Tribunal administratif N° 36593 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2015 Audience publique du 22 juillet 2015 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par les époux …et … et consorts, … par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
-----------------------
ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 36593 du rôle et déposée le 14 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro) et son épouse, Madame …, née … (Kosovo), accompagnés de leurs enfants, …, tous de nationalité monténégrine, demeurant à L-8838 Wahl, 14, rue Principale, tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à une décision de rejet de leur demande en prolongation, respectivement en obtention d’un sursis à l’éloignement pour raisons médicales prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en date du 1er juillet 2015, un recours en annulation, sinon en réformation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrit sous le numéro 36592 du rôle, introduit le 14 juillet 2015, étant pendant devant le tribunal administratif;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Maître Marcel MARIGIO, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Le 1er juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », rejeta une demande en obtention d’un sursis à l’éloignement pour raisons médicales introduite pour compte des époux …et …, accompagnés de leurs enfants, … L’arrêté ministériel en question est motivé comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 11 juin 2015 dans lequel vous sollicitez la prolongation du sursis à l'éloignement accordé à vos mandants en raison de l'état de santé de l'enfant … conformément à l'article 130 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration en estimant que « (…) les deux années n'ayant pas été dépassées (…) ». Vous invoquez également l'état de santé de l'enfant ….
Force est tout d'abord de constater que contrairement à vos dires, vos mandants ont bénéficié d'un sursis à l'éloignement d'un total de 24 mois en raison de l'état de santé de l'enfant …. En effet, vous oubliez dans votre énumération la décision ministérielle du 9, avril 2013 accordant un sursis à l'éloignement jusqu'au 22 septembre 2014. Par ailleurs, par décision du 18 décembre 2014 un sursis à l'éloignement a été refusé à vos mandants en raison de l'état de santé de l'enfant ….
En date du 17 juin 2015 vos mandants ont donc bénéficié d'un sursis à l'éloignement d'un total de 24 mois en raison de l'état de santé de l'enfant …. Ce sursis à l'éloignement ne saurait être renouvelé une nouvelle fois alors qu'il ressort clairement du paragraphe (1) l'article 131 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration que le « sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans ».
Selon le même article cité, une autorisation de séjour pour raisons médicales ne saurait être accordée uniquement si à l'expiration du délai de deux ans de bénéfice d'un sursis à l'éloignement, l'étranger apporte la preuve que son état tel que décrit à l'article 130 de la loi citée persiste. Le paragraphe 3 de l'article 131 de la loi citée prévoit que « les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, sont prises par le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l'article 28 ». Par conséquent, le médecin délégué de la Direction de la Santé a été saisi en date du 15 juin 2015 de l'état de santé de l'enfant ….
Suivant son avis du 30 juin 2015 reçu le 1er juillet 2015, et dont vous trouverez une copie en annexe, l'état de santé de l'enfant … ne nécessite pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et il ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement. En effet, le médecin délégué a précisé dans son avis du 30 juin 2015 que « (…) Vu la confirmation de RdV ainsi que le certificat médical et le rapport médical du Dr …, rééducation fonctionnelle, établis en date du 02.06.2015; Vu l'examen médical réalisé le 17.12.2014 par le médecin délégué et l'examen du dossier médical réalisé en date du 18.06.2015; Vu l'avis du médecin délégué établi en date du 17.12.2014; Le patient souffre de dystrophie musculaire de Duchenne avec parésie de 4/5 des membres inférieurs et de 3/5 des membres supérieurs ainsi que de 3/5 de la musculature thoracique; scoliose thoraco-
lombaire dextro-convexe; arthrodèse vertébrale prévue dans les meilleurs délais; Aucun nouvel élément justifiant une prolongation du sursis de 6 mois initialement accordé en date du 17.12.2014; Considérant que la prise en charge de … … peut être réalisée dans le pays d'origine (…)». Votre mandant n'apporte donc pas la preuve que son état de santé tel que décrit à l’article 130 de la loi citée persiste.
Par conséquent, je suis au regret de vous informer que l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons médicales est refusé à vos mandants en raison de l'état de santé de l'enfant … conformément aux articles 101, paragraphe (1), point 1. et 131 de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée.
