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09/09/2015 | LUXEMBOURG | N°36830

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 septembre 2015, 36830


Tribunal administratif Numéro 36830 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 août 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 9 septembre 2015 Recours formé par Monsieur … …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 15, Loi du 5 mai 2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36830 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 août 2015 par Arnaud Ranzenberg

er, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif Numéro 36830 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 août 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 9 septembre 2015 Recours formé par Monsieur … …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 15, Loi du 5 mai 2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36830 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 août 2015 par Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (République du Soudan du Sud), de nationalité sud-soudanaise, demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation d’une décision du 24 juin 2015 par laquelle le ministre de l’Immigration et de l’Asile s'est déclaré incompétent pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 août 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bouchra Fahime-

Ayadi, en remplacement de Maître Nicky Stoffel et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 9 septembre 2015.

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Le 2 avril 2015, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 7 avril 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur son identité, sa situation familiale, ses séjours antérieurs dans d’autres pays, les documents de voyage en sa possession et l’itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg.

Par décision du 24 juin 2015, notifiée en mains propres le 20 juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg ne serait pas compétent pour examiner sa demande de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 et à celles de l’article 13 (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », au motif que ce serait le Royaume d’Espagne qui serait responsable du traitement de sa demande de protection internationale, du fait qu’il aurait franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 30 juillet 2014. Le ministre ajouta que le Royaume d’Espagne aurait accepté, en date du 9 juin 2015, de prendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale.

Finalement, il annonça à Monsieur … que son transfert vers l’Espagne serait organisé dans les meilleurs délais.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 août 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 24 juin 2015.

Etant donné que l’article 17 de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions d’incompétence prises en vertu de l’article 15 de la même loi, un tel recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes de la décision déférée. En droit, il fait valoir que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, sinon une erreur de droit, sinon un excès de pouvoir, au motif qu’un renvoi en Espagne – où il aurait vécu dans la rue, sans avoir déposé de demande de protection internationale, avant son séjour en Suisse ayant précédé son arrivée au Luxembourg – aurait des conséquences néfastes sur son état de santé. Dans ce contexte, il explique qu’une « (…) endoscopie digestive (…) » réalisée sur sa personne afin d’évaluer l’étendue d’éventuelles lésions digestives – le demandeur affirmant éprouver des « (…) douleurs épigastriques depuis un certain temps (…) » – aurait révélé l’existence, dans son chef, d’une « (…) gastropathie érythémateuse antrale (…) », caractérisée par « (…) un certain degré d’inflammation de la paroi gastrique (…) ». Par ailleurs, il soutient avoir subi une biopsie de la muqueuse gastrique et duodénale, qui permettrait de détecter l’éventuelle présence de la bactérie « Hélicobacter Pylori », impliquée dans la genèse de gastrites et ulcères gastro-duodénaux, ainsi que de certains cancers de l’estomac et du duodénum. Or, il serait toujours dans l’attente des résultats de cette biopsie, de sorte qu’il ne serait pas possible, à l’heure actuelle, de connaître « (…) l’étendue véritable de ses lésions expliquant ses douleurs épigastriques (…) ». Il insiste sur le fait qu’un retour en Espagne, où il serait contraint de vivre dans la rue, ne lui permettrait pas de se rétablir correctement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

L’article 15 de la loi du 5 mai 2006 prévoit ce qui suit :

« (1) Si, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, un autre pays est responsable de l’examen de la demande, le ministre surseoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la prise respectivement reprise en charge.

(2) Lorsque le pays responsable accepte la prise en charge, le ministre se déclare incompétent pour l’examen de la demande de protection internationale par une décision motivée qui est communiquée par écrit au demandeur. Les informations relatives au droit de recours sont expressément mentionnées dans la décision. Le demandeur est transféré vers le pays responsable de l’examen de sa demande. » Il s’ensuit que si, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge, le ministre se déclare incompétent pour l’examen de la demande.

