Tribunal administratif N° 36680 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2015 Audience publique du 28 juillet 2015 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … et consorts, …, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 36680 du rôle et déposée le 28 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs fils mineurs …, né le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité monténégrine, actuellement retenus au Centre de rétention, sis à L-…, tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à « une décision de refoulement, respectivement expulsion, sous-jacente à la décision de mise à disposition entreprise par Monsieur le Ministre de l’Immigration et de l’Asile, prononçant à l’encontre des requérants en date du 22 avril 2015, notifiée en date du 27 juillet 2015, plaçant ces derniers au Centre de rétention » et par rapport à une décision ministérielle du 22 avril 2015 relative à l’interdiction du territoire pour une durée de trois ans, notifiée en date du 27 juillet 2015, un recours en annulation dirigé contre lesdites décisions ministérielles, inscrit sous le numéro 36678 du rôle, introduit le 28 juillet 2015, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juillet 2015.
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Par jugement du tribunal administratif du 20 décembre 2012, inscrit sous le numéro 31620 du rôle, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », furent définitivement déboutés de leur demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 », introduite le 30 août 2012 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères.
Le 6 février 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration accorda aux consorts … un sursis à l’éloignement jusqu’au 29 juillet 2013 en raison de l’état de santé de Madame ….
Le 18 novembre 2013, le mandataire des consorts … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères, service de l’Immigration, une demande de renouvellement du sursis à l’éloignement.
Sur base d’un avis du médecin délégué du 20 décembre 2013, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », entretemps en charge du dossier, refusa de renouveler le sursis à l’éloignement par décision du 10 janvier 2014.
Par jugement du tribunal administratif du 15 mai 2015, inscrit sous le numéro 34850 du rôle, le tribunal administratif déclara leur recours dirigé contre la décision du ministre du 10 janvier 2014 portant refus de renouveler leur sursis à l’éloignement non fondé.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2015, inscrite sous le numéro 36678 du rôle, les consorts … ont introduit un recours en annulation contre « une décision de refoulement, respectivement expulsion, sous-jacente à la décision de mise à disposition entreprise par Monsieur le Ministre de l’Immigration et de l’Asile, prononçant à l’encontre des requérants en date du 22 avril 2015, notifiée en date du 27 juillet 2015, plaçant ces derniers au Centre de rétention » et contre une décision ministérielle du 22 avril 2015 relative à l’interdiction du territoire pour une durée de trois ans leur notifiée en date du 27 juillet 2015.
Par requête séparée et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2015, inscrite sous le numéro 36680 du rôle, les consorts … ont formulé une demande tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant à voir autoriser provisoirement leur séjour sur le territoire luxembourgeois, respectivement à voir garantir qu’ils ne seront pas éloignés du territoire luxembourgeois jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.
A l’appui de leur demande, ils font valoir que leur éloignement du territoire luxembourgeois vers le Monténégro risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif, notamment à l’état de santé de l’enfant … souffrant d’après un certificat médical du Dr … d’une otite et ce même certificat déclarant également que celui-ci ne pourrait pas de ce fait prendre l’avion. Ils considèrent encore que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité de la requête en référé en affirmant qu’un tel référé ne pourrait seulement s’appuyer soit sur la décision de retour du 15 octobre 2012, soit éventuellement sur la décision de rejet de leur demande de sursis à l’éloignement, or ces deux décisions seraient coulées en force de chose décidée, voire jugée. Il rajoute que le recours au fond inscrit sous le numéro 36678 du rôle sur lequel base le référé en l’espèce ne saurait permettre aux demandeurs d’obtenir le résultat escompté. Il estime encore que les conditions légales pour justifier l’institution d’une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
En la matière, la compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s'abstenir de préjuger les éléments soumis à l'appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu'il doit s'abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond. En revanche, il doit examiner et trancher les questions concernant la recevabilité de la demande dont il est personnellement saisi. Saisi d'une demande en institution d’une mesure provisoire, il doit apprécier l'intérêt à agir du demandeur par rapport aux mesures sollicitées et débouter celui-ci s'il apparaît qu'il ne justifie pas d'un intérêt à agir suffisamment caractérisé concernant la mesure provisoire.
En l’espèce, force est de constater que les demandeurs dirigent d’une part leur recours au fond contre « une décision de refoulement, respectivement expulsion, sous-jacente à la décision de mise à la disposition entreprise par Monsieur le Ministre de l’immigration et de l’Asile à [leur] encontre en date du 22 avril 2015 », à savoir donc une décision implicite de refoulement, sinon d’expulsion sous-jacente à la décision de mise en rétention des demandeurs. S’il est vrai qu’une décision de rétention administrative ne saurait être légalement prise que sur base d’une décision antérieure refusant le séjour ou ordonnant une interdiction du territoire, voire un retour vers le pays d’origine et qu’en cas où il n’existe pas de décision expresse, il faut supposer que les autorités compétentes ont au moins implicitement pris une telle décision, susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.
Or, en l’espèce, il échet de constater qu’il existe une décision explicite de retour du 15 octobre 2012, notifiée aux demandeurs en date du 23 octobre 2012, de sorte qu’il appert effectivement, suivant les conclusions de Monsieur le délégué du gouvernement, que leur recours au fond, dirigé contre une décision implicite de refoulement ou d’expulsion, a de très fortes chances d’être déclaré irrecevable par la composition collégiale du tribunal administratif, faute d’objet.
En effet, force est de constater qu’en l’espèce, la fiction d’une décision de refoulement, respectivement d’expulsion sous-jacente à la mesure de mise en rétention est dépassée par la réalité d’une décision explicite exécutoire, d’une part, et que l’éloignement projeté des demandeurs ne se fait pas en exécution de la décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion, d’autre part.