Quant à l'état de santé de l'enfant … le médecin délégué a conclu dans un autre avis du 24 juin 2015, dont vous trouverez une copie en annexe qu'il ne nécessite toujours pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité en précisant « (…) Pas d'élément justifiant une révision de l’avis du 17.12.2014 ». Par conséquent, l'enfant … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement.
Etant donné que vos mandants ne remplissent pas les conditions fixées à l'article 34 de la loi précitée et qu'ils ne sont pas en possession d'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, leur séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l'article 100, paragraphe (1), points a) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. Le recours n'est pas suspensif.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2015, inscrite sous le numéro 36592 du rôle, les consorts …-… ont introduit un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision ministérielle précitée du 1er juillet 2015. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 36593 du rôle, ils ont encore introduit une demande tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant à voir autoriser provisoirement leur séjour sur le territoire luxembourgeois, respectivement à voir garantir qu’ils ne seront pas éloignés du territoire luxembourgeois jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.
Les demandeurs font soutenir que leur éloignement du territoire luxembourgeois vers le Monténégro risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, ils font exposer qu’en cas de retour au Monténégro, les enfants … et … ne bénéficieraient plus d'une prise en charge médicale, alors qu'ils seraient tous les deux gravement malade. Ils exposent que l'enfant … serait atteint d'une dystrophie musculaire de Duchenne avec parésie de 4/5 des membres inférieurs et 3/5 des membres supérieurs ainsi que de 3/5 de la musculature thoracique; scoliose thoraco-lombaire dextro-convexe, d’une part, et que son frère … souffrirait également d’une forme sévère de maladie de Duchenne de Boulogne, d’autre part.
Ainsi, ils auraient tous les deux besoin de soins spécifiques constants. Ils estiment encore qu’en cas de retour dans leur pays d'origine, le Monténégro, ils seraient privés des soins et traitements adéquats.
Au fond, les demandeurs concluent en substance à l’annulation de la décision attaquée au motif que tant le médecin délégué, que par la suite le ministre auraient fait une mauvaise analyse de la situation de fait et de droit. Ainsi, ils auraient méconnu la gravité de l'état de santé des deux frères … et ….
Ils critiquent aussi l'affirmation du médecin délégué relativement aux possibilités d’une prise en charge médicale des enfants … et … au Monténégro « d'autant plus que le médecin délégué reste muet sur l'existence réelle d'infrastructures au Monténégro de même que la disponibilité de médicaments destinés au traitement de la partie requérante ».
Selon les demandeurs, les trois conditions légalement requises pour justifier l'octroi d'un sursis à l'éloignement seraient remplies dans le chef des deux enfants … et … en ce que leur état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, en ce que la preuve serait rapportée qu'il ne peuvent pas bénéficier d'un traitement approprié au pays vers lequel seront éloignés et en ce qu’ils constitueraient pas une menace pour l'ordre public ou pour la sécurité publique.
Enfin, ils demandent aux juges du fond d’ordonner une mesure d'instruction au sujet de l’état de santé exact des frères … et … et quant à la possibilité d'accéder à des soins de santé au Monténégro.
Par courrier du délégué du gouvernement en date du 21 juillet 2015, le gouvernement s’est déclaré d’accord à ne pas éloigner les demandeurs jusqu’au prononcé de l’affaire au fond, accord que le délégué du gouvernement réitère à l’audience des plaidoiries de ce jour.
En vertu des articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ou une mesure de sauvegarde ne peuvent être décrétés qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Une mesure provisoire est à rejeter si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Dans la mesure où le délégué du gouvernement a marqué l’accord du gouvernement à l’institution d’une mesure de sauvegarde, accord duquel il convient de dégager la reconnaissance de ce que les conditions légales pour ce faire sont remplies, il y a lieu de faire droit à la demande des époux …et …, accompagnés de leurs enfants, …, … et …, et de les autoriser à continuer à séjourner sur le territoire luxembourgeois jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant en audience publique;
reçoit la requête en institution d’une mesure provisoire en la forme;
au fond, la déclare justifiée, partant, dit que Monsieur et Madame …et …, accompagnés de leurs enfants, …, … et …, sont autorisés à séjourner sur le territoire luxembourgeois jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond introduit sous le numéro 36592 du rôle;
réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 22 juillet 2015 par M. Henri CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. Arny SCHMIT, greffier en chef.
s. SCHMIT s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22/7/2015 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5