qu’au stade actuel de son instruction et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, le moyen d’annulation fondé sur la violation de l'article A.0.2 a), paragraphe 3, du PAG de Luxembourg présente suffisamment de chances d’emporter la conviction des juges du fond pour amener le soussigné à retenir que la deuxième condition légalement posée pour justifier l’institution d’une mesure de sursis à exécution se trouve vérifiée en l’espèce.
La troisième condition exigée, à savoir l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, se trouve également remplie, au regard de ce que les demandeurs sont effectivement exposés à pareil risque de préjudice en cas de réalisation des travaux jusqu'à l'intervention d'une décision définitive au fond, étant donné qu'en vertu d'une jurisprudence constante des juridictions judiciaires, celles-ci refusent d'ordonner la démolition de constructions érigées sous le couvert d'une autorisation administrative annulée dans la suite, au motif que le fait de construire sous le couvert d'une autorisation de construire qui se trouve annulée dans la suite ne constitue pas le maître de l'ouvrage en faute, que, par conséquent, il n'y a aucune responsabilité civile dans le chef de celui qui a construit et que, dans ces conditions, il ne saurait y avoir de réparation du préjudice, ni en nature moyennant démolition de l'ouvrage construit illégalement, ni d'ailleurs par équivalent.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions en vue d'un sursis à exécution sont remplies en l'espèce et qu'il y a lieu de faire droit à la demande des époux XXX.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure, d’un import de 1.500.- €, formulée par les époux YYY laisse d’être fondée.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique;
reçoit la requête en institution d’un sursis à exécution en la forme;
au fond, la déclare justifiée;
partant dit qu'en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite du recours introduit sous le numéro 36938 du rôle, il sera sursis à l'exécution de l’autorisation de bâtir délivrée à Monsieur YYY et Madame YYY, en vue de la modification, respectivement de l’agrandissement de leur maison sise à L-XXX, telle que leur délivrée par le bourgmestre de la Ville de Luxembourg le 10 juillet 2015, sous le numéro de référence 2015/1060, et, pour autant que de besoin, la « décision » du même bourgmestre du 15 juillet 2015, numéro de référence 9/2015/1 AB;
rejette la demande des époux YYY en allocation d’une indemnité de procédure;
réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 28 septembre 2015 par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. WEBER, greffier.
WEBER CAMPILL 5