Concernant plus particulièrement ledit éloignement des demandeurs, il se fait plus spécifiquement en exécution directe d’une décision ministérielle de retour du 15 octobre 2012 et en exécution indirecte de la décision de rejet explicite de leur demande de sursis à l’éloignement, confirmée par le jugement précité du 15 mai 2015, numéro 34850 du rôle, les deux étant exécutoires parce qu’il appert qu’elles sont définitives et coulées en force de chose décidée, voire jugée.
Il s’ensuit que les demandeurs ne font a priori pas valoir un intérêt à agir suffisant pour voir instituer une mesure provisoire par rapport à la première décision litigieuse au fond.
La même conclusion s’impose en termes de préjudice grave et définitif, condition légalement requise pour l’institution d’une mesure provisoire, étant donné que le préjudice dont les demandeurs entendent se voir prévenir n’est pas en rapport direct avec l’exécution de la prétendue décision implicite de refoulement attaquée au fond. Or, une mesure provisoire ne saurait être ordonnée que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution de l’acte attaqué, la condition n’étant pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de cet acte, mais dans celle d’un autre acte étranger au recours au fond (cf. ord. prés du 13 août 2009, n° 25975, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 553 et autres références y citées).
Ensuite, l'exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l'instruction, les chances de succès du recours au fond.
Sur base d’un examen nécessairement sommaire, la soussignée arrive à la conclusion que le recours au fond ne présente pas suffisamment de chances de succès et qu’il risque même d’être déclaré irrecevable.
Il est probable que les juges du fond ne vont pas entériner la vision des demandeurs en ce qu’ils estiment pouvoir utilement diriger leur requête introductive de l’affaire au fond contre une prétendue décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion, matérialisée par la prise d’une décision de placement en rétention.
Il s’ensuit que le recours au fond, au stade actuel de son instruction et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, n’apparaît pas comme ayant des chances suffisamment sérieuses d’aboutir à l’annulation de la décision litigieuse au fond.
En ce qui concerne ensuite le second volet du recours au fond dans la mesure où il est dirigé contre une décision d’interdiction du territoire datée du 22 avril 2015, il convient de relever que le seul certificat médical, seul fondement factuel de l’argumentation des demandeurs, a été établi le 27 juillet 2015, de sorte que sa production actuelle semble méconnaître la portée du recours déposé au fond, lequel ne peut, a priori, en l’absence de tout texte autorisant un recours au fond, que tendre à la seule annulation de la décision déférée. Or, s’il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif1, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue : en effet, il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile2.
Dès lors, l’analyse de l’existence de moyens sérieux doit nécessairement se faire, au provisoire, en tenant compte de la limitation temporelle imposée à l’examen du juge de l’annulation, statuant au fond, à l’exclusion de tout élément intervenu postérieurement à la date de la décision déférée.
Or, en l’espèce, la deuxième décision déférée tant à la soussignée qu’aux juges du fond est la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 22 avril 2015, de sorte que la circonstance actuellement mise en exergue de la nécessité de soins dans le chef de leur enfant mineur n’a a fortiori pas été portée à la connaissance du ministre avant qu’il ne prenne la décision déférée : il ne semble dès lors pas, compte tenu de la jurisprudence actuelle, que les juges du fond puissent partant reprocher au ministre de ne pas avoir tenu compte de cette circonstance qui, en l’état actuel du dossier, lui était inconnue à la date à laquelle il a pris la décision d’interdiction déférée.
Il s’ensuit que le recours au fond, au stade actuel de son instruction et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, n’apparaît pas comme ayant des chances suffisamment sérieuses d’aboutir à l’annulation de la décision litigieuse au fond.
A titre superfétatoire, il échet encore de rappeler que le risque de préjudice dénoncé doit encore découler de la mise en œuvre de la décision entreprise au fond.
1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.
2 Voir notamment CE belge, arrêt n° 110.548 du 23 septembre 2002 ; CE belge, arrêt n° 93.593 du 27 février 2001; dans le même sens également : CE belge, arrêt n°87.676 du 26 août 1998, CE belge, arrêt n° 78.664 du 11 février 1999, CE belge, arrêt n° 82.272 du 16 septembre 1999, consultables sur www.raadvst-consetat.be, ainsi que CCE belge, n° 43 905 du 27 mai 2010, CCE belge, n° 46 725 du 27 juillet 2010, consultables sur www.cce-
rvv.be, ainsi que trib. adm. (prés) 23 mars 2012, n° 29992 ; trib. adm. 11 juin 2012, n° 29126 ; trib. adm. 9 juillet 2012, n° 28965 ; trib. adm. (prés) 12 août 2012, n° 31157.
En effet, une mesure provisoire ne saurait être ordonnée que si le préjudice invoqué par le demandeur résulte de l’exécution de l’acte attaqué, la condition n’étant pas remplie si le préjudice ne trouve pas sa cause dans l’exécution de cet acte, mais dans celle d’un autre acte étranger au recours au fond (cf. ord. prés du 13 août 2009, n° 25975, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 553 et autres références y citées).
Or, en l’espèce, dans la mesure où le préjudice allégué de devoir quitter le territoire luxembourgeois ne trouve pas sa source dans la décision attaquée au fond, mais dans les décisions précitées, à savoir la décision de retour, respectivement la décision de refus d’un sursis à l’éloignement, toutes les deux exécutoires, ce préjudice ne peut pas être valablement invoqué pour obtenir la mesure de sauvegarde sollicitée.
Les demandeurs sont partant à débouter de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde.
Par ces motifs, la soussignée, juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit la requête en institution d’une mesure de sauvegarde en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 28 juillet 2015, par Hélène Steichen, juge au tribunal administratif, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Judith Tagliaferri s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 juillet 2015 Le greffier du tribunal administratif 6