Aux termes de l’article 13 (1) du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n ° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. » Dès lors, s’il est établi, sur base notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’EURODAC présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, c’est-à-dire sur base des données inscrites à la base de données européenne EURODAC, qu’un demandeur de protection internationale a franchi irrégulièrement la frontière d’un Etat membre en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif qu’une recherche initiée par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC, précitée, a révélé que le demandeur a été interpellé le 30 juillet 2014 à Almeria, en Espagne, à l’occasion du franchissement irrégulier de la frontière espagnole en provenance d’un pays tiers, ce qui correspond, par ailleurs, à ses déclarations sur son itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, faites lors de son audition susmentionnée du 7 avril 2015 Dans la mesure où il est ainsi établi que le demandeur a, en date du 30 juillet 2014, franchi irrégulièrement la frontière espagnole en venant d’un Etat tiers, l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … est le Royaume d’Espagne, sans que le délai de douze mois inscrit à l’article 13, précité, du règlement Dublin III n’ait expiré, que ce soit au moment de l’introduction de la demande de protection internationale ou au moment de la prise de la décision litigieuse.

Il s’ensuit que l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale en Espagne est à écarter pour défaut de pertinence.

Etant donné qu’aux termes d’un courrier adressé le 9 juin 2015 aux autorités luxembourgeoises, les autorités espagnoles ont déclaré qu’elles accepteraient de prendre en charge l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, c’est a priori à bon droit que le ministre a déclaré les autorités luxembourgeoises incompétentes pour connaître de l’examen de ladite demande, conformément aux dispositions de l’article 15, précité, de la loi du 5 mai 2006.

Force est ensuite au tribunal de constater qu’à l’appui de son argumentation ayant trait à son état de santé, le demandeur se prévaut, d’une part, d’un rapport du Dr. R. R. du 4 août 2015, aux termes duquel une « (…) Oeso-Gastro-Duodenoscopie (…) » réalisée le même jour en raison de douleurs épigastriques éprouvées par le demandeur aurait révélé l’existence, dans le chef de ce dernier, d’une « (…) gastropathie érythémateuse antrale (…) » et, d’autre part, d’une ordonnance médicale du Dr. F. K. du 12 août 2015, relative au traitement médicamenteux du demandeur, c’est-à-dire de pièces postérieures au 24 juin 2015, jour de la prise de la décision déférée. A cet égard, le tribunal est amené à préciser que s’il est exact que, dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours, il en va autrement dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question, puisqu’elle peut affecter la légalité de la décision litigieuse, qui a alors, le cas échéant, été prise sur base d’une situation de fait erronée.1 Or, en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal qu’au jour de la prise de la décision déférée, le demandeur aurait déjà présenté les problèmes de santé dont il se prévaut actuellement sur base des pièces susmentionnées, cette conclusion n’étant pas énervée par l’affirmation vague du demandeur selon laquelle il souffrirait de « (…) douleurs épigastriques depuis un certain temps (…) ». Dès lors, dans le cadre du présent recours en annulation, le tribunal ne saurait tenir compte de ces pièces, ni, a fortiori, des problèmes de santé de Monsieur … qu’elles documentent, de sorte que l’argumentation afférente est à écarter, au-delà de la question de sa pertinence en l’espèce.

Le tribunal est ensuite amené à retenir que la même conclusion s’impose en ce qui concerne l’affirmation de Monsieur …, selon laquelle un retour en Espagne l’obligerait à 1 En ce sens : Trib. adm., 9 octobre 2013, n° 31156 et 31445 du rôle, confirmé par Cour adm., 30 janvier 2014, n° 33601C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

vivre dans la rue, étant donné, d’une part, que ladite affirmation n’est corroborée par aucun élément concret soumis à l’appréciation du tribunal et, d’autre part, que le demandeur est resté en défaut de préciser dans quelle mesure cette circonstance aurait une incidence sur la légalité de la décision déférée, par laquelle le ministre s’est déclaré incompétent pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale, étant rappelé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Il suit des considérations qui précèdent que les moyens contenus dans la requête introductive d’instance ne sont pas de nature à énerver la conclusion dégagée ci-avant, selon laquelle c’est à bon droit que le ministre a déclaré les autorités luxembourgeoises incompétentes pour connaître de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, conformément aux dispositions de l’article 15, précité, de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le recours en annulation est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Henri Campill, président, Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 9 septembre 2015 par le président, en présence du greffier Anne-Marie Wiltzius.

s. Anne-Marie Wiltzius s. Henri Campill Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 November 2016 Le greffier 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36830
Date de la décision : 09/09/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-09-09;36830 ?

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